Date : 20170125
Dossier : IMM-2839-16
Référence : 2017 CF 95
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Montréal (Québec), le 25 janvier 2017
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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MING FA CHEN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’instance
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date du 9 juin 2016, qui a rejeté l’appel du demandeur, pour des motifs d’ordre humanitaire, d’une mesure d’interdiction de séjour émise par la Section de l’immigration en vertu de l’alinéa 41b) de la LIPR, en raison de son non-respect des exigences du paragraphe 27(2) de la LIPR.
II.
Rappel des faits
[2]
Le demandeur est un citoyen de Taïwan, âgé de 66 ans. Il a divorcé de sa première épouse à Taïwan en 2013 ou 2014. De son premier mariage est issu un fils qui a maintenant atteint l’âge adulte. Le demandeur a rencontré son épouse actuelle, une citoyenne canadienne, en 2009, et ils se sont mariés le 20 septembre 2014.
[3]
À son arrivée, le 17 mai 2005, le demandeur est devenu résident permanent du Canada dans la catégorie des entrepreneurs.
[4]
Le 21 août 2005, le demandeur a constitué une société à North York, en Ontario. Cette entreprise n’a jamais été exploitée.
[5]
Le 7 avril 2010, un agent d’immigration a émis un rapport indiquant que le demandeur « ne s’était pas conformé aux conditions rattachées à la catégorie des entrepreneurs »
en vertu de l’article 98 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement]. Il a par conséquent conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 41b) de la LIPR. L’affaire a été renvoyée à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR.
[6]
Le 26 avril 2010, le demandeur a créé une nouvelle entreprise – une école de conduite automobile – à Laval, au Québec.
[7]
Le 20 janvier 2011, le demandeur s’est représenté lui-même à l’audience devant la Section de l’immigration. Le 23 février 2011, la Section de l’immigration a pris une mesure d’interdiction de séjour à son encontre. Le demandeur n’a pas reçu de copie de la décision de la Section de l’immigration; il en a été informé uniquement en mai 2012, à son retour au Canada d’un voyage à l’étranger.
[8]
Dans son appel à la Section d’appel de l’immigration, le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Section de l’immigration voulant qu’il soit interdit de territoire au Canada, ni la validité de la mesure d’interdiction de séjour; il allègue plutôt que les motifs d’ordre humanitaire invoqués étaient suffisants pour justifier des mesures spéciales.
III.
Décision
[9]
Le 9 juin 2016, la Section d’appel de l’immigration a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il existait suffisamment de motifs pour justifier des mesures spéciales.
[9] Comme l’épouse du demandeur n’était pas présente à l’audience, aucun témoignage n’a été présenté au tribunal concernant les répercussions que le renvoi du demandeur aurait sur elle. Le tribunal mentionne que, même si le demandeur perd son statut, il n’est pas tenu de se procurer un visa de résident temporaire pour visiter son épouse. En outre, il lui serait loisible de le parrainer si elle le désire.
[10]
La Section d’appel de l’immigration a aussi insisté sur le fait que l’école de conduite automobile, que le demandeur prétend exploiter avec son épouse à partir du sous-sol de leur résidence, n’avait pas attiré de client depuis longtemps, selon le témoignage du demandeur. Le tribunal a conclu que celui-ci était financièrement à l’aise et qu’il n’avait pas de personne à charge au Canada.
[11]
La Section d’appel de l’immigration a donc rejeté l’appel du demandeur.
IV.
Question en litige
1) La présente affaire soulève la question suivante : la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration était-elle raisonnable?
[12]
Cette question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 [2009] 1 RCS 339; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [2008] 1 RCS 190).
V.
Dispositions pertinentes
[13]
L'alinéa 41b) de la LIPR prévoit ce qui suit :
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Le paragraphe 27(2) de la LIPR assujettit le demandeur aux conditions imposées par règlement :
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[15]
L’article 98 du Règlement – tel qu’il était énoncé au moment où la Section de l’immigration a rendu sa décision le 20 janvier 2011 – décrit les conditions imposées à un résident permanent dans la catégorie des entrepreneurs.
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VI.
Arguments des parties
A.
Observations du demandeur
[16]
L’épouse du demandeur était présente à l’audience, mais on lui a demandé de sortir afin de ne pas être influencée par le témoignage de celui-ci. Au cours de l’audience, la Section d’appel de l’immigration n’a pas mis en doute l’authenticité de leur mariage. Si son épouse avait témoigné, elle aurait pu parler des répercussions que le départ de son époux aurait sur eux; cependant, aucune question n’est soulevée à ce sujet, puisqu’il a été établi que le mariage avait bel et bien eu lieu.
[17]
Le demandeur allègue également que la décision de la Section d’appel de l’immigration était déraisonnable, puisque le tribunal n’avait pas abordé les circonstances entourant son non-respect des conditions qui lui étaient imposées, ce qui a donné lieu à la mesure de renvoi. Selon lui, la SAI n’a pas tenu compte des efforts qu’il a déployés pour se conformer aux conditions imposées à un résident permanent dans la catégorie des entrepreneurs, des difficultés qu’il a éprouvées à ce chapitre, ni du fait qu’il était retourné à Taïwan à plusieurs reprises afin de s’occuper de ses parents âgés.
B.
Observations du défendeur
[18]
Le défendeur soutient que le demandeur a bénéficié d’une audience complète et équitable. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il existait des motifs suffisants pour justifier des considérations d’ordre humanitaire dans son cas et il n’y est pas parvenu au cours de l’audience. Le demandeur devrait assumer les conséquences de la conduite de l’avocat qu’il avait choisi librement.
[19]
Le défendeur soutient que la décision de la Section d’appel de l’immigration est raisonnable. Le tribunal a agi dans les limites de sa compétence en suspendant la mesure de renvoi valide prise à l’encontre du demandeur. Il était loisible à la SAI de conclure que les explications présentées par le demandeur n’étaient pas suffisantes pour justifier son non-respect des conditions attachées à son statut de résident permanent; le fait que la SAI n’en fasse pas mention ne signifie pas que celles-ci n’ont pas été prises en considération. Il incombait au demandeur de présenter à la SAI des preuves convaincantes qu’il ne devait pas être renvoyé du Canada.
VII.
Analyse
A.
Vu les éléments de preuve qui ont été présentés, la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration était-elle raisonnable?
[20]
La Cour conclut que la décision de la Section d’appel de l’immigration appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier, compte tenu de la preuve offerte par le demandeur. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il existait des motifs suffisants pour justifier des considérations d’ordre humanitaire spéciales. Selon les facteurs énoncés dans Ribic et repris dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 84, 2002 CSC 3 [Chieu], il était loisible à la SAI de tenir compte de la gravité du non-respect par le demandeur des conditions imposées dans la catégorie des entrepreneurs.
[40] Adoptant cette interprétation large de l’al. 70(1)b), la S.A.I. elle-même considère depuis longtemps que les difficultés à l’étranger sont un facteur à considérer dans les appels interjetés en vertu de cet alinéa. Dans Ribic, précité, p. 4-5, la C.A.I. résume les facteurs pertinents qu’elle doit considérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère ce qui est maintenant l’al. 70(1)b) de la Loi :
Dans chaque cas, la Commission examine les mêmes questions générales afin de déterminer si, vu toutes les circonstances de l’espèce, l’appelant ne devrait pas être renvoyé du Canada. Ces circonstances incluent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la durée de la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques. [Je souligne.]
Cette liste est indicative, et non pas exhaustive. Le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas. Même si la majorité de ces facteurs visent des considérations intérieures, le dernier facteur comporte l’examen des difficultés possibles à l’étranger.
[21]
Ce faisant, la Section d’appel de l’immigration a agi dans les limites de sa compétence. Le tribunal n’était pas tenu d’accorder du poids aux explications du demandeur et pouvait conclure que ceux-ci ne l’emportaient pas sur l’étendue du non-respect des conditions :
[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, Local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
(Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62)
[22]
Le tribunal n’a pas commis d’erreur susceptible de révision lorsqu’il a soupesé les explications du demandeur et conclu que son non-respect des conditions qui lui étaient imposées constituait le point central de l’affaire.
VIII.
Conclusion
[23]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2839-16
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INTITULÉ :
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MING FA CHEN c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 25 janvier 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
Le juge SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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Le 25 janvier 2017
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COMPARUTIONS :
Arash Banakar
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Pour le demandeur
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Lisa Maziade
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Arash Banakar
Avocat
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Pour le demandeur
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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