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Date : 20170209


Dossier : IMM-3402-16

Référence : 2017 CF 157

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 9 février 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

JIE PING RAO

(AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE JIEPING RAO)

JIA YI YANG

(AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE JIAYI YANG)

WEINAN YANG

(AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE WEI NAN YANG)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’instance

[1]               La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le 20 juillet 2016 (la décision), par laquelle la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. Cette demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

II.                 Contexte

[2]               La présente affaire concerne une mère de 37 ans (la demanderesse), ainsi que son fils de quatre ans et sa fille de seize ans (les demandeurs mineurs). Tous sont des citoyens de la Chine.

[3]               La demanderesse soutient qu’elle a été forcée de porter un dispositif intra-utérin (DIU) après la naissance de sa fille, en 2000. Ce dispositif provoquait des menstruations abondantes, en plus de lui causer de la douleur et de l’inconfort. Elle allègue en outre que les autorités ont découvert qu’elle était enceinte lors d’une vérification du dispositif intra-utérin, le 10 avril 2006, et qu’elles l’ont obligée à subir un avortement (l’avortement) le jour même. Elle a par la suite été obligée de porter un dispositif intra-utérin triangulaire, qui était encore plus douloureux. Elle soutient avoir demandé à huit reprises au bureau de planification familiale (le BPF) de lui retirer le dispositif intra-utérin, entre 2007 et 2008. Toutes ses demandes ont été refusées, et on lui a dit que la seule autre solution était une stérilisation par injection. Elle a consenti à la procédure et celle-ci a été pratiquée; la demanderesse a toutefois tenté d’en neutraliser l’efficacité en buvant un thé spécial. L’injection a été administrée à la mi-octobre 2008.

[4]               Malgré cette injection, la demanderesse est de nouveau devenue enceinte en janvier 2012, et son fils est né le 18 septembre 2012. Elle l’a confié à une tante lorsqu’il avait six mois.

[5]               Le BPF a découvert la naissance de son fils le 10 août 2015. Selon la demanderesse, des représentants du BPF se sont ensuite présentés à son domicile, mais elle et son époux étaient absents. Ils auraient déclaré à sa belle-mère que la demanderesse ou son époux devait subir une stérilisation dans les trois jours suivants.

[6]               Après avoir été informé de la visite du BPF, le couple s’est réfugié au domicile d’une cousine de la demanderesse. Le couple a également appris que la tante de la demanderesse s’était vue imposer une amende de 5 000 yuans et qu’elle avait été détenue pendant une journée. Comme aucun des deux ne s’est présenté pour la procédure de stérilisation, le BPF a délivré un « avis de stérilisation » (l’avis de stérilisation), le 14 août 2015. L’avis était accompagné d’une amende de 60 000 yuans et exigeait que la demanderesse ou son époux se présente en personne pour une stérilisation d’ici une semaine. La demanderesse ajoute qu’elle et son mari ont également reçu un avis de licenciement de leur travail et que leur fille a été suspendue de l’école.

[7]               La demanderesse soutient qu’ils ont ensuite fait appel à un passeur qui leur a remis de « faux passeports de Hong Kong » qu’elle et les demandeurs mineurs ont utilisés pour se rendre à Toronto, le 20 septembre 2015. Elle ajoute que le passeur [traduction] « leur a confisqué [...] tout document attestant de leurs déplacements à leur arrivée ».

[8]               Elle soutient qu’ils ont ensuite appris que le BPF était toujours à leur recherche. Son époux vit toujours caché chez sa cousine, en Chine.

III.               Section de la protection des réfugiés

[9]               La SPR s’est fondée sur un certain nombre d’incohérences dans les éléments de preuve de la demanderesse, notamment quant au moyen utilisé pour se rendre à Hong Kong (autobus ou voiture), au montant versé au passeur (45 000 $ ou 4 500 $), à l’enfant (son fils ou sa fille) pour qui une amende lui a été imposée et à l’endroit où vivaient ses beaux-parents (éléments globalement désignés les incohérences), pour tirer une conclusion défavorable globale quant à la crédibilité de la demanderesse. La SPR s’est aussi dite préoccupée par l’incapacité de la demanderesse à produire quelque document de voyage. La SPR n’a donc pas évalué la preuve documentaire de la demanderesse, concluant seulement qu’elle ne serait pas crédible.

IV.              Section d’appel des réfugiés

[10]           La SAR est d’accord avec les conclusions précitées concernant les incohérences de la preuve. Elle ne considère toutefois pas que l’absence de documents de voyage pose problème, et elle a conclu que la SPR aurait dû examiner la preuve documentaire.

[11]           La SAR a donc fait un examen des documents et conclu ce qui suit :

                    Le dossier sur le dispositif intra-utérin portant sur la période comprise entre le 5 janvier 2007 et le 8 juillet 2008 n’a pas permis d’établir que la grossesse de la demanderesse avait été découverte le 10 avril 2006. L’ensemble du livret de vérification du dispositif intra-utérin portant sur la date en question n’a pas été produit.

                    Le certificat de stérilisation du 16 octobre 2008 ne figure pas sur du papier portant l’en-tête d’un hôpital. De plus, ce certificat ne décrit pas les circonstances particulières de la demanderesse et n’était pas accompagné du carnet médical obligatoire.

                    Le certificat de contrôle des naissances par voie chirurgicale, daté du 10 avril 2006, indique que la demanderesse a subi un avortement à l’hôpital à cette date. Cependant, là encore, le certificat ne figure pas sur un papier portant l’en-tête d’un hôpital et ne mentionne pas les circonstances propres à la patiente. De plus, ces certificats ne sont produits que sur demande, et aucun élément de preuve n’indique qu’une demande en ce sens a été faite.

                    L’avis de suspension de l’école précède l’avis de stérilisation de trois jours.

                    La demanderesse n’a produit aucun élément de preuve indiquant qu’elle a demandé à huit reprises au BPF qu’on lui retire son dispositif intra-utérin, mais que le BPF a toujours refusé.

                    L’avis du bureau de la planification familiale du 14 août 2015 mentionne la politique du BPF de la province du Guandong; or, cette politique n’exige pas la stérilisation. La SPR a conclu que cet avis était frauduleux.

                    Les sections du carnet médical qui ont été produites ne portent pas sur la période de l’avortement allégué.

[12]           Eu égard à ces observations et incohérences, la SAR a conclu que l’avortement n’avait pas été prouvé et que les documents portant sur la stérilisation, la suspension de l’école et le licenciement n’étaient pas dignes de foi.

[13]           La SAR a aussi examiné la documentation sur le pays et conclu que, bien qu’il soit possible qu’une amende soit imposée à la demanderesse à son retour au pays, la stérilisation forcée ne constitue pas une possibilité sérieuse dans la province du Guandong. La demanderesse aurait également le choix d’autres contraceptifs. Enfin, s’appuyant sur un récent article de la SAR, la SPR a conclu que le fils de la demanderesse, qui est né sans autorisation, pourra fréquenter l’école et avoir droit à des prestations sociales. L’avocat de la demanderesse ne s’est pas prévalu de la possibilité qui lui a été offerte de commenter cet article.

V.                 Les questions en litige

[14]           La demanderesse conteste l’ensemble de la décision, alléguant que les conclusions quant à sa crédibilité et les conclusions prospectives sont déraisonnables.

VI.              Crédibilité

[15]           Le dossier montre que la demanderesse avait en sa possession son carnet médical et son carnet de vérification du dispositif intra-utérin, car des portions de chaque carnet ont été produites. Elle n’a toutefois pas produit les pages de l’un ou l’autre carnet portant sur le 10 avril 2006, date à laquelle sa grossesse aurait été découverte et l’avortement aurait été pratiqué.

[16]           Le seul élément de preuve de l’avortement est le certificat de contrôle des naissances par voie chirurgicale daté du 10 avril 2006, un document dont la SAR a clairement mis en doute la validité, car elle a conclu que la preuve était insuffisante pour établir qu’un avortement avait été pratiqué.

[17]           La demanderesse relève à juste titre le fait que la SAR n’a pas mentionné que ce certificat portait un sceau qui aurait permis d’attester de sa validité. Je suis toutefois d’avis qu’en l’absence de certificat produit sur un papier à en-tête officiel, et compte tenu du fait que ni les portions du carnet sur le dispositif intra-utérin ni celles du carnet médical portant sur le 10 avril 2006 n’ont été produites, la décision de la SAR sur cette question est raisonnable, même en faisant abstraction du sceau.

[18]           J’ai aussi examiné les autres conclusions sur la crédibilité et conclu qu’elles sont raisonnables.

VII.            Persécution future

[19]           La demanderesse soutient que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable en établissant que le paiement d’une amende était le seul risque auquel elle serait exposée si elle retournait en Chine.

[20]           La demanderesse dit qu’elle a reçu un avis de stérilisation, que la naissance de son deuxième enfant (son fils) n’a pas été approuvée et qu’elle sera donc stérilisée à son retour. Elle ajoute qu’aucun élément de preuve ne donne à croire que la nouvelle politique des deux enfants s’applique de façon rétroactive. À cet effet, la demanderesse a présenté à la SAR un article daté d’avril 2016 de www.lifenews.com. Cet article fait référence à un rapport du Département d’État des États-Unis mentionnant que la stérilisation forcée était toujours répandue en Chine en 2015 et que le nombre d’avortements avait considérablement augmenté. L’article citait une source anonyme selon laquelle ces pratiques continueront, malgré la nouvelle politique des deux enfants.

[21]           La SAR a toutefois concentré son examen sur la province du Guandong et noté que la preuve documentaire sur cette province indiquait ce qui suit :

                    [traduction] Aucun avortement forcé, ni aucune stérilisation forcée, n’ont été pratiqués dans la province du Guandong depuis 2012.

                    La réglementation de cette province ne prévoit que l’imposition d’amendes et, bien que des mesures correctives non précisées y soient mentionnées, celles-ci sont antérieures à la directive de 2012 qui a banni l’application brutale de mesures de planification familiale. La province du Guandong semble suivre cette directive.

                    Au fil des ans, cette province a appliqué les politiques du BPF d’une manière assez souple.

                    La stérilisation forcée est illégale en Chine.

VIII.         Conclusion

[22]           Je suis d’avis que la conclusion de la SAR, selon laquelle il n’existe pas de risque sérieux que la demanderesse subisse une stérilisation, est raisonnable.

IX.              Décision

[23]           Pour ces motifs, la demande est rejetée.

X.                 Question à certifier

[24]           Aucune question n’a été posée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossier :

IMM-3402-16

 

INTITULÉ :

JIE PING RAO (AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE JIEPING RAO) JIA YI YANG (AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE JIAYI YANG) ET WEINAN YANG (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE WEI NAN YANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2017

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

Pour les demandeurs

Amy King

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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