Date : 20161219
Dossier : IMM-1641-16
Référence : 2016 CF 1384
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2016
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE : |
ANTONIO BERIYUT MEDAH |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Antonio Beriyut Medah, le demandeur, est arrivé au Canada en 1990. D’après sa demande de résidence permanente, présentée en 1990, il est né en 1953 à [traduction] « Debougor », [traduction] « Burkina [Faso] » et il est de citoyenneté burkinabée.
[2] Lors de son arrivée au Canada, M. Medah s’est vu remettre une Confirmation de résidence permanente ou une Fiche relative au droit d’établissement (la fiche ou la fiche d’établissement). La fiche porte la date de naissance figurant sur sa demande de résidence permanente. Or, M. Medah soutient maintenant que l’année de naissance inscrite sur sa demande de résidence permanente est inexacte et que c’est cette date inexacte qui figure sur la fiche d’établissement. En janvier 2016, il a demandé que sa fiche soit modifiée afin d’y faire figurer comme année de sa naissance 1963, plutôt que 1953. Sa demande a été rejetée. C’est de cette décision que M. Medah sollicite maintenant le contrôle judiciaire.
[3] Selon M. Medah, l’agent qui a rejeté sa demande n’a tenu aucun compte de son certificat de baptême, document antérieur à son établissement au Canada et démontrant qu’il est effectivement né en 1963. M. Medah fait par ailleurs valoir qu’on lui devait un degré particulièrement élevé d’équité procédurale, vu l’importance de voir figurer sur la fiche d’établissement une date de naissance exacte, cette fiche servant à établir sa date de naissance à d’autres fins. Il soutient également qu’une date de naissance inexacte sur la fiche d’établissement aura des conséquences quant à son admissibilité à certaines prestations gouvernementales dans le futur. Selon lui, en ne prenant pas en compte son certificat de baptême, l’agent a manqué à l’équité procédurale, et sa décision était déraisonnable.
[4] La demande soulève les questions suivantes :
A. L’agent a-t-il omis de prendre en compte tous les éléments de preuve?
B. La décision est-elle déraisonnable?
[5] Pour les motifs exposés ci-dessous, je considère que la décision de l’agent est raisonnable.
II. Le processus de modification
[6] Avant de me pencher sur les questions soulevées en l’espèce, il me paraît utile d’examiner brièvement le processus mis en place par le gouvernement du Canada à l’intention des résidents permanents et des citoyens canadiens qui souhaiteraient faire modifier la fiche d’établissement.
[7] Le processus est exposé dans un guide du gouvernement du Canada intitulé Demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement, de la confirmation de résidence permanente ou de documents de résident temporaire valides (IMM 5218) (le guide). D’après ce guide, la fiche d’établissement est un document historique qui ne sera modifié que pour corriger les erreurs des agents canadiens de l’immigration au moment de l’enregistrement des informations fournies lors de la demande d’admission au Canada. Le guide énumère les informations pouvant être corrigées, tel que la date de naissance, le lieu de naissance, le pays de naissance et la citoyenneté. Selon le guide, celui qui sollicite une modification de la fiche d’établissement doit : 1) remplir et signer une demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement (formulaire de demande); 2) joindre une photocopie d’une « pièce d’identité avec photo délivrée par un gouvernement, fédéral, provincial ou territorial, OU si ce n’est pas possible, une photocopie d’une preuve d’identité avec photo produite par un gouvernement ou qui est reconnue internationalement à l’extérieur du Canada avant votre entrée au Canada » [caractères gras omis]; 3) une photocopie d’une « pièce d’identité produite avant votre entrée au Canada par un gouvernement à l’extérieur du Canada ou reconnue à l’échelle internationale et indiquant qu’une erreur a été commise en enregistrant votre information ». Selon le guide, on peut inclure un certificat de baptême si le pays de naissance ne délivre pas de certificats de naissance.
[8] Le guide donne après cela des instructions détaillées quant à la manière de remplir le formulaire de demande. À la partie C du formulaire, il est demandé d’expliquer, de manière circonstanciée : 1) les raisons pour lesquelles il est demandé une modification de la fiche; 2) l’erreur commise; 3) les renseignements fournis dans la demande; 4) ce qui explique pourquoi un changement est nécessaire. Le guide donne alors des instructions touchant l’envoi du formulaire de demande ainsi que certaines indications concernant les étapes de traitement du dossier.
III. La demande de modification
[9] M. Medah a rempli et présenté un formulaire de demande en vue d’obtenir la modification de sa date de naissance, 1953 devenant 1963. À l’appui de sa demande, il a joint une copie de son certificat de baptême, délivré par le diocèse catholique de Navrongo‑Bolgatanga, au Ghana, selon lequel il a été baptisé le 21 avril 1984. Dans ce certificat de baptême, sa date de naissance est donnée comme étant le 15 novembre 1963, son père étant Joseph Ergzal Medah et sa mère, Mary Magdalene Kuunuo.
[10] M. Medah a également fourni une [traduction] « Copie certifiée de l'entrée dans le registre des naissances », datée du 15 juillet 2011, émise par le Registraire des naissances et des décès du Ghana. Ce document indique également qu’il est né le 15 novembre 1963, et identifie son père comme étant Joseph Ergzal Medah et sa mère comme étant Mary Magdalene Kuunuo. D’après ce certificat, sa naissance a été enregistrée le 17 juin 2011.
[11] Les renseignements figurant sur son certificat de baptême et son certificat de naissance diffèrent de ce qui figure sur sa demande de résidence permanente, le nom de ses parents, son lieu et pays de naissance étant tous différents, et son année de naissance l’étant également. Or, M. Medah sollicitait uniquement la modification de l’année de sa naissance.
[12] Expliquant, à la partie C du formulaire de demande, pourquoi il souhaitait faire modifier la fiche d’établissement, M. Medah a simplement écrit ceci : [traduction] « L’année de ma naissance doit être modifiée de 1953 à 1963, car j’ai fait une erreur lorsque j’ai fourni mon année de naissance. Je joins à la présente demande deux documents qui confirment ma vraie date de naissance. » Il n’a ni reconnu ni expliqué les divergences touchant le nom de ses parents ou son lieu de naissance.
IV. La décision faisant l’objet du contrôle
[13] M. Medah a reçu une lettre de rejet datée du 29 mars 2016. Dans cette lettre, l’agent note ceci : [traduction] « […] nous ne sommes pas convaincus qu’une erreur a été faite dans l’inscription de vos renseignements ». Il ajoute que les documents produits à l’appui de la demande de modification doivent porter une date antérieure à la date de délivrance de la fiche d’établissement.
[14] Dans les notes consignées par l’agent, on relève le passage suivant :
[traduction]
Demande de modification de la Confirmation de résidence permanente/Fiche
relative au droit d’établissement : DDN de 1953/11/15 à 1963/11/15. Documents
fournis : Confirmation de résidence permanente, certificat de naissance,
etc. (voir la correspondance jointe au dossier). Décision : rejet – en
raison de la preuve insuffisante produite par le client, les documents fournis
n’ayant pas été délivrés avant l’établissement, et des divergences, dans le
certificat de baptême, entre les documents fournis et la Confirmation de
résidence permanente originale. Nous ne sommes pas persuadés que le ministère a
commis une erreur lors de l’inscription des renseignements. Lettre envoyée au
client.
V. La norme de contrôle
[15] M. Medah fait valoir que la norme de la décision correcte s’applique, puisque les questions qui se posent en l’espèce soulèvent une question de droit. Ce n’est pas mon avis. Les questions soulevées dans la présente affaire concernent l’interprétation et l’application d’un document de politique qui relève des connaissances spécialisées du décideur, ce qui commande la norme de la décision raisonnable. L’examen de la décision en cause soulève des questions de fait ainsi que des questions mixtes de droit et de fait. C’est, encore une fois, la norme de la décision raisonnable qui s’applique (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51, 53 et 54 (Dunsmuir)).
VI. Analyse
[16] M. Medah soutient que, ni dans sa lettre de refus ni dans ses notes, l’agent ne fait référence à son certificat de baptême, document délivré avant son arrivée au Canada. Selon M. Medah, cela montre bien que l’agent n’a tenu aucun compte de ce document. Invoquant à l’appui de sa thèse l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, il soutient que la décision en cause pourrait avoir pour lui d’importantes conséquences et que, cela étant, l’équité voudrait qu’on lui dise pourquoi le certificat de baptême ne suffit pas pour modifier sa date de naissance. Cet argument ne me convainc pas.
[17] Il est fréquent que les affaires portées devant un décideur administratif ne se prêtent pas à une solution précise. C’est pourquoi la cour de révision doit porter « […] une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 48). La norme de la décision raisonnable impose à la Cour de se demander si les motifs de la décision appuient, en fait ou en principe, la conclusion tirée. Or, pour cela, la Cour [traduction] « […] doit d’abord chercher à les compléter [les motifs] avant de tenter de les contrecarrer » (David Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law, Oxford, Hart Publishing, 1997, 279, à la page 304, cité dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 12 (Newfoundland and Labrador Nurses)). « [La Cour] ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen, mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Newfoundland and Labrador Nurses, au paragraphe 15).
[18] En l’espèce, les motifs de la décision sont peu détaillés, il est vrai, et n’évoquent pas directement tous les éléments de preuve documentaire soumis au décideur. Les notes de l’agent reconnaissent cependant l’existence d’un certain nombre de documents produits à l’appui, puisque, dans ses notes, l’agent fait état de ce qui suit : [traduction] « Documents fournis : Confirmation de résidence permanente, certificat de naissance, etc. (voir la correspondance jointe au dossier). » L’agent souligne ensuite non seulement que le certificat de naissance porte une date postérieure à l’établissement de M. Medah, mais qu’il existe des divergences entre la fiche d’établissement et le certificat de naissance. Il précise que ces divergences concernent le lieu et le pays de naissance. Dans sa demande de modification, M. Medah n’explique pas ces divergences et n’en fait même pas mention dans le formulaire de demande. Or, on trouve ces mêmes divergences dans le certificat de baptême qu’il a fourni.
[19] À l’appui de son argument voulant que l’agent n’ait pas pris en compte son certificat de baptême, M. Medah fait valoir que, dans sa lettre de rejet, l’agent rappelle que les documents produits à l’appui d’une demande doivent porter une date antérieure à celle de la fiche d’établissement. Je ne suis, encore une fois, pas convaincu par cet argument. Il me semble, en effet, que, comme l’affirme le défendeur, c’est mal interpréter la lettre de l’agent. En faisant cet énoncé, l’agent ne faisait en réalité que rappeler que tout élément de preuve produit à l’appui d’une demande ultérieure doit porter une date antérieure à la date d’entrée au Canada.
[20] Selon M. Medah, l’équité exigeait qu’on lui explique précisément pourquoi son certificat de baptême ne suffisait pas pour qu’on lui accorde la modification qu’il sollicitait. Or, il ne tient aucun compte en cela du fait qu’il lui appartenait de démontrer qu’une erreur avait effectivement été commise. En produisant les éléments de preuve en question, M. Medah ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. Au contraire, la preuve contenait des divergences, importantes et pertinentes, qui sont demeurées sans explication. M. Medah conteste le caractère peu détaillé des motifs du rejet, mais le formulaire de demande qu’il a soumis est lui-même pauvre en détails, ne comportant qu’une seule phrase.
VII. Conclusion
[21] Je suis d’avis que, malgré leur brièveté, les motifs exposés par l’agent justifient, de manière transparente et intelligible, la décision en cause. La décision se justifie au regard des faits et du droit applicable (Dunsmuir, au paragraphe 47).
[22] Les parties n’ont fait état d’aucune question de portée générale, et l’affaire n’en soulève pas.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Patrick Gleeson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-1641-16
|
INTITULÉ : |
ANTONIO BERIYUT MEDAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
CALGARY (ALBERTA)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 8 DÉCEMBRE 2016
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GLEESON
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 19 DÉCEMBRE 2016
|
COMPARUTIONS :
Dalwinder Hayer
|
POUR le demandeur
|
Stephen A. McLachlin
|
POUR le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hayer Law Office Avocat Calgary (Alberta)
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POUR le demandeur
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Calgary (Alberta)
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POUR le défendeur
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