Date : 20161130
Dossier : T‑1401‑16
Référence : 2016 CF 1320
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2016
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE : |
MORGAN PERRY |
demandeur |
et |
LE CHEF ET CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE et ALAN ADAM, FONCTIONNAIRE ÉLECTORAL POUR LES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Morgan Perry a déposé une demande de contrôle judiciaire d’une Résolution du conseil de bande [RCB] passée par les Premières Nations de Cold Lake [PNCL] le 18 août 2016. La RBC a annulé une nouvelle élection pour les membres du conseil (mais non le chef) qui avait été ordonnée par le comité d’appel des PNCL et confirmée par le fonctionnaire électoral des PNCL, Allan Adam. Le Comité d’appel des PNCL a ordonné la tenue d’une nouvelle élection en raison de sa décision selon laquelle la loi électorale des PNCL n’était pas conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [Charte].
[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le Comité d’appel des PNCL a outrepassé sa compétence en déclarant que la loi électorale des PNCL contrevient à la Charte, en déclarant modifier la loi électorale des PNCL, et en ordonnant qu’une nouvelle élection soit tenue. La RCB passée par le chef et le conseil était donc raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II. Faits
[3] Le 21 septembre 2016, j’ai rendu une injonction interlocutoire pour empêcher le fonctionnaire électoral des PNCL de tenir une élection pour les membres du conseil des PNCL en attendant que la présente demande de contrôle judiciaire fasse l’objet d’une décision (Perry c Premières nations de Cold Lake, 2016 CF 1081). Dans cette décision, j’avais résumé les faits qui ont donné lieu au présent litige comme suit :
[traduction]
[1] Le 22 juin 2016, une élection était tenue pour élire un chef pour les PNCL. Le 22 juin 2016, une élection était tenue pour élire un conseil pour les PNCL. M. Perry a contesté le fait d’avoir été supprimé de la liste des candidats à l’élection au conseil des PNCL au motif qu’il avait été exclu d’une façon inappropriée en raison de sa résidence.
[2] Le 11 août 2016, le comité d’appel des PNCL, constitué en vertu de la loi électorale des PNCL, a publié un rapport de ses décisions concernant plusieurs plaintes qu’il avait reçues. Le comité d’appel a confirmé la plainte de M. Perry. Bien qu’il ait conclu qu’il n’y avait pas d’irrégularités dans la conduite de l’élection, le comité d’appel a conclu que la loi électorale des PNCL était insuffisante dans la mesure où elle exclut certains candidats et électeurs en raison de leur lieu de résidence, leurs ascendants et leur âge.
[3] Le comité d’appel a ordonné au fonctionnaire électoral, M. Adam, de tenir une nouvelle élection accélérée pour le conseil, ajoutant M. Perry en tant que candidat. M. Adam a ensuite informé le chef et le conseil des PNCL qu’il avait l’intention de mettre en œuvre l’ordonnance du comité d’appel, et de tenir une nouvelle élection pour le conseil le 25 août 2016.
[4] Le 18 août 2016, le chef et le conseil des PNCL ont adopté une nouvelle résolution du conseil de bande rejetant la directive du Comité d’appel qu’une nouvelle élection soit tenue. M. Adam était avisé par le chef et conseil des PNCL que ses obligations en tant que fonctionnaire électoral avaient été remplies et que l’on n’avait plus besoin de ses services.
[5] Le 22 août 2016, M. Perry a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du chef et conseil des PNCL de passer la résolution du conseil de bande rejetant la directive du Comité d’appel qu’une nouvelle élection soit tenue pour le conseil.
III. Décision faisant l’objet du contrôle
[4] La RCB adoptée par le chef et conseil des PNCL le 18 août 2016 (Résolution no 030-2016-2017) se lit comme suit :
[TRADUCTION]
1. Le rapport du Comité d’appel a été examiné attentivement et consigné en bonne et due forme par le chef et conseil.
2. La conclusion du chef et conseil est que :
a. Le Comité d’appel a outrepassé sa compétence et sans autorité en examinant certains appels en dehors de son mandate en vertu de la loi électorale des PNCL.
b. Le Comité d’appel a outrepassé sa compétence et agi sans autorisation lorsqu’il a :
i. Prétendu annuler les exigences en matière de lieu de résidence, d’ascendance, et d’âge en vertu de la loi électorale des PNCL; et
ii. Prétendu ordonner une « élection accélérée » pour tous les postes du conseil de la bande des PNCL, avec une liste prédéterminée de candidatures, qui devait être tenue le 25 août 2016 avec des votes par anticipation qui devaient être tenus à Edmonton le 24 août 2016;
c. Le Comité d’appel n’a aucune autorité en vertu de la loi électorale des PNCL ou par ailleurs de ne modifier ou annuler aucune partie de la loi électorale des PNCL.
d. Toute modification de la loi électorale des PNCL est le droit et la responsabilité des membres des PNCL, conformément à l’article 20 de la loi électorale des PNCL;
3. Par conséquent, les conclusions du Comité d’appel concernant le bien-fondé ou la légalité de la loi électorale des PNCL sont rejetées en toute déférence et ne seront pas suivies.
4. L’élection accélérée que le Comité d’appel prétend avoir ordonnée, sans en avoir l’autorité, ne sera pas tenue;
5. Le fonctionnaire électoral doit cesser les préparatifs pour une élection accélérée et on l’avise qu’il n’a pas été nommé par le chef et conseil, comme il est exigé en vertu de la loi électorale des PNCL, dans le but de tenir une autre élection en ce moment;
6. Le chef et le conseil, en consultation avec les membres des PNCL, établiront une Commission pour la réforme électorale (la « Commission »).
7. La Commission continuera à avancer le progrès de l’examen, de la modification et de la réforme de la loi électorale des PNCL, au moyen d’une consultation systématique avec les Aînés et les membres des PNCL de manière générale et à l’aide de leurs commentaires, d’une manière compatible avec la langue Denesuline, et les traditions et les coutumes des PNCL.
8. La Commission fera une ébauche et proposera des modifications à la loi électorale des PNCL à présenter aux membres des PNCL (les « modifications proposées »).
9. Conformément à l’article 20 de la loi électorale des PNCL, les membres des PNCL voteront dans un référendum communautaire pour savoir s’il faut intégrer les modifications proposées dans la loi électorale des PNCL au plus tard au 31 décembre 2017.
IV. Questions en litige
[5] La demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
A. Quelle est la norme de contrôle?
B. Le Comité d’appel des PNCL avait-il la compétence de prendre des décisions sur des questions de la Charte et octroyer des réparations prévues par la Charte?
C. Le chef et conseil des PNCL avait-il la compétence de passer la RBC
D. L’adoption de la RCB était-il équitable sur le plan de la procédure?
V. Discussion
A. Quelle est la norme de contrôle?
[6] La décision du chef et conseil des PNCL d’adopter la RBC est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Crawler c Première nation de Wesley, 2016 CF 385, au paragraphe 18 [Crawler]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 à 53). Toutefois, la décision du chef et conseil des PNCL d’adopter la RBC était fondée sur son évaluation selon laquelle le Comité d’appel des PNCL avait outrepassé sa compétence en déclarant que la loi électorale des PNCL était inconstitutionnelle. Cette question porte sur l’interprétation appropriée de la loi électorale des PNCL, et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Première nation no 195 de Salt River (Bande indienne no 750 de Salt Lake River) c Martselos, 2008 CAF 221, au paragraphe 32; Hill c le Conseil de la bande de la Nation des Onneiouts de la Thames, 2014 CF 796, au paragraphe 45).
[7] Les questions d’équité procédurale sont assujetties à un contrôle selon la norme de la décision correcte (Crawler au paragraphe 19; Desnomie c Première nation de Peepeekisis, 2007 CF 426, au paragraphe 11; Weekusk c Wapass, 2014 CF 845, au paragraphe 10; Parenteau c Badger, 2016 CF 535, au paragraphe 36 [Parenteau]).
B. Le comité d’appel des PNCL avait-il la compétence de prendre des décisions sur des questions de la Charte et octroyer des réparations prévues par la Charte?
[8] Dans Grandbois c Cold Lake First Nation, 2013 CF 1039 [Grandbois], M. Grandbois a demandé une ordonnance de type mandamus pour obliger le chef et le conseil des PNCL à se conformer à une décision du Comité d’appel des PNCL. Comme en l’espèce, le Comité d’appel des PNCL a déclaré que la loi électorale des PNCL était inconstitutionnelle. Le Comité d’appel a déclaré en outre que tous les membres des PNCL qui avaient l’âge de voter étaient admissibles au vote et pouvaient se présenter en tant que candidats, et qu’une nouvelle élection devait avoir lieu, mais uniquement après que la loi électorale avait été modifiée. La juge Heneghan a conclu que la demande de contrôle judiciaire supposait « un examen de la portée du pouvoir décisionnel du comité [d’appel] et de l’effet de la décision qu’il a rendue en l’espèce » (au paragraphe 13). Elle a proposé l’analyse suivante du pouvoir du comité d’appel (aux paragraphes 14 et 15) :
[14] Le pouvoir du comité d’appel lui est conféré par la Loi électorale du 27 mai 2010. L’article 15 de cette loi porte sur le [traduction] « comité des appels » Les articles (A), (C) et (E) de la loi sont pertinents au regard de la présente demande :
A. Le comité d’appel doit respecter et appliquer la Loi électorale des Cold Lake First Nations.
[…]
C. Le comité d’appel s’occupe des appels dans le cadre d’une assemblée publique des électeurs des Cold Lake FirstNations.
[…]
E. Le comité d’appel peut demander à tout membre des ColdLake First Nations de formuler des commentaires au sujet de l’appel et une position claire au sujet des lois traditionnelles du peuple des Cold Lake First Nations.
[15] L’article 14 porte sur les appels en général. Les paragraphes (A), (C) et (G) sont pertinents en l’espèce :
A. Toute contestation concernant les élections du chef et du conseil doit être faite dans les trente (30) jours suivant les élections.
[…]
C. Toute contestation doit s’assortir de motifs d’appel fondés sur la loi électorale traditionnelle des Cold Lake First Nations.
[…]
G. Tous les appels sont définitifs à l’issue de l’examen du comité.
[9] La juge Heneghan a conclu que le comité d’appel des PNCL n’était autorisé qu’à « s’occuper » des appels « dans le cadre d’une assemblée publique » (au paragraphe 16). Elle a conclu que la loi électorale n’autorisait pas « le comité à rendre une décision. Le comité d’appel doit [TRADUCTION] « respecter et appliquer » la Loi électorale de la CLFN, mais aucun recours précis devant être mis en œuvre après un appel n’est prévu ». Elle a opposé la loi électorale des PNCL avec les lois électorales d’autres Premières Nations qui offraient une plus grande clarté concernant l’étendue des pouvoirs d’un comité d’appel (au paragraphe 22). La juge Heneghan a conclu avec l’observation suivante :
À mon avis, vu le libellé général de la Loi électorale, le rôle du comité électoral se limite au respect et à l’application de la Loi électorale ainsi qu’à la reconnaissance des lois traditionnelles de la CLFN.
Il n’y a aucun élément de preuve au dossier concernant ces lois traditionnelles et le lien, s’il y en a un, entre celles-ci, d’une part, et la Loi électorale et le rôle du comité électoral, d’autre part.
[10] Le chef et conseil des PNCL soutiennent que l’espèce est pratiquement sans différence avec Grandbois, et une décision devrait être rendue de même. Je suis d’accord.
[11] M. Perry s’appuie sur Jacko c Cold Lake First Nation, 2014 CF 1108 [Jacko], où M. Jacko avait demandé le contrôle judiciaire de la décision du comité d’appel des PNCL de le destituer de son poste de conseiller de la CLFN. Le comité d’appel avait conclu que M. Jacko était inéligible à un poste de conseil de la bande au titre de la loi électorale des PNCL parce qu’il ne vivait pas dans la réserve. Le juge Russel a fait l’observation préliminaire suivante au sujet des dispositions régissant la loi électorale des PNCL :
[50] Il n’existe pas de réponse claire et évidente à la question centrale soulevée par la présente demande. […] la Loi électorale qui est censée régir cette situation, elle est ambiguë et difficile à appliquer; de plus, nous manquons d’éléments de preuve quant à certaines des questions importantes. La Cour doit donc tirer le meilleur parti possible d’un dossier très incomplet.
[12] Le juge Russel a déterminé la question centrale dans Jacko comme étant « celle de savoir si le comité d’appel avait le pouvoir de le destituer de son poste comme il l’a fait. » (au paragraphe 64) Il a continué en ces termes :
[73] Il s’agit là de l’un des aspects où la preuve est insuffisante. À mon avis, aucun des éléments de preuve dont je suis saisi ne nous donne à penser que la Loi électorale n’autorise pas cette façon de procéder ou qu’il ne s’agit pas de la façon dont la Loi électorale a été constamment interprétée dans la pratique. Le fait qu’une personne puisse être déclarée inéligible par le directeur des élections au stade de la mise en candidature ne signifie pas qu’un appel fondé sur l’inéligibilité ne peut pas être formé devant le comité d’appel après une élection.
[74] Le respect et l’application de la Loi électorale ne reposent pas nécessairement sur une seule interprétation possible de cette loi et je ne peux pas dire, compte tenu de la preuve dont je suis saisi, que le comité d’appel a agi de façon déraisonnable en interprétant la Loi électorale et en exerçant sa compétence comme il l’a fait concernant le traitement de la plainte visant le demandeur.
[75] Je souligne que, dans la décision Grandbois, précitée, la Cour a tiré une conclusion différente relative à la compétence et aux pouvoirs d’un comité d’appel. Contrairement à ce qui était le cas dans cette affaire, je suis saisi en l’espèce d’éléments de preuve qui donnent à penser que le rôle du comité d’appel n’est pas seulement « de nature administrative ou consultative » (Grandbois, précitée, au paragraphe 26). En contre‑interrogatoire, le président du comité d’appel, M. Makokis, a témoigné au sujet des pouvoirs du comité d’appel à la fois selon la Loi électorale et la pratique traditionnelle de la CLFN (dossier du demandeur, aux pages 132 à 134). Je ne dispose d’aucun élément de preuve du demandeur qui permettrait de réfuter le témoignage de M. Makokis au sujet de la compétence et des pouvoirs traditionnels du comité d’appel de la CLFN. Le chef et les conseillers de la Cold Lake First Nation ont de toute évidence l’impression que le comité d’appel dispose de ce pouvoir parce qu’ils s’opposent à la présente demande.
[76] Par conséquent, je ne peux dire que le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une erreur susceptible de révision. Je dois donc rejeter la demande.
[13] Dans Jacko, il n’y avait pas de litige que le comité d’appel des PNCL avait le pouvoir d’examiner un appel concernant l’admissibilité de M. Jacko au poste de conseil de la bande. Le comité d’appel avait conclu qu’il ne l’était pas. La question centrale dans Jacko était de savoir si, étant donné cette conclusion, le comité d’appel pourrait ordonner que M. Jacko pût être destitué de son poste. Le juge Russel a conclu, vu la preuve dont il était saisi, qu’il n’y eût rien qui suggère que la loi électorale ne permettait pas cette façon de procéder, ou que ce n’était pas la façon dont la loi électorale avait été interprétée systématiquement en pratique.
[14] La situation est différente en l’espèce. La question centrale ici est de savoir si le Comité d’appel des PNCL avait le pouvoir de décider si la loi électorale des PNCL était conforme à la Charte, et pouvait accorder des réparations prévues par la Charte.
[15] Dans Grandbois, la juge Heneghan était convaincue que le comité d’appel des PNCL n’avait pas le pouvoir de déclarer que la loi électorale des PNCL violait la Charte ou les réparations prévues par la Charte :
[17] Les défendeurs soutiennent que la compétence du comité d’appel se limite aux sphères dans lesquelles la CLFN lui a accordé un pouvoir au moyen de la Loi électorale. À cet égard, les défendeurs s’appuient sur l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 R.C.S. 650, aux paragraphes 55 et 60.
[18] Les défendeurs se fondent également sur l’arrêt R. c. Conway, [2010] 1 R.C.S. 765, aux paragraphes 81 et 82, dans lequel la Cour suprême du Canada affirme que les tribunaux qui ont le pouvoir exprès ou tacite de trancher des questions de droit peuvent examiner et appliquer la Charte, y compris les réparations qu’elle prévoit, à moins qu’il ne soit clairement établi que le législateur a voulu soustraire l’application de la Charte à leur compétence.
[19] J’estime que les arguments présentés par les défendeurs concernant le fait que le comité d’appel n’avait pas la compétence voulue pour accorder les réparations qu’il a accordées ni pour ordonner la tenue de nouvelles élections sont plus convaincants que les observations du demandeur.
[16] Dans R. c Conway, [2010] 1 RCS 764, la Cour suprême du Canada a donné le cadre analytique suivant pour déterminer si un tribunal administratif avait le pouvoir d’accorder des réparations prévues par la Charte :
[81] Au vu de la jurisprudence, lorsque réparation est demandée à un tribunal administratif en application du paragraphe 24(1), il convient donc de déterminer initialement si le tribunal peut accorder des réparations sur le fondement de la Charte en général. À cette fin, il faut d’abord se demander si le tribunal administratif a le pouvoir exprès ou tacite de trancher une question de droit. Si tel est le cas et qu’il n’est pas clairement établi que le législateur a voulu soustraire l’application de la Charte à la compétence du tribunal en cause, ce dernier est un tribunal compétent et peut examiner et appliquer la Charte, y compris les réparations qu’elle prévoit, lorsqu’il statue dans une affaire dont il est régulièrement saisi.
[82] Une fois tranchée cette question préliminaire et reconnue la compétence fondée sur la Charte, il reste à déterminer si le tribunal administratif peut accorder la réparation précise demandée eu égard au régime législatif applicable. Il est alors nécessaire de cerner l’intention du législateur. Dès lors, la question qui se pose toujours est celle de savoir si la réparation demandée est de celles que le législateur a voulu que le tribunal administratif en cause puisse accorder eu égard au cadre législatif établi. Les éléments pertinents à considérer pour déterminer l’intention du législateur englobent ceux retenus par les tribunaux dans le passé, dont le mandat légal, la structure et la fonction du tribunal administratif (Dunedin [R c 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81]).
[17] Selon la preuve dont je suis saisi, je suis convaincu que la loi électorale des PNCL ne confère pas au comité d’appel des PNCL une compétence de trancher des questions de droit. Son mandat est uniquement de [TRADUCTION] « respecter et appliquer la loi électorale des Premières Nations Cold Lake ». En outre, les réparations prévues par la Charte accordées par le comité d’appel en l’espèce, notamment le fait de déclarer que la loi électorale des PNCL était inconstitutionnelle et de prétendre modifier la loi, ne peuvent être conciliées avec le régime législatif applicable. La loi électorale des PNCL elle-même offre un mécanisme pour modifier la loi électorale, et exige un référendum pour confirmer l’approbation de 70 % des électeurs.
[18] Lorsque le chef et conseil des PNCL a adopté la RBC dans ce cas, il a en même temps émis une déclaration dans laquelle il reconnaissait que la loi électorale des PNCL devrait être [traduction] « examinée, modifiée et réformée ». Le chef et conseil a également déclaré : [traduction] « les membres des PNCL ont le droit et la responsabilité d’examiner, modifier et réformer notre loi électorale. Nul autre n’a le droit de le faire pour nous ». Le chef et conseil a annoncé l’établissement d’une Commission pour la réforme électorale [TRADUCTION] « afin d’avancer le processus de l’examen, de la modification et de la réforme de la loi électorale avec nos Aînés et les membres de notre communauté d’une manière compatible avec notre langue Denesuline, et les traditions et les coutumes des Premières Nations de Cold Lake ».
[19] Je suis d’accord avec le chef et conseil des PNCL pour dire qu’une décision sur la validité constitutionnelle de la loi électorale des PNCL ne doit pas être prise à la légère ni sans bénéficier d’un préavis approprié, d’un dossier de preuve adéquat, et d’arguments complets. Lorsque les cours ont conclu qu’une loi électorale d’une Première nation viole le paragraphe 15(1) de la Charte d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article 1, elles ont typiquement suspendu des déclarations d’inconstitutionnalité afin de donner la possibilité à la communauté de réparer l’infraction conformément à ses propres lois et traditions (Canada (Procureur général) c Esquega, 2008 CAF 182, au paragraphe 11; Thompson c Première Nation Leq’à :mel, 2007 CF 707, au paragraphe 25; Cameron c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 CF 579, aux paragraphes 72 et 73 et 104).
[20] Même si le comité d’appel des PNCL avait la compétence de décider sur des questions liées à la Charte, et a pris sa décision après avoir examiné les arguments juridiques fondés sur un dossier de preuve correct (aucun de ces éléments ne s’est produit ici), la réparation qui convient serait de suspendre sa déclaration pour un délai raisonnable afin de permettre aux PNCL de façonner une solution conformément à ses propres lois et traditions. En revanche, le comité d’appel a conclu que la décision de notre Cour dans Jacko [traduction] « suggère fortement que le comité d’appel des élections des Premières Nations Cold Lake a la compétence et l’autorité et même le devoir de promulguer ou d’adopter une loi qui est conforme à la Charte, précisément comme elle est liée à l’équité et à l’égalité » [non souligné dans l’original]. Cette interprétation de Jacko est manifestement fausse. Le mandat du comité d’appel pour « respecter et suivre » la loi électorale des PNCL ne peut être interprété comme conférant le pouvoir de modifier la loi ou d’en promulguer une nouvelle. Jacko ne suggère pas que cela puisse être le cas.
C. Le chef et conseil des PNCL avait-il la compétence de passer la RBC?
[21] Selon M. Perry, les conseils de bande peuvent promulguer des résolutions pour les seuls objectifs précisés aux articles 81, 83 et 85.1 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, ou spécialement autorisées par la loi électorale des PNCL. Il affirme que ces pouvoirs ne comprennent pas l’autorité d’annuler une décision du comité d’appel des PNCL. Il soutient que [traduction] « le comité d’appel est lié par la Constitution et la décision du comité d’appel est définitive », renvoyant au paragraphe 14(G) de la loi électorale des PNCL.
[22] Le chef et conseil des PNCL répond que cette vision des pouvoirs qu’un conseil de bande peut exercer est [traduction] « indigente et antique ». Le chef et conseil des PNCL s’appuie sur la décision de notre Cour dans Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, dans laquelle le juge Mandamin a conclu au paragraphe 34 que « [l]a capacité de [une Première nation] de légiférer en matière de leadership et de gouvernance ne provient pas de la Loi sur les Indiens ou d’un autre pouvoir législatif. Elle est plutôt le fruit de l’exercice du droit ancestral de cette Première Nation de faire ses propres lois en matière de gouvernance. »
[23] Rien ne repose sur ce point. Étant donné que le comité d’appel des PNCL n’avait pas la compétence de décider sur des questions liées à la Charte ni d’accorder des réparations prévues par la Charte, le chef et conseil des PNCL aurait pu choisir un moyen moins officiel de rejeter la conclusion du comité d’appel que la loi électorale des PNCL était inconstitutionnelle, ainsi que sa revendication d’avoir modifié la loi. Autrement, comme dans Grandbois, elle aurait pu ne rien faire au-delà d’instruire M. Adam à ne pas procéder avec une nouvelle élection.
[24] L’adoption d’une RCB par les PNCL a servi à promouvoir l’intérêt de la transparence et de la responsabilisation au sein de la communauté, et a également la gravité de la situation. Je ne peux trouver aucun défaut à la décision du chef et conseil des PNCL de procéder de cette manière.
D. L’adoption de la RCB était-il équitable sur le plan de la procédure?
[25] M. Perry soutient que son droit à l’équité procédurale a été violé parce qu’il n’a reçu aucun avis de la réunion du conseil le 18 août 2016 qui a précédé l’adoption de la RCB. Il affirme qu’il avait le droit de connaître les faits allégués contre lui, et d’avoir la possibilité d’être entendu (renvoyant à Parenteau, au paragraphe 49).
[26] Le chef et conseil des PNCL répondent qu’en adoptant la RCB, le conseil [traduction] « exerçait une fonction politique ou législative conformément à son autorité de gouvernance et garantissant la conformité au processus de modification de la loi électorale ». Ils soutiennent que le conseil n’avait pas entamé un [traduction] « examen de la décision du comité d’appel » et [traduction] « ne prenait pas une décision administrative qui touchait directement aux droits ou aux intérêts de M. Perry » et par conséquent, aucun devoir d’équité procédurale n’était soulevé (renvoyant à Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général) (C.A.), Martineau c Matsqui Institution Disciplinary Board, [1980] 1 RCS 602 au 628; Authorson c Canada (Procureur général), 2003 CSC 39).
[27] Je suis d’accord avec le chef et conseil des PNCL pour dire que l’adoption d’une RCB dans ces circonstances constituait un exercice de la fonction politique ou législative du Conseil, et qu’aucun devoir d’équité procédurale n’était dû à M. Perry. En outre, la décision du comité d’appel des PNCL ne conférait aucun droit à M. Perry personnellement. Sa prétendue modification de la loi électorale des PNCL, qui était faite sans compétence, a eu un impact sur les intérêts d’un nombre important de personnes. Certaines avaient été déterminées par le comité d’appel, mais la plupart ne l’ont pas été.
[28] Dans Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, au paragraphe 24, la Cour suprême du Canada a conclu que l’existence d’un droit général à l’équité procédurale dépend de trois facteurs : (i) de la nature de la décision à prendre par l’organisme administratif; (ii) de la relation existant entre cet organisme et le particulier; et (iii) de l’effet de cette décision sur les droits du particulier. Aucun de ces facteurs ne suggère que le chef et conseil des PNCL avait une obligation d’équité procédurale à M. Perry lorsqu’il a rejeté la déclaration du comité d’appel des PNCL que la loi électorale des PNCL n’était pas conforme à la Charte.
VI. Conclusion
[29] Le Comité d’appel des PNCL a outrepassé sa compétence en déclarant que la loi électorale des PNCL était inconstitutionnelle, en déclarant modifier la loi électorale, et en ordonnant qu’une nouvelle élection soit tenue. Par conséquent, RCB adoptée par le chef et conseil des PNCL d’annuler la nouvelle élection était raisonnable
[30] M. Perry relève que des questions concernant la constitutionnalité de la loi électorale des PNCL existaient depuis au moins 2010. Les résultats des élections des PNCL avaient été contestés devant notre Cour en 2010 et de nouveau en 2013. Dans les deux occasions, la Cour a gardé l’impression que l’examen et la réforme de la loi électorale étaient imminents. La loi électorale demeure toujours inchangée.
[31] Le Comité d’appel des PNCL a déclaré qu’on lui a [traduction] « demandé, en raison de la frustration et du manque d’action de renvoyer le document daté de 30 ans et bien dépassé à l’avenir, se servant de la Charte et des décisions de la Cour fédérale pour appuyer le besoin de changement ». Si la présente initiative de réforme manque de donner des résultats, le chef et conseil des PNCL pourra faire face à une action devant un tribunal compétent afin de régler l’affaire une fois pour toutes. Il est dans l’intérêt du chef et conseil des PNCL, ainsi que de tous les membres de la communauté des PNCL, de soutenir le travail de la Commission de réforme électorale récemment établie, et de s’assurer que ses efforts portent des fruits.
[32] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, les défendeurs peuvent présenter des arguments écrits les concernant, d’au plus trois pages, dans les 14 jours suivant la date du présent jugement.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, les défendeurs peuvent présenter des arguments écrits les concernant, d’au plus trois pages, dans les 14 jours suivant la date du présent jugement.
« Simon Fothergill »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T‑1401‑16
|
INTITULÉ : |
MORGAN PERRY c LE CHEF ET CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE et ALAN ADAM, FONCTIONNAIRE ÉLECTORAL POUR LES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
EDMONTON (ALBERTA)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 10 novembre 2016
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE FOTHERGILL
|
DATE DES MOTIFS : |
Le 30 novembre 2016
|
COMPARUTIONS :
Me Priscilla Kennedy |
POUR LE DEMANDEUR
|
Me Maxime Faille Me Paul Seaman |
POUR LE DÉFENDEUR chef et conseil des premières nations de cold lake
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
DLA Piper (Canada) LLP Avocats Edmonton (Alberta)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Gowling WLG (Canada) LLP Avocats et procureurs Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR CHEF ET CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE
|