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Date : 20161220


Dossier : IMM-2885-16

Référence : 2016 CF 1398

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

SERGE KOUASSI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre de la décision d’une commissaire de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le 14 juin 2016, en vertu du paragraphe 111(1) de la LIPR, la SAR a rejeté l’appel du demandeur, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 21 août 2015, selon laquelle il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, âgé de 38 ans, est citoyen de la Côte d’Ivoire et d’origine ethnique dida. Il est arrivé au Canada le 28 mai 2015, à titre de visiteur comme danseur pour un festival artistique (de 2007 à 2012, le demandeur était sans emploi). Le demandeur a demandé l’asile dans les jours suivants son arrivée, alléguant être victime de persécution en raison de ses opinions politiques. Il a une conjointe et un fils de 6 ans qui vivent toujours en Côte d’Ivoire.

[3]               Selon son récit, le demandeur était militant de la section jeunesse du Front Populaire Ivoirien [FPI], parti pour lequel il a fait du porte-à-porte durant la campagne électorale présidentielle de 2010.

[4]               En août 2014, s’affichant sur la rue comme sympathisant du FPI par son habillement, le demandeur aurait été violemment malmené par un groupe de personnes hostiles à ce parti et liées au parti au pouvoir, le Rassemblement des Républicains. Il aurait dénoncé ses agresseurs à la police, mais celle-ci n’aurait pas donné suite à sa plainte.

[5]               En septembre ou novembre 2014, alors que le demandeur se rendait à une rencontre de partisans du FPI, il aurait été informé d’une rafle des forces du gouvernement. Il aurait alors évité l’arrestation musclée qu’ont subie plusieurs des partisans qui étaient à ce rassemblement. Suite à ces événements, il aurait rapidement fui Abidjan et se serait caché durant huit mois dans un campement situé à trois kilomètres du village d’Agbahou, à 250 kilomètres au sud-est de la capitale Yamoussoukro.

[6]               Après qu’il se soit rendu au Canada, sa conjointe aurait été importunée à deux reprises, en juin et juillet 2015, par des individus qui étaient à la recherche du demandeur. Elle aurait été battue et aurait porté plainte aux autorités par la suite.

III.             Décisions

A.                Décision de la SPR du 21 août 2015

[7]               La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de son manque de crédibilité et de la possibilité de refuge intérieur en Côte d’Ivoire.

[8]               La SPR a trouvé que le récit du demandeur n’était pas crédible. D’une part, le tribunal lui reproche d’avoir été incapable de donner des détails sur la plateforme électorale de son parti, n’offrant que des réponses vagues et génériques. Questionné sur la date de l’arrestation de ses compatriotes et sur celle de sa fuite d’Abidjan – le 20 septembre ou le 20 novembre 2014 – le demandeur n’aurait pas expliqué les contradictions soulevées dans son formulaire de demande d’asile [FDA] à la satisfaction du tribunal. Enfin, la SPR a conclu que la plainte de sa conjointe suite aux incidents allégués était, en fait, un document de complaisance; très peu d’informations sur la victime se retrouvaient sur le document de la plainte alors que celles relatives au demandeur étaient détaillées.

[9]               Subsidiairement, la SPR a estimé qu’il existait une possibilité de refuge intérieur en Côte d’Ivoire pour le demandeur, dans le village d’Agbahou. Premièrement, le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté à Agbahou. Il y aurait vécu et commercé plusieurs mois sans être reconnu ou importuné et son profil politique ne serait pas assez important pour que des agents persécuteurs l’y poursuivent. En outre, la preuve objective démontrerait qu’en 2014, les partis d’opposition ne rencontraient que peu d’ennuis avec les autorités. Deuxièmement, le tribunal a considéré que selon son âge, sa scolarité et son état de santé, il lui serait possible de résider et de travailler à cet endroit.

[10]           Le demandeur a porté la décision de la SPR en appel le 11 septembre 2015.

B.                 Décision de la SAR du 14 juin 2016

[11]           La SAR a confirmé la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile du demandeur en vertu du paragraphe 111(1) de la LIPR. Elle a conclu que la SPR n’avait pas erré dans sa décision, après examen des motifs, écoute de l’enregistrement de l’audience du 10 août 2015 devant la SPR et analyse de l’ensemble de la preuve au dossier.

[12]           La SAR a évalué les documents déposés comme nouvelle preuve par le demandeur suivant le paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a conclu que certains documents ne pouvaient pas être considérés comme de la nouvelle preuve puisqu’ils étaient antérieurs au rejet de la SPR et qu’aucune explication n’avait été fournie par le demandeur pour justifier qu’ils n’aient pas été présentés en première instance. La SAR a également conclu que les documents admis comme nouvelle preuve ne justifiaient pas la tenue d’une audience au sens du paragraphe 110(6) de la LIPR, puisqu’ils portaient sur des circonstances étrangères à la situation du demandeur. Ils ne s’avéraient donc pas essentiels pour la prise de décision de la SAR et ne justifiaient pas à eux seuls que la demande d’asile soit accueillie ou rejetée.

[13]           Compte tenu de l’implication limitée du demandeur au sein du FPI, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur non déterminante en tirant une inférence négative sur la crédibilité du demandeur en raison de son incapacité de préciser le contenu de la plateforme électorale du parti. Néanmoins, la SAR a considéré que les contradictions du demandeur quant à la date de l’incident survenu à Abidjan à l’automne 2014 et ses nombreuses hésitations à répondre à la SPR justifiaient les conclusions en première instance quant à sa crédibilité, auxquelles souscrit la SAR. Finalement, la SAR a confirmé la décision de la SPR de ne donner aucune valeur probante à la plainte de la conjointe du demandeur à la police en 2015, à cause de son contenu; la plainte contient peu d’informations quant aux circonstances des incidents allégués et met l’emphase sur le demandeur. Le demandeur n’a pas pu expliquer le délai entre les incidents et le dépôt de la plainte par sa conjointe ni donner de détails sur les traitements qu’elle aurait reçus par la suite. En outre, bien qu’il ait reproché à la SPR d’avoir évalué la crédibilité de la plainte ivoirienne selon les normes canadiennes, le demandeur n’a déposé aucune preuve documentaire étayant son argument.

[14]           La SAR a appuyé les conclusions de la SPR quant à la possibilité de refuge interne en Côte d’Ivoire pour le demandeur et conclu que ses allégations n’étaient pas suffisantes pour démontrer le contraire. La SAR a considéré que le demandeur n’avait été qu’un simple militant du FPI et n’avait pas été très actif au parti, hormis ses activités de porte-à-porte en 2010. Elle a aussi estimé que le demandeur n’avait pas été importuné avant l’incident survenu sur la rue en août 2014 alors qu’il portait des vêtements l’associant au FPI, et qu’il s’agissait d’un acte isolé. N’ayant pas cru l’incident de l’automne 2014 ni la plainte de sa conjointe en 2015, la SAR a conclu que les allégations du demandeur qu’il serait retrouvé par des ennemis politiques n’étaient que de la spéculation. Enfin, le demandeur n’aurait pas suffisamment étayé l’inexistence d’une possibilité de refuge intérieur puisqu’il est scolarisé et qu’il a pu vivre et commercer à Agbahou durant plusieurs mois sans ennuis.

[15]           Finalement, la SAR n’a pas accepté les prétentions du demandeur, selon lesquelles il serait à risque de retourner en Côte d’Ivoire en raison des conflits intercommunautaires dus à des litiges fonciers et à l’exploitation de ressources naturelles puisque ces craintes n’avaient pas été mentionnées au FDA du demandeur et ne touchaient pas à sa région. La SAR a donc évalué que le demandeur n’était pas personnellement exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements cruels advenant son retour en Côte d’Ivoire. La SAR a rejeté les allégations du demandeur selon lesquelles il risquait personnellement l’insécurité alimentaire, la criminalité et les attentats djihadistes, puisqu’il s’agit d’un risque généralisé au sein du pays.

IV.             Observation des parties

A.                Prétentions du demandeur

[16]           Le demandeur est d’avis que la SAR a erré dans sa décision.

[17]           D’abord, le demandeur prétend que la SAR a déraisonnablement minimisé la valeur probante des nouveaux éléments de preuve présentés, procédant à l’exclusion injustifiée de cette preuve, sans appliquer les critères de l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza]. La SAR aurait erré dans son interprétation du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[18]           Ensuite, le demandeur allègue que la SAR a erré dans son appréciation de sa crédibilité. Le demandeur insiste sur la présomption de véracité du témoignage des demandeurs d’asile qui ne peut être renversée que par des motifs raisonnables, qui ne soient pas fondés sur des conjonctures ou des hypothèses. Le demandeur aurait livré un témoignage sincère et clair, mais le tribunal se serait livré à des spéculations, aurait mal interprété les faits à la base de la demande d’asile et se serait attardé à des détails secondaires.

[19]           Finalement, le demandeur soumet que la SAR a erré en concluant à la possibilité de refuge interne et à l’absence du risque personnalisé pour le demandeur en Côte d’Ivoire. La SAR aurait essentiellement tiré cette conclusion de son appréciation négative de la crédibilité du demandeur et de l’importance accordée à des éléments secondaires du récit du demandeur.

B.                 Prétentions du défendeur

[20]           Le défendeur argue que la décision de la SAR de ne pas accepter certains documents comme nouvelle preuve était raisonnable et conforme au paragraphe 110(4) de la LIPR ainsi qu’au paragraphe 29(3) des Règles de la section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 [RSAR] , le demandeur ne s’étant pas acquitté de son fardeau d’expliquer raisonnablement les raisons pour lesquelles les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas disponibles ou ce qui l’aurait empêché de les présenter en temps utile lors de l’audience de la SPR. Il serait maintenant inopportun de présenter ces explications à l’étape du contrôle judiciaire en Cour fédérale (Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521 aux para 39-46 [Figueroa]).

[21]           Le défendeur soumet que la décision de la SAR quant à l’absence de crédibilité du demandeur est raisonnable. Avant de rejeter l’appel, la SAR a minutieusement analysé la décision de la SPR, traité de chacune des allégations du demandeur et tenu compte de toute la preuve déposée de même que du témoignage du demandeur. Elle était bien fondée à tirer une inférence négative des incohérences retrouvées dans la preuve et de douter de la véracité du récit du demandeur. Par ailleurs, le défendeur souligne que le demandeur tente, à l’étape du contrôle judiciaire, de présenter des arguments basés sur de la preuve n’ayant pas été déposée comme pièce à son affidavit devant la Cour fédérale, ni devant la SAR.

[22]           Le défendeur prétend que la SAR, en tenant compte de toute la preuve, a raisonnablement conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur valide pour le demandeur en Côte d’Ivoire, et ce, en mettant de côté ses considérations portant sur la crédibilité du demandeur. Le demandeur n’ayant pas présenté de preuve fiable corroborant ses allégations de craintes, il ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer l’existence d’une possibilité sérieuse qu’il soit à risque de persécution partout en Côte d’Ivoire, selon la prépondérance des probabilités. Aussi, le défendeur soumet que la décision de la SAR était fondée en décidant que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères des articles 96 et 97 de la LIPR, n’ayant pas établi un risque personnalisé.

V.                Questions en litige

[23]           Dans la présente cause, la Cour doit se pencher sur les questions en litige suivantes :

1.      La SAR a-t-elle erré en refusant certains nouveaux éléments de preuve?

2.      La SAR a-t-elle erré dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

3.      La SAR a-t-elle erré en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur?

[24]           La première question en litige, portant sur l’interprétation faite par la SAR des dispositions de la LIPR quant à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, est soumise à la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh]).

[25]           La deuxième question en est une de fait, soumise à la norme de la décision raisonnable. La Cour doit faire preuve de déférence devant l’appréciation de la crédibilité du demandeur par les tribunaux spécialisés (Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1325; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 46).

[26]           La troisième question, mixte de fait et de droit, est également soumise à la norme de la décision raisonnable (Cruz Pineda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 81).

VI.             Dispositions pertinentes

[27]           Dans la présente cause, les dispositions trouvant application sont les suivantes.

[28]           Concernant la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger, les articles 96 et 97 de la LIPR :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[29]           Concernant le rejet de l’appel du demandeur par la SAR, le paragraphe 111(1) de la LIPR :

Décision

Decision

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

[30]           Concernant l’admission ou le rejet de preuves nouvelles, le paragraphe 110(4) de la LIPR et le paragraphe 29(3) des RSAR :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Documents — nouvelle preuve

Documents — new evidence

(3) La personne en cause inclut dans la demande pour utiliser un document qui n’avait pas été transmis au préalable une explication des raisons pour lesquelles le document est conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi et des raisons pour lesquelles cette preuve est liée à la personne, à moins que le document ne soit présenté en réponse à un élément de preuve présenté par le ministre.

(3) The person who is the subject of the appeal must include in an application to use a document that was not previously provided an explanation of how the document meets the requirements of subsection 110(4) of the Act and how that evidence relates to the person, unless the document is being presented in response to evidence presented by the Minister.

VII.          Analyse

[31]           Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.                La SAR a-t-elle erré en refusant certains nouveaux éléments de preuve?

[32]           La décision de la SAR de rejeter certains éléments de preuve était raisonnable. Non seulement les documents déposés à la SAR étaient-ils antérieurs à la décision de la SPR ou non datés, mais aucune explication quant à l’impossibilité d’y accéder en temps opportun n’a été soumise par le demandeur. Dans ces circonstances, aucune des exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR n’a été respectée et la SAR n’avait pas de discrétion résiduelle afin de se pencher sur les facteurs de l’arrêt Raza, comme l’a souligné la juge Cecily Y. Strickland de notre Cour dans les décisions Deri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1042 et Figueroa, ci-dessus. La Cour d’appel fédérale, dans la récente décision Singh, ci-dessus, s’exprime ainsi sur la latitude décisionnelle de la SAR :

[63]      Or, le paragraphe 110(4) n’est pas rédigé de façon ambigüe et ne confère aucune discrétion à la SAR. Tel que mentionné précédemment (voir les para. 34, 35 et 38 ci-haut), l’admissibilité d’une preuve nouvelle devant la SAR est assujettie à des critères bien définis, et ni le libellé de ce paragraphe ni le cadre plus large de l’article dans lequel il se trouve ne permettent de croire que le législateur entendait conférer à la SAR la discrétion de passer outre aux exigences qu’il a soigneusement prévues. Cette approche est d’ailleurs parfaitement conforme à la décision rendue par cette Cour dans l’arrêt Raza. Les critères dégagés dans cette affaire eu égard à l’alinéa 113a), qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement cumulatifs,  ne supplantent pas les conditions légales explicites; ils s’ajoutent au contraire à ces conditions dans la mesure où ils « résultent implicitement » de l’objet de cette disposition, pour reprendre les termes de cette Cour au paragraphe 14 de l’arrêt Raza. À l’inverse, il ne saurait être question de faire fi des exigences énoncées au paragraphe 110(4) pour s’en remettre plutôt à un exercice de pondération entre les valeurs de la Charte et les objectifs poursuivis par le législateur. En l’absence d’une contestation directe de ce texte législatif, il convient de lui donner effet et la SAR n’a d’autre choix que d’en respecter les exigences.

[33]           En l’espèce, le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences de la loi, il était raisonnable que la SAR n’admette pas les nouveaux éléments de preuve soumis.

B.                 La SAR a-t-elle erré dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

[34]           Tant la SAR que la SPR ont tiré des inférences défavorables sur plusieurs éléments du témoignage du demandeur.

[35]           Il est de jurisprudence constante que la Cour doive faire preuve d’une grande déférence envers les tribunaux qui ont évalué de première main la crédibilité des demandeurs d’asile. Tel que le rappelle le juge Max M. Teitelbaum de notre Cour dans l’affaire Hernandez Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 583 :

[28]      Il est déjà bien établi que la Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard des décisions de la Commission touchant à des questions de crédibilité et d’évaluation de la preuve : Zavala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 370 au para. 5; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para. 38. Le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par les demandeurs d’asile au sujet de contradictions et invraisemblances apparentes. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité des revendicateurs d’asile: Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 441 au para. 11. La Cour n’interviendra que si la décision du tribunal ne reflète pas une solution rationnelle acceptable (Dunsmuir, para. 47).

[36]           En l’espèce, bien que la SAR ait accepté que le demandeur puisse être militant du FPI sans avoir une connaissance approfondie de la plateforme électorale du FPI, elle a trouvé que le demandeur n’était pas crédible. Les contradictions autour de la date de la rafle policière ayant causé sa fuite d’Abidjan en 2014, la plainte de la conjointe du demandeur en 2015 s’apparentant à un document de complaisance et les hésitations du demandeur lorsqu’on lui a donné l’occasion d’expliquer ces lacunes sont autant d’éléments qui ont mené la SAR à la conclusion que le demandeur n’était pas crédible.

[37]           La Cour est sensible à l’importance de ne pas imposer des standards et des concepts occidentaux à des situations culturelles qui ne s’y prêtent pas (Nahimana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 161). Pourtant, il ne suffit pas de dénoncer l’évaluation selon les normes canadiennes d’un document – en l’espèce, la plainte faite aux autorités ivoiriennes en 2015 – encore faut-il formuler un argument et l’appuyer d’une quelconque preuve.

[38]           Par conséquent, la décision de la SAR quant à l’absence de crédibilité du demandeur est raisonnable.

C.                 La SAR a-t-elle erré en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur?

[39]           La Cour retient ce qui suit de l’évaluation de la possibilité de refuge intérieur par la SAR. Le tribunal a conclu que l’incident dont le demandeur a été victime sur la rue en août 2014 était un acte isolé. Le demandeur n’a pas convaincu la SAR qu’il serait pourchassé en raison de ses opinions politiques à l’extérieur d’Abidjan et qu’il risquait d’être retrouvé par ses ennemis politiques en Côte d’Ivoire. Il n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que le village d’Agbahou, et ses environs, était un endroit risqué pour lui. La population avoisinante est également d’ethnie dida et le demandeur y a vécu et commercé durant plusieurs mois.

[40]           Dans Figueroa, ci-dessus, reprenant les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans les décisions Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCF 706, 140 NR 138, [1991] FCJ No 1256 (QL), 31 ACWS (3d) 139 et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 RCF 589, 1993 CanLII 3011 (CAF), la juge Strickland rappelle le fardeau de preuve qui incombe au demandeur d’asile :

[52]      Le fardeau d’établir des éléments de preuve objectifs selon lesquels le déménagement dans la possibilité de refuge intérieur est déraisonnable incombe aux demandeurs (Argote c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 128 [Argote]. Comme l’a déclaré le juge Zinn dans la décision Argote :

12        Les demanderesses prétendent que la Commission a commis une erreur dans son analyse parce qu’elle n’a pas tenu compte de leur situation particulière  et qu’elle ne s’est pas demandé si c’était raisonnable qu’elles déménagent. À mon avis, la prétention des demanderesses est tout à fait erronée. La question de savoir si un déménagement où il y a une PRI est déraisonnable fait appel à un critère objectif, et il incombe aux demanderesses d’établir par des éléments de preuve objectifs que le déménagement où il y une PRI est déraisonnable. Il n’appartient pas à la Commission de prouver le caractère raisonnable, comme le laissent entendre les demanderesses...

(voir aussi Pidhorna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1 aux para 40 à 42; Aznar Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1164 aux para 10 et 15; Singh Multani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 734 au para 13)

[41]           Par conséquent, la Cour estime que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et conclut que la décision de la SAR selon laquelle il existe une possibilité de refuge interne pour le demandeur en Côte d’Ivoire est raisonnable.

VIII.       Conclusion

[42]           Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2885-16

 

INTITULÉ :

SERGE KOUASSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Camille Clamens

 

Pour la partie demanderesse

 

Evan Liosis

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Camille Clamens

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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