Date : 20161130
Dossier : T-312-16
Référence : 2016 CF 1324
Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2016
En présence de monsieur le juge Annis
ENTRE : |
JEAN JACQUES MUKULA MIJI |
demandeur |
et |
LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Le présent recours est une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur les Cours fédérales et du paragraphe 22(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [la Loi] de la décision d’une juge de la citoyenneté [la juge] datée du 19 janvier 2016, par laquelle la demande de citoyenneté canadienne du demandeur a été rejetée au motif qu’il n’a pas satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.
[2] Le demandeur soumet que cette décision était déraisonnable et qu’elle manquait aux principes en matière d’équité procédurale.
[3] Une étude du dossier révèle que la juge a évalué la preuve de façon raisonnable et, par conséquent, la demande est rejetée.
II. Les faits
[4] Le demandeur est citoyen de la République Démocratique du Congo. Il est venu au Canada en août 2006.
[5] Le 25 juillet 2010, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne. La période pertinente pour évaluer l’exigence de résidence est du 7 août 2006 au 25 juillet 2010. Le 17 octobre 2013, le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande en utilisant le critère strict énoncé dans Pourghasemi (Re) (1993), 62 FTR 122 [Pourghasemi] et en concluant qu’il ne pouvait pas confirmer le nombre de jours exacts au cours desquels le demandeur avait été physiquement présent au Canada.
[6] Le demandeur a porté cette décision en contrôle judiciaire et, le 4 février 2015, la Cour fédérale a accueilli cette demande en renvoyant la question à un nouveau juge de la citoyenneté. Le juge Locke, dans sa décision, avait conclu que le premier juge de la citoyenneté avait manqué à son obligation d’équité procédurale. Selon le juge Locke, le demandeur ne pouvait pas raisonnablement savoir à quel critère il devait satisfaire puisque la demande d’amener certains documents à l’audition aurait pu impliquer que le critère qualitatif pourrait s’appliquer (Miji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 142 at para 38 [Miji]). Selon le juge Locke, le résultat aurait pu être différent si le juge avait appliqué le critère qualitatif (Miji au para 22).
[7] Le 19 janvier 2016, une nouvelle juge de la citoyenneté a de nouveau rejeté la demande de citoyenneté canadienne du demandeur. Celle-ci a aussi appliqué le critère strict énoncé dans Pourghasemi et a conclu que le demandeur ne satisfait pas aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.
[8] La juge a résumé les circonstances qui lui ont amené à cette conclusion ainsi :
[49] Comme le demandeur ne travaillait pas pendant près d’un an et demi au début de la période de référence, que le passeport couvrant cette même période n’a pas été déposé, que les dates des voyages déclarés ne sont corroborées par aucun tampon à l’exception du dernier voyage en 2009, que le rapport SIED [de l’Agence des services frontaliers du Canada] ne correspond pas aux voyages déclarés, que plusieurs contradictions et omissions sont observées dans les documents et à l’audience, que le demandeur ne s’est pas déchargé du fardeau de la preuve qui lui incombait et que son témoignage m’apparait peu crédible, cela m’amène à conclure que ce dernier n’a pas réussi à démontrer qu’il a vécu au Canada pendant le nombre de jours qu’il a déclaré dans sa demande.
[9] Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision le 19 février 2016.
III. Loi pertinente
[10] La juge a rejeté la demande de citoyenneté canadienne du demandeur au motif qu’il n’a pas satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté :
Attribution de la citoyenneté |
Grant of citizenship |
5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : |
5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who |
[…] c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante : |
[…] (c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner: |
(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent, |
(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and
|
(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent; |
(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;
|
IV. Questions en litige
[11] La présente demande soulève les questions suivantes :
1. Est-ce que la juge a erré en manquant aux principes d’équité procédurale?
2. Est-ce que la décision de la juge est raisonnable?
V. Norme de contrôle
[12] Les parties s’entendent (et je suis d’accord) que les questions d’équité procédurale soulevées en l’espèce sont soumises à la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).
[13] Ceci étant dit, dans la mesure que le demandeur argumente que la juge a erré dans son évaluation de la preuve ou dans l’application des faits au droit, il faut se questionner sur le caractère raisonnable de la décision. Sur cette question il faut s’en remettre « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).
VI. Analyse
A. Est-ce que la juge a erré en manquant aux principes d’équité procédurale?
[14] Le demandeur soumet que la juge a erré en manquant aux principes d’équité procédurale. Notamment, le demandeur avance que la juge n’a pas donné un avis adéquat au demandeur au sujet du critère qu’il comptait appliquer. Le juge Locke dans sa décision accueillant la demande de révision judiciaire du premier rejet de la demande de citoyenneté du demandeur a énoncé que « les individus comme le demandeur en l’espèce ne devraient pas être mis en position de doute quant à savoir quel critère le juge de citoyenneté compte appliquer » (Miji au para 21). À la lumière de la décision du juge Locke, le demandeur dit avoir une expectative légitime que le juge fournirait un avis quant à son intention d’utiliser le critère quantitatif. Aucun avis n’a été fourni.
[15] L’obligation d’équité procédurale de la part des juges de la citoyenneté envers les demandeurs se situe à l’extrémité inférieure de l’échelle en matière d’équité procédurale (Fazail c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 FC 111 au para 46 [Fazail]). Pour satisfaire à l’équité procédurale en l’espèce, il faut conclure que le demandeur aurait pu raisonnablement savoir quel critère il devait satisfaire (Fazail au para 50). Cette règle a comme objectif d’assurer qu’un demandeur puisse avoir l’opportunité de soumettre toute preuve pertinente et de faire tout argument nécessaire afin de satisfaire le critère choisi.
[16] Il n’y a aucun doute que le demandeur savait à quel critère il devait répondre et qu’il avait l’opportunité de soumettre toute preuve pertinente pour satisfaire au critère strict. D’ailleurs, le demandeur maintient, dans son affidavit et à l’audience, qu’il était au Canada physiquement pour 1197 jours durant la période pertinente. Il était donc prêt à satisfaire au critère strict. De plus, il n’a subi aucun préjudice dans sa capacité de présenter toute preuve pertinente pour y satisfaire. La juge n’a pas manqué aux principes d’équité procédurale à cet égard.
B. Est-ce que la décision de la juge est raisonnable?
[17] Le demandeur avance premièrement que la juge a erré en appliquant strictement le critère de présence physique établi dans Pourghasemi à l’exclusion du critère qualitatif de résidence. Il affirme, en citant El Ocla v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 533 au para 19, que lorsqu’un juge applique uniquement le critère de présence physique, il commet une erreur de droit susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte. La décision subséquente du juge en chef Crampton dans Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 576, qui a fait le survol de la jurisprudence sur cette question, établit que les juges de citoyenneté peuvent choisir librement parmi les trois critères et qu’on ne peut pas leur reprocher d’avoir choisi un critère plutôt qu’un autre (voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) v Pereira, 2014 CF 574 au para 15). La juge n’a alors commis aucune erreur à cet égard.
[18] Le demandeur avance également qu’à la lumière de la preuve la seule décision raisonnable était de conclure que le demandeur remplissait les critères de la Loi. Le demandeur conteste plusieurs des conclusions factuelles de la juge.
[19] Lors de l’audience, l’avocate du demandeur avait soulevé, entre autres, que la juge avait évalué la preuve de façon erronée en concluant au paragraphe 32 de sa décision que
[32] Toutefois, ce talon de paie n’indique pas dans quel pays travaillait le demandeur ni depuis quand. Je soulignerai ici que le demandeur a déposé une lettre de PWC attestant qu’il avait travaillé pour cette firme au Congo du 2 décembre 1992 au 5 août 2006, soit avant son arrivée au Canada, mais aucune lettre ni relevé d’emploi n’a été soumis pour la période du 16 janvier 2008 au 6 août 2010.
[Je souligne]
[20] Dans son dossier devant cette Cour, le demandeur avait en effet inclus une lettre de PricewaterhouseCoopers [PwC] datée le 14 mars 2012 indiquant que :
[TRADUCTION]
Jean Jacques était employé à temps plein de PwC du 16 janvier 2008 jusqu’au 6 août 2010. Il occupait le poste de Gestionnaire de la vérification et de la certification du bureau de Vancouver.
[21] La Cour a alors effectué un examen minutieux du dossier certifié du tribunal pour vérifier si cette lettre de PwC s’y retrouvait. Cette lettre y était absente.
[22] La Cour a alors émis une Directive aux parties afin de confirmer si la lettre de PwC datée du 14 mars 2012 était, ou non, devant la juge ayant rejeté la demande de citoyenneté du demandeur le 19 janvier 2016.
[23] Ayant révisé les observations écrites des parties sur cette question, je conclus que cette lettre n’était pas devant la juge. D’ailleurs, dans ses notes de l’audience, la juge note qu’elle a demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas fourni de preuve de cet emploi chez PwC à Vancouver comme demandé par le défendeur à plusieurs reprises. Ses notes indiquent que le demandeur prétendait avoir déposé ces documents, malgré leur absence au dossier, et que la juge aurait vérifié à nouveau devant le demandeur sans trouver les documents.
[24] Ces notes me permettent de conclure que la lettre en question n’était pas devant la juge et que le demandeur a eu l’opportunité de présenter cette preuve.
[25] Étant donné que cette preuve était absente au dossier et pour toutes les raisons indiquées au paragraphe 49 de sa décision, je confirme que l’examen de la preuve et la décision de la juge étaient raisonnables et qu’il n’y a aucun motif pour renverser celle-ci.
[26] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Peter Annis »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-312-16
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INTITULÉ : |
JEAN JACQUES MUKULA MIJI c LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
OTTAWA (ONTARIO) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 26 SEPTEMBRE 2016 |
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE AnNIS
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DATE DES MOTIFS : |
LE 30 novembre 2016
|
|
COMPARUTIONS:
Me Karine Papikyan
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Daniel Caron |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Karine Papikyan Gatineau (Québec)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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