Date : 20170119
Dossier : IMM-2828-16
Référence : 2017 CF 71
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2017
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
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DAMARIS GUGLIOTTI
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Damaris Gugliotti (la demanderesse) au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision datée du 16 juin 2015 rendue par un agent des visas (l’agent), décision par laquelle le rejet initial de la demande de résidence permanente (RP) au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) présentée par la demanderesse a été confirmée à la suite d’un réexamen (la décision de réexamen) parce que la demande était incomplète au sens des articles 10 et 12.01 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).
[2]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.
II.
Exposé des faits
[3]
La demanderesse est une citoyenne du Brésil, âgée de 27 ans. Avant son arrivée au Canada, la demanderesse a obtenu un baccalauréat en sciences d’un établissement postsecondaire au Brésil, qui est l’équivalent d’un diplôme d’études postsecondaires de quatre ans au Canada. Pendant ses études au Brésil, la demanderesse travaillait à temps plein comme adjointe administrative dans une école secondaire de Sao Paulo de janvier 2009 à décembre 2010.
[4]
La demanderesse est arrivée au Canada en janvier 2011 afin de poursuivre ses études. Elle a terminé le programme de trois ans du Collège George Brown et a obtenu un diplôme en administration des affaires. La demanderesse a obtenu un permis de travail de trois ans au titre du Programme de travail postdiplôme, permis qui a été renouvelé en octobre 2016. Elle a travaillé au Collège dans un poste de soutien administratif de janvier 2012 à juillet 2014, puis en tant qu’agente de placement clinique à temps partiel de façon continue, environ 24 heures par semaine, d’août 2014 à mars 2016.
[5]
Le 20 février 2016, la demanderesse a créé un profil Entrée express (EE) auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) afin de présenter une demande de résidence permanente. Elle a reçu ce qui semble être une lettre type dans laquelle on lui donnait des directives sur les prochaines étapes à suivre, lettre qui indiquait ce qui suit :
Selon les réponses que vous avez indiquées, il semblerait que vous soyez admissible à entrer au Canada en tant qu’immigrant qualifié.
[6]
Le 24 février 2016, la demanderesse a reçu une autre lettre de CIC, dans laquelle on l’informait qu’elle avait obtenu un pointage total de 465 et on l’invitait à présenter une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).
[7]
Le ou vers le 17 mars 2016, la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente en ligne. Le même jour, elle a reçu une lettre type qui indiquait que CIC avait reçu sa demande de résidence permanente. La demanderesse a présenté, dans le cadre de sa demande, les documents suivants, qui revêtent une importance particulière dans le présent contrôle judiciaire en tant que preuve qu’elle avait suffisamment de fonds pour immigrer :
Un état financier de TD Canada Trust confirmant les épargnes et les placements, et le solde impayé de sa carte de crédit;
Des relevés de fonds commun de placement de TD Canada Trust accompagné d’un historique du solde de 18 mois. Ce fonds commun de placement était évalué à 18 186 $ CA et affichait un solde de 18 000 $ au 1er décembre 2014;
Un fonds commun de placement sous la forme d’un compte d’épargne libre d’impôt à TD Canada Trust dont le solde actuel affiche 8 251 $ CA accompagné d’un historique du solde de 18 mois depuis le 1er décembre 2014;
Un fonds commun de placement à TD Canada Trust dont la valeur actuelle s’élève à 7 727 $ CA accompagné d’un historique du solde depuis août 2015;
Un compte-chèques américain à intérêt quotidien dont le solde actuel s’élève à 774 $ CA;
Un compte-chèques à opérations quotidiennes de la Banque TD dont le solde actuel s’élève à 854 $ CA.
[8]
Ces documents, combinés, démontraient que la demanderesse détenait plus de 43 000 $ CA dans divers comptes canadiens. Il n’est pas contesté que, si les documents qu’elle a présentés avaient été acceptés, elle avait plus de fonds que requis pour répondre à l’exigence du programme selon laquelle elle devait posséder environ 12 000 $ en fonds non grevés.
[9]
Le 2 mai 2016, la demanderesse a reçu une lettre de CIC dans laquelle on indiquait que sa demande avait été rejetée parce qu’elle n’avait pas présenté une preuve valide de la disponibilité de fonds.
[10]
L’avocat de la demanderesse a communiqué avec le directeur intérimaire à l’administration centrale nationale de CIC le 3 mai 2016 afin d’obtenir des précisions sur l’« erreur manifeste »
dans la décision initiale : on lui a répondu d’envoyer une « demande de renseignements par formulaire Web »
(ou une « demande de renseignements propre à un dossier »
). L’avocat de la demanderesse a présenté cette demande de renseignements le 19 mai 2016, en y joignant une copie des documents originaux déjà présentés démontrant la disponibilité des fonds et a demandé une nouvelle évaluation.
[11]
La demande de renseignements a été reçue le 31 mai 2016; le 16 juin 2016, le rejet initial de la demande présentée par la demanderesse a été confirmé à la suite d’un réexamen (décision de réexamen).
[12]
Au moyen d’un affidavit présenté dans le cadre du contrôle judiciaire, le directeur intérimaire d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada indique que l’exigence mise à jour pour la preuve de fonds pour l’établissement est indiquée dans une zone de texte située dans le formulaire de demande en ligne rempli par la demanderesse. Une capture d’écran de cette fenêtre contextuelle d’aide est jointe en tant que pièce à l’affidavit.
[13]
Il n’est pas contesté que la demanderesse avait accès au contenu de la zone de texte suivante quand elle a présenté sa demande. Cette zone de texte est rédigée ainsi :
Entrée express – Résidents permanents
Si vous présentez une demande de résidence permanente au Canada, vous devez présenter une lettre officielle de votre institution financière qui présente votre profil financier. Cette lettre doit :
• dresser la liste de tous vos comptes bancaires (chèque et épargne) et de placement; pour chacun de ces comptes, prière d’indiquer le numéro de compte, la date d’ouverture et le solde au cours des six derniers mois;
• dresser la liste de toutes les dettes actives, comme les cartes de crédit et les prêts;
• être imprimée sur du papier à en-tête de l’institution financière et inclure votre nom et les coordonnées de l’institution financière (adresse, numéro de téléphone et adresse courriel).
[Non souligné dans l’original]
[14]
Nonobstant cet avis, la demanderesse n’a pas présenté de « lettre officielle »
comme il est exigé dans le formulaire en ligne. La demanderesse a plutôt présenté des documents téléchargés du site Web de son institution financière sans joindre une lettre officielle ou les coordonnées d’une personne-ressource de la banque. Elle a effectivement présenté tous les renseignements financiers requis, mais sans la lettre officielle requise à l’appui de sa demande.
III.
Décision
[15]
Le 2 mai 2016, la demanderesse a reçu une lettre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Cette décision indiquait ce qui suit dans la partie pertinente :
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a examiné votre demande de résidence permanente. Nous avons déterminé que votre demande ne répond pas aux exigences d’une demande complète, comme il est décrit aux articles 10 et 12.01 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Votre demande est rejetée au motif qu’elle est incomplète.
En particulier, votre demande ne comprend pas les éléments qui suivent :
Preuve de fonds
Vous n’avez pas fourni de documents valides pour montrer que votre preuve de fonds a été vérifiée. Les demandes présentées sans ces documents obligatoires ne peuvent être considérées comme complètes.
Remarque : Votre demande n’a pas fait l’objet d’un examen complet. Il est possible que d’autres éléments qui ne sont pas indiqués ci-dessus soient aussi manquants ou incomplets.
[Souligné dans l’original.]
[16]
Dans la lettre de décision, on informait la demanderesse qu’elle devrait présenter un nouveau profil d’Entrée express en ligne si elle souhaitait toujours s’installer au Canada en tant qu’immigrante qualifiée. On lui indiquait que les frais qu’elle avait payés dans le cadre de sa demande lui seraient remboursés.
[17]
Les notes pertinentes indiquées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] indiquent ce qui suit :
Le dossier ne répond pas aux exigences de l’art. 10 du Règlement. ***EXAMEN PAR L’AGENT*** PREUVE DE FONDS CLIENT N’A PAS PRÉSENTÉ DES DOCUMENTS VALIDES DÉMONTRANT LA PREUVE DE FONDS Lettre de rejet envoyée par MonCIC. Dossier attribué aux fins de remboursement des frais.
[18]
Le 16 juin 2016, après avoir présenté sa demande de réexamen, la demanderesse a reçu la décision de réexamen d’IRCC, qui l’informait que le rejet initial de sa demande serait maintenu. En voici le passage pertinent :
Nous avons examiné le bien‑fondé de votre demande, conformément à l’article applicable de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et il a été déterminé qu’elle était incomplète. Votre demande de réexamen a été étudiée et un réexamen rigoureux de votre demande a été mené. La décision demeure la même et votre demande ne sera pas rouverte.
Pour montrer une preuve de fonds valide, le demandeur doit présenter une lettre officielle d’au moins une institution financière, qui dresse la liste de tous les comptes bancaires et des comptes de placement, ainsi que des dettes actives comme les cartes de crédit et les prêts.
[Non souligné dans l’original]
Une lettre expliquant les motifs de ce rejet a été envoyée à votre compte MonCIC le 2 mai 2016, mettant ainsi définitivement un terme à votre demande.
Remarque : les observations additionnelles ou tout renseignement différent ou nouveau que vous présentez après l’examen original de votre demande ne seront pas pris en compte.
[Souligné dans l’original.]
[19]
Le contrôle judiciaire sollicité par la demanderesse vise la décision de réexamen.
IV.
Questions en litige
[20]
La présente affaire soulève les questions suivantes :
L’affidavit du directeur intérimaire devrait-il être radié au complet?
L’agent a-t-il commis un manquement au principe d’équité procédurale en ne prévenant pas la demanderesse des préoccupations entourant l’authenticité des documents financiers présentés?
L’agent a-t-il fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou a-t-il fait fi de manière déraisonnable des éléments de preuve présentés par la demanderesse en tant que preuve de fonds pour l’établissement?
V.
Norme de contrôle
[21]
Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi, aux paragraphes 57 et 62, qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »
. La décision d’un agent à l’égard d’une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 571, au paragraphe 18; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 678, au paragraphe 9 [Kaur]). La Cour doit faire preuve « d’une très grande retenue »
à l’égard de telles décisions : Kaur, précité, au paragraphe 9.
[22]
Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :
La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[23]
Les questions d’équité procédurale sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :
Une cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
[24]
La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34). De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte, et au vu du dossier, est raisonnable (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).
VI.
Dispositions pertinentes
[25]
Le paragraphe 76(1) du Règlement, qui régit les critères de sélection de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est rédigé ainsi :
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[26]
Les articles 10 et 12.01 du Règlement indiquent ce qui suit (passages pertinents) :
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VII.
Discussion
L’affidavit du directeur intérimaire devrait-il être radié au complet?
[27]
L’arrêt de principe en ce qui concerne l’ajout d’éléments au dossier dans un contrôle judiciaire est l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, où la Cour d’appel fédérale confirme qu’un contrôle judiciaire est généralement tranché en fonction du dossier, que l’on ne peut compléter par une preuve par affidavit dont le décideur n’était pas saisi. Une exception est toutefois prévue à l’alinéa 20b) de la décision précitée concernant la preuve « nécessaire pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale […] »
[citations omises]. À mon avis, il est tout aussi possible de présenter des éléments de preuve d’iniquité procédurale qui ne figuraient pas au dossier dans le cadre d’un contrôle judiciaire que de présenter des éléments de preuve afin de réfuter une allégation d’iniquité procédurale; autrement, le simple fait d’alléguer un manquement à l’équité procédurale contraindrait la cour de révision à accueillir le contrôle judiciaire.
[28]
À mon humble avis, la portion de l’affidavit à laquelle on fait référence, c.‑à‑d. le premier paragraphe, est admissible afin de réfuter l’allégation de manquement au principe d’équité procédurale de la demanderesse. Comme il a déjà été indiqué, la demanderesse n’a pas contesté le fait que la zone de texte mentionnait de soumettre des renseignements financiers et une « lettre officielle »
de l’institution financière [traduction] « imprimée sur du papier à en‑tête de l’institution financière et inclure votre nom et les coordonnées de l’institution financière »
.
[29]
Le reste de l’affidavit, qui est très court, vise à justifier que l’exigence de fournir une « lettre officielle »
n’est pas admissible; il aborde le bien‑fondé de la décision et ne peut donc pas être admis en tant que nouvel élément de preuve.
L’agent a-t-il commis un manquement au principe d’équité procédurale en ne prévenant pas la demanderesse des préoccupations entourant l’authenticité des documents financiers présentés?
[30]
On allègue que l’agent des visas aurait dû informer la demanderesse qu’elle n’avait pas présenté de preuve de fonds d’établissement ayant fait l’objet d’une vérification adéquate en lui envoyant une lettre d’équité procédurale : Naqvi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 503, au paragraphe 18; Bakhtiana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 190 FTR 275 (CF), au paragraphe 20.
[31]
Cet argument est dénué de fondement. À mon humble avis, on a informé la demanderesse qu’elle devait présenter une lettre officielle avant d’envoyer sa demande; elle a reçu cet avis sous la forme d’un énoncé clair indiqué dans une zone de texte du formulaire en ligne qu’elle a utilisé pour présenter ses documents. Je ne parviens pas à conclure qu’il y a eu iniquité dans le fait de ne pas informer la demanderesse d’une exigence pour laquelle elle avait déjà reçu un avis précis.
[32]
Quoi qu’il en soit, le défendeur a effectivement examiné l’affaire à la demande de la demanderesse, ce qui signifie qu’il a effectivement traité le refus initial comme une occasion de présenter une nouvelle demande au besoin. Malheureusement, la demanderesse a présenté les mêmes documents à la deuxième occasion, ne respectant pas non plus les exigences indiquées dans la zone de texte du formulaire en ligne.
L’agent a-t-il fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou a-t-il fait fi de manière déraisonnable des éléments de preuve présentés par la demanderesse en tant que preuve de fonds d’établissement?
[33]
En dépit des observations très valables formulées par l’avocat de la demanderesse, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’un cas où l’agent a fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu’il a fait fi des éléments de preuve de manière déraisonnable. Ces deux observations reposent sur l’argument sous‑tendant qu’IRCC (le ministère) n’a pas le pouvoir de déterminer le poids relatif à accorder aux documents présentés à l’appui des demandes de résidence permanente. Toujours selon cet argument, cette détermination préalable requiert une approbation réglementaire particulière.
[34]
Je souscris à l’opinion de la demanderesse selon laquelle le Règlement ne précise pas la manière dont il faut présenter la preuve liée aux renseignements financiers requis. Même si le Règlement prévoit effectivement l’exigence de présenter une preuve de la disponibilité de fonds pour l’établissement, il ne précise pas ce qui est accepté ou pas en tant que preuve; il reste muet sur les façons dont un demandeur peut s’acquitter de l’obligation de montrer qu’il a suffisamment de fonds pour s’établir au Canada. Les parties s’entendent sur ce point et il en est de même de la Cour.
[35]
Il ne fait aucun doute, cependant, et il est de droit constant de souligner qu’il incombe aux agents des visas d’évaluer et de pondérer les documents présentés à l’appui de demandes. Cette responsabilité découle de leur obligation de trancher sur le bien‑fondé d’une demande qui leur est présentée.
[36]
Il est aussi de droit constant de préciser que, si l’agent des visas a des préoccupations quant à l’authenticité des documents et qu’il demande de manière raisonnable à obtenir des renseignements supplémentaires pour évaluer ou pondérer les éléments de preuve présentés, le demandeur peut présenter ces renseignements ou être prêt à ce que sa demande soit rejetée. Rien ne permet de croire qu’un agent des visas doit obtenir une approbation réglementaire avant de demander de manière raisonnable une vérification plus approfondie; le pouvoir de demander plus d’information, en supposant qu’il est exercé de manière raisonnable, découle directement de l’obligation de l’agent d’évaluer et de pondérer les éléments de preuve dont il est saisi et, selon moi, y est inextricablement lié.
[37]
C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Il s’agit d’une politique d’IRCC, qui, en tant que ministère, a déterminé qu’il voulait obtenir certains renseignements (en l’espèce, une preuve de renseignements financiers à l’appui des fonds requis pour l’établissement), présentés avec une vérification du demandeur (qui doit vérifier tous les renseignements qu’il présente) et de l’institution financière elle-même, soit une « lettre officielle »
indiquant les cordonnées de son représentant qui l’a signée. Il est évident que ces renseignements permettraient facilement à l’agent des visas de faire preuve de diligence raisonnable, s’il le souhaitait, en menant une vérification auprès de l’institution financière.
[38]
Il me semble que s’il est raisonnable pour un agent des visas de demander à mener une vérification supplémentaire, IRCC peut en faire de même.
[39]
Je préciserais que personne n’a sous-entendu que le fait d’exiger ce niveau supplémentaire de vérification était déraisonnable d’une façon ou d’une autre; un demandeur n’a qu’à demander à son institution financière d’envoyer une lettre officielle liée à ses dossiers, ce qui est très raisonnable à mon humble avis. C’est la même chose que de demander à une personne qui présente la photocopie d’un titre de propriété d’en fournir une copie notariée lorsqu’il est raisonnable de le faire ou de demander à une personne qui présente la photocopie d’une lettre de présenter l’original, s’il est raisonnable de faire. Et, selon moi, même si les exigences de vérification sont connues avant ou après la présentation des documents, cela ne change rien même si le bon sens porte à croire qu’il est souhaitable que tous les demandeurs le sachent à l’avance, comme c’était le cas en l’espèce.
[40]
Je retiens intégralement l’idée selon laquelle les agents doivent tenir compte adéquatement des éléments de preuve pertinents au dossier, notamment des documents confirmant que le demandeur possède des fonds suffisants pour s’établir au Canada : Lackhee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1270, au paragraphe 16; Gay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1280, aux paragraphes 29 à 31. Cela étant dit, je ne vois pas en quoi le fait d’exiger quelque niveau de preuve particulier constitue d’une façon ou d’une autre un défaut déraisonnable de tenir compte des renseignements pertinents. De même, je ne suis pas d’avis qu’il s’agit d’un cas d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire (L’entreprise Paturel International c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 541).
[41]
En examinant la décision comme un tout, et en tenant compte du dossier présenté en l’espèce, je suis parvenu à la conclusion que la décision rendue par l’agent appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme le prescrit l’arrêt Dunsmuir. Je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.
VIII.
Question certifiée
[42]
Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.
IX.
Conclusions
[43]
La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée et il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.
« Henry S. Brown »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 29e jour de novembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-2828-16
|
INTITULÉ :
|
DAMARIS GUGLIOTTI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 10 janvier 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE BROWN
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 19 janvier 2017
|
COMPARUTIONS :
David Orman
|
Pour la demanderesse
|
Hilary Adams
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Orman
Avocat
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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