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Date : 20160902


Dossier : T-775-16

Référence : 2016 CF 1000

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2016

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

ELBIT SYSTEMS ELECTRO-OPTICS ELOP LTD.

demanderesse

et

SELEX ES LTD.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Dans le cadre de cette action en contrefaçon, la défenderesse présente une requête pour l’obtention d’une ordonnance radiant les parties de la déclaration sans autorisation de la modifier et pour une prorogation du délai imparti pour signifier et déposer sa défense.

[2]               L’action concerne l’acquisition des mises à niveau à la flotte canadienne des avions Lockheed CP140 Aurora, et en particulier, à l’installation des systèmes DIRCIM dans l’avion. La demanderesse allègue que les systèmes qui devaient être fournis, livrés et installés par la défenderesse constitueraient une contrefaçon du brevet canadien numéro 2 527 754 de la demanderesse intitulé « Fiber Laser Based Jamming System ». La défenderesse est une sous-traitante de General Dynamics Mission Systems – Canada (« GDC »), le principal fournisseur du contrat de mise à niveau. La demanderesse déclare que la défenderesse a contrefait, ou contrefera bientôt le brevet en offrant de conclure, en acceptant ou en concluant un contrat avec GDC pour fournir ses systèmes, mais aussi que la défenderesse incite ou amène GDC et le gouvernement du Canada à contrefaire le brevet. Il est utile de noter que ni GDC ni le gouvernement du Canada ne sont cités en tant que défendeurs, même s’il est allégué qu’ils ont tous les deux contrefait ou qu’ils contreferont directement le brevet et que GDC a incité ou incitera le gouvernement du Canada à contrefaire le brevet.

[3]               La demanderesse a retiré sa requête relativement aux paragraphes 41 et 1c) de la déclaration et a classé les autres paragraphes contestés de la déclaration comme suit :

1.            Allégations d’incitation à inciter (parties du paragraphe 18 et paragraphes 19 et 37).

2.            Simples affirmations ou spéculation (parties du paragraphe 21, paragraphe 24 et paragraphes 46 à 48).

3.            Actes de procédure non pertinents (parties des paragraphes 12, 13, 14 et 17).

[4]               J’adopterai cette structure et je traiterai chaque catégorie dans cet ordre.

I.                   Incitation à inciter

[5]               La défenderesse avance deux arguments pour cette catégorie : elle fait valoir, premièrement, que « l’incitation à inciter à la contrefaçon » ne constitue pas une cause d’action reconnue et, deuxièmement, que même si une telle cause d’action existe peut-être, la demanderesse n’a pas plaidé des faits matériels essentiels pour l’établir.

[6]               Aucune des parties n’a pu indiquer à la Cour un cas où le fait d’inciter ou d’amener une personne à inciter ou à amener une autre personne à la contrefaçon avait été plaidé ou avait été considéré comme une cause d’action. L’argument de la défenderesse repose entièrement sur le passage suivant du paragraphe 162 de l’arrêt Weatherford Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2011 CAF 228 :

(…) Une conclusion d’incitation requiert l’application d’un critère à trois volets : Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct. Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu. Troisièmement, l’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon. (…)

[7]               La défenderesse soutient que, comme le critère à trois volets de la Cour d’appel fédérale exige expressément l’influence du présumé incitateur sur un contrefacteur direct qui exécute l’acte de contrefaçon, le critère ne peut pas admettre l’incitation indirecte, c’est-à-dire le fait d’influencer une personne qui ensuite influence un contrefacteur direct.

[8]               Je ne suis pas convaincue que le passage de l’arrêt Corlac cité par la défenderesse était destiné par la Cour d’appel à nier la contrefaçon indirecte comme cause d’action ou que l’analyse qu’elle présente conduit nécessairement à la conclusion selon laquelle aucune cause d’action en contrefaçon indirecte ne peut exister. Il n’y avait aucune allégation de contrefaçon indirecte dans l’affaire Corlac. En outre, l’argument de la défenderesse fait fi de la première phrase du paragraphe 162 de l’arrêt Corlac : « Il est bien établi en droit que celui qui incite ou amène un autre à contrefaire un brevet se rend coupable de contrefaçon du brevet ». Comme l’incitation est en soi un acte de contrefaçon, « l’acte de contrefaçon » visé dans l’analyse de la Cour d’appel fédérale pourrait être considéré comme incluant une contrefaçon par incitation précédemment établie. Dans le but de déterminer si un second incitateur ou un incitateur indirect est lui-même coupable de contrefaçon par incitation, le premier incitateur pourrait alors être considéré comme étant le « contrefacteur direct ». Je n’ai pas besoin d’entreprendre un examen complet de la loi sur l’incitation pour déterminer si la loi aurait autrement appuyé l’interprétation faite par le défendeur du motif de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Corlac. Il incombait à la défenderesse de convaincre la Cour qu’une cause d’action en incitation indirecte n’avait pas la moindre chance de succès; son argument, qui est uniquement fondé sur l’interprétation d’un paragraphe d’une décision de 172 paragraphes, est bien loin de la norme requise.

[9]               Le second volet de l’argument de la défenderesse sur cette question est que, même en supposant que la contrefaçon indirecte soit une cause d’action reconnue, « l’acte de contrefaçon » présumé exécuté par le premier incitateur, GDC, comprend un accord de GDC d’indemniser le Canada. Comme la déclaration n’allègue pas, à son tour, que les actions de la défenderesse ont de quelque façon que ce soit influencé GDC dans la conclusion de cette entente d’indemnisation, le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Corlac ne peut être respecté, et l’action est vouée à l’échec. L’argument de la défenderesse requiert une lecture très attentive des allégations de la déclaration, à un point tel que l’octroi d’une indemnité par GDC au Canada deviendrait un élément nécessaire de l’incitation alléguée. Je ne suis pas convaincue que selon une lecture équitable de la déclaration ou selon la loi, l’octroi d’une indemnité est une condition sine qua non de l’incitation. De plus, la déclaration allègue plus précisément au paragraphe 22 que : « Sans l’influence de [la demanderesse] notamment en (…) acceptant (…) d’indemniser GDC (…), GDC n’aurait pas sélectionné [la défenderesse] (…). » En supposant comme je dois le faire, que cette allégation et d’autres allégations de la déclaration soient avérées, je ne suis pas convaincue qu’il n’y a aucun motif sur lequel une Cour pourrait se fonder pour conclure que les actes de la défenderesse ont influencé les actes de GDC au point où sans eux, GDC n’aurait pas accordé l’indemnité alléguée au Canada.

II.                Simples affirmations ou spéculation :

[10]           La défenderesse prétend que l’allégation dans le paragraphe 21 selon laquelle : [traduction] « C’est aussi une pratique courante et bien établie dans l’industrie de la défense que les contrats (…) contiennent [des clauses d’indemnisation] » est spéculative et non pertinentes pour des activités spécifiques de la défenderesse. Je suis convaincue que l’existence d’une pratique de l’industrie est une allégation de fait. Par ailleurs, cette allégation est d’une pertinence défendable puisqu’elle fournit une certaine base factuelle à l’allégation, dans le paragraphe suivant, que la défenderesse a en fait accepté d’indemniser GDC. L’allégation ne devrait pas être radiée.

[11]           La défenderesse s’élève aussi contre l’assertion, au paragraphe 24, selon laquelle, [traduction] « pendant toute la période pertinente [la défenderesse] était au courant du brevet 754 ». Cette allégation est, techniquement, une allégation d’un état d’esprit qui devrait être précisée en vertu de l’article 181. Cependant, je souligne que le défaut aurait été corrigé de manière plus adéquate par une demande de précisions. L’utilisation des requêtes partielles en vue d’obtenir la radiation ne devrait pas être encouragée lorsque le défaut peut être corrigé par une demande informelle de précisions. La Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour radier ce paragraphe.

[12]           Enfin, la défenderesse soutient que les paragraphes 46 à 48 de la déclaration spéculent de façon inappropriée au sujet de ce qu’elle pourrait faire à l’avenir. La défenderesse cite l’arrêt Faulding (Canada) Inc. c. Pharmacia S.p.A., 1998 82 CPR 3rd 435 à l’appui de son argument soutenant qu’il devrait être radié. Je suis d’accord avec les observations de la demanderesse à l’effet que les faits allégués dans ces paragraphes ne sont pas destinés à instituer une cause d’action spéculative, mais à appuyer une demande de certains types de dommages découlant des actes de contrefaçon présumés. Les actes de procédure ne plaident donc pas l’inadmissibilité d’une cause d’action spéculative. S’il existe un élément de prédiction quant au dommage qui pourrait à l’avenir résulter de la contrefaçon, il n’est pas, dans les circonstances, purement spéculatif ou inapproprié, étant donné que les pertes futures sont raisonnablement défendables comme des conséquences prévisibles d’un ensemble de facteurs passés et actuels spécifiquement plaidés.

III.             Faits pertinents

[13]           Les parties contestées des paragraphes 12, 13 et 17 renvoient à un processus d’approvisionnement distinct auprès d’un militaire étranger que le gouvernement du Canada avait prétendument étudié par rapport à un autre et rejeté en faveur du processus d’acquisition commercial concurrentiel qui a finalement abouti à la soumission que l’on prétend contrefaisante. Il n’y a rien dans la déclaration telle qu’elle est rédigée qui rendrait ce processus parallèle de quelque façon que ce soit important pour la cause d’action alléguée contre la défenderesse. La demanderesse n’a pas suggéré ou formulé la façon dont les allégations pourraient être importantes pour la cause d’action, elle s’est contentée d’affirmer qu’elles « font partie des circonstances de l’espèce » et « fournissent le contexte » du débat.

[14]           Je ne trouve aucune importance aux allégations selon lesquelles le gouvernement a envisagé un processus d’approvisionnement différent et a préféré la soumission que l’on prétend contrefaisante, même comme « contexte » ou comme faisant partie des circonstances entourant l’affaire. Cependant, les tribunaux sont généralement peu enclins à radier des paragraphes qui sont de simples « surplus » s’ils ne sont pas également préjudiciables (Apotex Inc. c. Glaxo Group Limited et al., 2001 ACF 1351). Je conclus que la présence de ces allégations dans la déclaration est préjudiciable au déroulement de cette action. Les faits allégués ne sont pas des faits dont la demanderesse a connaissance. Il ne s’agit pas de faits que la demanderesse contrôle ou qu’elle pourrait être autorisée à présenter à la Cour à sa propre discrétion comme des contextes factuels ou des faits contextuels. L’avocat de la demanderesse, dans ses observations orales et dans une tentative de donner aux allégations une apparence d’importance, a suggéré qu’une compréhension des raisons pour lesquelles le gouvernement avait préféré la soumission concurrentielle de GDC à celle reçue d’un militaire étranger pourrait, d’une manière ou d’une autre, jeter de la lumière sur ses allégations d’incitation. C’est de la pure spéculation et cela rejaillit sur les allégations comme un permis de pêche. Si elles sont autorisées à demeurer dans les actes de procédure, elles obligeraient la défenderesse à rechercher, à examiner et à divulguer tout document en sa possession, ou en la possession d’une autre tierce partie, qui pourrait être relatif à cet autre processus ou à la décision du gouvernement du Canada de choisir la soumission commerciale. La défenderesse ne devrait pas avoir à accomplir une tâche aussi ardue pour des allégations qui sont manifestement non pertinentes et sans importance.

[15]           Je n’ai pas de telles préoccupations quant aux parties contestées du paragraphe 14. La référence générale à GDC pour avoir lancé la demande de proposition pour le système que l’on prétend contrefait dans le cadre d’autres demandes de propositions pour « diverses composantes » du programme de mise à niveau est suffisamment contingente et vague qu’elle ne requiert raisonnablement pas la production de documents relatifs à ces autres demandes de propositions.

IV.             Prorogation de délai

[16]           La défenderesse demande une prorogation de délai de trente (30) jours suivant la date de la présente ordonnance pour signifier et déposer sa défense. La demanderesse prétend que 10 jours devraient suffire. Je suis convaincue que le délai de 21 jours est raisonnable et suffisant dans les circonstances.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  Les passages suivants soient radiés de la déclaration.

a.                   Le texte [traduction] « deux processus d’approvisionnement distincts. Un processus que le gouvernement du Canada a envisagé était un achat directement auprès d’un service militaire étranger et en particulier, la Force aérienne des États-Unis. Un second processus envisagé était au paragraphe 12;

b.                  Le texte « le second » dans la première phrase et toute la deuxième phrase ainsi que toute la troisième phrase du paragraphe 13;

c.                   Toute la première phrase du paragraphe 17.

2.                  Le délai au cours duquel la défenderesse doit signifier et déposer sa défense est prolongé de 21 jours suivant la date de la présente ordonnance.

3.                  L’action doit se poursuive sous une gestion spéciale de l’instance.

4.                  Les parties doivent, dans un délai de quinze (15) jours suivant la fin des plaidoiries déposer des observations écrites ainsi qu’un échéancier pour les prochaines mesures à prendre dans le cadre de cette instance.

5.                  Les dépens de 1 500 $, plus des débours, suivront l’issue de la cause.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-775-16

 

INTITULÉ :

ELBIT SYSTEMS ELECTRO-OPTICS ELOP LTD. c. SELEX ES LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AOÛT 2016

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 SEPTEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Andrew McIntosh

 

Pour la demanderesse

 

Kevin K. Graham

Dan Hnatchuk

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Smart & Biggar

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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