Date : 20170109
Dossier : IMM-2326-16
Référence : 2017 CF 27
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2017
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
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THI HONG DUC NGUYEN
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qu’a déposée Thi Hong Duc Nguyen (la demanderesse) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), relativement à une décision (la décision de l’agent) datée du 17 mai 2016 par laquelle un agent principal d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté sa demande de résidence permanente (RP) pour motifs d’ordre humanitaire (CH).
[2]
Il n’est pas demandé à la Cour de réévaluer la preuve, et elle ne saurait le faire de toute façon. Un contrôle judiciaire n’est pas une occasion de remettre en litige l’affaire entendue par l’instance inférieure, et il ne s’agit nullement d’un nouveau procès. La question primordiale n’est pas de savoir si la décision de première instance est juste ou non, mais plutôt si elle est raisonnable ou déraisonnable. La question clé consiste à savoir si la décision de l’agent appartient aux issues acceptables au regard des faits et du droit.
[3]
En adoptant l’article 25 de la LIPR, le législateur a conféré au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir et la responsabilité d’appliquer la norme juridique appropriée et d’arriver, dans les affaires fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, à une décision qui est raisonnable, selon la définition qu’en donne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Le ministre a délégué ce pouvoir à des agents CH afin que ces derniers puissent prendre de telles décisions en son nom. Selon la jurisprudence, tant le ministre que ses agents délégués jouissent à cet égard d’un pouvoir exceptionnel et hautement discrétionnaire. Leur pouvoir appelle une retenue considérable de la part de la Cour.
[4]
Je conviens qu’un agent différent aurait pu arriver à un résultat différent, mais, en l’espèce, la décision de l’agent est raisonnable et ne peut donc être infirmée. Il y a donc lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
Faits
[5]
La demanderesse est citoyenne du Vietnam; elle est une mère âgée de 36 ans qui réside au Canada depuis 10 ans. Elle a obtenu le statut de résidente permanente le 25 avril 2006 et réside au pays depuis cette date. Le 22 novembre 2010, la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et a rendu contre elle une mesure d’exclusion. La SI a déterminé que la demanderesse avait conclu un mariage frauduleux avec son premier époux aux seules fins d’acquérir le statut de RP au Canada et que, si l’on avait su cela au point d’entrée, ce statut ne lui aurait vraisemblablement pas été accordé. La demanderesse a porté en appel la décision de la SI et, le 10 avril 2012, la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la CISR a rejeté l’appel. La mesure de renvoi était donc toujours en vigueur. La demanderesse n’a pas quitté le pays.
[6]
La demanderesse a demandé à trois reprises le statut de résidente permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR, et chaque fois sa demande a été rejetée. Sa première demande CH a été rejetée en février 2014. La demanderesse a présenté une deuxième demande, y ajoutant deux rapports psychologiques professionnels sur sa fille qui n’avaient pas été inclus dans la première demande CH. Cette deuxième demande a été rejetée en mars 2015. La demanderesse a demandé que cette décision soit soumise à un contrôle judiciaire. Après que la Cour eut donné l’autorisation nécessaire, le ministère de la Justice a consenti à ce que le dossier soit renvoyé à la CISR en vue d’une nouvelle décision. La demande CH a été mise à jour et un second rapport d’une psychothérapeute, Mme Natalie Riback, y a été ajouté. La demanderesse s’est également fondée sur un rapport antérieur d’une psychologue, Mme Lynne Sinclair. Cette troisième demande a été rejetée le 17 mai 2016.
[7]
Le premier mariage de la demanderesse s’est soldé par un divorce peu après son arrivée au Canada. Elle s’est remariée en 2008, cette fois-ci avec un homme différent, rencontré au Vietnam. Ils ont eu une enfant ensemble en 2010; cette enfant, aujourd’hui âgée de six ans, est l’objet principal d’une bonne partie de la présente demande. Le second mariage s’est lui aussi terminé par un divorce, et l’époux vit au Vietnam. Ce dernier ne joue aucun rôle dans la vie de l’enfant. La demanderesse entretient actuellement une relation avec un citoyen canadien; ils vivent ensemble depuis trois ans. Il existe une preuve qu’ils ont l’intention de se marier quand il obtiendra le divorce et que, à ce moment-là, il est possible qu’il la parraine.
[8]
La demanderesse travaille de manière constante et paie des impôts depuis 2007. Elle n’a jamais dépendu de l’aide sociale canadienne. Elle a acheté un bien immobilier à Toronto et a réalisé des économies. Elle joue un rôle actif dans la communauté bouddhiste et a pris part à diverses activités bénévoles au sein de sa communauté. Elle allègue avoir été ordonnée bouddhiste au Canada.
[9]
La fille de la demanderesse est citoyenne canadienne de naissance et fréquente l’école à Toronto. La demanderesse a la garde exclusive de l’enfant, mais l’actuel conjoint de la demanderesse agit volontairement comme une figure paternelle. La demanderesse est la personne qui s’occupe principalement du soin de l’enfant et elle prévoit d’amener celle-ci avec elle si elle est renvoyée de force au Vietnam. Le fils de son conjoint actuel a à peu près le même âge que sa fille, et les deux sont devenus très proches l’un de l’autre. L’enfant est aussi devenue proche d’autres membres de la famille au Canada, notamment la famille de la nièce de la demanderesse, chez qui elles ont vécu jusqu’en juillet 2014. La demanderesse mentionne seize membres de la famille avec lesquels elle est en contact régulier. Le seul membre de la famille qu’a la demanderesse au Vietnam est sa mère âgée de 72 ans. La demanderesse a des frères et sœurs au Vietnam, mais elle n’entretient pas de liens étroits avec eux.
III.
Décision de l’agent
[10]
Le 17 mai 2016, la demande de RP pour des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse a été rejetée. L’agent d’immigration a pris en considération les importants efforts que la demanderesse avait faits pour s’établir à Toronto, mais il a accordé peu d’importance à ce facteur :
[traduction]
Je félicite la demandeure pour les efforts qu’elle a faits en vue de s’établir au Canada, mais je signale qu’elle n’aurait pas pu s’y établir sans avoir acquis son statut d’immigrante par des moyens frauduleux. Comme la demandeure n’avait pas le droit d’être au Canada, j’accorde peu d’importance aux efforts d’établissement qu’elle a faits pendant son séjour au pays.
[11]
Notant les liens étroits que la demanderesse entretenait avec les membres de sa famille étendue au Canada, l’agent d’immigration a toutefois conclu :
[traduction]
[…] Je ne suis pas convaincu que le fait de se séparer de la famille au Canada romprait les liens établis. Bien que cela ne remplace pas une présence physique, il serait possible d’entretenir des contacts réguliers par divers moyens de télécommunication. Il va sans dire qu’une expulsion perturberait d’une certaine façon la demandeure sur le plan psychologique et affectif. Bien qu’il s’agisse d’une mesure regrettable, je conclus que le fait d’être séparée des membres de sa famille serait, pour la demandeure, une conséquence inhérente à son renvoi du Canada.
[12]
Dans son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent d’immigration a fait état des liens solides et l’affection qui unissaient l’enfant et le conjoint de la demanderesse, ajoutant également que la présence de ce dernier ainsi que celle des membres de la famille étendue dans sa vie serait sans aucun doute avantageuse pour l’enfant. Cependant, l’agent a conclu :
[traduction]
Toutefois, d’après les informations dont je dispose, il semblerait que la demandeure continue d’être la principale responsable des soins de l’enfant. Jessica continue de dépendre entièrement de sa mère. La demandeure a indiqué que, si on l’obligeait à retourner au Vietnam, en tant que mère d’une fille dépendant entièrement d’elle, elle emmènerait Jessica. Comme les premières années de la vie d’un enfant sont essentielles pour établir et entretenir des liens affectifs avec ses parents, le fait de rester en contact étroit ne ferait qu’affermir le lien mère-fille.
[13]
Prenant note des conclusions figurant dans le rapport de Mme Riback, l’agent a conclu que l’enfant était trop jeune pour [traduction] « reconnaître ou ressentir des liens importants avec un pays quelconque »
et il a ajouté que la demanderesse serait en mesure de guider l’enfant durant la transition. Il a signalé que les avantages socioéconomiques comparatifs ne sont pas déterminants en soi, et que, au Vietnam, [traduction] « l’instruction est obligatoire, gratuite et universelle jusqu’à l’âge de 14 ans »
. Il a conclu : [traduction] « […] je ne suis pas d’avis que la demandeure a fourni une preuve objective suffisante pour montrer que son renvoi du Canada aurait un effet préjudiciable sur sa fille »
.
[14]
L’agent d’immigration a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour confirmer qu’elle ne disposerait pas au Vietnam d’éventuels traitements pour ses prétendus troubles de santé mentale. L’agent a pris acte de la dépression et de l’anxiété de la demanderesse qui, selon celle-ci, étaient attribuables à son renvoi imminent du Canada, mais il s’est dit non convaincu que [traduction] « la demandeure pouvait raisonnablement s’attendre à pouvoir rester au Canada de façon permanente, car son statut de résidente a été obtenu par des moyens frauduleux et son renvoi était une constante possibilité »
. L’agent a conclu que les preuves que la demanderesse avait fournies à l’appui de sa prétention selon laquelle elle serait stigmatisée, qu’elle serait confrontée à un sexisme généralisé et qu’elle serait incapable de trouver du travail, étaient minces, non corroborées et insuffisantes. Il a conclu en définitive qu’il serait injustifié d’accorder une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.
[15]
C’est sur cette décision que porte la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse.
IV.
Questions en litige
[16]
La présente demande soulève les questions suivantes :
L’agent a-t-il appliqué le bon critère juridique à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant?
L’agent d’immigration a-t-il déraisonnablement attribué peu d’importance à l’établissement de la demanderesse?
L’agent d’immigration a-t-il évalué déraisonnablement les rapports de la psychothérapeute et de la psychologue au sujet de la demanderesse et de l’enfant?
V.
Norme de contrôle applicable
[17]
Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il est inutile de procéder à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »
. Les conclusions de fait que tire un agent dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sont contrôlées en fonction de la norme de la raisonnabilité : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 [Kanthasamy], Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1404, au paragraphe 30, Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18. La décision d’accorder ou de rejeter une exception pour des motifs d’ordre humanitaire est une mesure « exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui mérite donc une déférence considérable de la part de la Cour »
: Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335, au paragraphe 30.
[18]
Le défendeur soutient que la nature hautement discrétionnaire des évaluations fondées sur des motifs d’ordre humanitaire « […] élargit la gamme d’issues possibles acceptables »
: Holder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 337, au paragraphe 18; Inneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108, au paragraphe 13. Je suis d’accord.
[19]
Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada explique ce que l’on attend d’un tribunal qui procède à un contrôle en fonction de la norme de la raisonnabilité :
[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[20]
Le choix du critère juridique permettant de déterminer l’intérêt supérieur d’un enfant est contrôlé selon la norme de la décision correcte : Etienne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 937, au paragraphe 6. Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada explique ce qui est exigé lorsqu’on procède à un contrôle selon la norme de la décision correcte :
[…] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
[21]
De plus, la Cour suprême du Canada a prescrit qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision de l’agent doit être contrôlée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes et Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54.
VI.
Analyse
Question no 1 : L’agent a-t-il appliqué le bon critère juridique à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant?
[22]
Il convient de commencer par le critère juridique applicable, car cet aspect est crucial. Ceci étant dit avec égards, je ne suis pas convaincu que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant, et ce, pour plusieurs raisons.
[23]
Premièrement, nulle part dans sa décision l’agent emploie-t-il les mots « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées »
, ce qui était le critère qui était en litige dans le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l’affaire Kanthasamy. Cela oriente l’analyse nettement contre l’affirmation de la demanderesse, même si j’admets que la Cour doit faire plus que vérifier simplement si les mots employés enfreignent des règles juridiques; il est nécessaire dans certains cas d’examiner la décision afin de déterminer si le décideur a eu recours à une forme déguisée de contrôle interdit.
[24]
Dans son mémoire, la demanderesse a fait remarquer à l’appui de son argument que l’agent avait employé les mots [traduction] « peut être difficile »
et que le fait de déménager au Vietnam ne serait pas [traduction] « préjudiciable au développement [de l’enfant] sur le plan culturel, social, physique et affectif »
. Selon moi, cela ne veut pas dire que l’agent appliquait le mauvais critère. En fait, l’emploi des mots [traduction] « préjudice »
et [traduction] « préjudiciable »
ont été mis en jeu par la psychologue de la demanderesse, Mme Sinclair, pour décrire les conséquences qu’aurait le départ de la demanderesse et de son enfant du Canada. À mon avis, l’agent a employé ces mots dans le cadre de l’analyse qu’il fallait faire de la preuve professionnelle de la demanderesse; l’agent a vérifié les faits par rapport aux éléments soulevés par la psychologue et, en employant les propres mots de la demanderesse, il est arrivé à la conclusion contraire. Cela n’est pas répréhensible. Par ailleurs, cela illustre que l’évaluation de Mme Sinclair a bel et bien été prise en compte, contrairement à ce que la demanderesse a fait valoir.
[25]
Je ne suis pas convaincu que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être faite en fonction d’une formule précise : Osorio Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 373, au paragraphe 30, citant Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166. À mon humble avis, il était loisible à la Cour suprême du Canada de dire le contraire dans l’arrêt Kanthasamy, au moment où cette question a été abordée. La Cour a décidé de ne pas le faire et je ne considère pas son silence sur la question comme une acceptation.
[26]
La demanderesse a raison de signaler que l’arrêt Kanthasamy a entraîné une modification des règles de droit, rétablissant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] DCAI no 1 (Chirwa) comme l’un des principes directeurs, en combinaison avec les Lignes directrices, à appliquer dans les affaires CH :
[13] C’est la Commission d’appel de l’immigration qui, dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, s’est penchée la première sur la signification de l’expression « considérations d’ordre humanitaire ». La première présidente de la Commission, Janet Scott, a jugé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (p. 364). Cette définition s’inspire de celle que renferme le dictionnaire à l’entrée « compassion », soit [traduction] « chagrin ou pitié provoqué par la détresse ou les malheurs d’autrui, sympathie » (Chirwa, p. 363). La Commission reconnaît que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais elle dit qu’il doit aussi y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Chirwa, p. 363).
Kanthasamy, précité, aux paragraphes 13 et 31.
[27]
Il importe de signaler que dans l’arrêt Kanthasamy les juges majoritaires n’ont pas rejeté le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées »
. En fait, c’est là l’inverse de ce que la Cour suprême a déterminé. Bien qu’elle ait conclu dans cet arrêt que ces mots ne pouvaient pas être « décisifs »
ou « le seul énoncé possible »
des motifs d’ordre humanitaire, la Cour a également déclaré que les Lignes directrices demeuraient « utiles »
(paragraphe 31) et « peuvent servir »
(paragraphe 32) et qu’il fallait considérer que la démarche suivie dans Chirwa comme si elle « coexistait avec [le libellé] des Lignes directrices »
(paragraphe 30) :
[30] Une deuxième approche correspond aux décisions où elle se montre moins catégorique vis‑à‑vis de Chirwa et où elle emploie le libellé qui y figure comme s’il coexistait avec celui des Lignes directrices (voir Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, par. 16-17 (CanLII); Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 447, par. 15). Dans ces décisions, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale établissent clairement que les Lignes directrices et le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » offrent seulement des repères et ne limitent pas le pouvoir discrétionnaire qui permet à l’agent d’immigration de tenir compte d’autres facteurs que ceux prévus par les Lignes directrices. Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555, la Cour d’appel fédérale fait observer que les Lignes directrices « “ne constituent pas des règles strictes” et ont plutôt “pour but d’aider à exercer le pouvoir discrétionnaire” » (par. 9). Et dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 621, la Cour fédérale relève que les considérations d’ordre humanitaire « ne se limitent pas […] aux difficultés » et que les « lignes directrices peuvent seulement être d’une utilité limitée, parce qu’elles ne peuvent pas entraver le pouvoir discrétionnaire octroyé par le Parlement » (par. 10 et 12 (CanLII)).
[31] Cette deuxième approche, qui me paraît plus compatible avec les objectifs du par. 25(1), met l’accent sur la raison d’être équitable de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Elle considère que les termes employés dans les Lignes directrices sont utiles pour décider si, eu égard aux circonstances d’un demandeur en particulier, il convient ou non d’accorder une dispense, mais elle ne voit pas dans les Lignes directrices le seul énoncé possible des considérations d’ordre humanitaire qui justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
[32] Notre Cour a indéniablement reconnu que les Lignes directrices peuvent servir à déterminer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition donnée de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Agraira, par. 85). Or, selon leur libellé même, les Lignes directrices « ne lient pas légalement le ministre » et elles « ne sont pas exhaustives ni restrictives » (Traitement des demandes au Canada, section 5). En d’autres termes, l’agent peut les considérer lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 25(1), mais il doit [traduction] « s’attacher aux circonstances particulières du dossier » (Donald J. M. Brown et l’honorable John M. Evans avec la collaboration de Christine E. Deacon, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 12‑45). Il ne doit pas voir dans ces directives informelles des exigences absolues qui limitent le pouvoir discrétionnaire à vocation équitable que le par. 25(1) lui permet d’exercer lorsque des considérations d’ordre humanitaire le justifient (voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, p. 5; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195 (C.A.), par. 71).
[28]
De plus, il est explicitement indiqué dans l’arrêt Kanthasamy que le mécanisme CH n’est pas un « régime d’immigration parallèle »
. La Cour souligne que les agents CH doivent examiner « tous les faits et les facteurs pertinents portés à [leur] connaissance »
[italiques dans l’original]. À l’exception de l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant, un examen de cette nature comporte forcément une analyse des difficultés auxquelles un demandeur doit faire face :
[23] L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) (voir Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, par. 13 (CanLII); Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (C.F. 1re inst.), par. 12). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 27 mai 2010, 15 h 40 (Peter MacDougall); voir également Témoignages, no 3, 1re sess., 37e lég., 13 mars 2001, 9 h 55 à 10 h (Joan Atkinson)).
[24] Finalement, l’adjonction du par. 25(1.3) à la Loi en 2010 (L.C. 2010, c. 8) confirme que le par. 25(1) n’est pas censé faire double emploi avec l’art. 96 ou le par. 97(1), lesquels servent à déterminer si le demandeur craint avec raison d’être persécuté ou s’il s’expose au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[25] Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Baker, par. 74‑75).
[Italiques dans l’original.]
[29]
La demanderesse m’a demandé de conclure que l’arrêt Kanthasamy a mis fin au principe selon lequel une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure extraordinaire, comme il a été décrété dans l’arrêt Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 24, au paragraphe 6, citant l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 RCS 84 (Chieu). Ceci étant dit avec égards, ce n’est pas ce qui est enjoint dans l’arrêt Kanthasamy. La question a été évoquée dans les motifs dissidents, mais la majorité ne dit rien sur la question. Il est difficile de considérer que le silence de la Cour suprême du Canada ait entraîné une modification des règles de droit, étant donné qu’elle avait l’occasion de le faire de manière explicite si telle avait été son intention. Comme l’article 25 de la LIPR n’est pas un « régime d’immigration parallèle »
, il me semble que les considérations CH sont encore considérées à juste titre comme extraordinaires et, ainsi qu’il est indiqué dans Chirwa, comme une forme de « redressement spécial »
.
[30]
Je ne suis donc pas persuadé que l’agent a appliqué un mauvais critère pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant ou les motifs d’ordre humanitaire dans leur ensemble. Sur ce fondement, on ne peut donc pas accueillir la demande de contrôle judiciaire.
Question no 2 : L’agent d’immigration a-t-il attribué déraisonnablement peu d’importance à l’établissement de la demanderesse?
[31]
Comme il a été signalé plus tôt, l’agent a évalué l’établissement de la demanderesse et, après l’avoir fait, a accordé peu d’importance aux efforts faits par celle-ci sur le plan de son établissement :
[traduction]
Je félicite la demandeure pour les efforts qu’elle a faits en vue de s’établir au Canada, mais je signale qu’elle n’aurait pas pu s’y établir sans avoir acquis son statut d’immigrante par des moyens frauduleux. Comme la demandeure n’avait pas le droit d’être au Canada, j’accorde peu d’importance aux efforts d’établissement qu’elle a faits pendant son séjour au pays.
[32]
Pendant plusieurs années, notre Cour a fait sien l’énoncé de principes suivant au sujet du contrôle judiciaire, extrait de Millette c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 542 (le juge Russell) :
[41] Comme il l’indique clairement dans sa décision, l’agent savait que la demanderesse était au Canada depuis plus de 15 ans et il s’est intéressé particulièrement aux années postérieures au rejet de sa demande d’asile. La demanderesse ne peut pas s’attendre à bénéficier des années antérieures alors qu’elle vivait et travaillait au Canada illégalement. S’il en était autrement, une personne qui réussit à demeurer ici illégalement serait mieux placée qu’une personne qui a respecté le système. Comme le juge Nadon l’a souligné dans Tartchinska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 373 (CF), aux paragraphes 21 et 22 :
Chose plus importante, les directives ne laissent certainement pas entendre qu’un demandeur doit devenir autonome à tout prix et sans égard aux moyens. Par conséquent, je ne partage pas l’avis des demandeurs selon lequel [traduction] « il n’est pas pertinent de savoir si l’autonomie a été atteinte avec ou sans permis de travail ». À mon avis, la provenance de l’autonomie de l’intéressé est très pertinente; autrement, n’importe qui pourrait demander une dispense en se fondant sur l’autonomie, même si celle-ci découle d’activités illégales. Je comprends qu’en l’espèce, les demandeurs ont travaillé honnêtement, quoique illégalement. Pourtant, les demandeurs ont sciemment tenté de contourner le système lorsqu’ils ont décidé de continuer à travailler sans autorisation. En effet, malgré le fait que les demandeurs ont été avisés à leur première entrevue qu’ils n’étaient pas autorisés à travailler et qu’ils devraient cesser de le faire, rien n’indiquait que les demandeurs avaient cessé de travailler au moment de la deuxième entrevue. En outre, leur avocat les avait prévenus des risques qu’ils couraient à travailler sans permis de travail ainsi que du prétendu avantage de démontrer l’autonomie (sans se soucier de sa provenance), et ils ont choisi de rester au Canada et d’y travailler illégalement.
Je crois comprendre que les demandeurs espéraient que le temps qu’ils passaient au Canada malgré la mesure d’interdiction de séjour contre eux pourrait leur être avantageux dans la mesure où ils pourraient démontrer qu’ils se sont bien adaptés à ce pays. Toutefois, à mon avis, les demandeurs ne peuvent ni ne doivent être « récompensés » pour avoir passé du temps au Canada alors qu’en fait, ils n’avaient pas le droit de le faire. Dans le même ordre d’idée, on doit légalement chercher à être autonome, et un demandeur ne doit pas pouvoir invoquer ses actes illégaux pour revendiquer par la suite un avantage comme une dispense ministérielle. Enfin, je souligne l’évidence même : le but de la dispense, en l’espèce, était de soustraire les demandeurs à l’exigence de devoir présenter leur demande de statut depuis l’étranger, et non de les dispenser d’autres dispositions législatives, comme l’exigence d’un permis de travail valide.
[33]
Je suis conscient qu’il y aura des exceptions, fondées sur des preuves, à ce principe général : voir Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 451, aux paragraphes 34 à 36, par exemple. Mais l’importance de ce principe général est renforcée selon moi par le fait qu’il est réitéré dans l’arrêt Kanthasamy que l’article 25 de la LIPR n’est pas un « régime d’immigration parallèle »
, ce qui confirme que le redressement pour motifs d’ordre humanitaire s’inscrit dans les paramètres ordinaires de la LIPR. Cela inclut, il va sans dire, les conséquences à subir si l’on obtient le statut de résident permanent en contractant un mariage frauduleux. Si l’arrêt Kanthasamy crée ou – si l’on veut peut-être s’exprimer de manière plus précise – rétablit, les règles antérieures énoncées dans l’arrêt Chirwa – relativement à la portée des considérations qui sous-tendent le redressement – il exige néanmoins que l’on évalue la totalité des faits et des facteurs. Cela inclut, selon moi, l’entrée illégale d’un demandeur au pays. Même si l’entrée illégale de la demanderesse est survenue il y a un certain temps, on ne peut pas en faire abstraction. Je signale que la demanderesse prétend que son premier mariage a pris fin à cause de l’infidélité de son époux.
[34]
Dans la décision Millette, la demanderesse se trouvait au Canada depuis quinze ans; dans le cas présent, la demanderesse est au pays depuis dix ans. Le renvoi a été une possibilité raisonnable pendant de nombreuses années, et l’agent, en tirant cette conclusion, n’a pas agi de manière déraisonnable. Il m’est impossible de considérer que l’évaluation de la question de l’établissement est déraisonnable. Cette évaluation est conforme à la jurisprudence établie, et la conclusion de l’agent, à mon humble avis, est étayée par la preuve. La décision de ce dernier s’inscrit dans l’éventail des issues raisonnables qui s’offraient à lui en l’espèce.
Question no 3 : L’agent d’immigration a-t-il évalué déraisonnablement les rapports de la psychothérapeute et de la psychologue au sujet de la demanderesse et de l’enfant?
[35]
La demanderesse a formulé plusieurs allégations au sujet du peu de cas que l’agent a fait des preuves de sa psychothérapeute et de sa psychologue. Ces allégations sont énoncées ci-après, en italiques, suivies dans chaque cas de mes commentaires.
L’agent n’a pas pris en considération de manière raisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant.
Il s’agit, de loin, de l’aspect le plus important en l’espèce. Pour commencer, l’agent a été manifestement
« réceptif, attentif et sensible »
à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il ne fait aucun doute que le fait d’accorder une grande importance aux facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas nécessairement pour résultat qu’une famille restera ensemble au Canada. Il ne fait aucun doute que la preuve étayera souvent la conclusion selon laquelle on servirait le mieux l’intérêt supérieur d’un enfant en laissant celui-ci rester avec ses parents et sa famille étendue au Canada. Il fait peu de doute aussi que l’on pourrait dire cela de presque n’importe quel enfant ayant une famille étendue au Canada et qui risque d’être renvoyé dans le pays de nationalité de ses parents. Dans bien des cas, la seule option pour l’enfant canadien est d’accompagner sa mère, qui en a la garde, jusqu’au pays dans lequel celle-ci retourne; c’est l’option que la demanderesse a choisie en l’espèce.Dans la présente affaire, la question primordiale était l’importance du fait que l’enfant demeure avec sa mère au cours de ses premières années de vie et qu’elle soit élevée par cette dernière. On répondrait donc à la question primordiale, que l’enfant et sa mère restent au Canada ou au Vietnam. Mon examen de la décision de l’agent m’amène à conclure que la question de l’intérêt supérieur de l’enfant a été prise en compte de manière équitable et raisonnable. La demanderesse n’y souscrit pas, mais elle n’a pas montré en quoi cette décision est déraisonnable.
Par ailleurs, une part importante de la décision CH concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, comme on pouvait s’y attendre. La décision de l’agent traite de l’intérêt supérieur de l’enfant sous plusieurs rubriques, la première étant [traduction]
« Liens avec le Canada »
. Ici, l’agent prend acte de l’argument voulant que la demanderesse soit devenue un élément intégrant de sa famille étendue au Canada. Les personnes avec lesquelles elle vit sont prises en considération. L’agent reconnaît le soutien affectif et familial étroit dont la demanderesse et sa fille bénéficient. Mais il est d’avis qu’une séparation ne romprait pas les liens qui ont été établis, et il conclut de manière raisonnable que, bien qu’il ne s’agisse pas là d’un substitut à une présence physique, les télécommunications permettent d’avoir des contacts réguliers. L’agent signale, tout comme la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de l’arrêt Kanthasamy, qu’il y aura forcément des difficultés associées au fait d’être obligé de quitter le Canada et que, comme il est indiqué dans l’arrêt Kanthasamy,« cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) »
. Il m’est impossible de déterminer que l’agent a tiré une conclusion déraisonnable à cet égard.Sous la rubrique [traduction]
« Intérêt supérieur de l’enfant »
, l’agent a saisi de manière raisonnable l’essentiel des observations de la demanderesse, et de celles de sa psychothérapeute et de sa psychologue. L’agent a conclu que la demanderesse est la principale responsable des soins, celle dont l’enfant dépend entièrement. Cette conclusion découle des preuves professionnelles et elle est étayée par celles-ci. L’agent a conclu que les premières années de vie sont essentielles pour établir et entretenir des relations affectives avec les parents et il a donc conclu de manière raisonnable que le retour de l’enfant au Vietnam en compagnie de la demanderesse répondrait à l’intérêt supérieur de cette enfant. Il a également signalé que la demanderesse avait eu recours à des gardiennes d’enfant pour prendre soin de l’enfant pendant leur séjour au Canada; c’est donc dire qu’à défaut d’une preuve contraire, des modalités semblables pourraient être prises au Vietnam. L’agent a signalé précisément les préoccupations de Mme Riback quant au développement psychologique, social et éducatif de l’enfant, concluant en fin de compte que l’enfant n’avait pas encore atteint un âge où elle reconnaîtrait ou ressentirait des liens importants avec un pays quelconque. De plus, l’enfant continuerait de jouir du plein avantage des soins de sa mère, qui la guiderait pendant l’étape transitionnelle de la réinstallation. Il a conclu que les directives et le soutien de la demanderesse permettraient à l’enfant de s’ajuster à la vie au Vietnam et il a donc rejeté les préoccupations de la demanderesse à l’égard du développement culturel, social, physique et affectif de l’enfant. L’agent a signalé la [traduction]« résilience intrinsèque »
qui vient avec le jeune âge de l’enfant et s’est dit convaincu de la capacité de cette dernière d’assimiler un nouvel environnement scolaire, après une période d’adaptation. Il a aussi traité des préoccupations de Mme Sinclair et de Mme Riback au sujet de la dépression dont souffrait la demanderesse, et ce, sous la rubrique [traduction]« Facteurs dans le pays d’origine »
. Je traiterai de ces rapports plus loin.
L’agent s’est concentré d’une manière excessive sur la violation de la LIPR qui sous-tendait l’arrivée initiale de la demanderesse au Canada. Dans la décision de l’agent, chaque facteur positif est entaché par le facteur négatif que représente la fausse déclaration initiale de la demanderesse; la décision porte donc sur une question de sanction, et non de motifs d’ordre humanitaire.
Là encore, je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse. L’agent mentionne en premier la question du mariage frauduleux au regard de l’établissement de la demanderesse, et ce, de manière raisonnable, comme il a été mentionné plus tôt. Cette question est mentionnée de nouveau sous la rubrique de la dépression de la demanderesse et, à ce moment, l’agent indique que l’inquiétude de la demanderesse et sa réaction face à son renvoi sont compréhensibles. Ces références faites à la fausse déclaration initiale sont raisonnables. L’agent s’est dit non convaincu que la demanderesse s’attendait de manière raisonnable à pouvoir rester au pays de façon permanente. Cela, aussi, est raisonnable; il n’en demeure pas moins que l’agent était tenu, selon l’arrêt Kanthasamy, d’évaluer le souhait de la demanderesse de rester au pays par rapport à la façon dont elle avait décidé d’y entrer. Selon moi, la violation n’imprègne pas la décision; l’agent a plutôt examiné dans quel cas cette violation était pertinente. En faire abstraction reviendrait à permettre à toutes les personnes qui entrent illégalement au Canada d’être évaluées comme si elles y étaient entrées légalement, ce qui, selon la jurisprudence de notre Cour, n’est pas un droit pour ces demandeurs.
Il a été fait abstraction de l’inquiétude de Mme Sinclair quant au fait que la demanderesse tombe dans une profonde dépression et est exposée à une grave dépression de même que de sa preuve d’un risque élevé de difficultés au Vietnam, avec des conséquences défavorables pour l’enfant. L’agent n’a pas évalué l’effet du retour au Vietnam et a rendu la décision finale sans tenir compte de la disponibilité moindre au Vietnam de cliniques de soins de santé mentale semblables à celles qui existent au Canada.
J’ai déjà constaté une occurrence où le rapport de Mme Sinclair a été pris en considération, sans être accepté toutefois. J’ajouterais que la preuve de la psychothérapeute était semblable. L’agent a bel et bien évalué cette préoccupation et, comme il a été signalé, il a conclu qu’elle était compréhensible à un égard en particulier. Pour ce qui était du renvoi, l’agent a également évalué succinctement l’effet qu’aurait le renvoi du Canada sur l’état de santé mentale de la demanderesse. L’arrêt Kanthasamy (au paragraphe 48) exige que de tels facteurs soient retenus puis soupesés
« peu importe la possibilité d’obtenir […] des soins susceptibles d’améliorer son état »
. L’agent a reconnu qu’un [traduction]« traitement potentiel était requis »
– il s’agit là d’une évaluation raisonnable. Il a ensuite conclu, en se fondant sur les éléments de preuve, qu’il n’y avait pas [traduction]« assez de preuves objectives confirmant que le traitement requis potentiel, si jamais l’état de santé mentale [de la demanderesse] déclinait après son retour, n’est pas disponible au Vietnam »
. Une telle conclusion revient en fin de compte à évaluer les éléments de preuve. Dans la présente affaire, l’agent a conclu que les preuves étaient insuffisantes. Il a aussi fait remarquer que, même s’ils n’étaient pas exhaustifs selon les normes canadiennes, il existe des traitements et des services pour les personnes qui souffrent de troubles de santé mentale au Vietnam. Le dossier étaye ces conclusions; elles sont défendables au vu du dossier et donc raisonnables selon l’arrêt Dunsmuir.
[36]
À l’audience, les deux parties ont passé la preuve en revue; l’examen de la demanderesse a été effectué de manière très détaillée, vu qu’elle avait le fardeau d’établir le caractère déraisonnable et d’amorcer l’étape de la preuve. Je conviens qu’il s’agit d’une affaire difficile, et je comprends la position de la demanderesse.
[37]
En fin de compte, il est nécessaire que la Cour prenne du recul et évalue la décision de l’agent comme un tout, qu’elle détermine si cette décision correspond aux critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir et si elle concorde avec l’arrêt Kanthasamy au chapitre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme il a été mentionné plus tôt, c’est la bonne approche juridique qui a été suivie quant à l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour ce qui est de la raisonnabilité, la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible. À mon humble avis, cette décision de l’agent appartient aussi aux issues défendables au regard des faits et du droit, ainsi que l’exige l’arrêt Dunsmuir. La décision de l’agent est donc raisonnable, au sens donné par la Cour suprême du Canada. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
VII.
Question certifiée
[38]
Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question de portée générale à certifier, et il ne s’en pose aucune.
VIII.
Conclusion
[39]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée; aucune question n’est certifiée et aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.
« Henry S. Brown »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-2326-16
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INTITULÉ :
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THI HONG DUC NGUYEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 6 DÉcembrE 2016
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jugEment ET MOTIFS :
|
LE JUGE BROWN
|
DATE DU JUGEMENT :
|
LE 9 JANVIER 2017
|
COMPARUTIONS :
Robin L. Seligman
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Nicole Rahaman
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robin L. Seligman
Avocate
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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