Dossiers : T-1366-16
T-1368-16
T-1369-16
T-1370-16
Référence : 2017 CF 233
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 24 février 2017
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
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MAROWAN ASHOUR M ZALOUK
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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Dossier : T-1368-16
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ET ENTRE :
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HALA ASHOUR M ZALOUK
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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Dossier : T-1369-16
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ET ENTRE :
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ASHOUR M ELMERGHANI ZALOUK
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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Dossier : T-1370-16
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ET ENTRE :
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NAIMA MILOUD, SHAREF
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Les demandeurs, qui sont originaires de la Libye, remettent en question la légalité et/ou le caractère raisonnable des décisions rendues en juillet 2016 par le représentant du ministre (décisions ministérielles), rejetant les demandes de citoyenneté présentées par M. Ashour Zalouk (demandeur principal) en son nom et au nom de son épouse, Mme Naima Miloud Sharef, ainsi que de M. Marwan Zalouk, de Mme Hala Zalouk, leurs deux enfants adultes (collectivement, les demandeurs). Il a été ordonné que toutes les affaires soient réunies sous la même demande de contrôle judiciaire et que le dossier T-1366-16 soit considéré le dossier principal. L’issue des demandes des codemandeurs devrait suivre celle de la demande principale.
[2]
Les décisions ministérielles de ne pas attribuer la citoyenneté canadienne en vertu de l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch. C-29 (la Loi) se fondent sur le fait que les demandeurs sont visés par une interdiction en vertu de l’article 22 de la Loi, en l’occurrence l’interdiction mentionnée à l’alinéa 22(1)e.1) de la Loi. Bref, le superviseur de la citoyenneté qui a examiné la question a conclu que les demandeurs ont effectué une présentation erronée sur un fait important relativement à leurs demandes de citoyenneté. Par conséquent, les demandeurs ont été informés qu’une interdiction de cinq années, à compter de la date des lettres de refus, leur était imposée, période pendant laquelle toute demande ultérieure de citoyenneté est refusée, conformément aux dispositions de l’alinéa 22(1)e.2) de la Loi.
[3]
Les demandeurs ne contestent pas le fait que les décisions attaquées ont été rendues en vertu du pouvoir conféré par l’article 22 de la Loi. La question principale est de savoir si le rejet des demandes de citoyenneté est un résultat raisonnable, et si l’interdiction de cinq années devrait être maintenue. Comme l’a fait valoir le défendeur, la Cour devrait examiner ces demandes en fonction de la norme du caractère raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47).
[4]
Les faits ne sont pas vraiment contestés. Toute la famille est arrivée au Canada le 23 juillet 2007, détenant le statut de résident permanent (le demandeur principal dans la catégorie des investisseurs). Ils se sont établis à Montréal où ils ont loué un appartement. Après leur arrivée au Canada, les demandeurs expliquent que les parents ont cherché activement une école pour inscrire leurs enfants. Cependant, étant donné qu’ils avaient de la difficulté à parler le français, ils ont apparemment été dans l’impossibilité de trouver une école qui convenait. La famille a décidé de quitter le Canada le 26 septembre 2007, pour retourner à Tunis. Près d’un an plus tard, les demandeurs sont revenus au Canada, après avoir trouvé une école privée à Montréal qui pouvait accueillir les enfants. Le demandeur principal est revenu au Canada le 26 avril 2008, tandis que son épouse et ses enfants l’ont rejoint plus tard au cours de l’année. À l’exception de l’année passée à Tunis entre 2007 et 2008, le demandeur principal a effectué de brèves visites pour voir sa famille, étant donné qu’il prodiguait des soins particuliers à sa mère qui était malade.
[5]
En 2011, le demandeur principal a présenté une demande de citoyenneté pour lui-même ainsi qu’au nom de son épouse et de ses deux enfants. La période pertinente de quatre années pour le calcul des 1 095 jours de résidence canadienne commence le 23 juillet 2007 et se termine le 23 juillet 2011. Au moment de présenter la déclaration, le demandeur principal a omis de déclarer la période d’environ neuf mois que la famille a passée à Tunis et n’a déclaré que 123 jours d’absence pour lui-même, 87 jours d’absence pour son épouse, 94 jours d’absence pour Marwan et 87 jours d’absence pour Hala. Les demandeurs n’ont pas mentionné la longue période d’absence à Tunis (et aussi ailleurs en Libye et au Maroc).
[6]
Un superviseur de la citoyenneté a examiné les éléments de preuve à l’appui des demandes et a conclu que les demandeurs avaient effectivement été absents pendant une période plus longue que celle déclarée par le demandeur principal. Pour être plus précis, le superviseur de la citoyenneté a conclu que le demandeur principal avait été absent pendant 452 jours, Mme Sharef pendant 456 jours, Marwan pendant 447 jours et Hala pendant 456 jours. Le 18 février 2016, le superviseur de la citoyenneté a fait parvenir une lettre à chaque demandeur, mettant en évidence ces écarts et leur donnant la possibilité d’expliquer les raisons pour lesquelles ils avaient omis de déclarer pleinement toutes leurs absences du Canada (lettre relative à l’équité). En réponse, pour confirmer leur présence effective, le demandeur principal a fourni une copie couleur du passeport de chacun des demandeurs, prétendant que de nombreuses estampilles de la douane n’étaient pas claires ou avaient été superposées. Ayant tenu compte de leurs explications, un autre superviseur de la citoyenneté est venu à la conclusion que les demandeurs avaient effectué une présentation erronée de leurs journées d’absence du Canada et le représentant du ministre a rejeté leurs demandes de citoyenneté et a prononcé l’interdiction de cinq années décrite plus tôt.
[7]
Essentiellement, les demandeurs reconnaissent qu’ils n’ont pas été effectivement présents pendant 1 095 jours au cours de la période pertinente, mais ils soutiennent que l’interdiction de cinq années est injuste, parce qu’ils ont commis une erreur honnête au sujet de leur longue absence du Canada. En réponse, le défendeur souligne que les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions de fait du superviseur de la citoyenneté selon lesquelles ils ont omis ou négligé de déclarer dans leurs demandes de citoyenneté qu’ils ont été absents du Canada pendant près d’une année complète au cours de la période pertinente. Cela constitue une fausse déclaration sur des faits essentiels (ou une omission) concernant des renseignements pertinents.
[8]
La présente demande de contrôle judiciaire est non fondée. Comme il est expliqué plus loin, les demandeurs n’ont pas été en mesure de relever une seule erreur susceptible de révision commise par le superviseur de la citoyenneté ou le représentant du ministre. Essentiellement, la Cour souscrit aux motifs de rejet exposés par le défendeur.
[9]
Les demandeurs ne font que présenter de nouveau devant la Cour les allégations faites plus tôt au superviseur de la citoyenneté. Ils ont toujours agi de bonne foi lorsqu’ils ont rempli leurs demandes et n’avaient nullement l’intention délibérée d’induire les autorités en erreur. Ils reconnaissent qu’ils ont négligé de mentionner la période pendant laquelle ils sont retournés en Tunisie, mais ils ont expliqué cette non-divulgation de renseignements pertinents au sujet de leurs journées d’absence du Canada par le fait que les demandes ont toutes été remplies par le demandeur principal seul, sans aide. À ce titre, de nombreux éléments ont induit le demandeur principal en erreur, notamment les estampilles imprécises de la douane qui sont souvent superposées. En outre, des sources importantes de stress l’ont affecté, en particulier la guerre civile qui faisait rage dans son pays natal, la Lybie. En effet, l’un de ses neveux a été kidnappé et emprisonné par les forces du dictateur Kaddafi. Le demandeur principal s’inquiétait également beaucoup pour sa nièce qui était maintenant obligée de prendre soin de ses jeunes enfants seule, depuis le meurtre de son mari par les forces de Kaddafi. Malgré toute la pression générée par les nouvelles troublantes concernant les membres de sa famille, le demandeur principal a essayé de remplir toutes les demandes de citoyenneté au meilleur de sa connaissance. Par conséquent, l’interdiction de cinq années constitue un châtiment injuste.
[10]
Dans le mémoire du demandeur, les demandeurs renvoient par analogie à l’annulation de cas de citoyenneté et font remarquer que le paragraphe 10(1) de la Loi pénalise la fausse déclaration uniquement lorsqu’elle est faite de façon intentionnelle. Par conséquent, le fardeau de la preuve incombe au ministre qui doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont intentionnellement induit en erreur Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) en faisant de fausses déclarations ou en dissimulant intentionnellement des faits essentiels. Les demandeurs font également remarquer qu’après avoir reçu la lettre relative à l’équité en février 2016, ils ont produit une photocopie couleur de leurs passeports pour confirmer leur présence effective au Canada au cours de la période pertinente. Les demandeurs soutiennent qu’ils avaient l’impression que, advenant une erreur de leur part, un agent de l’immigration examinerait les demandes et demanderaient des correctifs, au besoin.
[11]
Les arguments des demandeurs sont rejetés. En application de l’alinéa 22(1)e.1) de la Loi, une personne ne reçoit pas la citoyenneté prévue au paragraphe 5(1) de la Loi si cette personne, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait essentiel quant à un objet pertinent ou omet de révéler un tel fait. En effet, il n’existe aucune obligation pour le superviseur de la citoyenneté ou le représentant du ministre d’effectuer des recherches pour établir un élément de fausse déclaration délibérée ou intentionnelle (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Vijayan, 2015 CF 289, [2015] ACF no 263, aux paragraphes 74 à 76). Tant les fausses déclarations intentionnelles que celles qui sont faites par inadvertance soulèvent des préoccupations quant à la fiabilité des renseignements des demandeurs. On ne peut tracer de parallèle entre le paragraphe 10(1) et l’alinéa 22(1)e.1) de la Loi, qui renvoient respectivement à deux situations différentes et non liées, la première ayant trait au rejet d’une demande de citoyenneté, et la deuxième se rapportant à la révocation de la citoyenneté actuelle en cas de fausse déclaration. Pendant que le paragraphe 10(1) de la Loi exige explicitement la preuve de fausses déclarations ou de fraude ou de dissimulation intentionnelle de faits essentiels dans la demande de citoyenneté originale, l’alinéa 22(1)e.1) ne renvoie pas à un élément intentionnel, mais se concentre sur les conséquences de la fausse déclaration ou de la non-divulgation de faits essentiels, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. C’était précisément le cas en l’espèce.
[12]
Je conviens avec le défendeur que la décision attaquée est raisonnable et que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer une erreur susceptible de révision qui pourrait justifier une intervention de la Cour. Le superviseur de la citoyenneté a donné aux demandeurs toute la chance de répondre à ses préoccupations au sujet de fausses déclarations possibles concernant leurs journées déclarées d’absence du Canada dans le cadre du processus de demande et de remettre tous les éléments de preuve pertinents qui réfutaient les allégations de fausse déclaration. Les décisions attaquées étaient suffisamment justifiées et renvoyaient de façon explicite à la lettre relative à l’équité et à toutes les dispositions juridiques pertinentes de la Loi. La fausse déclaration était importante. Par exemple, les formulaires de la calculatrice de la période de résidence présentent non seulement de manière inexacte le nombre de jours de présence effective au Canada, mais également le nombre de jours d’absence du Canada. Même si le superviseur de la citoyenneté n’avait aucune obligation de renvoyer les demandes de citoyenneté, rien n’empêchait les demandeurs de retirer leurs demandes et de présenter de nouvelles demandes à une date ultérieure, s’ils le souhaitaient. En outre, il est évident en l’espèce que les demandeurs n’ont pas satisfait à l’obligation prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, puisqu’ils n’ont pas eu une présence minimale de 1 095 jours au Canada au cours de la période pertinente : la présence réelle du principal demandeur étant de 1 008 jours; de 1 004 jours pour son épouse; de 1 013 jours pour Marwan et de 1 004 jours pour Hala.
[13]
De fait, les demandeurs reconnaissent maintenant, dans leurs arguments, qu’ils n’ont pas satisfait à l’obligation de résidence, étant donné qu’ils ont indiqué qu’ils [traduction] « avaient presque terminé »
la période de trois ans lorsqu’ils ont rempli leurs demandes. Il incombe aux demandeurs de prouver leur présence au Canada à l’aide d’éléments de preuve dignes de foi (Shaikh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1254, [2010] ACF no 1564, aux paragraphes 31 à 34 et 37). À ce titre, face à de fausses déclarations claires et importantes, un agent de CIC est habilité à rejeter leurs demandes de citoyenneté, conformément aux dispositions de l’article 22 de la Loi. Dans l’ensemble, la conclusion attaquée de fausses déclarations sur des faits essentiels est étayée par les éléments de preuve en dossier et, par conséquent, le rejet de la demande de citoyenneté est justifié par les dispositions de l’article 22 de la Loi.
[14]
Pour ce qui est de l’interdiction de cinq années, cette décision ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire. Elle découle de l’application de la loi elle-même et ne s’applique qu’à une future demande de citoyenneté. Conformément aux dispositions de l’alinéa 22(1)e.2) de la Loi, une personne ne reçoit pas la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi si, au cours des cinq années qui précèdent la demande de la personne, cette dernière était visée par une interdiction de recevoir la citoyenneté prévue à l’alinéa 22(1)e.1) de la Loi. Par conséquent, l’interdiction de cinq années commence à la date des décisions rendues en vertu de l’alinéa 22(1)e.1) de la Loi en juillet 2016 par le représentant du ministre en l’espèce.
[15]
Les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs sont rejetées. Aucune question de portée générale n’est certifiée par la Cour.
JUGEMENT
LA COUR rejette les demandes groupées de contrôle judiciaire présentées par les demandeurs. Aucune question n’est certifiée.
« Luc Martineau »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1366-16
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INTITULÉ :
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MAROWAN ASHOUR M ZALOUK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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ET DOSSIER :
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T-1368-16
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INTITULÉ :
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HALA ASHOUR M ZALOUK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
ET DOSSIER :
|
T-1369-16
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INTITULÉ :
|
ASHOUR M ELMERGHANI ZALOUK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
ET DOSSIER :
|
T-1370-16
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INTITULÉ :
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NAIMA MILOUD, SHAREF c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 15 février 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MARTINEAU
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DATE DES MOTIFS :
|
Le 24 février 2017
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COMPARUTIONS :
Fareed Halabi
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Pour les demandeurs
|
Daniel Latulippe
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fareed Halabi
Avocat - Lawyer
Saint-Laurent (Québec)
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Pour les demandeurs
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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