Date : 20161007
Dossier : T-293-16
Référence : 2016 CF 1123
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2016
En présence de madame la juge Mactavish
ENTRE : |
SALVATORE CONSIGLIO |
demandeur |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Salvatore Consiglio a présenté une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada [le Régime] en 1991. À l’époque, il avait trois enfants en bas âge. La demande de prestations d’invalidité de M. Consiglio a été approuvée, de même que sa demande ultérieure de prestations d’enfants de cotisant invalide (PECI).
[2] La conjointe de M. Consiglio a donné naissance à un quatrième enfant, Niki, le 22 novembre 1993. Dans la présente demande, M. Consiglio précise que parce qu’il n’avait pas réalisé jusque-là qu’il était tenu de présenter une demande additionnelle de PECI pour Niki, il a attendu jusqu’en 2011 pour le faire. Dans cette dernière demande, M. Consiglio sollicitait également le versement rétroactif des prestations pour Niki.
[3] La demande de PECI a été approuvée et un versement rétroactif équivalant à 11 mois de PECI a été accordé pour Niki, soit le maximum prévu dans la législation. M. Consiglio a tenté en vain de contester cette décision devant un tribunal de révision, la Commission d’appel des pensions et notre Cour.
[4] Il a également demandé au ministre d’Emploi et Développement social Canada de lancer une enquête sur la question de savoir si le refus d’accorder le versement rétroactif de PECI pour Niki a été le fruit d’une erreur administrative ou d’un avis erroné de la part du Ministère. Un délégué du ministre a ensuite tranché qu’il n’y avait eu ni avis erroné ni erreur administrative à l’origine du refus de la demande de M. Consiglio concernant le versement rétroactif de PECI pour Niki.
[5] M. Consiglio a sollicité un contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre. Sa demande a été accueillie sur consentement. L’affaire a été renvoyée à un autre délégué du ministre afin qu’il réexamine les allégations d’avis erroné ou d’erreur administrative.
[6] Le second délégué du ministre a de nouveau tranché que M. Consiglio n’avait pas prouvé qu’il avait perdu des prestations par suite d’un avis erroné ou d’une erreur administrative imputable à Emploi et Développement social Canada. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Consiglio conteste la décision du second délégué du ministre.
[7] Bien que je sois très sensible à la situation de M. Consiglio, que j’exposerai ultérieurement, il n’est toutefois pas parvenu à me convaincre du caractère déraisonnable de la décision du délégué du ministre. Puisque rien ne justifie que je modifie la décision contestée, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Consiglio sera rejetée.
I. Le régime législatif
[8] La demande de prestations d’invalidité de M. Consiglio est régie par les dispositions du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8. En vertu du paragraphe 74(2) du Régime, lorsqu’une demande de prestation est approuvée, aucun paiement rétroactif ne peut être approuvé pour une période « antérieur[e] au douzième [mois] précédant le mois suivant celui où la demande a été reçue ». C’est pourquoi M. Consiglio a reçu des prestations rétroactives équivalant aux 11 mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande pour Niki en 2011.
[9] Toutefois, en vertu du paragraphe 66(4) du Régime, le ministre ou son délégué aurait pu accorder à M. Consiglio des prestations rétroactives additionnelles pour l’intégralité de la période visée par sa réclamation s’il avait réussi à prouver qu’on lui avait refusé une prestation à laquelle il aurait eu droit n’eût été un avis erroné ou une erreur administrative dans le cadre de l’application du Régime. Tel que je l’ai déjà mentionné, le second délégué du ministre a conclu que M. Consiglio n’avait pas prouvé qu’Emploi et Développement social Canada lui avait donné un avis erroné ou commis une erreur administrative concernant sa demande de prestations pour Niki.
II. La norme de contrôle
[10] Dans le cadre d’une demande de la présente nature, il ne m’appartient pas de dire si je suis d’accord avec la décision du délégué du ministre ou si je serais parvenue à la même conclusion. Mon rôle consiste à déterminer si la décision du délégué du ministre était raisonnable au vu des éléments de preuve au dossier : Canada (Procureur général) c. Torrance, 2013 CAF 227, au paragraphe 34, [2013] ACF no 1049.
III. Pourquoi la décision du délégué du ministre était-elle raisonnable?
[11] M. Consiglio affirme qu’au moment où sa demande initiale de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada a été approuvée en 1991, il a reçu un avis l’informant du montant total qui lui serait versé. L’avis ne contenait pas de ventilation indiquant quelle proportion du montant mensuel représentait sa prestation d’invalidité, et quelle proportion correspondait aux PECI versées pour ses enfants. M. Consiglio n’a pas non plus reçu d’appel d’un fonctionnaire d’Emploi et Développement social Canada qui lui aurait expliqué comment le montant de sa prestation mensuelle avait été calculé.
[12] À l’appui de ses déclarations à ce sujet, M. Consiglio a produit un courriel interne d’Emploi et Développement social Canada dans lequel il est indiqué que la ventilation des prestations mensuelles n’était pas fournie aux bénéficiaires en 1991. Le ministre soutient pour sa part que l’information contenue dans le courriel en question est antérieure au lancement de l’enquête relative à la demande de M. Consiglio en vertu du paragraphe 66(4), et qu’elle est inopportune. Selon le ministre, l’Avis d’admissibilité notifié aux bénéficiaires en 1991 contenait une ventilation du montant de la prestation, et il est permis de penser que chacun des enfants bénéficiaires de M. Consiglio était nommément identifié sur l’Avis qu’il a reçu alors.
[13] Peu importe quelle version des événements est la bonne, M. Consiglio ne nie pas qu’il a reçu une trousse quand il a soumis sa demande initiale de prestations d’invalidité. Le ministre a produit la trousse qui était utilisée lorsque M. Consiglio a soumis sa demande initiale. Le document explique clairement que les enfants à charge d’une personne invalide ont droit à une prestation s’ils ont moins de 18 ans ou s’ils ont de 18 à 25 ans et fréquentent à temps plein une école ou une université. Il y est également précisé en toutes lettres que la demande de prestations pour des enfants à charge doit être présentée par écrit.
[14] M. Consiglio ne nie pas qu’il a reçu la trousse en question, mais il explique qu’au moment où sa demande de prestations a été approuvée, soit une année plus tard, il en avait oublié la teneur. Il insiste sur le fait qu’il n’avait pas compris que les PECI versées pour ses enfants étaient intégrées au montant de la prestation mensuelle qu’il a commencé à toucher en 1991.
[15] Cependant, M. Consiglio a fait des déclarations divergentes quant à sa compréhension de la composition de sa prestation mensuelle et du versement de prestations à ses enfants. Lorsque le problème relatif aux prestations de Niki est apparu en 2011, M. Consiglio a affirmé qu’il pensait que ses enfants recevaient tous les quatre des prestations. Récemment, il a plutôt allégué qu’il n’avait tout simplement pas compris que sa prestation mensuelle englobait le montant des PECI de ses enfants, peu importe lequel.
[16] M. Consiglio admet que ses prestations ont été réduites en 2004 après que son aîné eut atteint l’âge de 18 ans, et qu’elles ont été réduites de nouveau en 2006 et en 2009, soit les années où les deuxième et troisième enfants de la famille ont atteint l’âge de la majorité. Lorsqu’il a constaté la première réduction de sa prestation, M. Consiglio a demandé une explication à Emploi et Développement social Canada. Il s’est fait répondre que la PECI serait dorénavant versée directement à son aîné parce qu’il avait 18 ans.
[17] Malgré cette explication, M. Consiglio affirme qu’il n’a pas réalisé à ce moment qu’il avait reçu les PECI de ses enfants. En produisant la preuve de leur fréquentation à temps plein d’un établissement scolaire, M. Consiglio a pu faire en sorte que chacun de ses enfants majeurs continue de toucher des prestations.
[18] En 2011, tout juste avant que Niki devienne majeure, M. Consiglio a soumis une demande de formulaire d’inscription à l’école pour qu’elle puisse continuer de recevoir les PECI. C’est à ce moment qu’il a appris qu’aucune demande de PECI n’avait été présentée pour Niki.
[19] M. Consiglio reconnaît que le ministre n’avait aucun moyen de savoir qu’il avait eu un quatrième enfant puisqu’il ne l’en avait pas informé. Il soutient en revanche qu’il n’avait pas compris qu’il touchait les PECI de ses enfants, et qu’il n’a jamais été informé qu’il lui appartenait d’aviser le ministre de tout changement dans sa situation familiale.
[20] Pour avoir droit à une réparation au titre du paragraphe 66(4) du RPC, M. Consiglio devait prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait reçu un avis erroné ou qu’une erreur administrative avait été commise dans le cadre de l’application du Régime : Manning c. Canada (Développement des ressources humaines), 2009 CF 523, au paragraphe 37, [2009] ACF no 646, citant Graceffa c. Canada (Ministre du Développement social), 2006 CF 1513, [2006] 306 FTR 193.
[21] La Cour d’appel fédérale analyse la signification du terme « avis erroné » dans l’arrêt King c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 105, au paragraphe 31, [2009] ACF no 384. Selon la Cour, ces mots « s’entendent d’avis que le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences donne à un membre du public ». Elle ajoute que si un fonctionnaire communique des renseignements inexacts à un membre du public, et qu’il s’ensuit le refus d’une prestation, le ministre peut décider de prendre une mesure corrective.
[22] M. Consiglio ne prétend pas qu’une erreur a été commise dans l’application du RPC, ni qu’il a jamais reçu un avis erroné. Sa plainte porte plutôt sur le caractère insuffisant des avis reçus. Or, une telle allégation ne peut servir de fondement à une réclamation de mesure corrective en vertu du paragraphe 66(4) du Régime. Par conséquent, je ne puis conclure que la décision du délégué du ministre de refuser une réparation à M. Consiglio était déraisonnable.
[23] M. Consiglio insiste beaucoup sur le fait qu’il ne savait pas qu’il devait soumettre une demande de prestations pour Niki. Il souligne que, vu sa situation d’homme invalide père de quatre enfants, il n’aurait certes pas manqué de soumettre une demande s’il avait su qu’il avait droit à des prestations additionnelles pour Niki. Pour reprendre ses propres mots, chaque petit montant supplémentaire aurait été le bienvenu.
[24] Je ne doute pas que M. Consiglio n’avait tout bonnement pas compris son obligation de présenter une demande de PECI après la naissance de Niki. Je dois réitérer cependant que même si M. Consiglio a agi en toute bonne foi, sa compréhension erronée du processus de prestations ne lui donne pas droit à une réparation en vertu du paragraphe 66(4) du Régime.
[25] La jurisprudence a établi qu’Emploi et Développement social Canada n’a aucune obligation légale d’informer quiconque de son droit à une prestation. Le Régime prévoit au contraire qu’il appartient aux demandeurs de présenter une demande de prestations. Emploi et Développement social Canada n’est pas non plus légalement tenu de rappeler aux bénéficiaires qu’ils sont tenus d’aviser le Ministère de tout changement de leur situation, comme la naissance d’un enfant (voir notamment Lee c. Canada [Procureur général], 2011 CF 689, aux paragraphes 72 et 73, [2011] ACF no 889).
IV. Conclusion
[26] Comme je l’ai mentionné auparavant, je suis sensible à la situation de M. Consiglio. Il n’a sans doute pas été facile d’élever quatre enfants avec une prestation d’invalidité, et je comprends que la vie de M. Consiglio et de sa famille aurait été un peu plus aisée s’il avait présenté une demande de PECI pour Niki au moment voulu. Je crois également en la sincérité de M. Consiglio quand il affirme ne pas avoir compris qu’il aurait dû présenter une demande de PECI pour Niki après sa naissance en 1993.
[27] Cependant, M. Consiglio n’a pas prouvé qu’il avait reçu un avis erroné d’un fonctionnaire d’Emploi et Développement social Canada ou de Service Canada. Par conséquent, il n’a pas fait la preuve que le refus du délégué du ministre de lui accorder une réparation en vertu du paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada était déraisonnable.
[28] La demande de contrôle judiciaire de M. Consiglio est donc rejetée. Le défendeur ne réclame pas de dépens, et aucuns ne seront adjugés.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.
« Anne L. Mactavish »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-293-16
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INTITULÉ : |
SALVATORE CONSIGLIO c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 4 octobre 2016
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE MACTAVISH
|
DATE DES MOTIFS : |
Le 7 octobre 2016
|
COMPARUTIONS :
M. Salvatore Consiglio
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Pour le demandeur (POUR SON PROPRE COMPTE)
|
Mme Vaness Luna |
Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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