Dossier : IMM-2254-16
Référence : 2017 CF 125
Ottawa (Ontario), le 1er février 2017
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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NANOUCHE MOKILI ANTO
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l'encontre d'une décision de la Section d'appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié du Canada, datée du 16 mai 2016, qui confirmait une décision par la Section de la protection des réfugiés [SPR] ayant conclu que la demanderesse n'a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
[2]
Pour les motifs ci-après exposés, je n’adhère pas aux arguments de la demanderesse et la présente demande sera rejetée.
II.
Faits
[3]
La demanderesse affirme être citoyenne de la République démocratique du Congo [RDC]. Elle allègue avoir été arrêtée lors d’une manifestation politique pacifique organisée par l’Union pour la Démocratie et le Progrès Sociale [UDPS] et avoir été emprisonnée pendant deux jours. Elle aurait ensuite été amenée dans une résidence privée appartenant au Gouverneur de la ville de Kinshasa, qui l’aurait séquestrée et violée à répétition pendant trois jours. Le Gouverneur l’aurait également menacée de mort à plusieurs reprises au cours de cette même période. La demanderesse allègue avoir pu s’échapper grâce à l’aide d’un agent de sécurité du Gouverneur qu’une amie de sa mère connaissait. Elle se serait ensuite enfuie au Canada avec un faux passeport belge et accompagnée d’un Canadien d’origine congolaise. Arrivée au Canada, la demanderesse a demandé le statut de réfugiée.
III.
Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire
A.
La décision de la SPR
[4]
La SPR a conclu qu’en dépit de la possibilité que la demanderesse soit d’origine congolaise, celle-ci n’a pas réussi à établir son identité de façon convaincante. C’est pourquoi la SPR n’a pas examiné le bien-fondé de sa demande d’asile. Dans ses motifs, la SPR a tiré certaines conclusions quant aux documents déposés par la demanderesse visant à établir son identité, notamment: un passeport de la RDC, une carte d’électeur, une attestation de naissance, une fiche individuelle d’état civil et un certificat de nationalité. Étant donné que ces documents constituent des éléments clés aux questions soulevées par la demanderesse, je vais réviser brièvement les motifs de la SPR quant à chacun d’entre eux :
Le passeport et la carte d’électeur: La SPR a pris note des rapports d’analyse préparés par un expert de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] concluant que le support du passeport de la demanderesse était authentique, mais qu’il y avait des preuves que le passeport avait fait l’objet d’altérations importantes, dont : (a) la saleté et des débris sous le laminé ; (b) les lettres en doubles ; (c) les armoiries bleues fragmentées ; et (d) le nom, le post-nom et la zone de lecture qui auraient été découpés à partir d’un autre document et apposés à la page des données biographiques. À la lumière de ces observations, l’expert a conclu que le passeport avait été falsifié.
La carte d’électeur: La demanderesse allègue s’être servi de cette carte pour obtenir son passeport congolais. La SPR a pris note des rapports de l’expert de l’ASFC concluant que la carte d’électeur était contrefaite et ce, pour les raisons suivantes : (a) les coins du support, dont la pochette étaient coupés à la main ; (b) la mauvaise technique d’impression de fond a été utilisée ; (c) la micro-impression était inexistante ou de piètre qualité ; et (d) le support réagissait fortement à la lumière ultraviolette.
L’attestation de naissance: Selon le témoignage de la demanderesse, ce document aurait été obtenu par sa mère à la commune de Ngaliema alors que la demanderesse était au Canada. Cependant, la SPR a noté que pendant cette même période, son récit écrit faisait état de son emprisonnement chez le Gouverneur à Kinshasa, et non pas à sa présence au Canada. La SPR n’a pas été convaincue de l’authenticité de l’attestation parce que le numéro du timbre au bas du document n’était pas identique à celui du haut, alors que les numéros de timbres dans le haut et le bas de la fiche individuelle de l’état civil étaient identiques. Ainsi, la SPR a conclu que la crédibilité de la demanderesse était minée par ces irrégularités.
- La fiche individuelle d’état civil: Selon le témoignage de la demanderesse, la fiche aurait aussi été obtenue par l’entremise de sa mère et à l’aide d’une copie de son attestation de naissance. La SPR a noté que ni l’attestation, ni la fiche individuelle d’état civil ne possédaient une caractéristique sécuritaire ou photo pouvant les relier à la demanderesse. Toutefois, la SPR a noté que les adresses qui figurent sur l’attestation de naissance et la fiche individuelle d’état civil étaient différentes. La demanderesse a expliqué cette divergence de par le fait que sa mère était propriétaire de deux maisons. La SPR n’a pas accepté cette explication, car elle n’était pas conforme à sa déclaration écrite. La SPR a donc conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible à cet égard.
- Certificat de nationalité: Ce document aurait été obtenu par la mère de la demanderesse à l’aide d’une copie de son attestation de naissance. La SPR a noté que sur le certificat de nationalité figure une adresse différente de celle sur l’attestation. La SPR a aussi noté de la preuve documentaire expliquant que les certificats de nationalité de la RDC font normalement mention des documents ayant servi à établir la nationalité des requérants, ce qui n’était pas le cas pour celui de la demanderesse.
[5]
La SPR n’a donc accordé aucune force probante aux cinq derniers documents.
[6]
La SPR a également noté que la demanderesse n’avait plus en sa possession le faux passeport belge utilisé pour se rendre au Canada. La SPR a aussi précisé qu’il était invraisemblable que la demanderesse ignore certaines informations à propos de l’homme qui l’aurait aidé à se rendre au Canada.
[7]
Pour toutes ces raisons, la SPR a rejeté le témoignage de la demanderesse, jugé comme étant non crédible.
B.
La décision de la SAR
[8]
La SAR a d’abord examiné les questions quant à (i) l’admissibilité en preuve de deux documents qui n’ont pas été déposés devant la SPR et (ii) la tenue d’une audience. La SAR a conclu que les documents étaient inadmissibles car ils ne satisfaisaient à aucun des critères d’admissibilité prévus au paragraphe 110(4) de la LIPR, et a par conséquent, jugé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience au sens de l’article 110(6) de la LIPR.
[9]
La SAR a ensuite passé en examen la preuve au dossier et, en soulevant sensiblement les mêmes motifs que ceux de la SPR, a conclu que la demanderesse n’avait pas établi son identité, minant ainsi sa crédibilité. Puisque l’identité ne pouvait être établie, la SAR n’a pas analysé le bien-fondé de la demande d’asile.
IV.
Questions en litige
[10]
La demanderesse prétend que (a) le rejet de la preuve supplémentaire et le refus d’accorder la tenue d’une audience; (b) la conclusion du tribunal quant à son identité; et (c) le refus de ce dernier d’examiner le bien-fondé de la demande, étaient tous déraisonnables.
V.
Norme de contrôle
[11]
La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR pour les questions de faits et mixtes des faits et de droit est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 32 et 35; Yeboah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 780 au para 19). La norme de contrôle applicable au rejet de la preuve supplémentaire est aussi celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 29 [Singh]).
VI.
Analyse
A.
Rejet de la preuve supplémentaire et de la tenue d’une audience
[12]
Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit que dans le cadre d’un appel devant la SAR, seul les nouveaux éléments de preuve suivants sont admissibles: (a) ceux étant survenus depuis le rejet de la demande à la SPR; (b) ceux qui au moment de la demande devant la SPR n’étaient pas normalement accessibles; ou (c) ceux qui au moment de la demande devant la SPR étaient disponibles, mais qui n’auraient pas normalement été présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. La Cour d’appel a récemment établi que les conditions d’admissibilité du paragraphe 110(4) de la LIPR sont incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR (Singh au para 35).
[13]
Considérant que le certificat de bonne conduite a été émis le 16 mars 2015, que la demanderesse avait déposé en preuve d’autres documents obtenus approximativement à la même date, que la décision de la SPR rejetant la demande de la demanderesse a été rendue en août 2015, et que préalablement, pendant et suite à l’audience devant la SPR, la demanderesse ne pouvait ignorer l’importance d’établir son identité, la SAR a raisonnablement conclu que le certificat n’était pas admissible conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR.
[14]
En outre, conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR, n’ayant aucun élément de preuve supplémentaire à considérer, la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience.
B.
La conclusion sur l’identité de la demanderesse était-elle raisonnable ?
[15]
Conformément à l’article 11 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles], il incombe au « demandeur d’asile de transmettre des documents acceptables qui permettent d’établir son identité »
. De plus, conformément à l’article 106 de la LIPR, si le demandeur d’asile n’est pas en mesure de fournir des documents acceptables pour établir son identité, ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer, la SPR doit en tenir compte dans son analyse quant à la crédibilité.
[16]
La demanderesse soutient que le mot « acceptable »
prévu à l’article 11 des Règles, bien qu’il ne soit pas défini, ne peut vouloir dire que les documents soumis doivent être « parfaits »
. Selon elle, les problèmes identifiés par l’ASFC ne sont que le résultat de lacunes administratives en RDC et ne devraient pas servir comme fondement pour réfuter les présomptions de validité et de véracité des documents. Dans ce même sens, la demanderesse estime que la SPR a commis une erreur en évaluant les documents liés à l’identité en se fondant uniquement sur des normes canadiennes, faisant ainsi fi des difficultés et réalités administratives en RDC. Selon la demanderesse, une telle approche fait preuve d’un manque de souplesse et de sensibilité aux réalités vécues dans certains pays en voie de développement, voire la RDC.
[17]
Je rejette les arguments de la demanderesse alléguant que les analyses de la SAR et de la SPR quant aux documents liés à l’identité sont déraisonnables. Il est bien établi que la question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR et la Cour devrait donc faire preuve de retenue à l’égard des décisions rendues par la SPR sur cette question (Dai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 723 au para 20).
[18]
L’identité est une question de fait assujettie à la norme de preuve de la prépondérance des probabilités. Le fardeau incombant au demandeur d’asile de produire des documents acceptables établissant son identité est lourd (Malambu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 763 au para 41). Dans le cas qui nous occupe, la SAR a appliqué la norme de preuve appropriée. Contrairement à ce que fait valoir la demanderesse, rien n’indique que la SPR ou la SAR était à la recherche d’une preuve « parfaite »
ou « au-delà de tout doute »
. De plus, le raisonnement emprunté par la SAR s’appuie sur certains éléments de preuve pertinents à l’identité de la demanderesse, dont les rapports d’analyse d’expert, tout en tenant compte du témoignage oral de la demanderesse. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, les conclusions sont entièrement raisonnables au vu de l’ensemble de la preuve.
[19]
La demanderesse constate bien qu’il existe une présomption d'authenticité qui en principe s'applique à tout document délivré par une autorité gouvernementale. Cependant, cette présomption peut être réfutée lorsqu’il existe une raison valide de mettre en doute l’authenticité des documents (Gulamsakhi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 105 au para 7), et il y en avait de nombreuses en l’espèce. De fait, la jurisprudence reconnait plusieurs raisons valides et légitimes de mettre en doute l’authenticité des documents, minant ainsi leur crédibilité et vraisemblance (voir par exemple Bagire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 816 ; Jackson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1098).
C.
La décision de la SAR de ne pas procéder à l’examen du bien-fondé de la demande était-elle raisonnable ?
[20]
Lorsqu’un demandeur d’asile n’est pas en mesure d’établir son identité, une conclusion défavorable quant à sa crédibilité « sera presque inévitablement tirée »
, portant ainsi un « coup fatal »
à la demande (Barry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 8 aux paras 21-22). La jurisprudence de la Cour nous enseigne sans équivoque que l’identité est une question déterminante et qu’aucune analyse du bien-fondé de la demande d’asile n’est nécessaire si l’identité n’est pas établie (Daniel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1049 au para 28).
[21]
En somme, la capacité d’établir son identité est une facette importante quant au cadre juridique canadien en matière d’immigration. C’est une question qui peut être fatale à une demande d’asile.
[22]
Bien entendu, il peut exister des circonstances dans lesquelles un demandeur ne soit pas en mesure d'établir son identité pour des raisons, par exemple, liées à la santé, l’âge, l'apatridie, aux difficultés rencontrées dans un état défaillant ou encore aux traumatismes d'enfance (cette liste n’étant surtout pas exhaustive). Si la SPR est convaincue que la preuve appuie de tels faits, l'identité peut bien sûr être appréciée et considérée sous un autre angle. C’était par ailleurs le cas dans l’affaire Abdullahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1164 au para 9, où le juge Hughes a conclu que la décision administrative portant sur l’identité n’était pas raisonnable étant donné que la preuve documentaire et la jurisprudence confirmaient qu’il était quasiment impossible d’obtenir des documents pour confirmer l’identité auprès des autorités gouvernementales en Somalie. Aucune preuve n’indique que c’est le cas en l’espèce.
[23]
Quoi qu'il en soit, il reste que les conclusions tirées en matière d’identité sont de nature factuelle et assujetties à une certaine déférence accordée par la Cour. Ainsi, étant donné le défaut de la demanderesse d’établir son identité, la SPR et la SAR ont raisonnablement refusé de passer en examen le bien-fondé de la demande.
VII.
Question pour certification
[24]
Lors de l’audience, le procureur de la demanderesse a soulevé la question suivante : Est-ce que la SAR a la compétence de mettre en doute la manière dont les autorités étrangères délivrent les documents administratifs à leurs administrés dans le cas d’une demande d’asile au Canada ?
[25]
Les critères pour la certification ont été énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au para 9. Pour être certifiée, une question doit (i) être déterminante quant à l'issue de l'appel, (ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. À mon avis, la question proposée par la demanderesse ne satisfait à aucun de ces critères. Pour cette raison, la question ne sera pas certifiée.
VIII.
Conclusion
[26]
Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que:
La demande de contrôle judiciaire est rejetée ;
Aucune question n’est certifiée ;
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Alan S. Diner »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2254-16
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INTITULÉ :
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NANOUCHE MOKILI ANTO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 23 janvier 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 1er février 2017
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COMPARUTIONS :
Me François Kasenda Kabemba
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Pour le demandeur
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Me Youri Tessier-Stall
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet François K. Law Office
Ottawa (Ontario)
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Pour le demandeur
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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Annexe A: Dispositions pertinentes
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