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Date : 20170104


Dossier : T-1798-15

Référence : 2017 CF 10

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2017

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

DARREN EDWARD BLAIR

demandeur

et

LA DÉFENSE NATIONALE (CHEF D’ÉTAT MAJOR DE LA DÉFENSE)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  M. Darren Edward Blair est entré dans les Forces armées canadiennes en 1989 et en a fait partie jusqu’à sa libération volontaire au mois d’avril 2000. Il a joint de nouveau les Forces armées canadiennes au mois de mars 2003 et a finalement été libéré le 11 novembre 2010, parce qu’il était, aux termes de l’alinéa 5f) du chapitre 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), inapte à continuer son service militaire en raison d’une consommation abusive d’alcool, à la suite d’un certain nombre d’incidents liés à l’alcool.

[2]  Il a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision du chef d’état-major de la défense (CEMD), en date du 21 août 2016, dans laquelle son grief a été rejeté et sa libération des Forces armées canadiennes confirmée.

II.  Question préliminaire

[3]  Le demandeur indique dans son avis de demande que les mesures de réparation qu’il sollicite sont le contrôle et la restitution. Toutefois, dans son mémoire des faits et du droit, il discute de l’octroi de dépens dans les cas où une décision est annulée lors d’un contrôle judiciaire, mais demande ensuite que des dommages-intérêts proportionnels à sa durée de service lui soient accordés pour sa libération injustifiée et pour rupture de contrat.

[4]  Le demandeur ne peut pas demander à notre Cour, dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, une « restitution » ou des « dommages-intérêts ». Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, dispose que, sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, les pouvoirs de notre Cour sont les suivants :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

[5]  En plus de la réparation pécuniaire demandée, il n’est pas clair à la lumière du mémoire des faits et du droit du demandeur s’il demande que la décision soit infirmée, annulée et renvoyée pour un nouvel examen, ou s’il demande sa réintégration dans les Forces armées canadiennes.

III.  Exposé des faits

[6]  En septembre 1990, le demandeur a reçu un avertissement écrit pour avoir [traduction« agi de manière antagoniste envers un pair », à la suite d’une altercation avec un intimidateur dans sa classe. Le demandeur a signalé l’incident, et en retour, l’intimidateur allégué a porté des accusations contre lui. En conséquence, ils ont tous deux reçu un avertissement écrit.

[7]  En avril 1991, le demandeur a été interrogé par un conseiller en alcoolisme et en toxicomanie de la base, qui a lui a recommandé de cesser de consommer de l’alcool, d’assister régulièrement aux réunions des Adult Children of Alcoholics (enfants adultes d’alcooliques), et de participer à la prochaine Intervention au niveau secondaire en matière de drogues et d’alcool.

[8]  En juillet 1991, le demandeur a reçu un deuxième avertissement écrit, pour avoir [traduction] « omis de prendre des décisions personnelles rationnelles et responsables » pour plusieurs raisons, dont certaines étaient liées à l’alcool. Ensuite, en novembre, alors qu’il traitait le demandeur pour des blessures légères subies lors d’une bagarre, le professionnel traitant a constaté que le demandeur présentait [traduction] « une forte odeur d’alcool ». Le demandeur a subi une autre blessure alors qu’il avait bu, en mars 1993, lorsqu’il a tenté de frapper quelqu’un avec une bouteille de bière.

[9]  En septembre 1993, le demandeur a reçu un troisième avertissement écrit, là encore en raison d’une consommation abusive d’alcool.

[10]  Quatre ans plus tard, le demandeur a été soumis à une évaluation pour consommation abusive d’alcool. À la suite de cette évaluation, il a été astreint à un régime de mise en garde et de surveillance. Il a déposé un grief pour contester cette mesure corrective, et la mise en garde et la surveillance ont par la suite été annulées et radiées de son dossier.

[11]  En 1999, le demandeur s’est porté volontaire afin d’être traité concernant des problèmes liés à l’alcool, après plusieurs interactions négatives liées à l’alcool alors qu’il était en service à Porto Rico.

[12]  En avril, le demandeur a discuté avec son superviseur d’une possible libération volontaire des Forces armées canadiennes. Le superviseur a expliqué que si le demandeur demandait son réenrôlement dans les Forces armées canadiennes, ce serait conditionnel à la prise en charge de sa consommation abusive d’alcool. Il a ensuite été volontairement libéré des Forces armées canadiennes. Quelques années plus tard, il a présenté une demande pour être réenrôlé dans les Forces armées canadiennes, demande pour laquelle il devait présenter une preuve selon laquelle il [traduction] « ne souffrait d’aucune complication découlant d’une consommation abusive d’alcool ».

[13]  Au cours des années qui ont suivi, le demandeur a vécu un certain nombre d’incidents liés à l’alcool pendant qu’il faisait partie des Forces armées canadiennes :

  En 2007, alors qu’il était sous l’influence de l’alcool, il a fait preuve de violence verbale à l’égard d’un caporal.

  En 2009, il a été arrêté pour ivresse, infraction prévue à l’alinéa 97(2)b) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5.

  En 2010, il a été allégué qu’il était ivre et qu’il a agressé des subordonnés pendant une formation.

[14]  Par conséquent, le demandeur a été retiré du programme de formation et renvoyé à son unité. Il a été de nouveau convoqué à une évaluation médicale en lien avec sa consommation d’alcool.

[15]  En mai 2010, le demandeur a reçu un avis d’intention de recommander la libération du demandeur aux termes de l’alinéa 5f) du chapitre 15.01 des ORFC, au motif qu’il était inapte à continuer son service militaire en raison toujours d’une consommation abusive d’alcool.

IV.  Contexte procédural

[16]  À la suite de l’avis d’intention de recommander la libération du demandeur, le commandant du demandeur a recommandé sa libération au Directeur – Administration (Carrières militaires) (le Directeur). Le Directeur a ensuite ordonné la tenue d’un examen administratif, dans le cadre duquel la libération du demandeur a été recommandée. En réponse aux observations du demandeur, le commandant a modifié sa recommandation de libération en faveur d’une mise en garde et surveillance. Malgré cette recommandation, le Directeur a approuvé, le 29 septembre 2010, la libération du demandeur.

[17]  Le demandeur a déposé un grief concernant sa libération. Le grief a été rejeté par l’autorité initiale, le directeur général – Carrières militaires (par intérim), le 30 mai 2011. Le demandeur a demandé le renvoi de son grief à l’autorité de dernière instance.

[18]  Le demandeur a présenté des observations au Comité des griefs des Forces canadiennes, qui a conclu à l’existence de manquements à l’équité procédurale au cours de l’examen administratif. Le Comité des griefs a conclu que la tenue d’une audience de novo ne pourrait remédier à ces manquements. Par conséquent, le Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes (le Directeur général) a recommandé que l’autorité de dernière instance annule la décision de l’autorité initiale, de même que la décision du Directeur, ainsi que l’examen administratif. De plus, il a recommandé que l’autorité de dernière instance procède à un examen de novo du grief. Le demandeur a présenté d’autres observations, et la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue le 21 août 2015.

V.  Décision contestée

[19]  Le 21 août 2015, le CEMD a jugé que la libération du demandeur était conforme aux règles, règlements et politiques applicables et a refusé d’accorder la réparation sollicitée. En fonction des éléments de preuve dont il disposait, le CEMD a conclu que la libération du demandeur, en application de l’alinéa 5f), était raisonnable et justifiée, compte tenu de sa conduite tout au long de sa carrière dans les Forces armées canadiennes.

A.  Équité procédurale

[20]  En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, le CEMD a souligné que deux incidents s’étaient produits au cours du processus de libération du demandeur, lesquels constituaient des manquements au principe de l’équité procédurale :

  Le Comité d’évaluation des progrès a examiné les allégations qui pesaient contre le demandeur sans l’informer des allégations et lui offrir l’occasion d’y répondre.

  Le Directeur n’a pas suffisamment justifié sa décision et avait tenu compte à tort d’une mesure corrective qui avait déjà fait l’objet d’un grief et avait été annulée.

[21]  Le CEMD a conclu que le Comité des griefs des Forces canadiennes avait eu tort de recommander l’annulation de la libération en s’appuyant sur l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; les membres du Comité des griefs ont interprété l’arrêt Dunsmuir comme enseignant que, lorsqu’une décision est entachée d’un manquement à l’équité procédurale dans le processus décisionnel, l’auteur du grief doit être réintégré au poste qu’il occupait au moment du différend à l’origine du grief.

[22]  Le CEMD a expliqué dans les motifs de sa décision que le Comité des griefs des Forces canadiennes n’avait pu profiter des éclaircissements de l’arrêt McBride v Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181, qui a permis de dissiper la confusion découlant de l’arrêt Dunsmuir. Le CEMD a affirmé que, dans l’arrêt McBride, la Cour a expliqué que tout manquement à l’équité procédurale survenu dans le processus décisionnel pouvait être corrigé si les quatre principes fondamentaux de l’équité procédurale étaient appliqués lors de l’examen de novo de l’ensemble du dossier.

[23]  Par conséquent, le CEMD a affirmé avoir procédé à un examen de novo du dossier du demandeur, sans tenir compte des éléments de preuve en faute, et avoir fourni des motifs suffisants, de sorte que le manquement antérieur à l’équité procédurale avait été corrigé.

B.  Libération en application de l’alinéa 5f)

[24]  Le CEMD devait déterminer si la décision de libérer le demandeur en application de l’alinéa 5f) était appropriée dans les circonstances.

[25]  D’abord, il a précisé que le demandeur avait confondu dans le grief la [traduction« dépendance à l’alcool » avec la [traduction] « consommation abusive d’alcool ». Le demandeur a allégué qu’aucun élément de preuve n’étayait sa dépendance affirmée à l’alcool. L’allégation portée contre lui concernait toutefois la consommation abusive d’alcool. Le CEMD a jugé qu’il existait de nombreux exemples appuyant cette allégation, et que la question avait été portée à l’attention du demandeur à plusieurs reprises.

[26]  Le CEMD a aussi affirmé qu’il existait de nombreux exemples de sa conduite inacceptable alors qu’il était sous l’influence de l’alcool, de comportement belligérant, de consommation abusive d’alcool et d’arrestations pour ébriété. Plus précisément, le CEMD a tenu compte des quatre recommandations en vue d’une évaluation de la consommation abusive d’alcool du demandeur.

[27]  Le CEMD a affirmé que la décision de faire de telles recommandations ne sont pas faites à la légère, et que le fait qu’il y en ait quatre au dossier du demandeur indique que les chaînes de commandement successives avaient constaté la gravité de sa consommation abusive d’alcool et s’en inquiétaient. Le CEMD a ajouté que, malgré les observations du demandeur présentées au Comité des griefs des Forces canadiennes, selon lesquelles sa conduite et son rendement ont été supérieurs à la norme tout au long de sa carrière, même un rendement exemplaire ne peut excuser une mauvaise conduite, puisque les résultats possibles de cette conduite l’emportent de loin sur l’avantage opérationnel de ce rendement.

[28]  Le CEMD s’est dit en désaccord avec la décision du commandant d’annuler sa recommandation en faveur de la libération du demandeur lorsque la mise en garde et la surveillance ont été annulées. À son avis, [traduction] « [l]es mesures administratives sont entreprises en vertu de règlements, d’ordonnances, d’instructions ou de politiques. En plus des mesures correctives indiquées dans la présente DOAD, les mesures administratives comprennent : […] la libération ou la recommandation de libération, selon le cas » (DOAD 5019-4, Mesures correctives, alinéa 3.10f)). La DOAD 5019-4 indique ce qui suit : « [u]ne autorité de mise en œuvre peut également, dans des circonstances exceptionnelles, entreprendre une mesure administrative autre qu’une mesure corrective malgré l’absence de mesures correctives entreprises antérieurement à l’égard du militaire » (DOAD 5019-4, Mesures correctives, article 4.7).

[29]  Enfin, le CEMD a affirmé qu’il ne devrait être permis en aucune circonstance à un membre des Forces armées canadiennes possédant le dossier du demandeur de demeurer dans les Forces armées canadiennes, sans une indication manifeste d’une amélioration, pour une certaine période, pendant laquelle aucune mesure plus grave n’est prise. L’annulation de la mise en garde et de la surveillance ne rendait pas la libération du demandeur déraisonnable.

VI.  Questions en litige

[30]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. L’examen de novo a-t-il permis de remédier aux manquements antérieurs à l’équité procédurale?

  2. La décision du CEMD de confirmer la libération du demandeur était-elle raisonnable?

VII.  Norme de contrôle

[31]  La norme de contrôle applicable aux décisions du CEMD est celle de la décision raisonnable, puisqu’elles concernent des questions mixtes de fait et de droit (Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32, au paragraphe 52; Canada (Procureur général) c Rifai, 2015 CAF 145, au paragraphe 2). Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Higgins, précité, au paragraphe 58; McBride, précité, au paragraphe 32).

VIII.  Discussion

A.  L’examen de novo a-t-il permis de remédier aux manquements antérieurs à l’équité procédurale?

[32]  Le demandeur se représentait lui-même lorsqu’il a déposé son mémoire des faits et du droit, mais il était représenté par un avocat à l’audience.

[33]  L’avocat du demandeur a soutenu qu’un manquement à l’équité procédurale repose sur le fait qu’on n’a pas offert au demandeur une occasion juste de fournir des observations à chaque étape du processus administratif. Il repose aussi sur le fait que le demandeur n’a pas reçu une décision bien justifiée relative à son grief. Même s’il reconnaît qu’une audience de novo pourrait permettre de remédier à un manquement à l’équité procédurale, il a affirmé qu’étant donné que les renseignements qui devaient être retranchés du dossier du demandeur n’étaient pas caviardés, de sorte que le CEMD ne pouvait y avoir accès, ce dernier n’a pas tenu une véritable audience de novo.

[34]  L’avocat du demandeur s’est appuyé en grande partie sur les conclusions et recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité externe) du 9 février 2012. En raison des manquements antérieurs à l’équité procédurale de la part du Directeur, le Comité externe a recommandé que le grief du demandeur soit accueilli et qu’il ne soit pas libéré des Forces armées canadiennes. Le Comité externe a conclu que la décision de libérer le demandeur était nulle ab initio en raison de ces manquements à l’équité procédurale, mais qu’il était [traduction] « permis au [CEMD] de mener un examen équitable sur le plan procédural des circonstances et que toute décision prise entrera[it] en vigueur à la date de la nouvelle décision […] du [CEMD] […] » (dossier certifié du tribunal, page 144). Quant au caractère raisonnable de la décision du Directeur, le Comité externe a proposé que certains faits ne soient pas examinés, puisqu’ils n’étaient ni prouvés, ni pertinents. Le Comité externe a également proposé que les conclusions du Comité d’évaluation des progrès ne soient pas prises en considération, puisque le demandeur n’avait pas eu la possibilité d’examiner les éléments de preuve et de présenter des observations.

[35]  Tout d’abord, le CEMD n’est pas lié par les recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires (Loi sur la défense nationale, au paragraphe 29.13(1); Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 775, au paragraphe 32). À mon avis, il était permis au CEMD de s’appuyer sur l’arrêt McBride. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’examen de novo effectué par le CEMD avait permis de remédier au manquement à l’équité procédurale.

[36]  L’arrêt McBride a été repris dans plusieurs affaires portant sur des décisions du CEMD, et notamment dans la décision Walsh, où la Cour fédérale a confirmé l’approche adoptée par le CEMD et a affirmé que « un examen de novo suffira pour remédier à un manquement à l’équité procédurale lorsque la procédure, examinée dans son ensemble, était équitable » (Walsh, précité, au paragraphe 51).

[37]  Le demandeur a présenté des observations à toutes les étapes du processus de règlement du grief, et plusieurs mesures ont été prises pour permettre au demandeur de comprendre la preuve qui pesait contre lui et de pouvoir fournir des observations. Le dossier certifié du tribunal inclut plusieurs avis juridiques fournis au demandeur, ainsi que des documents créés par le demandeur. Il était manifestement en mesure d’exposer sa position au CEMD.

[38]  Comme le demandeur a eu plusieurs occasions de comprendre la preuve qui pesait contre lui et de présenter des observations, et comme le CEMD a effectué un examen de novo et n’a pas tenu compte de la mise en garde et de la surveillance, ou des autres procédures fautives, il a été remédié à tout vice de procédure, et il n’existe aucune question d’équité procédurale suffisante pour justifier l’annulation de la décision du CEMD dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

B.  La décision du CEMD de confirmer la libération du demandeur était-elle raisonnable?

[39]  Le mémoire des faits et du droit du demandeur ne contient aucun argument juridique portant sur le caractère raisonnable de la décision. Pour l’essentiel, il est en désaccord avec la décision du CEMD de confirmer sa libération. Il soutient qu’il n’a pas contrevenu à la DOAD-5019-7, qui définit l’« inconduite liée à l’alcool ». Il soutient aussi qu’une libération ne peut avoir lieu que s’il y a eu précédemment mise en garde et surveillance et que, puisque la mise en garde et la surveillance dans son cas ont été retirées, il n’aurait pas dû être libéré. Enfin, il allègue qu’il a été libéré sur le fondement de fausses accusations, d’hypothèses et de rumeurs. Par conséquent, il soutient que la décision de confirmer sa libération était déraisonnable.

[40]  À l’audience, l’avocat du demandeur a mis l’accent sur la longue et fructueuse carrière du demandeur dans les Forces armées canadiennes et sur le fait que le CEMD, dans sa décision, s’est simplement fié à des allégations de consommation abusive d’alcool qui n’ont pas été prouvées.

[41]  Il incombait au demandeur de démontrer que la décision du CEMD était déraisonnable. À mon avis, il n’y est pas parvenu. Compte tenu des éléments de preuve dont disposait à juste titre le CEMD, la décision de confirmer la libération du demandeur appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[42]  D’abord, l’argument du demandeur selon lequel il n’a pas contrevenu à la disposition concernant l’« inconduite liée à l’alcool » n’est pas pertinent, puisque le demandeur n’a pas été libéré en raison d’une dépendance à l’alcool. Le demandeur a été libéré en application de l’alinéa 5f) du chapitre 15.01 des ORFC parce qu’il était « inapte à continuer son service militaire ». La DOAD-5019-7 expose simplement les normes de conduite et les façons de traiter les questions liées à l’alcool, et il était raisonnable pour le CEMD de conclure que le demandeur avait contrevenu, à de nombreuses reprises, à ces normes.

[43]  Deuxièmement, il était aussi raisonnable pour le CEMD de conclure qu’une libération ne se limite pas aux cas pour lesquels la mise en garde et la surveillance ont déjà été ordonnées. Le CEMD avait le pouvoir discrétionnaire de libérer le demandeur en l’absence d’une mise en garde ou d’une surveillance antérieure, si ce dernier démontrait un problème de conduite ou de rendement. La DOAD-5019-4, Mesures correctives, indique clairement qu’« [u]ne autorité de mise en œuvre peut également, dans des circonstances exceptionnelles, entreprendre une mesure administrative autre qu’une mesure corrective malgré l’absence de mesures correctives entreprises antérieurement à l’égard du militaire » (DOAD 5019-4, Mesures correctives, article 4.7). Une autorité de mise en œuvre peut examiner le dossier personnel du militaire et décider qu’une autre mesure administrative est justifiée. Ce qui compte n’est pas le nombre de mesures prises, mais plutôt la teneur générale du service du membre des Forces armées canadiennes.

[44]  Par conséquent, le CEMD pouvait confirmer la libération du demandeur, même si la mise en garde et la surveillance avaient été annulées, parce qu’il avait déjà eu trois avertissements écrits et que la teneur générale de son service démontrait des troubles de comportement persistants et de longue date qui étaient liés à l’alcool la plupart du temps.

[45]  Contrairement au point de vue du demandeur, le CEMD ne s’est pas appuyé sur de simples allégations ou rumeurs. J’estime que le CEMD a tenu compte du dossier et des observations du demandeur. Il a examiné et soupesé les antécédents du demandeur dans les Forces armées canadiennes, ainsi que les incidents documentés liés à l’alcool, et a conclu qu’ils consistaient en une consommation abusive d’alcool.

[46]  Plus précisément, le demandeur avait à son dossier trois avertissements écrits et il en aurait eu un quatrième s’il n’avait pas été volontairement libéré. Il a été soumis à des évaluations médicales à quatre reprises en raison de ses problèmes liés à l’alcool et n’a été réadmis dans les Forces armées canadiennes qu’à la condition qu’il puisse démontrer qu’il n’avait pas de problèmes médicaux découlant de sa consommation d’alcool. Après son retour, des incidents ont eu lieu à trois occasions distinctes, qui démontraient que sa conduite – combinée à l’alcool – devenait vraisemblablement un fardeau administratif pour les Forces armées canadiennes.

[47]  J’estime que la décision du CEMD de confirmer la libération du demandeur des Forces armées canadiennes est par conséquent raisonnable.

IX.  Conclusion

[48]  À la lumière de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Les dépens sont établis à 500 $ en faveur du défendeur, y compris les débours et les taxes.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  2. Les dépens sont établis à 500 $ en faveur du défendeur, y compris les débours et les taxes.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1798-15

INTITULÉ :

DARREN EDWARD BLAIR c LA DÉFENSE NATIONALE (CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 4 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Frank Llewellyn

Pour le demandeur

Barry Benkendorf

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Frank Llewellyn

Avocat

Calgary (Alberta)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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