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Date : 20170202


Dossier : IMM-1967-16

Référence : 2017 CF 131

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

HARRYNARINE SAHADEO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Tyrone Barrow a été arrêté et détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada le 29 septembre 2015 afin de le contraindre à comparaître à une enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Le 11 décembre 2015, un commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a ordonné la libération de M. Barrow de la détention sous réserve de plusieurs conditions, dont l’une était que le demandeur, Harrynarine Sahadeo, fournisse un cautionnement en espèces de 3 000 $ et une garantie d’exécution d’un montant de 15 000 $; et une autre condition exigeant de M. Barrow :

[traduction]

Qu’il se présente à un agent du bureau de l’ASFC au 6080, chemin McLeod, Niagara Falls (Ontario) L2G 7T2, le mardi 15 décembre 2015 et le jeudi 17 décembre 2015 et chaque mardi et jeudi par la suite entre 8 h et 12 h et 13 h et 16 h. Un agent de l’ASFC peut, par écrit, réduire la fréquence des rencontres ou changer l’endroit où le demandeur doit se présenter.

[2]  Même si M. Barrow s’est présenté à l’ASFC comme il devait le faire le 15 décembre, il ne l’a pas fait le 17 décembre. Au bout du compte, ce défaut a donné lieu à une décision d’un gestionnaire de l’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (le gestionnaire) dans une lettre adressée au demandeur en date du 20 avril 2016, qu’il y avait lieu de confisquer la garantie d’exécution de 15 000 $ et le cautionnement en espèces de 3 000 $. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision du gestionnaire, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

I.  Contexte

[3]  Après le défaut de se présenter de M. Barrow le 17 décembre 2015, l’ASFC a émis un mandat d’arrestation le visant, et M. Barrow a été arrêté après s’être présenté volontairement au bureau de l’ASFC le matin du 18 décembre. Au début, M. Barrow a informé l’ASFC qu’il n’avait pas pu se présenter le 17 décembre parce qu’il avait comparu devant le tribunal ce jour-là. Cependant, après enquête, l’ASFC a conclu que, bien que M. Barrow se soit rendu au tribunal le matin du 17 décembre, il avait quitté le tribunal vers 11 h pour se rendre à Niagara Falls pour faire des courses avec sa petite amie et acheter des cadeaux de Noël. Après leurs emplettes, M. Barrow s’est rendu à la résidence de sa petite amie et a fait une sieste, il s’est réveillé vers 17 h et s’est rendu compte qu’il avait oublié de se présenter au bureau de l’ASFC. M. Barrow a communiqué avec son avocat, mais le dossier n’indique pas clairement si l’avocat a communiqué avec le bureau de l’ASFC plus tard ce soir-là.

[4]  Dans un rapport en date du 5 janvier 2016, un agent de l’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agent) a recommandé à un gestionnaire de l’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs que les cautionnements fournis par le demandeur soient confisqués et réalisés. Après avoir examiné les faits relatifs au défaut de M. Barrow de se présenter au bureau de l’ASFC le 17 décembre 2015, l’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction]

J’ai noté qu’une obligation de se présenter à une procédure devant une cour criminelle constitue une excuse légitime et raisonnable pour ne pas se présenter. Cependant, j’ai aussi noté que cette obligation n’exigeait la présente physique de M. BARROW que pour une petite partie de la matinée de sa date de présentation, laissant à M. BARROW une bonne partie de la journée pour se présenter. J’ai noté que M. BARROW avait rendu compte de ses activités à la fin de la matinée et dans l’après-midi du 17 décembre 2015, et je suis convaincu qu’aucune de ces activités ne constitue des excuses légitimes ou raisonnables pour son défaut de se présenter comme l’exigeait la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[...]

Malgré l’attitude désinvolte de M. BARROW à l’égard des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et les lois du Canada, je ne suis pas convaincu que M. SAHADEO s’est convenablement acquitté de ses responsabilités en tant que caution en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[5]  Le 25 février 2016, le gestionnaire a examiné et accepté la recommandation de l’agent de confisquer le cautionnement et la garantie, notant ce qui suit :

[traduction]

M. BARROW n’a pas donné d’excuses légitimes ou raisonnables pour son défaut de se présenter tel que requis le 17 décembre 2015. Comme l’a dit M. BARROW, ses affaires judiciaires se sont conclues le matin du 17 décembre 2015. M. BARROW a choisi de ne pas se présenter comme il devait le faire; il a choisi de magasiner à une distance raisonnable du bureau de l’ASFC de Niagara où il avait l’occasion de se présenter. À aucun moment ce jour-là, M. BARROW ou une personne agissant en son nom n’a tenté de communiquer avec le bureau relativement à son absence, que ce soit pendant les heures d’ouverture ou en dehors des heures d’ouverture par message vocal au numéro de téléphone fourni dans les conditions.

Je reconnais le fait que M. BARROW s’est présenté volontairement au bureau le matin suivant, soit le 18 décembre 2015, mais ce fait n’explique ni n’excuse son infraction.

[6]  Le gestionnaire a ensuite envoyé une lettre au demandeur en date du 25 février 2016 indiquant que M. Barrow avait violé les conditions de sa libération et que, si le demandeur avait des raisons pour que le cautionnement et la garantie ne soient pas confisqués et réalisés, il pouvait le faire par observations écrites d’ici le 17 mars 2015. Le gestionnaire a aussi indiqué qu’il examinerait les observations du demandeur dans sa décision sur les mesures à prendre. N’ayant pas reçu d’observations de la part du demandeur, le gestionnaire a envoyé une deuxième lettre au demandeur en date du 13 avril 2016 confirmant la confiscation du cautionnement en espèces et la réalisation de la garantie d’exécution. À la réception de cette lettre, le demandeur s’est rendu personnellement au bureau de l’ASFC et a informé l’ASFC qu’il n’avait pas reçu de correspondance antérieure de la part de l’ASFC. Par conséquent, l’ASFC lui a accordé une prorogation du délai pour présenter ses observations, ce qu’il a fait par l’entremise de son avocat dans une lettre en date du 18 avril 2016.

[7]  L’avocat du demandeur a renvoyé le gestionnaire au guide opérationnel de Citoyenneté et Immigration Canada, « ENF 8 : Garanties » (le Guide). La section 7.8 du Guide mentionne que « Les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC possèdent le pouvoir discrétionnaire de décider si le non-respect des conditions est suffisamment grave pour justifier la confiscation du dépôt de garantie ou la réalisation de la garantie d’exécution. » En s’appuyant sur cette section, l’avocat du demandeur prétendait que l’infraction de M. Barrow n’était pas [traduction] « suffisamment grave » pour justifier la confiscation du cautionnement et la réalisation de la garantie d’exécution, notant que M. Barrow ne s’était pas esquivé et n’était pas devenu [traduction] « clandestin » et qu’il n’y avait pas d’infraction moins grave que le défaut de se présenter une journée pour immédiatement se présenter le lendemain matin. L’avocat du demandeur a soutenu en outre que le défaut de se présenter de M. Barrow était indépendant de la volonté du demandeur et que, même s’il avait établi un plan pour que M. Barrow se présente, il ne pouvait pas donner suite avec ce dernier le 17 décembre 2015, car il se trouvait à l’extérieur de la ville pour affaires et que son téléphone avait été volé.

[8]  Le gestionnaire a passé en revue et examiné les observations du demandeur le 20 avril 2016, mais a décidé une nouvelle fois qu’il y avait lieu de confisquer le cautionnement en espèces et de réaliser la garantie d’exécution. Dans les motifs de sa décision, le gestionnaire a noté ce qui suit :

[traduction]

Dans ses déclarations précédentes, M. BARROW n’a pas donné d’excuse légitime ou raisonnable pour son défaut de se présenter […] Ses obligations judiciaires […] ont pris fin le matin du 17 décembre 2015 et M. BARROW a choisi de ne pas se présenter comme il devait le faire par la suite, choisissant plutôt de magasiner à proximité du bureau de l’ASFC de Niagara et de faire une sieste.

[...]

Je constate que M. BARROW s’est volontairement présenté le lendemain matin, le 18 décembre 2015, mais cet acte n’excuse pas son infraction.

M. SAHADEO a choisi d’agir à titre de caution pour M. BARROW, et à cet égard, il est responsable de ses actes.

Je comprends certainement que la caution est d’une valeur importante, mais je ne crois pas que les raisons fournies justifient un remboursement complet du cautionnement en espèces ou l’annulation de la garantie d’exécution de M. SAHADEO.

Je maintiens mon opinion selon laquelle le cautionnement en espèces et la garantie d’exécution doivent être confisqués conformément à la décision prise précédemment avant la soumission des observations.

[9]  Le gestionnaire a ensuite envoyé au demandeur une lettre en date du 20 avril 2016 le remerciant de ses observations, mais confirmant la décision de confisquer le cautionnement en espèces et de réaliser la garantie d’exécution.

II.  Questions en litige

[10]  Les parties soulèvent les questions en litige suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La Cour peut-elle passer en revue les rapports de l’agent et du gestionnaire rédigés avant la soumission des observations par le demandeur?

  3. La décision du gestionnaire était-elle raisonnable?

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle applicable dans l’évaluation de la décision du gestionnaire a été citée dans Etienne c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1128, 469 FTR 40 [Etienne] comme suit :

[11]  D’abord, le contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’ASFC est une question mixte de fait et de droit, dont la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Domitlia c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 419 au para 27 [Domitlia]; Kang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 652 au para 13 [Kang]; Hussain c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 234 [Hussain]; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au para 41).

[12]  D’une part, la décision de l’ASFC engage une déférence et cette Cour ne doit pas intervenir si « le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi a été exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle […] » (Uanseru c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 428 au para 25 [Uanseru], cité dans Khalife c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 221 [Khalife]).

[13]  D’autre part, la Cour doit également analyser si la décision de l’ASFC est conforme aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale, compte tenu de l’ensemble des circonstances (Pusat c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 428 au para 14; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chir c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 765 au para 16; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 aux para 52 et 53 [Sketchley]).

[14]  L’analyse quant au respect de l’obligation d’équité procédurale n’engage pas de déférence de cette Cour envers la décision de l’ASFC. Ce principe est énoncé par le juge Richard G. Mosley dans Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461 (voir aussi Rivas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 317 :

[44]  Toutefois, comme le note le juge Blanchard dans la décision Thamotharem, au paragraphe 15, il n’est pas nécessaire que la Cour effectue une analyse pragmatique et fonctionnelle lorsqu’elle examine des allégations de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29. La Cour doit plutôt examiner les circonstances particulières de l’affaire et décider si le tribunal en cause s’est conformé à son obligation d’agir équitablement. Si elle arrive à la conclusion qu’il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, elle n’est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision de la CISR.

[12]  Dans des décisions plus récentes, la Cour a confirmé qu’une décision sur la question de savoir si un cautionnement doit être confisqué est « hautement discrétionnaire » (Hamid c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1208, au paragraphe 12, [2015] ACF no 1242; Khalil c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 641, au paragraphe 15, 481 FTR 132.)

[13]  La décision du gestionnaire en l’espèce doit donc faire l’objet d’un contrôle selon la norme déférente de la décision raisonnable. La Cour est chargée de déterminer si la décision du décideur est justifiable, transparente et intelligible, et elle doit déterminer « si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Ces critères sont remplis dès lors que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339.

[14]  Quant à la question soulevée par le demandeur concernant la question de savoir si la Cour peut passer en revue les rapports de l’agent et du gestionnaire rédigés avant les observations écrites du demandeur, elle soulève une allégation de manquement à l’équité procédurale. La question de savoir si l’obligation d’équité procédurale a été enfreinte relève de la norme de contrôle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502). Comme il est indiqué dans Etienne, « l’obligation d’équité procédurale n’engage pas de déférence de cette Cour envers la décision de l’ASFC » (au paragraphe 14). En vertu de la norme de contrôle de la décision correcte, la Cour doit déterminer si la démarche empruntée par le gestionnaire a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (voir : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Il n’est donc pas vraiment question de savoir si la décision du gestionnaire est correcte, mais plutôt d’établir si la démarche qu’il a empruntée pour prendre sa décision était équitable (voir Hashi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14, 238 ACWS (3d) 199; et Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 471 FTR 71).

B.  La Cour peut-elle passer en revue les rapports de l’agent et du gestionnaire rédigés avant la soumission des observations par le demandeur?

[15]  Le demandeur soutient que la Cour ne devrait pas examiner ou passer en revue le rapport et la recommandation de l’agent en date du 5 janvier 2016, ni la décision initiale du gestionnaire en date du 25 février 2016, parce qu’ils ont été produits avant que le demandeur ait l’occasion de présenter des observations et, par conséquent, ont été rendus en violation de l’obligation d’équité procédurale. Le demandeur soutient que le rapport et la décision initiale ne devraient pas être pris en considération dans l’évaluation du caractère raisonnable de la décision finale du gestionnaire. À cet égard, le demandeur renvoie à la section 7.8 du Guide :

Garantie fournie par un tiers

Les règles d’équité en matière de procédure veulent qu’un agent de CIC ou de l’ASFC ne recommande pas la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution souscrite par un tiers avant que cette personne ne puisse faire une observation par écrit à propos de la décision en instance.

Les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC possèdent le pouvoir discrétionnaire de décider si le non-respect des conditions est suffisamment grave pour justifier la confiscation du dépôt de garantie ou la réalisation de la garantie d’exécution. Toutefois, les gestionnaires et agents de CIC ou de l’ASFC ne possèdent pas le pouvoir discrétionnaire de réduire ou de modifier autrement le montant du dépôt de garantie ou de la garantie d’exécution.

Quand une violation des conditions peut avoir pour conséquence la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution, le déposant ou le garant doit être informé par écrit de l’infraction aux conditions et d’une possible confiscation ou exécution et doit se voir accorder la possibilité de présenter ses observations par écrit. Si la décision finale vise la confiscation du dépôt ou la réalisation de la garantie d’exécution, le déposant ou le garant sera tenu responsable de l’intégralité du montant du dépôt ou de la garantie.

[16]  Selon le demandeur, l’équité procédurale exige qu’un agent offre à la caution l’occasion de faire des observations par écrit avant de recommander la confiscation d’un dépôt ou la réalisation d’une garantie. Le demandeur affirme que la décision de l’agent de faire la recommandation et l’examen subséquent du gestionnaire et son acceptation de cette recommandation constituaient un manquement à l’équité procédurale, malgré le fait que le gestionnaire a ensuite donné au demandeur l’occasion de présenter des observations par écrit. La clé de l’argument du demandeur est que l’obligation d’équité procédurale dans ce contexte exige l’occasion de présenter des observations par écrit à deux occasions distinctes : premièrement, avant que l’agent recommande la confiscation et de nouveau lorsque le gestionnaire a décidé d’accepter la recommandation.

[17]  Il est vrai, comme le note le demandeur, que le Guide affirme que les règles d’équité procédurale exigent que l’agent [traduction] « ne recommande pas la confiscation d’un dépôt ou la réalisation d’une garantie exécutée par un tiers avant que ce dernier ait eu l’occasion de présenter des observations par écrit à propos de la décision en instance ». La section 7.8 du Guide indique également que « le déposant ou le garant doit être informé par écrit de l’infraction aux conditions et d’une possible confiscation ou exécution et doit se voir accorder la possibilité de présenter ses observations par écrit ». Cependant, selon la section 7.5 du Guide, c’est le gestionnaire, et non l’agent, qui est responsable [traduction] « d’aviser la personne par écrit de la raison pour laquelle des mesures sont prises pour confisquer le dépôt ou réaliser la garantie ». Le contenu de l’obligation d’équité procédurale n’est pas, à mon avis, aussi élevé que le prétend le demandeur, car il n’y aurait rien à gagner à offrir une occasion supplémentaire de présenter des observations par écrit à un agent qui ne fait que présenter un rapport et une recommandation à un gestionnaire qui est ensuite chargé de décider s’il faut confisquer le cautionnement ou réaliser la garantie.

[18]  En l’espèce, l’agent a recommandé la confiscation du cautionnement et la réalisation de la garantie en fonction de son analyse de la violation des conditions de libération de M. Barrow. L’agent a simplement présenté une recommandation, et non une décision finale. Le gestionnaire a ensuite examiné le rapport de l’agent et a approuvé la recommandation. Par conséquent, le gestionnaire a envoyé une lettre au demandeur, en date du 25 février 2016, invitant celui-ci à présenter des observations quant aux motifs pour lesquels le cautionnement et la garantie ne devraient pas être confisqués et a informé le demandeur qu’il tiendrait compte de ces motifs dans sa décision sur les mesures à prendre. À ce moment-ci, aucune décision finale n’avait été prise. Il est permis de croire que la deuxième lettre du gestionnaire au demandeur en date du 13 avril 2016, affirmant que le cautionnement en espèces serait confisqué et que la garantie d’exécution serait réalisée, constituait une décision finale. Cependant, il s’avère que le gestionnaire a revu cette décision après que le demandeur a fourni des observations par écrit, menant à la décision finale du gestionnaire contenue dans sa lettre du 20 avril 2016.

[19]  L’obligation d’équité procédurale en l’espèce exigeait que le demandeur connaisse les arguments qu’il devait présenter et ait l’occasion de participer de façon significative au processus. Le demandeur a été informé de l’intention du gestionnaire de confisquer le cautionnement et de réaliser la garantie, et a eu l’occasion, quoique tardive, de participer à la décision finale du gestionnaire contenue dans sa lettre du 20 avril 2016. L’allégation de manque d’équité procédurale du demandeur n’est pas fondée, car le demandeur savait quels arguments il devait présenter et il a participé entièrement au processus. Le fait que la recommandation de l’agent et la décision initiale du gestionnaire aient été rédigées avant la réception et l’examen des observations du demandeur n’en font pas un processus inéquitable. Le jour même où le gestionnaire a accepté la recommandation de l’agent, il a envoyé une lettre au demandeur décrivant sa position et demandant des observations par écrit quant à la raison pour laquelle le cautionnement ne devrait pas être confisqué ni la garantie réalisée. La recommandation de l’agent et la lettre du gestionnaire en date du 13 février 2016 représentaient les étapes requises pour décider si d’autres mesures s’imposaient après l’examen des observations du demandeur.

[20]  Même si le demandeur a raison de dire que seule la décision du gestionnaire en date du 20 avril 2016 fait l’objet du contrôle judiciaire, le rapport de l’agent menant à la décision et la décision initiale du gestionnaire en date du 25 février 2016 peuvent et doivent être examinés puisqu’ils éclairent la décision finale du gestionnaire. Le rapport et la recommandation de l’agent étaient une mesure nécessaire dans le processus et ont servi à éclairer la décision du gestionnaire. En outre, la décision finale du gestionnaire était éclairée par les arguments présentés par l’avocat du demandeur.

C.  La décision du gestionnaire était-elle raisonnable?

[21]  L’argument principal du demandeur est que le gestionnaire n’a pas évalué si l’infraction des conditions était « suffisamment grave » pour justifier la confiscation de 18 000 $. Selon le demandeur, le gestionnaire s’est penché, de façon très restreinte, sur l’existence de l’infraction de M. Barrow et sur la question de savoir si sa comparution au bureau de l’ASFC le lendemain matin atténuait la gravité de son infraction. Le demandeur maintient que le gestionnaire n’a pas évalué la gravité de l’infraction, et souligne également que M. Barrow ne s’est pas esquivé, n’est pas devenu clandestin ou n’a pas causé le fait pour l’ASFC de dépenser ses ressources pour le rechercher.

[22]  Le défendeur affirme que le gestionnaire s’est penché sur tous les arguments et les faits pertinents pour rendre sa décision. Par exemple, le gestionnaire a examiné si l’infraction était suffisamment grave pour justifier la confiscation, puisque cette question a été soulevée dans les observations présentées par l’avocat du demandeur. De la même façon, le gestionnaire s’est aussi penché sur la position du demandeur selon laquelle l’avocat au criminel de M. Barrow avait téléphoné à l’ASFC et avait laissé un message. Le défendeur note que le gestionnaire a tenu compte du fait que l’infraction de M. Barrow était indépendante de la volonté du demandeur et aussi que M. Barrow s’était présenté immédiatement par la suite. Le défendeur affirme que, même si le demandeur n’est pas d’accord avec la conclusion du gestionnaire, cela ne veut pas dire que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables. Le fait que M. Barrow ne s’est pas esquivé ou n’a pas causé le fait pour l’ASFC de dépenser des ressources pour le trouver ne met pas en doute le caractère raisonnable de la décision. Selon le défendeur, le gestionnaire a raisonnablement conclu que M. Barrow n’avait pas fourni d’excuse légitime ou raisonnable pour ne pas s’être présenté.

[23]  La jurisprudence laisse entendre que, même si un gestionnaire ou un agent de l’ASFC est tenu d’évaluer si la gravité d’une infraction aux conditions justifie la confiscation si la question est soulevée, il jouit néanmoins d’un grand pouvoir discrétionnaire pour faire une telle évaluation. Par exemple, dans Hussain c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 234, au paragraphe 12, [2008] 4 RCF 417, la Cour affirme que son pouvoir discrétionnaire « doit encore être considéré comme un cas d’espèce » et qu’« il faut se demander si le non-respect des conditions a été “suffisamment grave” ». Dans Etienne, la Cour a fait remarquer que « l’ASFC exerce son pouvoir discrétionnaire d’exiger le remboursement de la caution, s’il est jugé que le non-respect des conditions est “suffisamment grave” pour justifier une telle exécution » (au paragraphe 22).

[24]  On ne peut pas critiquer la décision du gestionnaire en l’espèce simplement parce qu’il n’a pas entièrement ou profondément traité la question de savoir si l’infraction aux conditions était suffisamment grave pour justifier la confiscation. Le gestionnaire a abordé les circonstances entourant la violation des conditions et il a clairement examiné les observations du demandeur à cet égard comme l’indiquent ses notes. Le gestionnaire a conclu que M. Barrow n’avait pas fourni d’excuse légitime ou raisonnable pour ne pas s’être présenté et qu’il avait [traduction] « choisi de ne pas se présenter » malgré le fait qu’il avait amplement eu le temps de le faire, et était plutôt allé magasiner et avait fait une sieste. Même si ces motifs peuvent être quelque peu insuffisants, il s’agit tout de même de motifs. Il n’est pas question ici d’une situation dans laquelle les motifs de la décision, quoique brefs, sont si inintelligibles, injustifiés ou opaques que la décision est déraisonnable. Newfoundland Nurses dicte que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des motifs du décideur et que l’insuffisance des motifs n’est pas un fondement indépendant pour accorder le contrôle judiciaire. En outre, une norme de contrôle engageant la déférence exige que la Cour n’intervienne pas à l’égard du pouvoir discrétionnaire du gestionnaire et de sa décision de confisquer les cautionnements si, comme c’est le cas en l’espèce, il « a été exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle » (Etienne, au paragraphe 12). La décision du gestionnaire est justifiable et constitue une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Conclusion

[25]  La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

[26]  Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1967-16

 

INTITULÉ :

HARRYNARINE SAHADEO c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Soohyun Nam

 

Pour le demandeur

 

Tamrat Gebeheyu

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lisa R.G. Winter-Card

Avocate

Welland (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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