Dossier : T-102-15
Référence : 2016 CF 1299
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2016
En présence de monsieur le juge Gascon
ENTRE :
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CAPORAL (RETRAITÉ) PAUL STEMMLER
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demandeur
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et
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CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, le caporal (retraité) Paul Stemmler, s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes (FAC) en 1984, comme membre de la police militaire (PM). Parmi ses fonctions à la PM, il enquêtait sur les délits de pornographie juvénile et d’exploitation sexuelle des enfants. En avril 2001, le cpl Stemmler a été transféré hors de la PM, mais a continué à servir dans les FAC. Au dire de tous, le cpl Stemmler a été reconnu comme un soldat compétent, dévoué et travailleur tout au long de sa carrière dans les FAC.
[2]
En avril 2009, des contraintes à l’emploi pour raisons médicales (CERM) ont été imposées au cpl Stemmler, ce qui porte atteinte à la norme de « l’universalité du service »
des FAC, selon lequel tous les militaires canadiens doivent être en bonne condition physique, aptes au travail et déployables pour aller effectuer des tâches opérationnelles générales. Cette atteinte a déclenché un examen administratif visant à déterminer si le cpl Stemmler pourrait continuer à servir au sein des FAC.
[3]
En janvier 2010, le cpl Stemmler a obtenu l’autorisation de rester dans les FAC jusqu’au 11 janvier 2013, soit une période de maintien en poste (PDMEP) de trois ans à la suite de laquelle il serait libéré des FAC pour raisons médicales. Une PDMEP est normalement mise en place pour aider la transition des membres des FAC à la vie civile tout en continuant à exercer un emploi rémunérateur. Toutefois, en mai 2010, la date de libération du cpl Stemmler a été modifiée au 26 novembre 2010, terminant immédiatement sa PDMEP à cette date et avançant ainsi sa libération des FAC d’un peu plus de deux ans.
[4]
En novembre 2010, le cpl Stemmler a déposé un grief contre l’anticipation de sa date de libération et la fin prématurée de sa PDMEP, et comme mesure de réparation, il demande la possibilité de poursuivre son service et que sa PDMEP soit respectée jusqu’en janvier 2013. Il soutient que l’annulation de sa PDMEP était irrégulière. Dans une décision définitive rendue le 30 octobre 2015 par le chef d’état-major de la défense (CEMD), le général J.H. Vance, à titre d’autorité de dernière instance (ADI) dans le cadre du processus de règlement des griefs des FAC, a conclu qu’il ne pouvait accorder la mesure de réparation demandée par le cpl Stemmler ni ordonner sa réintégration dans les FAC (la décision). Toutefois, reconnaissant que le processus qui a mené à la fin de la PDMEP du cpl Stemmler était déraisonnable, le CEMD était d’accord d’accorder au cpl Stemmler une autre réparation sous forme d’un paiement à titre gracieux de 25 000 $.
[5]
Le cpl Stemmler demande à la Cour le contrôle judiciaire de la décision du CEMD. Il argumente que, dans sa décision, le CEMD n’aborde pas une des mesures de réparation qu’il a demandée, soit le rétablissement de l’échéance de sa PDMEP des FAC au 11 janvier 2013. Il prétend que la décision est par conséquent déraisonnable. Le cpl Stemmler soutient également que les motifs donnés par le CEMD à l’appui du versement d’un paiement à titre gracieux sont insuffisants et ne lui permettent pas de comprendre comment le CEMD a déterminé qu’un montant de 25 000 $ lui était accordé. Dans l’avis de sa demande, le cpl Stemmler a indiqué qu’il demandait [traduction] « l’ordonnance que l’affaire soit renvoyée au [CEMD] pour des précisions et un nouvel examen ou toutes autres conditions de réparation que la cour juge appropriées »
. Dans son mémoire, il a demandé à ce que la Cour annule la décision du CEMD et rende sa libération des FAC nulle ab initio ou rende toute autre ordonnance que la cour juge appropriée.
[6]
La seule question en litige dans la présente demande est d’établir si la décision du CEMD d’accepter le grief du cpl Stemmler, mais de rejeter précisément le rétablissement de la PDMEP demandé par le cpl Stemmler et de lui verser un paiement à titre gracieux était raisonnable.
[7]
Pour les motifs qui suivent, bien que je sympathise avec le cpl Stemmler et déplore les circonstances malheureuses de sa libération anticipée des FAC, je dois rejeter la demande. Je ne peux pas conclure que la décision du CEMD concernant le grief du cpl Stemmler était déraisonnable ou que les motifs justifiant l’octroi du paiement à titre gracieux sont inadéquats. La décision tient compte de la preuve et constitue une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. J’y relève les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et j’estime qu’elle fait partie des issues possibles et acceptables qui s’ouvraient au CEMD. Cela étant, l’intervention de notre Cour ne serait nullement justifiée.
II.
Résumé des faits
A.
Contexte factuel
[8]
Le cpl Stemmler a rejoint les FAC en 1984. De 1984 à 2001, il était membre des FAC. En avril 2001, il a été transféré hors de la PM, mais a continué son service militaire canadien pendant plusieurs années. À partir de 2002, il a travaillé à Cornwall en Ontario comme technicien de systèmes. En novembre 2007, en raison de la nature de son précédent emploi au sein de la PM où son travail avait consisté à enquêter sur l’exploitation sexuelle des enfants, le cpl Stemmler a été diagnostiqué comme souffrant du trouble de stress post-traumatique (TSPT), de dépression majeure et de troubles obsessionnels compulsifs. Le cpl Stemmler a donc dû effectuer des tâches réduites et se faire traiter pour son état de santé.
[9]
En avril 2009, des CERM ont été attribuées au cpl Stemmler, portant atteinte à la norme de « l’universalité du service »
des FAC. En juin 2009, le cpl Stemmler a demandé à rester dans les FAC pendant trois ans, dans le cadre d’une PDMEP. En janvier 2010, une PDMEP de trois ans qui prenait fin le 11 janvier 2013 a par la suite été autorisée par le directeur – Administration (Carrières militaires) (DACM).
[10]
En avril 2010, le cpl Stemmler a été informé qu’à compter du mois suivant, il quitterait son unité de Cornwall pour être affecté à l’Escadron des services d’information et de télécommunications de l’escadre (ESIT ERE) à Trenton en Ontario. À l’époque, le cpl Stemmler a eu une conversation avec l’adjudant Forcier (l’adj), son nouveau supérieur à Trenton, pour discuter de son état de santé et le fait qu’il se retrouverait éloigné de sa famille quand il serait affecté à Trenton. Ces questions ont préoccupé l’adj. Le jour suivant, l’adj a eu une conversation avec le commandant du cpl Stemmler pour aborder la situation de travail, la situation familiale et l’état de santé du cpl Stemmler. Plus tard le jour même, l’adjudant d’unité (l’adj U) de l’ESIT ERE a écrit au gestionnaire de carrière (GC) du cpl Stemmler pour l’informer que l’offre de service à Trenton avait été retirée à cause du fait, entre autres, que l’unité constituait un environnement très stressant.
[11]
En mai 2010, le commandant a répondu, en essayant de convaincre l’ESIT ERE de reconsidérer l’offre. Le commandant a indiqué que si le cpl Stemmler ne répondait pas aux attentes, l’ESIT ERE pouvait communiquer avec le DACM pour demander de terminer la rétention à l’ESIT ERE. En réponse, l’adj U a parlé au GC et a indiqué qu’il invitait le GC à placer le cpl Stemmler dans un poste libre à l’ESIT ERE pour ensuite prêter le cpl Stemmler à Cornwall où il pourrait servir le reste de sa PDMEP. Le 11 mai 2010, l’affectation du cpl Stemmler à l’ESIT ERE a été annulée. Le jour suivant, le DACM a approuvé une modification à la date de libération du cpl Stemmler au 26 novembre 2010, terminant effectivement la PDMEP du cpl Stemmler à cette date et avançant de deux ans à peu près sa libération des FAC.
[12]
En novembre 2010, le cpl Stemmler a déposé un grief contre l’accélération de sa date de libération, demandant comme mesure de réparation la possibilité de servir le reste de sa PDMEP jusqu’en janvier 2013. Le grief a été déposé devant son commandant à titre d’autorité initiale (AI) dans le processus de règlement des griefs des FAC. L’AI a refusé le grief du cpl Stemmler en juin 2012, faisant référence aux questions de l’état de santé et de situation familiale du cpl Stemmler, son statut de restrictions qui lui ont été imposées et ses difficultés à travailler au sein d’une équipe. L’AI a décidé que le cpl Stemmler ne pouvait plus être employé avantageusement aux FAC, ce qui est un prérequis de la PDMEP.
[13]
L’affaire a été renvoyée en tant que renvoi obligatoire au Comité externe d’examen des griefs militaires (le CEEGM), pour qu’il l’examine. Le 20 mars 2012, le CEEGM a recommandé de respecter le grief du cpl Stemmler, que sa libération soit nulle ab initio et que le cpl Stemmler soit traité comme s’il n’avait jamais été libéré, et qu’un nouvel examen administratif de ses CERM devait être effectué pour établir si le cpl Stemmler pouvait continuer à conserver un poste ou s’il devrait être libéré pour des raisons médicales.
[14]
Le grief du cpl Stemmler a été renvoyé au CEMD, à titre d’ADI, avec les conclusions et les recommandations du CEEGM (lesquelles n’ont aucune force obligatoire pour le CEMD). Après avoir considéré de novo le grief du cpl Stemmler, le CEMD a admis que le cpl Stemmler avait été lésé, mais n’a seulement accordé qu’un paiement à titre gracieux de 25 000 $.
B.
Le cadre juridique et réglementaire
[15]
Les procédures et les principes directeurs pertinents du processus de règlement des griefs des FAC sont établis dans les articles 29 à 29.15 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 (LDN), et le chapitre 7 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Le processus de règlement des griefs des FAC comporte deux paliers décisionnels : l’autorité initiale et l’autorité de dernière instance.
[16]
Dans l’arrêt Bossé c Canada (Procureur général), 2015 CF 1143 [Bossé], aux paragraphes 22 et 23, la juge Roussel résume les étapes de ce processus de règlement des griefs comme suit :
[22] Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la LDN. Le grief doit être déposé par écrit auprès du cmdt de la personne en cause, lequel agira à titre d’API [autorité initiale] dans le cadre du grief. Si le cmdt est incapable d’agir en qualité d’API, le grief est renvoyé au commandant ou à l’officier nommé au poste de directeur général ou à un poste supérieur à celui-ci au quartier général de la Défense nationale qui est chargé de décider des questions faisant l’objet du grief. Si le grief se rapporte à une décision, un acte ou une omission de la part d’un officier qui est l’API, cet officier doit renvoyer le grief à l’officier qui est son supérieur immédiat et qui a compétence à l’égard de la question faisant l’objet du grief, lequel agit alors en qualité d’API.
[23] Si le plaignant n’accepte pas la décision de l’API, il peut la renvoyer pour examen et décision au chef d’état-major de la défense [CEMD] qui agira en qualité d’ADI [autorité de dernière instance]. Certains types de griefs doivent être renvoyés par le CEMD au CEEGM pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations, lesquelles n’ont aucune force obligatoire pour le CEMD. Si le CEMD ne donne pas suite aux conclusions et recommandations du CEEGM, il doit motiver sa décision par écrit. Bien que le CEMD soit l’ADI en matière de griefs, il peut, à quelques exceptions près, déléguer ses attributions à titre d’ADI en matière de griefs à tout officier qui relève directement de lui. Sous réserve du contrôle judiciaire devant la Cour, la décision de l’ADI en matière de griefs est définitive et exécutoire.
[17]
Cela reflète le processus de règlement des griefs suivi dans le cadre de l’affaire du cpl Stemmler.
[18]
Dans le contexte du processus de règlement des griefs des FAC, le Décret relatif au versement de paiements à titre gracieux, CP 2012-0861 (le décret), donne maintenant au CEMD le pouvoir légal d’autoriser le versement d’un paiement à titre gracieux. Le décret indique que le CEMD « peut autoriser le versement d’un paiement à titre gracieux à toute personne visée par une décision définitive rendue dans le cadre de la procédure applicable aux griefs établie en vertu de la [LDN] »
. Cela a récemment été confirmé dans la jurisprudence de notre Cour (Kleckner c Canada (Procureur général), 2016 CF 1206, au paragraphe 30; Lafrenière c Canada (Autorité des griefs des Forces canadiennes), 2016 CF 767, au paragraphe 6; Chua c Canada (Procureur général), 2014 CF 285, au paragraphe 13). Le décret ne définit pas ou ne décrit pas ce qui constitue un paiement à titre gracieux, mais indique que le pouvoir discrétionnaire d’autoriser le versement d’un tel paiement « est assujetti aux conditions que fixe le Conseil du Trésor »
.
[19]
Les conditions du Conseil du Trésor dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu du décret (les conditions du CT) précisent cinq exigences qui régissent le versement de tels paiements. Conformément à ces conditions, le versement d’un paiement à titre gracieux ne peut être autorisé que si a) dans le cas du Chef d’état-major de la Défense, le montant du versement ne dépasse pas 100 000 $; b) dans le cas de l’officier qui agit en vertu de l’article 2 du décret, le montant du versement ne dépasse pas 2 000 $, ou tout autre montant inférieur que précise le CEMD; c) un avis juridique a été reçu selon lequel la Couronne n’a aucune obligation légale; d) il n’existe aucun autre mécanisme permettant de régler le grief, notamment sous le régime des lois, règlements, directives, politiques et programmes actuels; e) le versement ne vise pas à combler des lacunes ou à pallier l’insuffisance apparente de n’importe quelle loi, décret, règlement, politique, accord, ou autres instruments directeurs.
[20]
Le texte intégral du décret et des conditions du CT sont reproduits dans l’annexe en pièce jointe.
C.
Décision du CEMD
[21]
Dans sa décision, le CEMD a d’abord résumé le processus d’arbitrage suivi par les FAC pour examiner le grief du cpl Stemmler ainsi que le contexte des faits concernant le cpl Stemmler. Le CEMD a précisément noté, au début de la décision, que le cpl Stemmler demandait précisément trois réparations : 1) que l’échéance de sa PDMEP soit rétablie au mois de janvier 2013; 2) qu’il ait l’occasion de terminer son programme de sécurité et d’administration des réseaux au Everest College; 3) qu’il soit autorisé à servir le reste de sa PDMEP soit en tant que caporal à l’École des opérations de contrôle aérospatial des Forces canadiennes (EOCAFC) ou en tant que caporal-chef à la base des FAC de Kingston ou de la Région de la capitale nationale, étant donné qu’il avait reçu un message concernant une promotion.
[22]
Le CEMD a tenu compte des conclusions et des recommandations du CEEGM, mais a indiqué qu’il n’était pas complètement d’accord avec ces dernières et qu’il en donnerait les motifs dans sa décision.
[23]
Le CEMD a ensuite procédé à l’analyse de l’annulation de la PDMEP du cpl Stemmler. Le CEMD a conclu que les éléments de preuve soutiennent la décision que l’état de santé du cpl Stemmler était connu et abordé de manière appropriée et que ce dernier est prêt à continuer à travailler dans les FAC malgré certains défis à surmonter. Le CEMD a ajouté que [traduction] « l’affectation dans une unité surchargée de travail et en manque d’effectif avait été annulée par des membres du personnel non médical qui ont conclu que les CERM étaient pires que ce que les autorités médicales légitimes avaient précisé »
. Le CEMD a également fait remarquer que [traduction] « d’autres options étaient disponibles pour maintenir la PDMEP au mois de janvier 2013 »
. Pour ces motifs, le CEMD a conclu que le processus qui a mené à la fin de la PDMEP du cpl Stemmler [traduction] « avait été déraisonnable et qu’il [cpl Stemmler] avait été lésé »
. Le CEMD a de plus conclu que le droit à l’équité procédurale du cpl Stemmler avait été enfreint étant donné le fait qu’il avait été mis fin à sa PDMEP sans que l’occasion lui ait été offerte de répondre aux préoccupations concernant les modifications à ses CERM. Le CEMD regrette visiblement la situation. Toutefois, bien qu’il ait conclu que l’annulation de la PDMEP était inappropriée, le CEMD a décidé qu’elle n’était pas illégale et que la libération du cpl Stemmler devait donc être maintenue.
[24]
Le CEMD s’est ensuite référé précisément à la recommandation du CEEGM d’agir comme si la libération des FAC du cpl Stemmler ne s’était jamais déroulée. Le CEMD n’était pas d’accord avec les conclusions du CEEGM. Pour appuyer sa position, le CEMD a cité le paragraphe 30(4) de la LDN qui précise que le CEMD n’a pas l’autorité de réintégrer un membre dans les FAC sauf dans des circonstances particulières telles qu’elles sont exposées dans cette disposition. Le CEMD a également fait remarquer qu’il jugeait la réintégration du cpl Stemmler comme étant « impossible »
parce que la catégorie de son état de santé était inférieure à la norme de « l’universalité du service »
. Le CEMD était également convaincu du fait que, puisqu’il effectuait un nouvel examen du grief du cpl Stemmler à titre d’ADI, tout manquement antérieur à l’équité procédurale avait été réglé par ce processus subséquent.
[25]
Le CEMD s’est ensuite penché sur le résultat approprié. Il a d’abord fait référence à la deuxième mesure de réparation demandée dans le grief du cpl Stemmler ainsi qu’à la troisième. Concernant la promotion au rang de caporal-chef demandée par le cpl Stemmler, le CEMD a observé que cela n’était pas possible parce que l’état de santé du cpl Stemmler le rendait inadmissible à une promotion. Le CEMD a décidé que le cpl Stemmler ne pouvait pas être promu au grade de caporal-chef parce qu’il ne répondait pas aux normes médicales applicables. Quant aux frais liés au programme de l’Everest College auquel le cpl Stemmler s’était inscrit, le CEMD a fait remarquer qu’ils avaient été remboursés et que le cpl Stemmler avait pu terminer le programme.
[26]
Le CEMD a ensuite présenté la « réintégration »
du cpl Stemmler et sa demande de continuer à servir le reste de sa PDMEP. Le CEMD reconnaît que [traduction] « la mesure de réparation appropriée aurait été [qu’il] accélère la réintégration [du cpl Stemmler] dans les [FAC] »
, mais il a indiqué que cette option n’était pas à la disposition du cpl Stemmler étant donné que ce dernier ne pouvait plus servir dans les FAC à cause de ses contraintes à l’emploi pour raisons médicales.
[27]
Tout au long de la décision, le CEMD fait des commentaires favorables sur le bon rendement et la volonté de travailler du cpl Stemmler. Il souligne ses quatre rapports d’évaluation personnelle positifs figurant au dossier, dont celui pour la période 2009-2010, soit immédiatement avant la proposition d’affectation à Trenton. Le CEMD a également souligné qu’il s’est écoulé quatre ans pour statuer, et il qualifie ce retard à traiter le grief du cpl Stemmler comme étant excessif et inacceptable. Le CEMD a écrit qu’il était [traduction] « PROFONDÉMENT DÉÇU »
que les autorités militaires canadiennes aient choisi de mettre fin de manière inattendue et unilatérale au service du cpl Stemmler. Le CEMD a affirmé qu’une fois la PDMEP approuvée, elle n’aurait jamais dû être annulée à moins que l’état de santé du cpl Stemmler et les CERM connexes se soient détériorés au point que l’option de poursuivre son service ne soit plus viable. Le CEMD a défendu le fait qu’il devrait y avoir un processus concret pour l’annulation d’une PDMEP, étant donné que dans certains cas, il pourrait y avoir des motifs valables d’annulation d’une telle période. Toutefois, il a ajouté que le processus doit suivre le principe d’équité procédurale et tenir compte du point de vue du membre avant que soit rendue la décision de modifier les modalités du service. Le CEMD a souligné cela sous la rubrique [traduction] « Question en litige »
et a demandé qu’un suivi soit effectué en la matière.
[28]
Conséquemment, le CEMD a conclu qu’il n’avait plus qu’une seule option, et il a décidé d’autoriser le versement d’un paiement à titre gracieux de 25 000 $. Le CEMD a précisé que le paiement à titre gracieux est un paiement de bienfaisance accordé par la Couronne seulement lorsqu’il n’existe aucun autre recours statutaire, réglementaire ou aucune autre politique administrative de réparation, et que l’intérêt public en justifie la remise. Il est de nature discrétionnaire. Par conséquent, bien que la Couronne n’ait aucune sorte d’obligation ni de responsabilité juridique envers le cpl Stemmler, le CEMD considérait que les circonstances du cpl Stemmler justifiaient la remise d’un paiement à titre gracieux comme indiqué dans le décret et dans les conditions du CT.
[29]
Pour conclure qu’il avait le pouvoir d’accorder le versement d’un tel paiement à titre gracieux, le CEMD a noté que le pouvoir discrétionnaire ne pouvait pas être exercé [traduction] « à moins que toutes les conditions soient présentes »
, et a fait précisément référence au fait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire à titre gracieux « ne peut pas remplacer les écarts apparents dans la législation ou dans les politiques et ne représente pas un paiement de compensation pour les dommages occasionnés »
. Le CEMD a donc autorisé le versement d’un paiement à titre gracieux de 25 000 $, et a exprimé ses regrets les plus profonds et sa tristesse quant à la manière dont le cpl Stemmler a été traité.
D.
La norme de contrôle
[30]
Il est bien établi en droit que la norme de contrôle s’appliquant aux décisions des CEMD qui agissent à titre d’ADI dans un processus de règlement des griefs des FAC est la norme de la décision raisonnable, parce que les conclusions qui en découlent traitent de questions de fait de même que de questions mixtes de faits et de droit (Moodie c Canada (Procureur général), 2015 CAF 87, au paragraphe 51; Zimmerman c Canada (Procureur général), 2011 CAF 43 [Zimmerman], au paragraphe 21; MacPhail c Canada (Procureur général), 2016 CF 153 [MacPhail], aux paragraphes 8 et 9; Bossé, au paragraphe 25). En outre, à cause de la nature hautement spécialisée du processus de règlement des griefs des FAC et de l’expertise particulière des CEMD qui rendent couramment des décisions dans leurs sphères d’expertise, il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue envers le CEMD (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 13; Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32, aux paragraphes 75 à 77).
[31]
Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel »
, et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland Nurses, au paragraphe 17).
III.
Analyse
[32]
À l’audience devant notre Cour, l’avocat du cpl Stemmler a reconnu que ce dernier n’était pas admissible à la réintégration ou au nouvel enrôlement dans les FAC, et que le cpl Stemmler ne conteste pas la décision du CEMD à cet égard. Toutefois, le cpl Stemmler soutient que la décision du CEMD demeure déraisonnable et devrait être annulée par la Cour étant donné qu’elle ne tient pas compte de sa demande de rétablir sa PDMEP au 11 janvier 2013. Il demande alors que sa date de libération effective soit modifiée en conséquence. Le cpl Stemmler prétend également que les explications du CEMD concernant la décision d’autoriser le versement d’un paiement à titre gracieux de 25 000 $ sont insuffisantes.
[33]
Pour les motifs qui suivent, je ne peux pas accéder à la demande du cpl Stemmler parce que je ne suis pas convaincu que le CEMD a commis une erreur ou a rendu une décision qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables.
A.
La décision est raisonnable et le CEMD a tenu compte des mesures de réparation demandées
[34]
Le cpl Stemmler soutient qu’il était déraisonnable pour le CEMD de ne pas aborder dans les motifs la question du rétablissement de sa PDMEP, étant donné qu’elle faisait précisément partie de la liste des questions en grief et que le CEMD y faisait précisément référence au début de sa décision. Le cpl Stemmler prétend que le CEMD a omis de tenir compte de la mesure de réparation précise qu’il avait proposée concernant la PDMEP et de l’examiner, notamment pour qu’elle soit modifiée et rétablie à la date d’échéance originale du 11 janvier 2013.
[35]
Malgré l’excellente plaidoirie présentée par l’avocat du cpl Stemmler, je ne suis pas d’accord avec son interprétation de la décision du CEMD à cet égard.
[36]
La décision commence en indiquant que le CEMD a tenu compte du fait qu’une des mesures de réparation demandée était [traduction] « le rétablissement de la date d’échéance de la PDMEP au 10 janvier 2013 [sic] »
. Je reconnais que dans le corps de la décision, le CEMD ne précise pas exactement les modalités de la « modification »
ou du « rétablissement »
de la PDMEP en discutant de cette mesure de réparation demandée par le cpl Stemmler. Toutefois, quand la décision est lue dans son ensemble, comme elle doit l’être, je conclus qu’il ne peut pas être affirmé que le CEMD n’a pas tenu compte du rétablissement potentiel de la date d’échéance initiale de la PDMEP du cpl Stemmler. Loin de là. À mon avis, cette question a clairement été évaluée quand le CEMD a examiné la possibilité de réintégrer le cpl Stemmler et son nouvel enrôlement.
[37]
Non seulement le CEMD n’a pas fait fi de cette question dans la décision, mais, étant donné le cadre juridique gouvernant la réintégration et le nouvel enrôlement des membres des FAC et le lien direct et évident entre le rétablissement de la PDMEP demandé par le cpl Stemmler et le besoin de le réintégrer dans les FAC, il n’était certainement pas déraisonnable que le CEMD aborde la question de la PDMEP par l’intermédiaire d’une analyse des options de réintégration et de nouvel enrôlement à la disposition du cpl Stemmler.
[38]
Dans sa décision, le CEMD a tenu compte de la possibilité de la réintégration du cpl Stemmler. Cela se rapporte à la mesure qui suppose que la libération du cpl Stemmler soit abordée [traduction] « comme si elle n’avait jamais eu lieu »
. Réintégrer une personne signifie la placer à nouveau dans le poste qui lui avait été retiré. En l’espèce, le CEMD a conclu que cette possibilité était interdite par une disposition législative dans le cas du cpl Stemmler, conformément au paragraphe 30(4) de la LDN. Dans le même paragraphe de la décision, le CEMD s’est penché également sur la possibilité du nouvel enrôlement. Il a affirmé que [traduction] « le nouvel enrôlement serait impossible étant donné le fait que les antécédents médicaux du cpl Stemmler sont inférieurs à la norme de l’universalité du service (U du S) »
. Un peu plus loin, le CEMD réitère que [traduction] « la mesure de réparation appropriée aurait été que j’accélère votre nouvel enrôlement au sein des FAC. Cette option, toutefois, n’est pas à votre disposition étant donné que vous ne pouvez plus servir dans les FAC. »
[39]
J’ouvre une parenthèse pour souligner que, dans ce grief, la mesure de réparation demandée par le cpl Stemmler comportait trois volets, dont chacun était inscrit dans la décision du CEMD et chacun avait été abordé successivement. Dans sa discussion, le CEMD commence par exposer les deux derniers, soit la demande de promotion et l’appui pour terminer le programme d’administrateur de réseaux au Everest College. Quant à la première mesure de réparation concernant le rétablissement de la PDMEP, elle n’a pas été laissée de côté par le CEMD. Je suis plutôt convaincu que le CEMD a tenu compte de cette modification à la PDMEP dans sa discussion concernant l’impossibilité de réintégration ou de nouvel enrôlement. À mon avis, cela n’est nettement pas une situation où l’on peut dire que le CEMD a oublié un élément de la demande de réparation du cpl Stemmler ou en a fait fi.
[40]
La modification de la PDMEP et le rétablissement de la date d’échéance au 11 janvier 2013 demandés par le cpl Stemmler sont nécessairement implicites à sa réintégration dans les FAC pour une période menant à sa libération de l’armée pour raisons médicales ou à son nouvel enrôlement dans les FAC. Je ne vois pas comment la notion de modification de la date d’échéance de la PDMEP peut être isolée de la notion de réintégration ou de nouvel enrôlement. Étant donné que le cpl Stemmler avait déjà été libéré des FAC au moment du processus de règlement des griefs et de la décision du CEMD, toute décision de modifier sa PDMEP et de la rétablir à la date initiale de libération du 11 janvier 2013, obligerait automatiquement la réintégration ou le nouvel enrôlement du cpl Stemmler dans un poste quelconque des FAC afin qu’il puisse profiter de la PDMEP modifiée ou initiale. À tout le moins, il n’était pas déraisonnable pour le CEMD de tenir compte de cette demande du cpl Stemmler concernant sa PDMEP par l’intermédiaire d’options de réintégration ou de nouvel enrôlement et de l’aborder.
[41]
Dans sa discussion concernant le résultat approprié, le CEMD a fait précéder ses motifs en écrivant [traduction] « avant d’aborder les questions concernant votre PDMEP […] »
. Par conséquent, il ne fait à mon avis aucun doute que le CEMD s’est explicitement penché sur la demande du cpl Stemmler concernant sa PDMEP. Afin de rétablir sa PDMEP initiale prolongée, le cpl Stemmler aurait été obligé de retourner dans les FAC. Comme l’affirme correctement le CEMD, la personne qui sollicite un nouvel enrôlement dans les FAC doit être apte à répondre aux normes médicales établies pour les militaires canadiens, ce qui n’était pas possible pour le cpl Stemmler étant donné ses CERM ([traduction] « le nouvel enrôlement [...] étant impossible étant donné que votre catégorie médicale est inférieure à la norme de l’universalité du service (U du S) »
). Étant donné que le cpl Stemmler ne répondait pas à ces normes médicales, le CEMD a conclu qu’il ne pouvait pas être enrôlé de nouveau et donc sa PDMEP ne pouvait pas être modifiée.
[42]
La norme de l’« universalité du service »
est un principe reconnu dans la Loi, au paragraphe 33(1) de la LDN, dont la validité a été confirmée et soutenue par la jurisprudence (Chua c Canada (Procureur général), 2015 CF 738, au paragraphe 48, faisant référence à trois décisions de la Cour d’appel fédérale, à savoir Canada (Procureur général) c St. Thomas et la Commission canadienne des droits de la personne (1993), 109 DLR 671, Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Forces armées); Husband, mise en cause, [1994] 3 CF 188; et Canada (Procureur général) c Robinson, [1994] 3 CF 228). Ces décisions affirment que l’universalité du service était une exigence professionnelle justifiée dans les FAC. Dans ce contexte, le fait de déduire que le nouvel enrôlement est impossible quand il y a violation de l’« universalité du service »
ne peut pas être qualifié de déraisonnable.
[43]
De même, les conditions de réintégration sont clairement énoncées au paragraphe 30(4) de la LDN. Les restrictions réglementaires du paragraphe 30(4) de la LDN et de l’article 15.50 des ORFC établissent les conditions dans lesquelles une libération des FAC peut être annulée. Il est important de citer ces dispositions. Le paragraphe 30(4) de la LDN est rédigé comme suit :
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[44]
De son côté, l’article 15.50 des ORFC réitère ce qui se retrouve dans le paragraphe 30(4) de la LDN et est rédigé comme suit :
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[45]
Il ne fait aucun doute que la situation du cpl Stemmler ne correspond pas aux exceptions qui sont exposées dans ces dispositions. Par conséquent, le CEMD n’a pas commis d’erreur en concluant que le cpl Stemmler ne pouvait pas être réintégré. En d’autres termes, je ne considère pas qu’il était déraisonnable pour le CEMD d’appliquer les dispositions pertinentes de la LDN et des ORFC en se penchant sur [traduction] « les questions concernant la PDMEP [du cpl Stemmler] »
.
[46]
J’accepte que cela ne rende pas la fin anticipée et unilatérale de la PDMEP du cpl Stemmler plus juste ou plus acceptable. Le CEMD a en effet reconnu que les droits à l’équité procédurale du cpl Stemmler n’ont pas été respectés et qu’il a été lésé par le processus. Mais cela n’est pas la question sur laquelle je dois rendre une décision dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, je dois établir si la décision du CEMD est raisonnable et si elle appartient aux issues possibles et acceptables, mais je dois le faire avec une grande déférence à l’égard du CEMD et de son expertise spécialisée.
[47]
Je reconnais que, à la lumière de l’arrêt Zimmerman, le CEMD qui agit à titre d’ADI doit donner des motifs détaillés quand il s’écarte des conclusions et recommandations du CEEGM. En l’espèce, amplement de motifs ont été donnés par le CEMD pour expliquer pourquoi son point de vue était différent des recommandations du CEEGM. En fait, la possibilité de déclarer la libération du cpl Stemmler comme étant nulle ab initio a nettement été examinée et prise en compte par le CEMD dans la décision, et rejetée par le CEMD.
[48]
Le CEEGM a invoqué le paragraphe 108 de l’arrêt Dunsmuir pour conclure que les restrictions réglementaires de la LDN n’étaient pas pertinentes et décider que la décision de libérer un membre des FAC sans respecter l’équité procédurale rendait la décision nulle, comme si elle n’avait jamais été prise. Le CEMD a considéré cela, mais n’était pas d’accord avec la conclusion du CEEGM. Le CEMD n’a pas adopté l’interprétation faite par le CEEGM du paragraphe 108 de l’arrêt Dunsmuir qui rendait la législation pertinente inapplicable. La décision de la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir concernait le manque d’équité procédurale dans le contexte du droit en matière d’emploi et a conclu qu’un tel manque rendrait l’emploi comme n’ayant jamais cessé et que le titulaire du poste aurait droit au salaire et aux bénéfices non payés de la date du congédiement à la date du jugement. Le contexte des FAC est très différent, et le CEMD a conclu que la libération du cpl Stemmler était légale. En outre, comme cité par le CEMD, la Cour d’appel fédérale a tenu compte du contexte particulier des FAC dans l’arrêt McBride c Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181 [McBride], au paragraphe 45, dans lequel la Cour a conclu que « ces audiences de novo ont remédié à l’atteinte qui a été portée au droit à l’équité procédurale »
.
[49]
De même, dans la décision Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 775 [Walsh], notre Cour a refusé d’annuler ab initio la décision de libération que le demandeur sollicitait en invoquant un manquement à l’équité procédurale. Dans cette affaire, notre Cour a observé que les motifs étaient clairs et qu’elle devait faire preuve de déférence envers l’autorité de dernière instance, qui jouit « d’une grande latitude lorsqu’elle se penche et se prononce sur des griefs »
(Walsh, au paragraphe 43). La Cour a appliqué les enseignements de l’arrêt McBride (Walsh, au paragraphe 51).
[50]
La même situation prévaut en l’espèce. En effet, le cpl Stemmler avait amplement l’occasion de plaider sa cause. Il a présenté des observations non seulement à l’ADI, mais pendant tout le processus de règlement des griefs des FAC. De plus, le nouvel examen de l’affaire du cpl Stemmler par le CEMD a remédié à toute question d’équité procédurale.
[51]
À mon avis, la décision du CEMD concernant la PDMEP du cpl Stemmler est claire et intelligible. Un nouvel examen est inutile puisque les conclusions du CEMD quant à la mesure corrective appropriée sont détaillées et raisonnables. Le CEMD a donné suffisamment de motifs pour expliquer pourquoi il a accepté le grief du cpl Stemmler, pourquoi les FAC ne pouvaient pas le réintégrer ou l’enrôler à nouveau, et pourquoi le cpl Stemmler ne pouvait pas demeurer en service pour le reste de la période initiale de sa PDMEP. Ce faisant, le CEMD a raisonnablement abordé la première mesure de réparation demandée par le cpl Stemmler concernant le rétablissement de la date d’échéance de la PDMEP au 11 janvier 2013.
[52]
Je ne suis pas non plus d’accord avec le cpl Stemmler quand il suggère que les motifs donnés par le CEMD ne permettent pas de déterminer que la possibilité de rétablir la date d’échéance de sa PDMEP initiale ait été examinée. Au contraire, le CEMD s’est donné beaucoup de mal pour expliquer pourquoi le cpl Stemmler ne pouvait pas être réintégré dans les FAC et ne pouvait pas être enrôlé de nouveau. Sans la réintégration ou le nouvel enrôlement, le rétablissement de la date d’échéance de la PDMEP initiale du 11 janvier 2013 n’était pas possible.
[53]
À l’inverse de l’affaire Zimmerman, le CEMD n’a pas omis de traiter certains griefs du plaignant sans en donner la raison (Zimmerman, au paragraphe 25; Morphy c Canada (Procureur général), 2008 CF 190, aux paragraphes 74, 75 et 78). Dans ce cas-ci, le CEMD s’est acquitté de son obligation à cet égard. Je suis en mesure de décider, à la lumière des motifs détaillés du CEMD et de l’ensemble de la décision, que la réparation demandée par le cpl Stemmler a été examinée et n’a pas été oubliée. Elle a été abordée par le CEMD dans ses motifs. Tirer une conclusion différente exigerait une interprétation étroite de la décision qui, à mon avis, ne serait pas raisonnable et ignorerait l’analyse exhaustive effectuée par le CEMD, simplement parce qu’il n’a pas utilisé précisément le mot « rétablissement »
. Autrement dit, dans le cadre de la norme de la décision raisonnable, je suis convaincu que le CEMD a abordé dans sa décision cette mesure de réparation demandée par le cpl Stemmler.
[54]
Je suis d’accord avec le cpl Stemmler qu’il avait le droit de savoir si la possibilité de rétablir ou non sa PDMEP a joué un rôle dans la décision du CEMD de rejeter les mesures de réparation qu’il demandait. La question était évidemment assez centrale pour que l’API l’aborde dans sa décision. Et je suis convaincu que la question a également été discutée de manière précise et appropriée dans la décision du CEMD.
[55]
La décision de la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland Nurses établit que les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l’égard des motifs d’un décideur et que l’insuffisance alléguée des motifs n’est plus un fondement indépendant pour accorder le contrôle judiciaire. Cependant, je suis d’accord que l’arrêt Newfoundland Nurses, et les décisions qui ont été rendues dans sa foulée, ne donne pas aux tribunaux toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne les autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le décideur a pu penser (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11). En effet, le fait de faire preuve de déférence à l’égard des motifs invoqués pour appuyer la décision d’un tribunal administratif et d’accorder une attention respectueuse à ces motifs ne confère pas à la cour de justice le « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat »
(Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], au paragraphe 54, citant Petro-Canada c British Columbia (Workers’ Compensation Board), 2009 BCCA 396, au paragraphe 56).
[56]
J’accepte également le fait que la retenue envers le décideur administratif ne signifie pas toujours maintenir la décision d’un tribunal et peut parfois exiger que la Cour doive d’abord fournir au décideur l’occasion de donner ses propres motifs pour la décision (Alberta Teachers, au paragraphe 55; Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, aux paragraphes 28 et 29). En d’autres termes, la retenue peut, dans certains cas, exiger qu’une affaire soit renvoyée à un tribunal lorsqu’une erreur est décelée afin de donner au tribunal l’occasion de tirer ses propres conclusions plutôt que d’essayer de maintenir une décision en y substituant l’opinion de la cour de révision concernant le bien-fondé de la demande. Dans l’arrêt Alberta Teachers, le juge Rothstein envisage en effet ce qui suit : « Il peut arriver parfois qu’une juridiction de révision ne puisse manifester la déférence voulue sans offrir d’abord au décideur administratif la possibilité d’exposer les motifs de sa décision. Alors, même s’il y a décision implicite, il est possible qu’elle juge opportun de renvoyer la décision au tribunal administratif pour qu’il la motive »
(Alberta Teachers, au paragraphe 55). Toutefois, nous ne sommes pas dans ce genre de situation en l’espèce.
[57]
Il faut examiner les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Qui plus est, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »
(Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit aborder les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse »
(Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15).
[58]
Il faut faire preuve d’une grande retenue envers la décision du CEMD (Walsh, au paragraphe 43). Étant donné que le CEMD jouit d’un grand pouvoir discrétionnaire dans l’examen et la décision des griefs comme celui du cpl Stemmler et à en identifier les mesures de redressement appropriées, et les motifs détaillés produits, il ne s’agit pas d’une affaire où la Cour devrait intervenir.
B.
Les motifs du paiement à titre gracieux sont suffisants
[59]
Dans son deuxième motif de contrôle judiciaire, le cpl Stemmler plaide que le CEMD n’a pas expliqué de manière appropriée comment il est arrivé au versement d’un paiement à titre gracieux de 25 000 $ et que sa décision à cet égard est donc déraisonnable.
[60]
Là encore, je ne suis pas d’accord. Un examen de la décision du CEMD démontre que le CEMD a fourni des explications détaillées de son choix de réparation. Je suis d’accord avec le Procureur général que la conclusion du CEMD à l’égard du paiement à titre gracieux est transparente et intelligible à première vue et ne requiert aucune clarification ou interprétation additionnelle. Les conclusions du CEMD à cet égard sont défendables par la loi et appartiennent à sa sphère d’expertise, sont appuyées avec des détails suffisants et font écho aux exigences applicables qui permettent d’accorder des paiements à titre gracieux. Bien que le cpl Stemmler puisse être déçu du montant, le CEMD a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner une telle adjudication et, ce faisant, il se conforme aux conditions du CT, dont la première requiert seulement que le montant ne soit pas supérieur à 100 000 $.
[61]
Pour les motifs exposés ci-dessus, le CEMD n’a pas conclu qu’il est possible de considérer la libération du cpl Stemmler comme étant nulle ab initio, de le réintégrer ou de l’enrôler à nouveau dans le FAC ou de rétablir la date d’échéance de sa PDMEP initiale. Autoriser le versement d’un paiement à titre gracieux était la seule option à la disposition du CEMD. Dans la décision, le CEMD a pris le temps d’expliquer soigneusement la nature du paiement à titre gracieux, précisant [traduction] « qu’un paiement de bienfaisance est accordé par la Couronne seulement lorsqu’il n’existe aucun autre recours statutaire, réglementaire ou politique administrative de réparation »
. En outre, le CEMD a souligné qu’il était de nature discrétionnaire. Le CEMD a également indiqué comment les conditions imposées par le Conseil du Trésor pour un tel paiement ont été respectées dans le cas du cpl Stemmler : le paiement ne dépasse pas 100 000 $, il n’existe aucun autre mécanisme par lequel le grief du cpl Stemmler pourrait être réparé, et il ne représente pas un paiement visant à combler des lacunes ou à pallier l’insuffisance apparente d’une loi, d’un règlement ou d’une politique.
[62]
Ces conditions du CT existent pour empêcher l’utilisation de paiements à titre gracieux lorsqu’il existe d’autres recours administratifs possibles. Bien qu’il sympathise avec le cpl Stemmler, le CEMD a pris des précautions pour ne pas attribuer de responsabilité à la Couronne. Un paiement à titre gracieux est en effet un paiement entièrement gratuit pour lequel aucune responsabilité n’est reconnue. C’est un paiement effectué par le gouvernement comme un acte de bienveillance dans l’intérêt du public.
[63]
Je reconnais que le pouvoir discrétionnaire ne saurait être assimilé à l’arbitraire (Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14 [Montréal], au paragraphe 33). Comme l’a déclaré la Cour suprême dans cette décision, le pouvoir discrétionnaire accordé à un décisionnaire « s’exerce à l’intérieur d’un cadre juridique déterminé. […] La loi et les règlements délimitent l’étendue du pouvoir discrétionnaire ainsi que les principes qui gouverneront son exercice et permettront d’apprécier le caractère raisonnable de celui-ci »
(Montréal, au paragraphe 33).
[64]
Dans l’affaire en l’espèce, le décret et les conditions du CT définissent la portée du pouvoir discrétionnaire et des principes qui gouvernent l’exercice de l’autorité à titre gracieux du CEMD, et elles servent à garantir que le pouvoir discrétionnaire est en effet exercé « à l’intérieur d’un cadre juridique déterminé »
(Montréal, au paragraphe 33). Je conclus que, dans sa décision, le CEMD respecte ce cadre juridique précis, a examiné précisément les divers éléments exposés dans les conditions du CT et était convaincu que chacun d’entre eux avait été respecté.
[65]
J’observe que la détermination du montant réel du paiement avait été qualifiée « d’arbitraire »
dans une note de service incluse dans le dossier certifié du tribunal et transmise au CEMD par le colonel Mal avant que le CEMD ne rende sa décision. Cette note de service recommande qu’[traduction] « un don sous forme de paiement à titre gracieux »
soit octroyé au cpl Stemmler; elle affirme également que [traduction] « le montant du don [était] entièrement discrétionnaire »
et ne pouvait pas paraître [traduction] « comme étant compensatoire (p. ex., le montant ne peut pas être apparenté à un paiement d’un régime pour remplacer un écart apparent) »
, reflétant ainsi les exigences décrites dans les conditions du CT. La note du colonel Malo n’a pas été précisément mentionnée par le CEMD dans la décision, et le CEMD n’a pas fait référence au montant du paiement octroyé au cpl Stemmler comme devant être arbitraire.
[66]
Le fait que le montant qui doit être choisi par le CEMD dans l’exercice de son autorité à titre gracieux peut se situer n’importe où sur l’éventail établi par les conditions du CT (soit de 0 $ à 100 000 $) n’indique pas que le CEMD a exercé son pouvoir discrétionnaire arbitrairement en arrivant à une somme de 25 000 $. Je n’estime pas que le CEMD a tenu compte d’un facteur qui n’était pas pertinent en décidant de ce montant. Il a plutôt suivi les exigences des conditions du CT et, à sa discrétion, il a accordé une indemnité se situant dans la fourchette prescrite.
[67]
La condition e) des conditions du CT affirme que le paiement ne doit pas « être utilisé en vue de combler des lacunes ou de pallier l’insuffisance apparente de n’importe quelle loi, décret, règlement, politique, accord, ou autres instruments directeurs »
. Étant donné que le paiement à titre gracieux ne peut être utilisé à titre compensatoire pour l’insuffisance apparente du gouvernement, le CEMD devait s’appuyer sur des considérations autres que des dommages pour compenser les lacunes du processus de règlement des griefs des FAC. Il devait lui-même décider du montant, selon les paramètres exposés dans les conditions du CT et selon sa sphère d’expertise dans les affaires militaires. Je suis convaincu que c’est bien ce que le CEMD a fait dans le cas du cpl Stemmler.
[68]
Comme l’affirme Guy Régimbald dans Canadian Administrative Law, Markham : LexisNexis, 2008, aux paragraphes 182 à 188, il y a plusieurs motifs de contrôle pour une décision administrative à titre discrétionnaire [traduction] : « [une décision discrétionnaire] ne peut pas être rendue de mauvaise foi, arbitrairement ou malhonnêtement [elle] peut aussi être annulée si le décisionnaire a tenu compte de motifs qui ne sont pas pertinents au processus de prise de décision, ou a pris une décision pour un motif autre que celui délégué par une loi habilitante »
. À l’inverse, l’omission d’un décisionnaire administratif de tenir compte d’un élément très important constitue une erreur au même titre que la prise en considération inappropriée d’un facteur étranger à l’affaire. Rien de cela ne transparaît dans la décision.
[69]
Il est vrai que, bien que des motifs détaillés expliquent pourquoi le versement d’un paiement à titre gracieux a été autorisé par le CEMD, aucun motif n’a été offert quant à la genèse du montant précis qui est en fait octroyé. Toutefois, le CEMD n’a considéré aucun motif qui n’était pas pertinent pour arriver au montant du paiement de 25 000 $, il n’y a pas non plus dans l’analyse du CEMD de motif étranger à l’affaire sauf celui habilité par une loi et un cadre administratif, et le CEMD a tenu compte de tous les facteurs pertinents et applicables. Je ne suis pas convaincu que, dans ces circonstances, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du CEMD dans la portée des conditions du CT n’appartient pas aux issues possibles acceptables. Le fait de ne pas avoir fourni les explications additionnelles que le cpl Stemmler aurait souhaité voir n’est pas suffisant, à mon avis, pour rendre déraisonnable l’octroi par le CEMD du paiement à titre gracieux.
[70]
Je reconnais qu’une décision portant sur le versement ou non d’un paiement à titre gracieux peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Schavernoch c Commission des réclamations étrangères, [1982] 1 RCS 1092, à la page 1102; Huard c Canada (Procureur général), 2007 CF 195, au paragraphe 81; Kastner c Canada (Procureur général), 2004 CF 773, au paragraphe 23; Schrier c Canada (Procureur général), [1996] ACF no 246 (CF 1re inst.), au paragraphe 10). En l’espèce, la décision du CEMD d’autoriser le versement d’un paiement à titre gracieux est conforme à une interprétation raisonnable du décret et des conditions du CT selon la preuve au dossier et satisfait à la norme de la décision raisonnable applicable.
[71]
Cela étant dit, je suis d’accord avec le Procureur général pour dire que, peu importe le montant du paiement à titre gracieux en l’espèce, les instruments juridiques et politiques régissant ces paiements ne font pas l’objet du présent contrôle judiciaire. Comme l’a rendu la Cour dans l’arrêt MacPhail, le contrôle judiciaire de la décision du CEMD « n’englobe pas et ne peut pas englober des questions quant à savoir si la décision liée à la politique du Conseil du Trésor était juste ou raisonnable, ou si l’incidence de la politique sur le demandeur était juste ou injuste »
(MacPhail, au paragraphe 10). L’objet du contrôle judiciaire est le caractère raisonnable de l’adjudication du CEMD dans le cadre du grief du cpl Stemmler. La Cour n’a pas le pouvoir ni l’autorité de décider si le paiement à titre gracieux de 25 000 $ était équitable ou ne l’était pas.
[72]
Je note qu’il n’y a aucune décision judiciaire relative au décret ou aux conditions du CT. Toutefois, comme le précise le Procureur général, les conditions du CT ressemblent de près aux conditions établies dans les Politiques sur les réclamations et paiements à titre gracieux du Conseil du Trésor, qui ont fait l’objet d’une étude juridique par la Cour dans l’arrêt Sandiford c Canada (Procureur général), 2009 CF 862. Dans cette décision, le juge Kelen observe que la directive du Conseil du Trésor provient d’une politique qui est discrétionnaire, mais qui n’a pas force de loi. Dans cette affaire, le juge Kelen est d’accord que le directeur des réclamations et contentieux des affaires civiles devrait se voir accorder un degré élevé de déférence concernant la politique discrétionnaire. De même, dans l’arrêt Byer c Canada, 2002 CFPI 518 [Byer], la juge Tremblay-Lamer a conclu qu’« une directive ou une politique n’a pas force de loi parce qu’il lui manque les caractéristiques essentielles d’un règlement. Il est évident que les tribunaux n’interviennent pas pour sanctionner l’application d’une norme qu’ils jugent de nature et de portée essentiellement administrative. Dans le présent litige, la politique administrative est tout simplement une règle de conduite interne édictée par le Conseil du Trésor »
(Byer, aux paragraphes 37 et 38).
[73]
Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Copello c Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2003 CAF 295 [Copello], aux paragraphes 16 et 17, l’exercice de la prérogative royale échappe au domaine du contrôle judiciaire, évidemment, sauf en cas de violation d’un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés (Black c Canada (Premier ministre) (2001), 54 OR (3d) 215 (CA Ont) [Black], au paragraphe 46). Un tribunal ne peut pas contrôler la manière dont la prérogative royale a été effectivement exercée si la question est « de nature purement politique »
(Copello, au paragraphe 17; Black, au paragraphe 50).
[74]
La décision du CEMD d’accorder un paiement à titre gracieux est conforme à une interprétation raisonnable du décret et des conditions du CT, et il suffit de conclure qu’elle appartient aux issues possibles acceptables. Le cpl Stemmler aurait sans doute préféré voir davantage de motifs pour expliquer le montant de 25 000 $. Mais dans le contexte du décret et des conditions du CT, le CEMD n’avait pas à préciser davantage ses motifs pour être conforme aux exigences d’une décision raisonnable. Étant donné le degré élevé de retenue dont jouit le CEMD, cela n’est pas une situation qui justifie l’intervention de la Cour.
[75]
Le critère pour établir si les motifs étaient suffisants exige que les motifs soient clairs et intelligibles et qu’ils expliquent à la Cour et aux parties pourquoi la décision a été prise. Les motifs sont suffisants s’ils « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
(Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Pour fournir des motifs adéquats, « le décideur doit exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions »
, ainsi que « traiter des principaux points en litige »
et « examiner les facteurs pertinents »
(Via Rail Canada Inc. c Canada (Office national des transports), [2001] 2 RCF 25, au paragraphe 22). C’est précisément ce qu’a fait le CEMD. Dans la mesure où les motifs permettent « à la cour de révision d’apprécier le bien-fondé »
de la décision, ils seront suffisants (Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46).
[76]
Comme je l’ai expliqué dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdulghafoor, 2015 CF 1020, aux paragraphes 30 à 36, et Al-Katanani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1053, au paragraphe 32, le droit relatif à la suffisance des motifs dans la prise de décisions administratives a évolué de manière substantielle depuis Dunsmuir. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême a donné des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16 et 18). Selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite.
[77]
En l’espèce, les motifs m’aident à comprendre comment le CEMD a tiré sa conclusion tandis qu’ils expliquent pourquoi le CEMD ne pouvait qu’accorder un paiement à titre gracieux et le critère qu’il devait respecter dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une telle mesure de réparation. Les motifs sont suffisants en ce qui a trait au critère établi dans Newfoundland Nurses. Les motifs ne sont pas insuffisants.
IV.
Conclusion
[78]
Je ne suis pas convaincu que la décision du CEMD est déraisonnable. Les conclusions du CEMD constituent une issue raisonnable au regard du droit et de la preuve dont l’ADI était saisie. La norme de la décision raisonnable exige seulement que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est le cas en l’espèce. De plus, le CEMD a fourni des motifs appropriés, à la fois concernant le rejet de la mesure de rétablissement demandée par le cpl Stemmler et l’octroi du paiement à titre gracieux. Par conséquent, même si je sympathise avec le cpl Stemmler et déplore les circonstances malheureuses entourant sa libération des FAC, je dois rejeter sa demande de contrôle judiciaire.
[79]
Compte tenu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, et après examen des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, il n’y aura aucune adjudication de dépens.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Denis Gascon »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 22e jour de juin 2020
Lionbridge
ANNEXE
Le texte du Décret relatif au versement de paiements à titre gracieux dans le cadre de la procédure des Forces canadiennes applicable aux griefs est rédigé comme suit :
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Les conditions du Conseil du Trésor pour exercer l’autorité à titre gracieux conformément au Décret relatif au versement de paiements à titre gracieux dans le cadre de la procédure des Forces canadiennes applicable aux griefs sont rédigées comme suit :
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-102-15
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INTITULÉ :
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CAPORAL (RETRAITÉ) PAUL STEMMLER c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDITION :
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Le 7 juin 2016
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GASCON
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DATE DES MOTIFS :
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Le 24 novembre 2016
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COMPARUTIONS :
Joshua M. Juneau
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Pour le demandeur
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Stephen Kurelek
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet juridique Michel Drapeau
Ottawa (Ontario)
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Pour le demandeur
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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