Date : 20161201
Dossier : IMM-5818-15
Référence : 2016 CF 1333
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2016
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE : |
OLGA VIKTORIVNA YURIS (AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE OLGA YURIS) LEV SERGIYOVYCH YURIS (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE LEV YURIS)
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demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Mme Yuris et son fils Lev, les demandeurs, sont des citoyens de l’Ukraine. Ils sont arrivés au Canada le 22 janvier 2015, par les États-Unis après être entrés aux États-Unis grâce à des visas de visiteur. À leur entrée au Canada, ils ont déposé une demande d’asile.
[2] Leur demande a été jumelée à celle de Sergiy Yuryevich Yuris, le conjoint de Mme Yuris et le père de Lev. M. Yuris est arrivé au Canada en provenance de l’Ukraine le 15 janvier 2015 grâce à un visa de visiteur canadien. Leurs demandes d’asile ont été présentées puisque M. Yuris est homosexuel et que Mme Yuris est lesbienne, et qu’en raison de leur orientation sexuelle, ils seraient exposés à de la persécution en Ukraine. Ils allèguent s’être mariés afin de dissimuler leur véritable orientation sexuelle.
[3] Leurs demandes d’asile ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada. Puisque Mme Yuris et Lev étaient entrés au Canada en vertu de l’Entente avec les États-Unis sur les tiers pays sûrs, ils n’étaient pas admissibles à interjeter appel de la décision négative auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR). M. Yuris était admissible à interjeter appel devant la SAR et cet appel a été accueilli.
[4] Les demandeurs devaient être renvoyés du Canada en décembre 2015, et ont demandé un report en attendant une décision relative à leur demande pour motifs d’ordre humanitaire en suspens. La demande de report a été rejetée et c’est cette décision qui est présentée à la Cour aux fins de contrôle judiciaire.
[5] Les demandeurs prétendent que l’agente d’exécution de la loi (l’agente) a commis une erreur susceptible de révision en refusant la demande de report. Plus précisément, la demande soulève les questions suivantes :
A. L’agente a-t-elle appliqué le mauvais critère?
B. L’agente a-t-elle fait fi des éléments de preuve pertinents?
C. Est-ce que l’agente a omis de tenir compte du risque généralisé auquel les demandeurs sont confrontés?
[6] Je suis sensible aux circonstances factuelles qui ont fait en sorte que les demandeurs ont été traités différemment sur le plan procédural que M. Yuris. Toutefois, après avoir examiné les observations écrites des parties et tenu compte de leurs arguments oraux, je ne suis pas convaincu que l’agente ait commis une erreur susceptible de révision. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.
II. Norme de contrôle
[7] Les parties prétendent, et je suis d’accord, que la norme de la décision correcte s’applique à la question de l’identification du critère correct à appliquer par l’agente (Kastrati c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1141, au paragraphe 10, Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 21 et 27 et Pathmanathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 353, au paragraphe 28). À l’égard de la décision de l’agente de refuser la demande de report, il est bien établi dans la jurisprudence que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable (Kampemana c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1060, au paragraphe 32).
III. Analyse
A. L’agente a-t-elle appliqué le mauvais critère?
[8] Les demandeurs soutiennent qu’une décision positive relative au report était justifiée en l’espèce en fonction : 1) de leur demande pour motifs d’ordre humanitaire en suspens; 2) de leurs difficultés en Ukraine liées à l’orientation sexuelle de Mme Yuris; 3) de la séparation de la famille; 4) de l’intérêt supérieur de Lev, incluant la prise en compte de son état psychologique et du moment du renvoi. Les demandeurs prétendent que malgré les éléments de preuve, la demande a été rejetée puisque l’agente a adopté le seuil « d’une circonstance irréparable » par opposition au seuil des « circonstances personnelles impérieuses » établi dans la jurisprudence. Ils soutiennent que l’adoption d’un seuil plus élevé par l’agente a donné lieu à une évaluation erronée des éléments de preuve. Je ne suis pas d’accord.
[9] Le pouvoir d’un agent de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi est limité (Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron], aux paragraphes 49, 67 et 68). Dans son jugement concordant, le juge Blais était d’accord avec la majorité sur ce point (Baron, aux paragraphes 80 et 81).
[10] Un agent doit examiner s’il y a des circonstances impérieuses ou des motifs exceptionnels lors de l’examen du report d’un renvoi (Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 ACF no 805, au paragraphe 32 et Baron, au paragraphe 51).
[11] En l’espèce, l’agente a affirmé dans le paragraphe de conclusion de la décision que [traduction] « [v]ous n’avez pas fourni suffisamment d’éléments de preuve que vous êtes confronté à une circonstance irréparable qui justifierait le report de votre renvoi ... » Le langage utilisé dans cet énoncé sommaire soulève la question à savoir si l’agente a appliqué le bon critère. Toutefois, je souligne que l’agente a correctement décrit le critère au début de son analyse.
[12] Lorsqu’un critère légal est correctement décrit et appliqué ailleurs dans une décision, une Cour peut conclure qu’une déclaration inexacte, notamment lorsqu’elle est dans une synthèse, ne constitue pas une erreur susceptible de révision (Kedelashvili c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 465, au paragraphe 9 et Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1231, au paragraphe 16).
[13] Au début de l’analyse de l’agente, celle-ci a mentionné que le [traduction] « … report du renvoi est une mesure temporaire visant à atténuer les circonstances exceptionnelles ». L’agente a ensuite mentionné : 1) que les risques allégués par Mme Yuris en Ukraine avaient déjà été évalués; 2) que la demande pour motifs d’ordre humanitaire en suspens sera examinée sur la base de ses propres mérites. L’agente a également abordé la question de la séparation de la famille, la preuve psychologique établissant les défis auxquels Lev est confronté relativement au renvoi planifié, de même que l’effet du choix du moment sur l’éducation de Lev.
[14] Il n’y a aucune indication que l’agente ait mal appliqué ou mal interprété ce critère lorsqu’elle a effectué son analyse. L’utilisation des termes « circonstances irréparables » pour résumer les éléments de preuve n’appuie pas une conclusion que l’agente a commis une erreur lorsque les motifs sont considérés dans leur ensemble. De même, je ne suis pas persuadé que l’agente ait effectué une évaluation erronée des éléments de preuve découlant d’une mauvaise interprétation ou d’une mauvaise application du critère. L’analyse démontre que l’agente a non seulement bien défini le critère légal, mais l’a appliqué de façon raisonnable lorsqu’elle a entrepris l’analyse qui a suivi. À mon avis, l’agente n’a pas commis une erreur en appliquant le mauvais critère.
B. L’agente a-t-elle fait fi des éléments de preuve pertinents?
[15] Les demandeurs soutiennent que l’agente a omis de traiter les intérêts immédiats de Lev de façon équitable et sensible. Les demandeurs mentionnent que malgré que l’agente ait tenu compte de la preuve psychologique, elle a été mal interprétée. Il est soutenu que l’agente a omis de tenir compte de la preuve de la réaction négative de Lev à la perspective de retourner en Ukraine. Dans les observations écrites, les demandeurs avaient fait valoir que la décision de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2015] 3 RCS 909, une décision rendue dans le cadre d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire et relative aux intérêts supérieurs de l’enfant, s’appliquait également dans le contexte d’un report. L’avocat des demandeurs a reconnu cet argument dans les observations orales, mais a choisi de ne pas l’utiliser en l’espèce.
[16] Un agent tenant compte des intérêts d’un enfant dans le contexte d’un report n’effectue pas une évaluation complète de ces intérêts, comme cela est effectué dans le contexte de motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1). L’obligation de tenir compte des intérêts de l’enfant dans le contexte d’un report se situe à l’extrémité inférieure du registre (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Varga, 2006 CAF 394, au paragraphe 16). De même, la prise en compte des intérêts supérieurs d’un enfant dans le contexte d’un report « … devrait être axée sur les intérêts supérieurs de l’enfant à court terme … » (Mkhonta c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 991, au paragraphe 30, citant Khamis c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 437).
[17] L’agente a reconnu les défis liés au processus de renvoi. Elle a mentionné que Lev n’est pas entré au pays avec son père et qu’il ne vit pas avec son père, mais elle a reconnu l’existence d’une relation étroite. L’agente a également reconnu le rapport psychologique [traduction] « … attestant que les défis auxquels Lev est confronté sont le résultat d’un renvoi planifié vers l’Ukraine ». Cette évaluation suggère que l’agente n’a pas fait fi ou omis de tenir compte de la réaction de Lev à son retour en Ukraine, comme le prétendent les demandeurs.
[18] En plus de prendre en compte les intérêts supérieurs de Lev à court terme en se fondant sur les éléments de preuve présentés, l’agente a également examiné la demande pour motifs d’ordre humanitaire en suspens et les allégations de risque en Ukraine. L’agente a présenté un fondement raisonnable pour conclure qu’aucun ne justifiait l’octroi d’un report. L’agente n’a pas omis d’examiner les éléments de preuve pertinents et n’en a pas fait fi.
C. Est-ce que l’agente a omis de tenir compte du risque généralisé auquel les demandeurs sont confrontés?
[19] Les demandeurs se fondent sur Abioye c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 348 [Abioye] pour soutenir que l’agente a commis une erreur en concluant qu’aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté et que le risque identifié dans la demande de report a déjà été examiné. Ils prétendent que plusieurs documents sur la situation dans le pays traitaient des conditions générales difficiles en Ukraine, et du traitement plus grave auquel les personnes ayant une orientation sexuelle non traditionnelle sont confrontées à mesure que l’extrémisme prend de l’ampleur en Ukraine.
[20] Je ne suis pas convaincu que Abioye aide les demandeurs. Dans cette affaire, la SPR n’a tiré aucune conclusion au sujet de l’orientation sexuelle du demandeur et la Cour a conclu que les éléments de preuve sur la situation au pays ont révélé que [traduction] « … la situation s’était profondément aggravée ». En l’espèce, la SPR a tiré une conclusion hâtive à l’égard de l’orientation sexuelle de Mme Yuris, concluant qu’elle n’a pas réussi à présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de confiance à la SPR pour appuyer sa demande. De même, il n’y avait aucun élément de preuve pour suggérer un changement important ou profond des conditions dans le pays.
[21] Lors de la présentation de sa demande de report, Mme Yuris n’a présenté aucun nouvel élément de preuve à l’agent responsable du report. À la lumière de la conclusion précédente de la SPR et en l’absence de nouveaux éléments de preuve au sujet des risques, il était raisonnablement loisible à l’agente de conclure que les allégations de risque avaient déjà été examinées. L’agente n’a pas omis de tenir compte du risque généralisé auquel les demandeurs sont confrontés.
IV. Conclusion
[22] L’agente n’a pas commis une erreur en examinant les éléments de preuve ou en identifiant et en appliquant le critère approprié dans le contexte de la demande de report. La décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
[23] Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.
« Patrick Gleeson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier : |
IMM-5818-15 |
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INTITULÉ : |
OLGA VIKTORVINA YURIS (AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE OLGA YURIS) LEV SERGIYOVYCH YURIS (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE LEV YURIS) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 7 juillet 2016
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS : |
Le 1er décembre 2016
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COMPARUTIONS :
Lorne Waldman |
Pour les demandeurs
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Nadine Silverman |
Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates Avocats Toronto (Ontario) |
Pour les demandeurs
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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