Dossier : IMM-1002-16
Référence : 2016 CF 1395
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2016
En présence de monsieur le juge Southcott
ENTRE :
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GUO LIN CHEN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, Guo Lin Chen, demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le délégué du ministre ou le délégué) de déférer l’affaire pour enquête en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).
[2]
La présente demande est rejetée, car, comme il est expliqué de façon plus détaillée plus loin, le demandeur n’a pas démontré que le délégué du ministre a rendu une décision déraisonnable ou a manqué à l’équité procédurale à son égard en rendant cette décision.
II.
Contexte
[3]
M. Chen est un citoyen de la Chine qui a vécu au Canada pendant plus de treize ans en qualité de résident permanent. Son ex-épouse, Yan Yi Lin, et lui ont deux filles, Le Ling Chen et Letong Chen, qui sont également des résidentes permanentes.
[4]
En 2010, Yan Yi Lin et Le Ling ont fait l’achat d’une maison à Delta, en Colombie-Britannique et, le 6 octobre 2010, ont signé un contrat de location résidentielle avec Wei Lun Cha. Le 28 avril 2011, le service de police de Delta a exécuté un mandat de perquisition visant la maison et a trouvé des plants de marihuana et de la marihuana emballée sur les lieux. Cela a entraîné le dépôt d’accusations au criminel contre M. Chen en juin 2014 et, par la suite, sa déclaration de culpabilité pour production illégale d’une substance contrôlée en contravention du paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 (LRDS) et pour possession illégale d’une substance contrôlée d’une quantité supérieure à trois kilogrammes, en vue d’en faire le trafic, en contravention du paragraphe 5(2) de la LRDS. Il a été condamné en juillet 2014 à une peine d’emprisonnement d’un an pour chacun de ces chefs d’accusation, chaque peine devant être purgée concurremment.
[5]
Le 6 février 2015, un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a délivré un rapport en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, signalant que M. Chen était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR en raison de ses condamnations au criminel. Le 11 mars 2015, M. Chen a été interrogé par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et on lui a donné l’occasion de formuler des observations écrites quant à la raison pour laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) ne devrait pas demander une mesure de renvoi à son égard. L’ASFC a reçu les observations de M. Chen par l’entremise de son avocat le 26 mars 2015.
[6]
Le 22 juillet 2015, le délégué du ministre a déféré le rapport établi en application du paragraphe 44(1) à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en application du paragraphe 44(2) de la LIPR pour enquête. Le 15 février 2016, la Section de l’immigration a délivré à M. Chen un avis de convocation à une enquête le 30 mars 2016. La décision de déférer l’affaire prise par le délégué du ministre le 22 juillet 2015 est la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire dans la présente demande.
III.
Questions en litige et norme de contrôle
[7]
Les parties soumettent à la considération de la Cour les questions suivantes :
La décision du délégué du ministre de déférer le rapport établi en application du paragraphe 44(1) à la Section de l’immigration pour enquête était-elle raisonnable?
Le délégué du ministre a-t-il manqué aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale envers le demandeur?
[8]
La première question comporte implicitement une conclusion selon laquelle la norme de contrôle applicable à une décision prise par un délégué du ministre en application du paragraphe 44(2) de la LIPR est la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Tran, 2015 CAF 237, au paragraphe 31; Valdez c Canada (MSPPC), 2016 CF 377, au paragraphe 18. Les parties se sont entendues sur cette position et je suis d’accord.
[9]
Les parties conviennent également, et une fois de plus je suis d’accord, que la question soulevée en matière d’équité procédurale dans sa demande est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Canada ( Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).
IV.
Analyse
A.
La décision du délégué du ministre de déférer le rapport établi en application du paragraphe 44(1) à la Section de l’immigration pour enquête était-elle raisonnable?
[10]
En ce qui concerne les résidents permanents, sauf en cas d’interdiction de territoire pour défaut de se conformer aux obligations de résidence établies en application de l’article 28 de la LIPR, le paragraphe 44(2) de la LIPR dispose que, si le ministre est d’avis qu’un rapport établi en application du paragraphe 44(1) est bien fondé, le ministre peut déférer le rapport à la Section de l’immigration pour enquête. Même si les parties ne s’entendent pas quant à la portée du pouvoir discrétionnaire accordé au délégué du ministre de refuser de déférer l’affaire, ils conviennent qu’un tel pouvoir discrétionnaire existe et qu’il a été exercé dans le dossier du demandeur. Par conséquent, rien en particulier ne repose sur la portée du pouvoir discrétionnaire en l’espèce. Au lieu de cela, le demandeur soutient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le délégué du ministre était déraisonnable, en ce sens que le délégué a fait fi de la preuve et des observations du demandeur ou les a mal interprétées, ou a omis d’analyser en quoi les facteurs examinés contribuaient à la décision.
[11]
Le demandeur soutient que le délégué du ministre n’a pas tenu compte du fait qu’il avait très peu de liens familiaux en Chine, seules sa mère et sa sœur aînée à la santé fragile. Il fait valoir que le délégué du ministre a omis de tenir compte des difficultés émotionnelles et financières qu’il subirait s’il retournait en Chine et qui seraient imposées aux membres de sa famille en Chine et au Canada, dont il subvient aux besoins. En lien avec ces observations, il mentionne également la preuve de ses limitations physiques, le fait qu’il approche de l’âge de la retraite en Chine ainsi que les perspectives d’emploi limitées et le coût accru de la vie en Chine.
[12]
Le délégué a pris acte des observations selon lesquelles le demandeur ne serait pas en mesure de travailler en Chine en raison de son manque d’éducation et de ses maux de dos. Le délégué a également remarqué que la profession principale du demandeur depuis son arrivée au Canada en 2002 avait été celle de cuisinier dans un restaurant chinois, un emploi qui exige beaucoup de travail, et a conclu qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle il ne pourrait pas occuper un emploi similaire en Chine. Même si le délégué du ministre n’a pas expressément mentionné la preuve liée à la situation de l’emploi et aux circonstances économiques en Chine, un décideur administratif n’est pas obligé de tirer des conclusions explicites sur chaque argument présenté (voir NLNU c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). Je note également qu’il s’agit là d’une preuve de nature générale liée à la situation du pays, et je ne peux conclure que l’absence de référence expresse à cette preuve dans la décision rend la décision déraisonnable.
[13]
En ce qui concerne le fait que le demandeur subvient aux besoins de membres de sa famille, le délégué du ministre a mentionné les observations selon lesquelles le demandeur offre une aide financière à sa fille cadette, mais a également conclu que la preuve relative à ses engagements mensuels ne coïncide pas avec le revenu qu’il a déclaré aux autorités fiscales. Bien que le délégué n’ait pas mentionné explicitement la dépendance financière de la mère du demandeur, la décision reconnaissait que le renvoi du demandeur du Canada entraînerait des difficultés émotionnelles et possiblement financières pour ses filles et sa famille. Cependant, le délégué a conclu que les actes criminels du demandeur au Canada étaient trop graves pour l’emporter sur ce facteur atténuant. Les motifs de décision démontrent que les observations ont été prises en considération, mais qu’elles ne l’avaient pas emporté sur l’effet des condamnations au criminel du demandeur.
[14]
Le demandeur fait également valoir que le délégué du ministre a omis de tenir compte de la conclusion tirée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, en prononçant la déclaration de culpabilité du demandeur, selon laquelle il était un bon candidat pour la réhabilitation. Cependant, le délégué a effectivement souligné cette conclusion et le fait que le demandeur n’avait aucun autre antécédent criminel, mais il a conclu qu’il continuait de ne pas accepter la responsabilité de ses actes et sa déclaration de culpabilité, car ses observations alléguaient une ignorance relative aux activités criminelles et jetaient le blâme sur ses locataires pour celles-ci. Il n’y a aucun fondement pour conclure que le délégué du ministre a traité cet aspect de la situation du demandeur de manière déraisonnable.
[15]
Enfin, le demandeur fait valoir que le délégué du ministre a écarté de manière déraisonnable son argument selon lequel il était exposé à un risque d’être assujetti à la peine de mort pour des crimes en matière de drogues en Chine. Le délégué a accordé peu de poids à cet argument, car il n’y a aucune preuve que les autorités canadiennes divulgueraient les antécédents criminels du demandeur au Canada aux autorités chinoises. Le demandeur fait valoir que les décisions des tribunaux criminels sont déclarées et même que la communication dans le cadre de sa mesure de renvoi vers la Chine pourrait attirer l’attention des autorités chinoises sur ses antécédents. Le défendeur souligne qu’il n’y a aucune preuve selon laquelle les autorités chinoises sont au fait du crime du demandeur ou de toute perspective qu’il soit exposé à des poursuites en Chine pour un crime commis au Canada. Comme pour les autres arguments du demandeur, je ne suis pas d’avis que le traitement accordé par le délégué à cette observation soustrait la décision aux issues possibles acceptables, ce qui serait nécessaire pour conclure que la décision est déraisonnable.
[16]
Dans l’ensemble, la décision rendue par le délégué du ministre démontre qu’il a pris en considération les facteurs atténuants présentés par le demandeur. Cependant, en prenant en considération la grande échelle commerciale du trafic de stupéfiants auquel s’adonnait le demandeur selon la cour criminelle, la nature grave et importante du rôle du demandeur dans cette opération ainsi que le défaut du demandeur d’accepter la responsabilité de ses actes, le délégué a conclu que les facteurs atténuants ne l’emportaient pas sur la gravité des infractions. Pour ce motif, le délégué a pris la décision de déférer l’affaire pour enquête. En examinant la décision dans son ensemble, il n’y a aucun motif de conclure que cette décision est déraisonnable.
B.
Le délégué du ministre a-t-il manqué aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale envers le demandeur?
[17]
L’argument relatif à l’équité procédurale soulevé par le demandeur se rapporte à un ensemble de lignes directrices publiées par Citoyenneté et Immigration Canada, intitulé « ENF 6 – Examen des rapports établis en vertu du paragraphe L44(1) »
(les lignes directrices), qui fournissent une orientation en ce qui a trait aux mesures de renvoi, à l’examen des rapports établis en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, ainsi qu’au renvoi de ces rapports à la Section de l’immigration. Le demandeur s’appuie sur l’article 8 des lignes directrices, intitulé « Procédure : traitement de demandes d’asile possibles »
, qui prescrit un ensemble de procédures qu’un délégué du ministre doit suivre en ce qui a trait aux demandes d’asile possibles. Voici le texte complet de l’article 8 :
8 Procédure : traitement de demandes d’asile possibles
Même si rien dans la LIPR n’oblige le délégué du ministre à demander à la personne qui a fait l’objet d’une décision si elle désire déposer une demande d’asile, le délégué devrait être conscient des obligations du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le paragraphe L99(3) dispose que les personnes frappées d’une mesure de renvoi ne sont pas admises à déposer une demande d’asile. Par conséquent, le délégué du ministre devrait s’assurer que le renvoi n’est pas contraire à l’esprit des obligations du Canada avant de prononcer une mesure, même lorsque l’intéressé ne demande pas explicitement à se prévaloir du processus de détermination du statut de réfugié.
Il faut également reconnaître que certaines personnes qui peuvent avoir un besoin légitime de la protection du Canada ne sont pas au courant de la disposition concernant la présentation d’une demande d’asile.
Il existe une procédure sur le traitement d’une demande d’asile possible :
Lorsque la personne qui fait l’objet d’une décision prévoyant la prise d’une mesure de renvoi administrative n’a pas déposé de demande d’asile, le délégué du ministre devrait lui demander combien de temps elle a l’intention de demeurer au Canada.
Si la personne indique que son intention est ou était d’y demeurer temporairement, le délégué du ministre devrait donner suite à la décision et délivrer la mesure de renvoi, le cas échéant.
Si la personne indique que son intention est ou était de demeurer indéfiniment au Canada, le délégué du ministre doit lui demander les raisons pour lesquelles elle a quitté son pays de nationalité et les conséquences pour elle si elle devait y retourner, avant de prendre une décision sur le prononcé d’une mesure de renvoi.
Lorsque les réponses indiquent une crainte de retourner dans le pays de nationalité, qui peut avoir un lien avec la protection des réfugiés, le délégué du ministre doit informer la personne de la définition de « réfugié » ou de « personne à protéger » aux termes des articles L96 et L97, et lui demander si elle désire déposer une demande d’asile.
Lorsque la personne indique qu’elle n’a pas l’intention de déposer une demande d’asile, le délégué du ministre doit donner suite à la décision et délivrer la mesure de renvoi, le cas échéant.
Lorsque la personne n’est pas certaine, le délégué du ministre doit l’informer qu’elle ne pourra pas faire une demande d’asile après la prise d’une mesure de renvoi [L99(3)] et il doit lui donner l’occasion de faire la demande avant de prendre la décision de la frapper d’une telle mesure.
Si la personne n’exprime pas l’intention de déposer une demande d’asile, même si on lui a expliqué qu’il s’agit là de sa dernière occasion, le délégué du ministre devrait donner suite à la décision et délivrer la mesure de renvoi, le cas échéant.
Chaque fois que la personne indique qu’elle craint de retourner dans son pays de nationalité, le délégué du ministre doit éviter d’évaluer si la crainte est fondée. En outre, il ne doit pas conjecturer sur l’admissibilité de la personne avant que celle-ci ne dépose une demande d’asile, ni conjecturer sur le temps de traitement ou l’issue éventuelle d’une demande.
Cette procédure n’empêche pas une personne de faire une demande d’asile à n’importe quel moment avant la délivrance d’une mesure de renvoi, peu importe les réponses données à l’agent.
Pour pouvoir répondre aux préoccupations qui pourraient surgir à la suite du prononcé d’une mesure de renvoi, il est important que les notes reflètent fidèlement — en détail — les questions posées et l’information donnée par la personne pendant un échange comme celui qui est mentionné ci-dessus.
[Non souligné dans l’original.]
[18]
Le demandeur fait valoir que le but des lignes directrices consiste à veiller à ce qu’un réfugié éventuel devant faire l’objet d’une mesure de renvoi en application du paragraphe 44(2) soit informé de son droit de présenter une demande d’asile avant la délivrance possible d’une mesure de renvoi. Le demandeur fait valoir que le délégué du ministre était au fait de son intention de demeurer au Canada indéfiniment et que ses observations soulevaient le risque d’être exposé à la peine de mort s’il était renvoyé en Chine. En s’appuyant sur les deux paragraphes soulignés ci-dessus à l’article 8 des lignes directrices, la position du défendeur est que le délégué était tenu de l’informer de la possibilité de présenter une demande d’asile et de lui demander s’il souhaite présenter une telle demande, avant de déférer l’affaire à la Section de l’immigration.
[19]
Le demandeur soulève cet argument comme une question d’équité procédurale, faisant référence à ma décision récente dans Serhii c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 841 [Vakurov]. Cette affaire portait sur le contrôle judiciaire d’une mesure d’exclusion prise par un délégué du ministre à l’endroit d’un étranger. Le demandeur dans cette affaire soutenait qu’il craignait de retourner en Ukraine et qu’il avait été privé de la possibilité de présenter une demande d’asile, car le délégué avait pris une mesure de renvoi sans respecter les lignes directrices et sans lui accorder la possibilité de présenter une demande. La Cour a conclu que les lignes directrices donnaient lieu à l’application de la doctrine des attentes légitimes et que, puisque les éléments de preuve démontraient que le délégué dans cette affaire n’avait pas respecté les lignes directrices, il ne s’était pas acquitté de ses obligations applicables en matière d’équité procédurale.
[20]
Cependant, comme le fait valoir le défendeur, la décision dans Vakurov est différente et ma conclusion est que les arguments qui l’ont emporté dans cette affaire ne s’appliquent pas à la présente espèce. Comme il est indiqué dans Vakurov, aux paragraphes 19 à 22, seul un processus clair, net et explicite peut donner lieu à des obligations en matière d’équité procédurale en application de la doctrine des attentes légitimes (voir Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 94 et 95; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Don, 2014 CAF 4, aux paragraphes 51 à 53). Il n’y a aucun processus de ce genre décrit dans les lignes directrices pouvant s’appliquer à la situation du demandeur. La distinction repose sur le fait que Vakurov concernait un étranger, de sorte que le rôle du délégué du ministre sous le régime du paragraphe 44(2) de la LIPR était d’examiner la possibilité de prendre une mesure de renvoi. En revanche, le demandeur en l’espèce est un résident permanent au Canada, de sorte que le rôle du délégué sous le régime du paragraphe 44(2) n’était pas de prendre une mesure de renvoi, mais plutôt d’envisager de déférer le rapport établi en application du paragraphe 44(1) à la Section de l’immigration pour enquête.
[21]
Ce point est important, car c’est le fait de faire l’objet d’une mesure de renvoi qui, en application du paragraphe 99(3) de la LIPR, empêche une personne de présenter une demande d’asile. Ce point est expressément énoncé à l’article 8 des lignes directrices, comme suit :
Le paragraphe L99(3) dispose que les personnes frappées d’une mesure de renvoi ne sont pas admises à déposer une demande d’asile. Par conséquent, le délégué du ministre devrait s’assurer que le renvoi n’est pas contraire à l’esprit des obligations du Canada avant de prononcer une mesure, même lorsque l’intéressé ne demande pas explicitement à se prévaloir du processus de détermination du statut de réfugié.
[22]
Les procédures sur le traitement d’une demande d’asile possible, établies à l’article 8 des lignes directrices, sont aussi expressément conçues dans le contexte où un délégué du ministre prononce une mesure de renvoi. Les lignes directrices ne prescrivent pas un processus, visant à traiter les demandes d’asile possibles, qui s’applique lorsque le délégué envisage d’établir un rapport en application du paragraphe 44(1) relativement à un résident permanent et s’il convient de déférer ce rapport à la Section de l’immigration.
[23]
Le demandeur fait valoir que l’article 19.1 des lignes directrices fait en sorte que l’article 8 s’applique aux rapports concernant les ressortissants étrangers, car l’article 19.1 dispose que les décisions de déférer un rapport à la Section de l’immigration pour enquête doivent être guidées par les mêmes facteurs que les décisions d’établir un rapport d’interdiction de territoire à l’endroit d’un étranger ou de prendre une mesure de renvoi dans les cas où le délégué du ministre a compétence pour le faire. Cependant, l’article 19.1 est intitulé « Rapports établis en vertu du paragraphe L44(1) sur les étrangers »
, comparativement à l’article 19.2 qui suit immédiatement, intitulé « Rapports établis en vertu du paragraphe L44(1) sur les résidents permanents au Canada »
. C’est l’article 19.2 qui s’applique à la situation du demandeur en sa qualité de résident permanent du Canada, non l’article 19.1, qui s’applique aux rapports établis sur les étrangers. En conséquence, l’article 19.1 ne justifie aucunement une conclusion selon laquelle la procédure visée à l’article 8 pour le traitement des demandes d’asile possibles s’applique en l’espèce.
[24]
Enfin, le demandeur souligne qu’il ne conteste pas son interdiction de territoire. À ce titre, il fait valoir que, lorsque la décision a été prise de déférer le rapport établi en application du paragraphe 44(1) à la Section de l’immigration, il est devenu automatique que la Section de l’immigration prenne une mesure de renvoi. Le seul pouvoir discrétionnaire qui aurait pu éviter cette issue était celui conféré au délégué du ministre. Ainsi, à moins d’interpréter les lignes directrices afin de les appliquer à la décision du délégué de déférer l’affaire pour enquête, il n’existe aucun processus en application duquel il recevra un avis de la possibilité de présenter une demande d’asile.
[25]
Cet argument n’aide pas le demandeur à faire valoir un manquement aux obligations en matière d’équité procédurale envers lui, car les lignes directrices ne décrivent toujours aucun processus clair, net et explicite, applicable à sa situation, qui donnerait lieu à de telles obligations. Qui plus est, le demandeur a reconnu à l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire que rien ne lui interdit de présenter une demande d’asile en tout temps avant que la Section de l’immigration prenne une mesure de renvoi. C’est ce fait qui distingue fondamentalement la situation du demandeur de celle de l’affaire Vakurov et qui, en plus d’une lecture simple des lignes directrices, appuie la conclusion selon laquelle l’article 8 des lignes directrices ne s’applique pas à sa situation.
V.
Question certifiée
[26]
Selon le demandeur, si la Cour rend une décision dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire fondée sur le fait que l’article 8 des lignes directrices ne s’applique pas aux résidents permanents, elle doit alors certifier la question suivante :
L’article 8 des lignes directrices intitulées « ENF 6 – Examen des rapports établis en vertu du paragraphe L44(1) » s’applique-t-il uniquement aux étrangers?
[27]
Le demandeur fait valoir que la réponse à cette question permettrait de trancher un appel, car son argument relatif à l’équité procédurale représenterait alors un motif pour annuler la décision du délégué du ministre, et qu’il s’agit d’une question qui s’applique de manière plus générale que les circonstances de l’espèce.
[28]
Le défendeur s’oppose à la certification, au motif que les lignes directrices visent manifestement uniquement l’examen des rapports établis en application du paragraphe 44(1) avant la prise de mesures de renvoi.
[29]
Je souscris à la position du défendeur. Les parties n’ont soulevé aucune divergence dans la jurisprudence applicable à la question en matière d’équité procédurale débattue en l’espèce. Vakurov porte sur une décision de prendre une mesure de renvoi et l’article 8 des lignes directrices ne fait aucune mention des circonstances où le délégué du ministre défère un rapport établi en application du paragraphe 44(1) à la Section de l’immigration, et encore moins une telle mention d’une façon claire, nette et explicite. Je ne suis donc pas en mesure de conclure que la question proposée s’élève au niveau d’une question grave de portée générale. En conséquence, la Cour refuse de certifier la question proposée.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
« Richard F. Southcott »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 12e jour de novembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-1002-16
|
INTITULÉ :
|
GUO LIN CHEN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 6 décembre 2016
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
Le juge Southcott
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 21 décembre 2016
|
COMPARUTIONS :
Naseem Mithoowani
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Alison Engel-Yan
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Naseem Mithoowani
Waldman & Associates
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
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