Date : 20170131
Dossier : T-1718-15
Référence : 2017 CF 113
Montréal (Québec), le 31 janvier 2017
En présence de madame la juge St-Louis
ENTRE :
|
PETER EASTON
|
demandeur
|
et
|
L’AGENCE DU REVENU DU CANADA
|
défenderesse
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Lorsqu’il a rempli sa déclaration de revenus de 2010, M. Peter Easton, le demandeur, a par erreur passé en charge un remboursement de l’hypothèque d’un appartement d’un immeuble en copropriété qu’il a vendu cette année-là. Par conséquent, sa déclaration de revenus indiquait qu’il devait recevoir un remboursement d’environ 28 000 $ d’impôt et un montant déductible a été reporté à sa déclaration de 2011.
[2]
En 2012, M. Easton a fait l’objet d’une vérification par l’Agence du revenu du Canada (Agence) et son erreur a été découverte. En octobre 2012, les années d’imposition de 2010 et de 2011 de M. Easton ont donc fait l’objet d’une nouvelle cotisation. Il a été déterminé que, au lieu que la somme susmentionnée lui soit due, il devait un peu plus de 49 000 $ d’impôt.
[3]
Des oppositions et des appels se sont ensuivis, et les intérêts s’accumulaient sur l’obligation fiscale de M. Easton. Le 25 juillet 2013, M. Easton a produit une première demande d’allègement pour les contribuables (première demande) aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) (la Loi) pour les années d’imposition de 2010 et 2011, qui a été partiellement admise par le délégué du ministre, agissant au nom du ministre du Revenu national (le ministre). Le 17 avril 2015, M. Easton a produit une deuxième demande d’allègement pour les contribuables (deuxième demande), pour les années d’imposition 2010 et 2011, conformément à la même disposition, où il demandait l’annulation de ses intérêts cumulés sur ses obligations fiscales.
[4]
M. Easton demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 septembre 2015, par le délégué du ministre, qui a rejeté sa deuxième demande.
[5]
Bref, M. Easton soutient essentiellement que l’erreur qu’il a commise lorsqu’il a rempli sa déclaration de revenus de 2010, qui a également eu une incidence sur sa déclaration de revenus de 2011, était si évidente et si importante que, même s’il ne l’a pas vue, l’Agence aurait dû la voir et la corriger immédiatement, plutôt que de traiter ses déclarations de revenus telles qu’elles ont été présentées.
II.
Exposé des faits
A.
Résumé des faits
[6]
Plus précisément :
- Au printemps de 2011, M. Easton a terminé sa déclaration de revenus de 2010 au moyen d’un logiciel de déclaration de revenus homologué par l’Agence. Lorsqu’il a rempli la déclaration, il a passé en charge le montant de 259 581,26 $ comme hypothèque acquittée. Le logiciel a indiqué que M. Easton devait recevoir un montant de 28 724,57 $. Supposant une erreur, M. Easton a répété le calcul plusieurs fois sans obtenir un résultat différent. Le 7 mai 2011, il a produit sa déclaration par voie électronique, supposant que la Division des cotisations de Shawinigan de l’Agence corrigerait toute erreur, comme c’est arrivé par le passé.
- Le 15 mai 2011, le ministre, par l’intermédiaire de la Division des cotisations de Shawinigan, a établi la cotisation à l’égard de la déclaration de M. Easton [traduction]
« selon les renseignements fournis »
, ce qui a donné lieu à un crédit au compte de M. Easton.- Le 15 février 2012, M. Easton a produit sa déclaration de revenus de 2011, y compris la réclamation d’une déduction de 14 202 $ dans le cadre d’une perte autre qu’une perte en capital que la Division des cotisations de Shawinigan avait calculée. Le ministre, par l’intermédiaire de la Division des cotisations de Shawinigan, a établi la cotisation à l’égard de la déclaration de M. Easton [traduction]
« selon les renseignements fournis »
, ce qui a donné lieu à un crédit au compte de M. Easton.- Plus tard en 2012, M. Easton a reçu un avis du centre fiscal d’Ottawa, indiquant que ses déclarations des années d’imposition 2010 et 2011 faisaient l’objet d’une vérification.
- Le 27 avril 2012, le ministre a présenté une lettre de proposition à M. Easton concernant ses années d’imposition de 2010 et de 2011.
- Le 15 octobre 2012, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard des années d’imposition de 2010 et 2011 de M. Easton. En ce qui concerne la nouvelle cotisation de l’année d’imposition de 2010, le ministre a indiqué un gain en capital de 38 597 $ et un montant d’impôt dû d’un peu plus de 49 000 $, de même que des pénalités
« pour faute lourde »
.- Le 22 octobre 2012, M. Easton a produit un avis d’opposition à la Division des appels de l’Agence en estimant que le vérificateur avait commis une erreur lorsqu’il n’a pas tenu compte du remboursement d’hypothèque dans sa déclaration de revenus de 2010.
- Dans une lettre datée du 20 novembre 2012, l’Agence a informé M. Easton que les intérêts continueraient de s’accumuler sur le solde dû de son compte et a recommandé le paiement du solde dû pour réduire les intérêts ou éviter d’en payer davantage.
- Le 2 janvier 2013, M. Easton a produit un avis d’opposition en ce qui concerne la nouvelle cotisation de son année d’imposition de 2011.
- Dans une lettre datée du 23 janvier 2013, l’Agence a informé M. Easton que les intérêts continueraient de s’accumuler sur le solde dû de son compte et a recommandé le paiement du solde dû pour réduire les intérêts ou éviter d’en payer davantage.
- Le 11 juillet 2013, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard des années d’imposition de 2010 et 2011 de M. Easton. La nouvelle cotisation relative à l’année d’imposition de 2010 supprimait les pénalités pour faute lourde qui ont précédemment fait l’objet d’une cotisation et portait un crédit de 383,34 $ au compte de M. Easton, représentant les intérêts sur arriérés qui avaient fait l’objet de la cotisation à l’égard de la pénalité pour faute lourde. La nouvelle cotisation confirmait le montant des impôts à payer.
B.
Demande d’une renonciation aux intérêts
1)
Première demande
[7]
Le 25 juillet 2013, M. Easton a présenté une première demande auprès du Centre d’expertise d’allègement pour les contribuables de l’Agence. Il a fondé sa demande sur l’erreur de l’Agence et des difficultés financières et il a demandé que les intérêts sur arriérés restants sur son compte fassent l’objet d’une renonciation.
[8]
Le 11 février 2015, le ministre a partiellement accueilli la demande et il a renoncé aux intérêts qui se sont accumulés entre le 21 août 2012 et le 15 octobre 2012.
2)
Deuxième demande
[9]
Le 17 avril 2015, M. Easton a produit sa deuxième demande fondée sur l’erreur de l’Agence, le retard de l’Agence et des difficultés financières ou une incapacité à payer.
[10]
Le 21 septembre 2015, le ministre, représenté par le délégué du ministre, a rejeté la demande de M. Easton.
[11]
Le 30 octobre 2015, le relevé de compte fourni par l’Agence a indiqué des intérêts totaux au compte de M. Easton de 13 448,39 $. M. Easton a alors appris que l’Agence a évalué une pénalité pour production tardive de 727,67 $.
III.
Décision faisant l’objet du contrôle
[12]
Dans sa deuxième demande, M. Easton a demandé que le ministre renonce au reste des intérêts accumulés sur son solde concernant les exercices 2010 et 2011.
[13]
M. Easton a soutenu que : 1) les intérêts devraient faire l’objet d’une renonciation dans sa déclaration de revenus de 2012 compte tenu de l’incidence financière dévastatrice de la nouvelle cotisation; 2) il y a eu des retards dans le traitement de sa nouvelle cotisation et de son appel, et l’équité exigerait au moins l’allègement des intérêts accumulés après la présentation de sa vérification aux fins de nouvelle cotisation en août 2012 et l’achèvement du processus des appels au mois de mai suivant; 3) la Division des cotisations de Shawinigan de l’Agence a fait preuve de négligence lorsqu’elle a établi une cotisation à l’égard de sa déclaration de revenus de 2010, puisqu’elle aurait dû immédiatement reconnaître que sa déclaration nécessitait un examen plus approfondi puisque le montant d’environ 259 000 $ était plus de deux fois son salaire indiqué sur son feuillet T4.
[14]
Le délégué du ministre a effectué un deuxième examen impartial des faits et des circonstances de cette affaire et a rejeté la deuxième demande de M. Easton. Il a également rejeté toutes ses allégations concernant ses difficultés financières, les retards de la part de l’Agence et la négligence de la part de l’Agence.
A.
Difficultés financières
[15]
Le délégué du ministre a défini les difficultés financières comme [traduction] « l’incapacité prolongée de fournir des choses de première nécessité comme de la nourriture, des vêtements, un abri et des éléments non essentiels raisonnables »
. Selon la décision du délégué du ministre, le revenu du ménage, les frais de subsistance de base et la capacité d’emprunter sont parmi les facteurs utilisés pour déterminer la capacité de payer d’une personne.
[16]
Le délégué du ministre a conclu que M. Easton n’avait pas démontré de difficultés financières ou d’incapacité à payer les montants dus. Le délégué du ministre a fondé sa décision sur 1) les dépenses discrétionnaires indiquées sur le relevé de revenu mensuel de M. Easton; 2) le crédit disponible sur sa marge de crédit et ses cartes de crédit; 3) la valeur de son REER; et 4) son revenu annuel 2014 de 155 368 $.
B.
Retard de la part de l’Agence
[17]
Le délégué du ministre a conclu qu’il n’y a pas eu de retard de la part de l’Agence :
- Dans des lettres datées du 20 novembre 2012 et du 23 janvier 2013, M. Easton a été informé qu’il continuerait d’y avoir des intérêts sur arriérés sur le solde pendant le litige.
- En mai 2013, l’appel produit concernant les déclarations de revenus de 2010 et 2011 a fait l’objet d’un jugement définitif, dans le délai de six à neuf mois indiqué dans les lettres susmentionnées.
- Lorsque les pénalités pour faute lourde ont été annulées concernant la déclaration de revenus de 2010 de M. Easton, les intérêts sur arriérées lui ont été crédités dans l’avis de nouvelle cotisation du 11 juillet 2013.
- L’Agence effectue un examen limité lorsqu’elle reçoit les déclarations de revenus.
- L’Agence a trois ans suivant un avis de cotisation pour effectuer un examen plus approfondi des déclarations de revenus et l’examen des déclarations de revenus de 2010 et 2011 a été fait dans ce délai de trois ans.
C.
Négligence de la part de l’Agence
[18]
Le délégué du ministre a conclu qu’il n’y a pas eu négligence de la part de l’Agence, et qu’il revient au contribuable de produire une déclaration de revenus véridique et exacte.
IV.
Les observations des parties
A.
M. Easton
[19]
M. Easton soulève deux questions, soit : 1) que l’Agence n’a pas agi équitablement et avec toute la diligence nécessaire à son égard; 2) le délégué du ministre n’a pas correctement évalué la deuxième demande de M. Easton concernant l’erreur de l’Agence et les difficultés financières.
1)
Lorsqu’elle a établi une cotisation à l’égard de la déclaration de revenus de 2010 de M. Easton et lors de ses communications avec le contribuable concernant les ententes de paiement, l’Agence a-t-elle agi équitablement et avec toute la diligence nécessaire à l’égard du contribuable?
[20]
M. Easton affirme qu’il y a une obligation générale d’agir équitablement et il s’appuie sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, au paragraphe 24, qui précise les facteurs à évaluer pour établir si cette obligation s’applique dans une procédure administrative donnée. Ces critères sont : la nature de la décision qui doit être rendue par l’organisme administratif en question, qui doit être suffisamment administrative ou quasi judiciaire; la relation existant entre cet organisme et le particulier, qui doit être fondée sur un exercice de pouvoirs conférés par une loi ou une prérogative; et l’effet de cette décision sur les droits du particulier. M. Easton affirme que la décision visée par le contrôle répond à tous ces facteurs.
[21]
Il soutient également que la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt Leroux (c.o.b. Leroux Holdings) v Canada Revenue Agency, 2014 BCSC 720 [Leroux], a conclu que l’Agence a un devoir de diligence envers les contribuables.
[22]
En ce qui concerne la prétendue erreur de l’Agence, M. Easton a plus précisément indiqué que l’Agence était consciente de la possibilité croissante que son processus accéléré pour évaluer les déclarations de revenus produits par voie électronique augmente la possibilité d’erreurs de cotisation de sa part. En effet, en mai ou juin 2015, en réponse à la déclaration de M. Easton selon laquelle la Division des cotisations de Shawinigan aurait dû remarquer et corriger sa déclaration de 2010 lors de sa cotisation initiale, quelqu’un à la Division des recouvrements de l’Agence lui a dit que la Division des cotisations de Shawinigan [traduction] « n’avait pas été à la hauteur pour celle-là »
et qu’il pouvait être [traduction] « à 100 % certain »
que la Division des cotisations de Shawinigan aurait reconnu l’erreur s’il avait produit une déclaration papier et non une déclaration par voie électronique.
[23]
Par conséquent, l’hypothèque non déductible, d’un montant de 2,4 fois le salaire de M. Easton, aurait dû être remarquée. Compte tenu de cela, M. Easton affirme que l’Agence ne lui a pas fourni de renseignements exacts et rapides lorsqu’il n’a pas corrigé la déclaration de 2010 lorsque celle-ci a fait l’objet de la cotisation, contrairement à l’article 6 de la Charte des droits du contribuable, RC17, rev. 16 (Charte des droits du contribuable), reproduite en annexe, de même que l’obligation de diligence énoncée dans l’arrêt Leroux.
[24]
M. Easton soutient également que l’Agence n’a pas respecté le critère d’équité établi dans l’arrêt Knight et dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, ainsi que le devoir de diligence dans l’arrêt Leroux en ne répondant pas à ses propositions faites à la Division des recouvrements de l’Agence pour un arrangement de paiement, qui aurait limité les intérêts dus.
[25]
Finalement, M. Easton affirme que le processus de l’Agence par lequel elle examine seulement un échantillon de déclarations pour lesquelles une cotisation a été établie applique la loi de façon non uniforme, contrairement à l’article 7 de la Charte des droits des contribuables, reproduite en annexe.
2)
Le représentant du ministre a-t-il correctement évalué la deuxième demande de M. Easton en ce qui concerne l’erreur de l’Agence et la situation financière de M. Easton?
a)
Erreur de la part de l’Agence
[26]
En ce qui concerne l’erreur prétendue de l’Agence, M. Easton affirme ce qui suit.
- Le Centre d’expertise d’allègement pour les contribuables fait partie intégrante de l’Agence, a accès à tous les dossiers en sa possession et agit en son nom. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un tribunal indépendant.
- Le délégué du ministre n’a pas traité la question de l’erreur dans la cotisation qu’il a établie à l’égard de la déclaration de 2010 de M. Easton, sauf pour indiquer que l’Agence n’en a fait aucune.
- Cet énoncé a été fait sans explication, corroboration ou référence à une quelconque loi ou un quelconque règlement.
- Le délégué du ministre n’a pas répondu aux questions 1 à 5 de l’interrogatoire préalable écrit de M. Easton concernant la possibilité d’une erreur d’évaluation de la part de l’Agence, compte tenu du taux d’erreur accru des déclarations de revenus produites par voie électronique en 2010 par rapport à 2009, en affirmant que cela ne faisait pas partie des connaissances du délégué du ministre chargé de l’examen, bien que l’information soit accessible au public sur le site Web de l’Agence.
- La réponse du délégué du ministre à la question 6 de l’interrogatoire préalable écrit de M. Easton était un texte [traduction]
« standard »
selon laquelle un contribuable est tenu de produire une déclaration de revenus véridique et exacte. Cependant, le vérificateur de la Division des appels de l’Agence, lorsqu’il a annulé la conclusion de [traduction]« faute lourde »
et les pénalités connexes, a convenu que la déclaration de M. Easton était complète et exacte, malgré la déduction erronée du montant de l’hypothèque.- Le délégué du ministre ne répondait pas à la question 7 de l’interrogatoire préalable écrit de M. Easton concernant une conversation avec Ivano Feltrin de la Division des recouvrements qui, en mai ou juin 2015, en réponse à la déclaration de M. Easton selon laquelle la Division de l’évaluation de Shawinigan aurait dû remarquer et corriger sa déclaration de 2010 lors de sa cotisation initiale en 2010, a répondu que la Division des cotisations de Shawinigan [traduction]
« n’avait pas été à la hauteur pour celle-là »
et qu’il pouvait être [traduction]« à 100 % certain »
que la Division des cotisations de Shawinigan aurait reconnu l’erreur s’il avait produit une déclaration papier et non une déclaration par voie électronique.- Finalement, seul un sous-échantillon de déclarations est examiné et la sélection des déclarations sélectionnées aux fins d’examen se fait en fonction de critères non transparents qui peuvent s’appliquer ou non à chaque contribuable particulier.
b)
Difficultés financières
[27]
En ce qui concerne les difficultés financières, M. Easton remarque que le délégué du ministre n’a pas tenu compte de l’ensemble de la créance fiscale et de sa capacité continue de payer cette dette.
[28]
Plus précisément, M. Easton prétend que les motifs présentés par le délégué du ministre sont incorrects pour les raisons suivantes :
- Sa marge de crédit de la Banque de Nouvelle-Écosse est inactive et indisponible. Il a toujours un solde dû, pour lequel il verse les paiements minimums dus mensuels.
- Alors qu’il a trois cartes de crédit actives, le crédit disponible sur chacune n’est pas important et elles ne peuvent pas être considérées comme des solutions à long terme.
- Son revenu brut de 2014 de 155 368 $ comprenait un paiement de 23 285,35 $ en congés annuels inutilisés; 3 465 $ en rémunération rétroactive et une indemnité de départ de 64 981,60 $, dont 34 000 $ a été transféré dans son REER.
- Considérer que les 34 000 $ transférés dans son REER est distinct de son revenu brut revenait à compter les mêmes fonds en double.
- Ses deux appartements sont adjacents et leur superficie combinée n’est pas supérieure à une maison moyenne de trois chambres, et le loyer de ces appartements comprend les services publics et tout l’entretien.
- Le délégué du ministre n’a pas tenu compte de la capacité de payer de M. Easton pour des frais uniques à venir comme une reconstruction dentaire.
[29]
M. Easton a de plus remarqué ce qui suit.
- Son revenu familial mensuel, y compris le revenu de son régime de retraite de la fonction publique, du Régime de pensions du Canada et de la Sécurité de la vieillesse est de 5 659,88 $ par mois, soit 67 918,56 $ par année, après déductions, alors que ses dépenses mensuelles, y compris 1 264,08 $ en saisie-arrêt de pension, sont de 7 663,09 $ par mois, ce qui lui laisse un déficit mensuel de 1 973,21 $.
- Il a déjà liquidé une partie de son REER pour compenser l’excédent mensuel de ses dépenses par rapport à son revenu : son solde REER s’élevait à environ 40 000 $ en mai 2015, à 31 000 $ en juillet 2015, et à 27 000 $ en octobre 2015.
- Dans ces circonstances, il existe un risque réel qu’il ait dépensé tous ses fonds disponibles avant que tous ses arriérés d’impôts et d’intérêts ne soient liquidés, à moins qu’il ne reçoive une exemption d’intérêts et qu’il soit en mesure de négocier un arrangement de paiement durable avec l’Agence.
B.
La défenderesse
[30]
La défenderesse affirme que le délégué du ministre a examiné et envisagé tous les faits et les documents pertinents, de même que les exigences réglementaires prévues par la Loi pour conclure qu’une renonciation aux intérêts n’était pas justifiée.
[31]
Selon la défenderesse, la seule question est de savoir si le ministre, représenté par son délégué, a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi, lorsqu’elle a décidé de ne pas annuler l’intérêt résiduel imposé sur la dette fiscale impayée de M. Easton.
1)
Remarques préliminaires
[32]
La partie défenderesse soutient tout d’abord que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut tenir compte que des considérations et des éléments dont disposait le décideur (Alberta(Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 RCS 61, aux paragraphes 22 à 26 [Alberta Teachers’ Association]; Canada Agence du revenu c Telfer, 2009 CAF 23, au paragraphe 31 [Telfer]; Nedza Enterprises Ltd c Canada (Agence du revenu), 2010 CF 435, aux paragraphes 20 et 21).
[33]
La défenderesse fait la liste des documents auxquels renvoie M. Easton qui n’ont pas été présentés au décideur et demande à la Cour de ne pas en tenir compte.
2)
Erreur de la part de l’Agence
[34]
La défenderesse affirme que le délégué du ministre a étudié l’argument du ministre concernant une erreur que l’Agence a faite lors de l’examen de sa déclaration de revenus de 2010, mais a conclu qu’elle n’y a pas fait de telles erreurs de sa part. Selon la défenderesse, le fait que le ministre ne corrige pas une déduction inadmissible faite par un contribuable lors de l’examen limité effectué lorsqu’une déclaration est produite n’est pas une erreur. Le ministre a l’autorisation permanente d’examiner et de modifier la déclaration d’un contribuable dans les trois ans suivant la production d’une déclaration de revenus. De plus, le délégué du ministre a jugé que le compte de M. Easton reflétait correctement le remboursement de la pénalité, avec les intérêts. Par conséquent, l’analyse du délégué du ministre en ce qui concerne la prétendue erreur de l’Agence était raisonnable.
3)
Retard de la part de l’Agence
[35]
La défenderesse soutient que le délégué du ministre a examiné l’argument de M. Easton selon lequel l’annulation des intérêts devrait être accordée en raison du retard de l’Agence pendant le processus de nouvelle cotisation et d’opposition, mais a déterminé qu’un allègement additionnel ne devrait pas être accordé. La défenderesse soutient que cette analyse était raisonnable puisque le délégué du ministre a pris en considération les délais entre les étapes de la vérification et de l’opposition, et a conclu qu’elles se situaient dans le délai de trois ans prévu par la Loi. Le délégué du ministre a également reconnu qu’un allègement partiel avait déjà été accordé et que le processus d’opposition avait été complété dans le délai imparti par l’Agence dans sa correspondance initiale.
[36]
La défenderesse souligne que M. Easton a été informé que l’intérêt continuerait de s’accumuler sur la dette en attendant le résultat de son opposition.
4)
Difficultés financières et incapacité de payer
[37]
La défenderesse affirme que l’analyse du délégué du ministre relative aux difficultés financières et à l’incapacité de payer était raisonnable, puisqu’elle était fondée sur un aperçu général de la situation financière de M. Easton et était conforme à la notion de difficultés financières de la manière prévue par la circulaire d’information IC07, Dispositions d’allègement pour les contribuables.
V.
Questions en litige
[38]
Comme cela a été indiqué, M. Easton souligne les deux questions suivantes.
- Lorsqu’elle a établi une cotisation à l’égard de la déclaration de revenus de 2010 de M. Easton et lors de ses communications avec le contribuable concernant les ententes de paiement, l’Agence a-t-elle agi équitablement et avec toute la diligence nécessaire à l’égard du contribuable?
- Le représentant du ministre a-t-il correctement évalué la deuxième demande de M. Easton en ce qui concerne l’erreur de l’Agence et la situation financière de M. Easton?
[39]
Cependant, la Cour note que les arguments avancés par M. Easton concernant l’obligation de diligence alléguée qui lui est due sont semblables à ceux qui se rapportent à l’erreur alléguée de la part de l’Agence. Notamment, selon ces arguments, l’erreur dans la déclaration de revenus de 2010 de M. Easton aurait été détectée s’il avait produit une déclaration papier plutôt qu’une version électronique; l’Agence n’avait pas fourni de renseignements précis et opportuns à M. Easton lorsqu’elle n’a pas corrigé sa déclaration de 2010 au moment d’établir la cotisation; et que l’Agence aurait dû répondre aux propositions d’entente de paiement de M. Easton, qui aurait limité l’intérêt dû.
[40]
De plus, aux termes du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, les pouvoirs de la Cour sont limités dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la Cour juge que la question en l’espèce est de déterminer si le délégué du ministre a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 220(3.1) de la Loi lorsqu’il a décidé de ne pas annuler les intérêts résiduels, notamment en ce qui concerne 1) les erreurs ou les retards de la part de l’Agence et 2) les difficultés financières.
VI.
La norme de contrôle
[41]
Une décision rendue en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi est de nature discrétionnaire, et la Cour doit donc faire preuve de retenue à l’égard de la décision du délégué du ministre (Tomaszewski c Canada (Finances), 2010 CF 145, au paragraphe 17). Par conséquent, la décision rendue par le délégué du ministre conformément aux dispositions d’allègement pour les contribuables doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable (Lanno c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153; Amoroso c Canada (Procureur général), 2013 CF 157, au paragraphe 50; Christie (Succession) c Canada (Procureur général), 2007 CF 1014, au paragraphe 11).
[42]
Au moment d’évaluer une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour « se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
[43]
Le rôle de la Cour n’est pas de soupeser de nouveau la preuve (Quastel c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 143, au paragraphe 21), mais plutôt d’examiner si le délégué du ministre « a apprécié correctement les éléments de preuve dont il disposait, et que la décision n’était pas fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi »
(Hauser c Canada (Agence du revenu du Canada), 2007 CF 113, au paragraphe 21).
VII.
Discussion
A.
Dispositions générales
1)
Procédures de production et de cotisation
[44]
Tel qu’il a été indiqué ci-dessus, en octobre 2012, les déclarations de revenus de 2010 et de 2011 de M. Easton ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation, conformément aux pouvoirs conférés par le paragraphe 152(4) de la Loi, reproduit en annexe. La nouvelle cotisation doit être établie dans le délai permis, soit « trois ans suivant celle de ces dates qui est antérieure à l’autre »
, conformément au paragraphe 152(3.1).
[45]
Si des modifications sont apportées à la déclaration de revenus d’un contribuable, des intérêts seront calculés sur tout montant supplémentaire dû, conformément aux paragraphes 160.1(1) et 161(1) de la Loi, reproduits en annexe.
[46]
Conformément au paragraphe 165(1) de la Loi, le contribuable qui n’est pas d’accord avec la nouvelle cotisation peut déposer un avis d’opposition qui sera examiné par le ministre conformément au paragraphe 165(3), reproduit en annexe.
[47]
Pendant le processus d’opposition, des intérêts continueront à courir sur le solde dû visé par l’opposition. Si l’opposition est accueillie, le montant versé en trop sera remboursé avec intérêts, comme cela est indiqué par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Telfer, au paragraphe 35 :
Ceux qui, comme Mme Telfer, choisissent de ne pas payer une dette fiscale dans l’attente qu’une décision soit rendue dans une cause liée ne peuvent normalement pas prétendre qu’ils n’ont pas d’intérêts à payer. S’ils avaient payé rapidement les sommes réclamées, et qu’ils avaient eu gain de cause plus tard, le ministre aurait été dans l’obligation de rembourser les montants versés en trop avec intérêts (voir Comeau c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 271, 2005 D.T.C. 5489, au paragraphe 20). Le taux d’intérêt relativement élevé imposé aux contribuables vise de toute évidence à les encourager, dans leur propre intérêt, à payer rapidement leurs dettes fiscales.
2)
Allégement pour les contribuables
[48]
En présence de circonstances extraordinaires, le ministre peut accorder un allègement de l’application des pénalités et des intérêts.
[49]
Le pouvoir qu’a le ministre d’accorder l’allègement demandé par M. Easton est présenté au paragraphe 220(3.1) de la Loi.
(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.
[50]
La disposition permet au ministre d’accorder un allègement, soit « en présence de circonstances atténuantes indépendantes du contrôle du contribuable qui l’auraient empêché de respecter la [Loi] »
(Herrington c Canada (Agence du revenu), 2016 CF 953, au paragraphe 18).
[51]
La circulaire d’informations IC07, Dispositions d’allègement pour les contribuables, en date du 31 mai 2007, comprend les orientations élaborées par le ministre, qui présentent l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi, conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi (Telfer, au paragraphe 36). Les circonstances exceptionnelles peuvent comprendre des mesures de l’Agence, l’incapacité de payer d’un contribuable ou des difficultés financières.
B.
Opposition relative à l’admissibilité du dossier de M. Easton.
[52]
À titre de règle générale, le dossier de preuve devant une cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire est limité au dossier de preuve dont était saisi le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19).
[53]
En ce qui concerne l’espèce, ces documents sont énumérés dans le mémoire de la défenderesse aux paragraphes 28 et 29.
[54]
La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de la règle générale et acceptera donc les documents qui étaient devant le décideur. Malgré l’affirmation de M. Easton selon laquelle le délégué du ministre aurait dû ou aurait pu avoir accès à l’ensemble de son dossier, les éléments de preuve qu’il a présentés et dont le délégué du ministre n’a pas été saisi ne seront pas pris en considération.
C.
Erreur ou retard de la part de l’Agence
[55]
Le système fiscal canadien est fondé sur l’autocotisation. Il revient au contribuable de connaître la loi et de mener ses affaires financières conformément à la Loi (Dimovski c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 721, au paragraphe 17; Kapil c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 1373, au paragraphe 24).
[56]
En effet, comme l’a noté la Cour et comme l’a souligné la défenderesse, « il est important d’observer qu’un demandeur est tenu de produire sa déclaration dans les délais prévus et que les erreurs attribuables à des tiers ne sont pas considérées comme des circonstances exceptionnelles »
(Billier c Canada (Procureur général), 2013 CF 588, au paragraphe 12).
[57]
L’erreur d’avoir passé en charge le montant de son hypothèque acquittée était celle de M. Easton. Ses déclarations de revenus ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation dans les délais prévus par la Loi et il a été informé que des intérêts seraient cumulés sur tout montant à payer.
[58]
Même si le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’intérêt résiduel cumulé sur le solde de M. Easton, il n’avait aucune obligation de le faire et, étant donné les principes susmentionnés, la Cour conclut qu’il était raisonnable pour le délégué du ministre de ne pas accorder l’allègement demandé par M. Easton.
D.
Difficultés financières
[59]
La Cour conclut qu’il était raisonnable pour le délégué du ministre de conclure que M. Easton n’a pas fait preuve de difficultés financières ou d’incapacité à payer. Après examen des frais de subsistance et des revenus de M. Easton, il est raisonnable de conclure que sa situation n’atteint pas le seuil, car elle ne démontre pas une incapacité prolongée à fournir des biens de première nécessité tels que nourriture, vêtements, foyer et objets non essentiels raisonnables, même en tenant compte du fait que son revenu brut de 2014 incluait des paiements ponctuels.
E.
Conclusion
[60]
En conclusion, la Cour conclut que le délégué du ministre a raisonnablement évalué la situation de M. Easton. Sa décision de rejeter la demande de M. Easton visant l’allègement pour les contribuables appartient aux issues possibles et acceptables, compte tenu du dossier, et elle est donc raisonnable.
[61]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Les dépens sont adjugés à la défenderesse.
« Martine St-Louis »
Juge
Ce 19e jour de mai 2020
Lionbridge
ANNEXE
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
DOSSIER :
|
T-1718-15
|
|
INTITULÉ :
|
PETER EASTON c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
|
||
DATE DE L’AUDITION :
|
Le 16 janvier 2017
|
||
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE ST-LOUIS
|
||
DATE DES MOTIFS :
|
LE 31 janvier 2017
|
||
COMPARUTIONS :
Peter Easton
|
Pour le demandeur
(pour son propre compte)
|
Gabrielle White
|
Pour la défenderesse
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
Pour la défenderesse
|