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Date : 20170117


Dossier : IMM-2462-16

Référence : 2017 CF 55

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

JOSEPH BITA OUYA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés du 18 mai 2016 par laquelle la Section d’appel des réfugiés a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen du Kenya âgé de 37 ans qui affirme être bisexuel. Ses anciens partenaires sont prénommés Thomas et Ben. Il a fréquenté Thomas à l’âge de 19 ou 21 ans. Il a fréquenté Ben de 2007 à 2015. Au mois de décembre 2013, il a toutefois épousé Sheila, son épouse, dans un mariage arrangé. Le 17 mai 2015, Sheila a surpris le demandeur au lit avec Ben. Ils ne s’adressaient plus la parole par la suite. Il n’en demeure pas moins qu’elle a rédigé une lettre détaillée pour appuyer la demande de visa canadien du demandeur. Le 25 juillet 2015, Sheila a trouvé un message texte de Ben sur le téléphone du demandeur. Elle a ensuite dit à son père et au frère du demandeur qu’il avait couché avec un homme. Le demandeur est entré dans la clandestinité et a ensuite fui le Kenya. Il est arrivé au Canada le 4 août 2015 et a demandé l’asile.

[3]  Le 18 novembre 2015, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de préoccupations relatives à la crédibilité.

[4]  Le 9 janvier 2016, un mandat d’arrestation visant le demandeur, daté du 8 janvier 2016 (le mandat), a été signifié à son épouse au Kenya.

I.  Les documents

[5]  La Section de la protection des réfugiés disposait notamment des documents suivants :

  • Un affidavit de l’épouse du demandeur, Sheila Ngele Kirangu (l’affidavit de Kirangu), décrivant son comportement avec Ben. Il a été fait sous serment le 18 août 2015 en présence de l’avocat et commissaire SW Ndegwa.

  • Un affidavit de l’ami du demandeur Geoffrey Nyamuro, fait sous serment le 18 août 2015 en présence du commissaire SW Ndegwa (l’affidavit de Nyamuro).

  • Un affidavit de William Nyakundi, fait sous serment le 21 août 2015 en présence d’Andambi Chabala, commissaire à l’assermentation (l’affidavit de Nyakundi).

  • Il sera fait référence à ces affidavits collectivement comme les « affidavits ».

  • Un document daté du 29 juillet 2015 préparé sur papier portant l’en-tête du service de police national, poste de police de Nyayo Stadium (l’avis du service de police).

  • Un document daté du 28 juillet 2015 préparé sur papier portant l’en-tête du bureau du président du service de l’administration provinciale et de la sécurité interne (l’avis du service de sécurité).

  • Il sera fait référence à ces documents collectivement comme les « avis ».

[6]  Devant la Section d’appel des réfugiés, les documents supplémentaires ci-après ont été admis en tant que nouveaux éléments de preuve :

  • Le mandat et son enveloppe.

  • Un affidavit de l’épouse du demandeur, fait sous serment le 9 février 2016, décrivant la signification du mandat (l’affidavit de l’épouse).

II.  Décision de la Section d’appel des réfugiés

[7]  L’appel à la Section d’appel des réfugiés portait uniquement sur le traitement par la Section de la protection des réfugiés des documents, notamment les affidavits et les avis décrits précédemment. La Section d’appel des réfugiés s’inquiétait de la similarité des signatures, de l’écriture et du libellé de l’affidavit de Kirangu et de l’affidavit de Nyakundi. De plus, aucune pièce d’identité à l’appui n’était jointe aux affidavits.

[8]  La Section d’appel des réfugiés a tiré les conclusions ci-après au sujet des avis :

  • Ce sont des lettres.

  • Ils devraient donc être adressés à l’attention du demandeur plutôt que de comporter la mention [traduction] « À qui de droit ».

  • L’avis en anglais du service de sécurité comporte une erreur typographique importante : le mot « CONCERN » est écrit « CONERN » dans l’objet.

  • Les deux avis comportent des erreurs de grammaire et d’orthographe.

[9]  La Section d’appel des réfugiés a aussi discuté des préoccupations cumulatives relatives à la crédibilité mentionnée par la Section de la protection des réfugiés et non visées par l’appel (les préoccupations supplémentaires). Les préoccupations supplémentaires comprenaient l’affirmation faite par le demandeur dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et à son psychologue selon laquelle il avait 19 ans lorsqu’il a eu ses premiers rapports sexuels avec Thomas. À l’audience, il a affirmé qu’il avait 21 ans et qu’il avait fréquentait Thomas à l’âge de 19 ans, mais n’avait pas de relations sexuelles. La Section de la protection des réfugiés a également rejeté cette explication.

[10]  La Section de la protection des réfugiés a aussi conclu que la crédibilité du demandeur était minée du fait que son formulaire FDA ne comportait aucune mention de ses éléments de preuve selon lesquels il voulait venir au Canada pour voir les Jeux panaméricains. La lettre d’appui de son épouse mentionnait toutefois les jeux. Enfin, la Section de la protection des réfugiés ne comprenait pas pourquoi son épouse aurait rédigé une lettre d’appui alors qu’ils ne se parlaient plus depuis qu’elle avait découvert l’existence de Ben. La Section d’appel des réfugiés partageait ces opinions.

[11]  La Section de la protection des réfugiés a aussi critiqué le demandeur à maintes reprises pour avoir témoigné de façon vague et évasive, et la Section d’appel des réfugiés a souscrit à ces observations.

III.  Questions en litige

[12]  Malgré les préoccupations supplémentaires, j’estime que l’élément déterminant de la décision de la Section d’appel des réfugiés était la conclusion qui y est énoncée selon laquelle les affidavits et les avis n’étaient pas authentiques et qu’aucune importance ne devait leur être accordée. C’est pour cette raison que la Section d’appel des réfugiés n’a pas pris en compte le mandat et l’affidavit de l’épouse. Ces deux documents sont au cœur de la demande d’asile du demandeur.

[13]  À cet égard, la Section d’appel des réfugiés a déclaré ce qui suit :

[traduction] Considérant les nombreuses conclusions non contestées quant à la crédibilité […] la conclusion selon laquelle le demandeur a présenté des lettres d’un service policier qui ne sont pas authentiques […] celle selon laquelle sa crédibilité générale a été minée et qu’il n’a présenté aucun document digne de foi et fiable pour étayer ses allégations, la Section d’appel des réfugiés juge non crédible l’affirmation du demandeur selon laquelle il est poursuivi par la police au Kenya en raison de son orientation sexuelle. La Section d’appel des réfugiés conclut que le mandat d’arrestation et l’affidavit de l’épouse du demandeur l’accompagnant ne dissipent pas les accablantes conclusions défavorables cumulatives quant à la crédibilité mentionnée dans les présents motifs.

[14]  En conséquence, la question qui se pose est celle de savoir si la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle les affidavits et les avis n’étaient pas authentiques était raisonnable.

IV.  Analyse et conclusions

[15]  À mon avis, le traitement par la Section d’appel des réfugiés des affidavits et des avis était déraisonnable.

[16]  Aucune conclusion défavorable ne peut raisonnablement être tirée de la similarité du texte, de l’écriture et des signatures sur l’affidavit de Nyamuro et sur l’affidavit de Kirangu. Cela s’explique du fait qu’ils ont tous deux été faits sous serment le même jour et devant le même avocat. Il est évident qu’ils ont tous deux été rédigés par Me Ngwega. Dans ces circonstances, les similarités dans le texte sont à prévoir, et l’écriture du commissaire est la même sur les deux affidavits parce qu’elle est celle du même auteur. Enfin, contrairement à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés, les signatures ne sont pas semblables – l’une est amplement verticale et l’autre est nettement horizontale.

[17]  La conclusion de la Section d’appel des réfugiés concernant les affidavits est également déraisonnable parce que rien n’exige qu’une pièce d’identité soit jointe à un affidavit fait sous serment. Chaque déposant fournit son nom et son adresse sous serment. En l’absence de tout élément de preuve contredisant ces déclarations, elles suffisent à établir l’identité.

[18]  Pour ce qui est des avis, il importe de souligner que la Section de la protection des réfugiés les a incorrectement qualifiés de lettres et que la Section d’appel des réfugiés en a fait autant. La transcription démontre qu’ils étaient appelés « documents » au départ et qu’ils ont été qualifiés de lettres pour la première fois par le commissaire de la Section de la protection des réfugiés, à la page 46. Il s’agit là d’une erreur fondamentale qui a fait naître des préoccupations erronées concernant le fait qu’ils n’étaient pas adressés à l’attention du demandeur. Il est évident que les avis constituent une mise en garde visant le demandeur et adressée au public qui est invité à signaler sa présence. Cela dit, le fait qu’ils comprennent des erreurs typographiques et une grammaire boiteuse en dit très peu sur leur authenticité. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que les avis publics reçoivent la même attention que la correspondance privée.

[19]  Ces conclusions ont permis de conclure qu’il était aussi déraisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de ne pas prendre en compte le mandat et l’affidavit de l’épouse.

V.  Question à certifier

[20]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.

VI.  Conclusion

[21]  La demande sera accueillie.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’appel sera examiné de nouveau par un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2462-16

 

INTITULÉ :

JOSEPH BITA OUYA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Sina Ogunleye

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lori Hendricks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sina Ogunleye

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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