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Date : 20161230


Dossier : IMM-680-16

Référence : 2016 CF 1421

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

AHMED BIN SOHAIL CHEEMA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Ahmed Bin Sohail Cheema, demande le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR] rendue le 17 décembre 2015, refusant sa demande d’ERAR. L’agent d’ERAR a statué que M. Cheema ne serait pas exposé à un risque de persécution, ni menacé de torture, que sa vie ne serait pas menacée, et qu’il ne serait pas exposé au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Pakistan, le pays de sa nationalité.

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[3]               M. Cheema prétend que, durant ses années de collège à Lahore, au Pakistan, il a organisé des rencontres visant à promouvoir l’harmonie interconfessionnelle afin de tenter d’éliminer l’animosité entre la majorité sunnite et la minorité chiite au sein de la population musulmane.

[4]               En juillet 2011, M. Cheema a obtenu un visa d’étudiant pour venir au Canada, conformément aux vœux de sa mère, qui voulait qu’il fasse des études à l’étranger. Le mois suivant, il a reçu un appel du Lashkar-e-Jhangvi (LJ), une organisation militante sunnite, qui le menaçait de dangereuses conséquences à moins qu’il ne cesse ses activités religieuses chiites et ses activités de promotion de l’harmonie interconfessionnelle. Étant donné qu’il avait déjà obtenu un visa pour le Canada, il a décidé de partir à bord du premier vol disponible. Il n’a pas signalé cette menace à la police, puisque lui et sa mère étaient convaincus que ce serait futile.

[5]               M. Cheema est arrivé au Canada en août 2011, et son permis d’études, censé expirer en janvier 2013, a par la suite été prorogé jusqu’en mars 2015. Toutefois, il est retourné au Pakistan en septembre 2014 parce qu’il était à court d’argent.

[6]               À son retour au Pakistan, M. Cheema a organisé une rencontre visant à promouvoir l’harmonie interconfessionnelle, prévue pour le 26 novembre 2014. Deux (2) jours avant la date à laquelle la rencontre devait avoir lieu, il a reçu un appel téléphonique sur son téléphone cellulaire d’un inconnu qui appelait d’un numéro inconnu. Cet inconnu a notamment menacé M. Cheema de perpétrer un attentat-suicide à la bombe à la rencontre et d’y tuer tous les participants si cette rencontre n’était pas annulée immédiatement.

[7]               M. Cheema a déposé une plainte auprès de la police au sujet de l’incident. Malgré la réticence initiale de la police à enregistrer un rapport au motif que M. Cheema ne connaissait pas l’identité de l’auteur de l’appel, à l’insistance du frère de M. Cheema, qui était avocat à Lahore, la police a enregistré un premier rapport d’information (PRI). Cependant, elle n’a pas fourni de protection à M. Cheema, et elle lui a conseillé ainsi qu’à son frère d’annuler la rencontre immédiatement afin d’éviter que les participants à la rencontre et lui-même soient tués. Le lendemain, M. Cheema a reçu un autre appel téléphonique d’un inconnu qui appelait d’un numéro inconnu, et cet inconnu lui a dit que communiquer avec la police et enregistrer un autre PRI ne ferait aucune différence. L’inconnu lui a également dit que s’il tentait de communiquer de nouveau avec la police, ce serait plus dangereux pour lui. Apeuré, M. Cheema a quitté le Pakistan le 2 décembre 2014 et est revenu au Canada puisqu’il avait encore un visa valide.

[8]               En septembre 2015, environ quatre (4) mois après l’expiration de son statut de résident temporaire, M. Cheema a été arrêté et placé en détention par l’Agence des services frontaliers du Canada à Fort Érié. Un rapport d’interdiction de territoire a été établi parce que M. Cheema avait prolongé son séjour au Canada au-delà de la période autorisée, et une mesure d’exclusion a été prise contre lui. M. Cheema était inadmissible à demander l’asile, et il a donc déposé une demande d’ERAR, dans laquelle il alléguait qu’il était menacé de mort par des membres du groupe extrémiste LJ et/ou d’autres organisations militantes musulmanes sunnites parce qu’il était un militant chiite et organisait bénévolement des rencontres visant à promouvoir l’harmonie interconfessionnelle.

[9]               L’agent d’ERAR a rejeté la demande de M. Cheema, en concluant que celui-ci n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. L’agent d’ERAR a admis que M. Cheema avait fait du travail bénévole au Pakistan et qu’il avait participé à l’organisation d’une rencontre. Il a également admis que la police avait reçu la déclaration de M. Cheema concernant l’appel du 24 novembre 2014. Néanmoins, l’agent d’ERAR a conclu que M. Cheema n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante permettant de réfuter la présomption de la protection de l’État et qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve corroborants pour permettre de conclure qu’il serait personnellement exposé à un risque prospectif s’il retournait au Pakistan.

[10]           M. Cheema demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

II.                Analyse

[11]           M. Cheema a soulevé plusieurs questions, mais il a concédé à l’audience que la question de la protection de l’État était déterminante dans la présente instance. M. Cheema soutient que l’agent d’ERAR a adopté et appliqué le mauvais critère relativement à la protection de l’État, en examinant les efforts de l’État plutôt que le caractère adéquat de la protection que l’État offrait sur le terrain à quelqu’un se trouvant dans la situation particulière de M. Cheema. Il soutient également que l’agent d’ERAR est parvenu à des conclusions déraisonnables quant à l’existence de la protection de l’État au Pakistan.

[12]           La question de savoir si l’agent d’ERAR a adopté et appliqué le bon critère relativement à la protection de l’État est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Go c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1021, au paragraphe 7 (Go); Buri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 45, aux paragraphes 17 et 18, citant Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 22).

[13]           Le caractère adéquat de la protection de l’État est toutefois une question mixte de faits et de droit qui doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38; Go, au paragraphe 10; Marqueshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 932, au paragraphe 16; Mrda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 49, au paragraphe 24).

[14]           Il est bien établi que, lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Il faut faire preuve de retenue à l’endroit du décideur. Il peut exister plus d’une issue raisonnable, « [n]éanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

[15]           M. Cheema soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur lorsqu’il a examiné le caractère adéquat de la protection de l’État au Pakistan. Plus précisément, il soutient que l’agent d’ERAR a omis de reconnaître que le caractère adéquat de la protection de l’État doit être évalué sur le terrain.

[16]           Je suis convaincue que l’agent d’ERAR a appliqué le bon critère lorsqu’il a évalué si M. Cheema pouvait se prévaloir de la protection de l’État. L’agent d’ERAR a centré son analyse de la protection de l’État sur la présomption que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. Il affirme :

[traduction]
En outre, sauf en cas d’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a présomption que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. On n’attend d’aucun État qu’il assure une protection parfaite de tous ses citoyens en tout temps; la protection de l’État est considérée adéquate si l’État a le contrôle effectif de son territoire, s'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et s'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens. Un demandeur est tenu de demander à son État de lui accorder sa protection, s’il est raisonnable de s’attendre à ce que cette protection soit offerte, avant de solliciter une protection internationale. Le demandeur peut réfuter cette présomption de protection de l’État en produisant une preuve claire et convaincante que l’État n’est pas en mesure d’assurer la protection nécessaire.

[17]           La mention d’« efforts sérieux » pourrait porter à croire que l’agent d’ERAR a appliqué le mauvais critère et qu’il a seulement examiné les efforts déployés par l’État pour statuer sur la protection de l’État, mais l’agent d’ERAR a ensuite souligné que la police avait accepté de recevoir la plainte de M. Cheema puisqu’un PRI avait été enregistré, la plainte avait été transmise à des supérieurs et avait été présentée à un agent à des fins d’enquête. L’agent d’ERAR en a déduit que les autorités étaient disposées à examiner la plainte de M. Cheema, et il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant la question de savoir pourquoi M. Cheema ne pouvait pas s’adresser de nouveau aux autorités pour demander de l’aide, et que M. Cheema n’avait donc pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Après avoir lu les motifs de l’agent d’ERAR dans leur ensemble, je suis convaincue que l’agent d’ERAR a compris que la question était celle de la capacité des autorités pakistanaises, dans ce cas-ci la police, à fournir une protection à M. Cheema sur le terrain.

[18]           M. Cheema soutient également que les conclusions de l’agent d’ERAR concernant le caractère adéquat de la protection de l’État et la non-réfutation de la présomption de protection de l’État par M. Cheema étaient déraisonnables. Il soutient que l’agent d’ERAR a fait fi et omis de traiter des éléments de preuve documentaire objective qui démontraient qu’il était improbable que d’autres tentatives d’obtenir la protection de la police fassent la moindre différence.

[19]           Les motifs de l’agent d’ERAR indiquent qu’il a examiné les documents sur la situation dans le pays qui donnent un aperçu des problèmes au Pakistan. Il a admis la preuve de problèmes persistants de violence sectaire et de corruption au Pakistan. Toutefois, en s’appuyant en particulier sur le Country Information and Guidance Report du Home Office du Royaume-Uni, il a souligné que les éléments de preuve documentaire objective indiquaient également que le Pakistan avait pris des mesures concrètes pour s’attaquer à ces problèmes et pour assurer la sécurité des Shi’ites. L’agent d’ERAR a également constaté les efforts déployés par l’État pour régler ces problèmes, notamment une formation spécialisée centrée sur les droits de la personne et la lutte contre la corruption à l’intention des policiers et les recours offerts aux victimes d’actes répréhensibles pour obtenir un dédommagement, notamment les comités de liaison entre les citoyens et la police ou l’aide des tribunaux.

[20]           L’agent d’ERAR s’est également appuyé sur les éléments de preuve contradictoire concernant le troisième appel téléphonique que M. Cheema avait reçu ainsi que sur la preuve insuffisante concernant l’identité des auteurs des appels et la question de savoir pourquoi M. Cheema ne pourrait pas s’adresser de nouveau aux autorités s’il avait besoin d’aide.

[21]           Étant donné les éléments de preuve documentaire objective contradictoires concernant la disponibilité de la protection de l’État, la preuve insuffisante concernant le troisième appel téléphonique et le fait que la police avait reçu la plainte de M. Cheema et l’avait transmise à des autorités supérieures, il était loisible à l’agent d’ERAR de conclure que M. Cheema n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État.

[22]           Il se peut M. Cheema ne souscrive pas à l’appréciation que l’agent d’ERAR a faite de la preuve, mais il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve dont disposait l’agent d’ERAR et de tirer une conclusion différente.

[23]           En conséquence, la Cour est convaincue que la décision de l’agent d’ERAR selon laquelle M. Cheema n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État est raisonnable et qu’elle « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

III.             Conclusion

[24]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-680-16

INTITULÉ :

AHMED BIN SOHAIL CHEEMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 30 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Raisa Sharipova

POUR LE DEMANDEUR

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raisa Sharipova

Avocate

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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