Dossier : T-407-16
Référence : 2016 CF 1246
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2016
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE : |
PHILIP M. RYAN |
demandeur |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS :
I. Nature de l’affaire
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-27, d’une décision [la Décision] datée du 13 janvier 2016 du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [le Tribunal]. Le Tribunal a confirmé la décision du comité d’examen d’admissibilité rendue en 2011, qui a rejeté la demande de prestations d’invalidité du demandeur basée sur sa spondylose lombaire [la Spondylose]. Après avoir examiné les observations orales et écrites, je conclus que la Décision est raisonnable, et par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
II. Contexte
[2] Le demandeur a servi le Canada avec dévouement comme artilleur dans les Forces canadiennes de 1975 à 1979 [le Service]. Le Service du demandeur état physiquement exigeant puisqu’il comprenait l’entraînement physique, le saut en parachute et la formation en artillerie.
[3] Durant son Service, le demandeur a subi quatre blessures pour lesquelles il reçoit actuellement des indemnités d’invalidité : discopathie, pied d’immersion droit, pied d’immersion gauche et acouphène. Sa demande d’indemnisation pour la Spondylose a cependant été rejetée dans les décisions de 2011 et de 2016.
[4] Le demandeur a subi ces blessures à la suite de deux accidents.
[5] Premièrement, le 10 septembre 1976, le demandeur a été blessé lors d’un saut à bas niveau en parachute quand ses pieds et ses jambes se sont pris dans les élévateurs de son parachute, l’amenant à tomber par terre, la tête et les épaules en premier.
[6] Deuxièmement, le 28 janvier 1978, le demandeur a été blessé en aidant à faire monter un toboggan avec mortier sur un remblai, qui a ensuite glissé vers le bas, poussant le demandeur contre la neige alors qu’il était replié vers l’arrière, et s’est arrêté en tombant sur lui. Le demandeur a aussi subi de graves engelures aux deux jambes et aux deux pieds.
[7] Le demandeur n’a signalé aucune douleur au dos pendant son examen médical lorsqu’il a été libéré des Forces canadiennes en 1979, mais a indiqué d’autres blessures, notamment les engelures aux pieds.
[8] Après avoir quitté les Forces canadiennes, le demandeur a travaillé à Postes Canada, période pendant laquelle il a présenté quatre demandes d’indemnisation pour blessures liées à son emploi :
(1) En 1982, le demandeur s’est blessé au dos quand il est tombé d’une hauteur de quatre pieds sur une bande convoyeuse en caoutchouc;
(2) En 1983, le demandeur a porté un sac de courrier pesant soixante-dix livres et s’est blessé au dos;
(3) En 1988, le demandeur a essayé d’empêcher six boîtes de courrier de tomber d’un chariot élévateur et s’est blessé au bas du dos.
(4) En 1998, le demandeur s’est blessé au dos dans un accident automobile.
[9] La Spondylose du demandeur a été diagnostiquée pour la première fois en 1992.
[10] En 2010, le demandeur a présenté une demande d’indemnité d’invalidité pour la Spondylose en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21 [la Loi]. Il a allégué que cette blessure était attribuable aux accidents de parachute en 1976 et de toboggan en 1978 décrits ci-dessus, à cela s’ajoutent plus de cent exercices de sauts en parachute effectués pendant son Service.
[11] Le 24 février 2011, un représentant d’Anciens Combattants Canada a rejeté la demande [la décision d’ACC] au motif que la Spondylose du demandeur n’était ni due ni directement liée à son Service.
[12] Le demandeur a interjeté appel de cette décision. Le 5 juillet 2011, le comité d’examen d’admissibilité a confirmé la décision d’ACC refusant d’accorder au demandeur le droit à une indemnité d’invalidité. Le demandeur a ensuite interjeté appel de la décision du comité d’examen d’admissibilité auprès du Tribunal, qui a aussi été rejeté. C’est cet appel qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III. Décision faisant l’objet du contrôle.
[13] Le Tribunal a examiné si la Spondylose du demandeur était due ou directement liée à son Service (aux termes de l’article 45 de la Loi), en procédant à une revue très détaillée des éléments de preuve et des arguments du demandeur. Le Tribunal a aussi souligné qu’il avait appliqué les exigences légales aux termes de l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 [la Loi sur le TACRA], qui lui exige de tirer des inférences raisonnables et de trancher les questions relatives à la valeur probante en faveur du demandeur et d’accepter toute preuve non contredite du demandeur lorsqu’elle est crédible.
[14] Le Tribunal a confirmé la décision du comité d’examen d’admissibilité de 2011, refusant d’accorder le droit à une indemnité d’invalidité pour la spondylose lombaire du demandeur en raison d’une absence d’éléments de preuve médicaux objectifs et contemporains nécessaires pour prouver un grave traumatisme particulier subi à son dos qui aurait causé la Spondylose. Le Tribunal a aussi conclu que l’incident du parachutisme en 1976 a causé une fracture de la colonne cervicale du demandeur, qui a donné lieu à une indemnisation pour la maladie discale cervicale.
[15] En outre, le Tribunal a conclu ce qui suit :
Même si [le demandeur] s’est peut-être blessé au dos à la suite de l’incident du toboggan, il n’y a simplement aucune preuve médicale objective contemporaine pour confirmer qu’il avait subi une blessure au dos pendant l’incident du toboggan. De plus, il n’y a aucune plainte relative au mal de dos dans le dossier médical de service du demandeur de 1975 à 1979 à un point tel qu’il puisse causer une spondylose de la colonne lombaire et il n’y avait absolument aucune plainte d’un mal de dos dans son examen médical au moment de la libération en 1979 (dossier certifié du tribunal, p. 129 [DCT]).
[16] Le Tribunal a examiné les quatre demandes d’indemnisation pour les blessures du demandeur survenues au cours de son emploi à Postes Canada, qui sont toutes manifestées après sa libération des Forces canadiennes. Le Tribunal a conclu que les rapports médicaux sur lesquels s’est appuyé le demandeur n’excluaient pas ces quatre blessures distinctes comme causes possibles de l’état actuel du demandeur. Le Tribunal a aussi souligné que les quatre demandes d’indemnisation après la libération ont entraîné une période de repos prolongée, ce qui n’était pas le cas pour les blessures causées par l’incident du parachute en 1976 et l’incident du toboggan en 1978.
[17] Le Tribunal a également souligné que le premier diagnostic de l’état du demandeur a été établi en 1992, plus d’une décennie après son Service, et ultérieurement aux diverses blessures liées à son emploi à Postes Canada.
[18] Enfin, le Tribunal a rejeté les avis médicaux contenus dans les rapports médicaux présentés par le demandeur parce qu’ils n’étaient pas crédibles à des fins d’admissibilité, car ils n’ont pas établi avec persuasion que les deux incidents liés au Service étaient à l’origine de la Spondylose, surtout à la lumière des graves blessures subies après la libération.
IV. Questions préliminaires
[19] Deux questions préliminaires ont été tranchées à l’audience, comme suit :
A. La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser le dépôt tardif de la demande de contrôle judiciaire du demandeur?
[20] Le demandeur a présenté cette demande de contrôle judiciaire six jours après le délai de trente jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.
[21] J’ai examiné quatre questions en exerçant mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai de trente jours, selon l’arrêt Exeter c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 253, au paragraphe 4 :
(1) La partie requérante a-t-elle eu l’intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire?
(2) La partie défenderesse a-t-elle subi un préjudice en raison du retard de la partie requérante?
(3) La partie requérante a-t-elle donné une explication raisonnable pour justifier son retard?
(4) La demande de contrôle judiciaire envisagée a-t-elle des chances d’être accueillie?
[22] Comme cette demande de contrôle judiciaire n’a été retardée que de six jours, il a été présumé – surtout en tenant compte de la durée pendant laquelle le demandeur attendait patiemment l’issue de son appel devant le Tribunal – qu’il avait une intention forte et constante de poursuivre cette affaire. Le défendeur n’a subi aucun préjudice en raison du court délai. La troisième question et la quatrième question ont reçu des réponses affirmatives puisque le demandeur s’est représenté lui-même et a présenté un dossier solide, étant donné les contraintes temporelles et le passage du temps.
[23] Compte tenu du court délai et de la position du défendeur, la prorogation du délai a été accordée.
B. La Cour devrait-elle radier les paragraphes 4 à 77 de l’affidavit du demandeur?
[24] Le défendeur s’est opposé à cette grande partie de l’affidavit du demandeur, en alléguant que la Cour ne devrait s’appuyer que sur les documents présentés au Tribunal, les éléments de preuve supplémentaires n’étant admissibles que s’ils répondent aux questions d’équité procédurale ou de compétence (Peles c. Canada (Procureur général), 2013 CF 294, aux paragraphes 11 à 13).
[25] En principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur administratif (Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 42; Assn of Universities & Colleges of Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, au paragraphe 19 [Access Copyright]). Toute exception à cette règle doit (i) se garder d’usurper le rôle du décideur administratif en tant que celui qui décide du bien-fondé et (ii) accroître le rôle de contrôle de la Cour (Bell Canada c. 7262591 Canada Ltd, 2016 CAF 123, au paragraphe 20). Comme la Cour d’appel l’a expliqué dans l’arrêt Access Copyright, au paragraphe 20, de telles exceptions comprennent des affidavits qui :
(1) contiennent des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions pertinentes;
(2) portent à l’attention de la Cour des vices de procédure (ces vices se limitent à ceux qu’on ne peut déceler dans le dossier de preuve dont disposait le décideur administratif);
(3) font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée.
[26] Je conviens que dans cette affaire, la plupart des éléments de preuve contenus dans l’affidavit n’avaient pas été portés à la connaissance des décideurs susmentionnés, et ne peuvent être pris en compte parce qu’ils ont trait au fond de l’affaire soumise au Tribunal. Les éléments de preuve contenus dans l’affidavit ne soulèvent aucune question qui relève d’une des trois exceptions susmentionnées. La prise en compte de tels éléments de preuve irait à l’encontre de la délimitation des rôles entre cette Cour en tant que cour de contrôle judiciaire et le Tribunal en tant que décideur en tant que juge des faits et juge du fond.
[27] Toutefois, même si tous les éléments de preuve contenus dans l’affidavit sont pris en compte, cela ne change rien à l’analyse suivante concernant le caractère raisonnable de la Décision.
V. Questions en litige et norme de contrôle
[28] La seule question soumise à la Cour est celle de savoir si le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision en concluant que le demandeur n’était pas admissible à une indemnité d’invalidité conformément à l’article 45 de la Loi. Le demandeur soulève quatre questions, à savoir le Tribunal a-t-il :
- omis de tenir compte de la preuve du demandeur démontrant qu’il s’est blessé au dos au cours de l’incident du parachutisme en 1976 et de l’incident du toboggan en 1978?
- commis une erreur en concluant que les lésions du demandeur ouvrant droit à une indemnisation ont probablement causé sa Spondylose?
- commis une erreur en ne tenant pas compte de ses Lignes directives sur l’admissibilité?
- commis une erreur en rejetant la preuve médicale non contredite?
[29] La norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions du Tribunal comme celle qui est actuellement réexaminée, qui était basée sur les conclusions factuelles et des questions mixtes de fait et de droit (Ouellet c. Canada (Procureur général), 2016 CF 608, aux paragraphes 23 et 24). Pour être raisonnable, la décision du Tribunal doit faire partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Nouveau-Brunswick (Conseil de gestion) c. Dunsmuir, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Bien qu’il puisse avoir plus d’une issue raisonnable, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).
VI. Analyse
[30] L’article 45 de la Loi exige que le ministre détermine la cause de l’invalidité à l’égard de laquelle une indemnisation est demandée. Si la décision du ministre fait l’objet d’un appel, comme dans le cas d’espèce, le Tribunal est ensuite tenu de tirer sa propre conclusion au sujet de l’invalidité du demandeur (Newman c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 218, au paragraphe 14 [Newman]).
[31] Le fardeau de la preuve incombe au demandeur, qui doit présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles établissant, selon la balance des probabilités, un lien de causalité entre sa blessure et les incidents survenus pendant son Service. En d’autres termes, la blessure doit être suffisamment proche du Service du demandeur pour justifier une indemnité d’invalidité : elle doit être consécutive ou directement liée au Service du demandeur au sein des Forces canadiennes (Ben-Tahir c. Canada (Procureur général), 2015 CF 881, au paragraphe 62 [Ben-Tahir]).
[32] En établissant le lien de causalité entre son Service et sa blessure, le demandeur bénéficie des diverses présomptions légales prévues à l’article 39 de la Loi sur le TACRA discutées ci-dessus.
[33] L’alinéa 50f) du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50 [le Règlement] prévoit que, en l’absence de preuve du contraire, un ancien combattant a établi qu’une blessure ou qu’une maladie est liée au service s’il démontre qu’elle a été subie dans le cadre de l’administration, de la formation ou des opérations d’ordre militaire.
[34] Enfin, en raison de l’immense dette morale de la nation envers ceux qui ont servi ce pays (MacKay c. Canada (Procureur général), [1997] ACF no 495, aux paragraphes 20 et 21 (C.F. 1re inst.)), l’article 3 de la Loi sur le TACRA préconise l’adoption d’une approche libérale et fondée sur l’objet visé par le Tribunal concernant les demandes d’indemnité d’invalidité des anciens combattants.
[35] Cependant, bien que le régime législatif fournisse divers mécanismes qui favorisent le demandeur dans les demandes et les appels relatifs au droit à l’indemnisation, il ne donne pas carte blanche au demandeur à l’effet que toute prétention soit acceptée. Les éléments de preuve présentés doivent plutôt être crédibles et raisonnables (Weare c. Canada (Procureur général), [1998] ACF no 1145, au paragraphe 19 (C.F. 1re inst.)). Une preuve est crédible lorsqu’ « elle est plausible, fiable et logiquement capable de prouver le fait qu’elle est censée prouver » (Wannamaker c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, au paragraphe 6).
A. Le Tribunal a-t-il omis de tenir compte de la preuve du demandeur démontrant qu’il s’est blessé au dos au cours des incidents du parachutisme en 1976 et du toboggan en 1978?
[36] Le demandeur allègue que le Tribunal n’a pas tenu compte (i) de son récit de la façon dont il s’est blessé lors des incidents du parachutisme en 1976 et du toboggan en 1978, (ii) des éléments de preuve fournis par ses collègues de travail, et (iii) de sa déclaration contenue dans sa demande de prestation d’invalidité signée le 5 octobre 2010.
[37] Je n’ai pas conclu que le Tribunal a négligé les éléments de preuve. J’ai plutôt conclu qu’il y avait une absence d’éléments de preuve contemporains concernant la blessure au dos qui a causé la Spondylose. J’ai en outre conclu que le Tribunal était au courant de ses obligations et des présomptions relatives à la preuve en faveur du demandeur au titre de la législation pertinente.
[38] Les motifs du Tribunal pour sa décision établissent que l’avocat du demandeur s’est référé à la déclaration du demandeur contenu dans sa demande de prestations d’invalidité de 2010, qui décrit en détail l’incident du parachutisme survenu en 1976 et l’incident du toboggan survenu en 1978. Le Tribunal affirme aussi qu’il a tenu compte de la déclaration du demandeur, ainsi que d’autres éléments de preuve au dossier, en concluant qu’elle avait soutenu la conclusion selon laquelle la Spondylose n’était ni due ni directement liée à son Service, mais plutôt aux événements postérieurs à son Service qui sont survenus pendant son emploi à Postes Canada.
B. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que les lésions du demandeur ouvrant droit à une indemnisation avaient très probablement causé sa Spondylose?
[39] Dans l’arrêt Cole c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 119, au paragraphe 97, la Cour d’appel a jugé dans une affaire connexe (pensions) que la causalité doit être « directement liée » au service :
Ainsi, le service militaire du demandeur fournira un lien de causalité suffisant avec son état allégué, de manière à ce que l’état allégué soit « directement lié à » un tel service militaire, lorsqu’il établit que son service militaire était un facteur qui a considérablement contribué à cet état allégué.
[40] En l’espèce, je ne suis pas d’accord avec le demandeur quand il affirme que le Tribunal a commis une erreur en s’appuyant à tort sur certains éléments de preuve et en concluant que les blessures au dos du demandeur à Postes Canada étaient les plus susceptibles de causer sa Spondylose, contrairement aux incidents liés au service militaire. Les éléments de preuve du demandeur à l’appui de sa demande ont été présentés au Tribunal et ont été clairement examinés, mais ont finalement été rejetés. Dans cette décision, le Tribunal a reconnu que le demandeur « aurait pu se faire mal au dos à la suite de l’incident du toboggan », mais a souligné l’absence de preuve médicale contemporaine corroborante. Même avec le bénéfice de l’article 39 de la Loi sur le TACRA, je trouve que le Tribunal était toutefois raisonnable en concluant qu’à la lumière des éléments de preuve des incidents de Postes Canada et des quatre demandes associées au mal de dos qui en découlent, les éléments de preuve du demandeur n’ont pas réussi à établir un lien de causalité entre sa Spondylose et les incidents liés au Service.
[41] Le Tribunal a expressément noté que la première mention de sa Spondylose a eu lieu plusieurs années après sa libération des Forces canadiennes. De plus, il y a eu une très courte période de repos à cause des deux accidents survenus pendant qu’il était au sein des Forces armées, et il n’y a eu aucune preuve d’un traitement de suivi. Pendant son Service, il n’y a eu qu’une brève évaluation de sa dorsalgie basse, mais il a été considéré comme étant apte au service. S’il y avait des éléments de preuve irréfutables du contraire, je conviendrais alors avec le demandeur qu’il aurait pu bénéficier de la présomption de l’alinéa 50f) du Règlement.
[42] En bref, plusieurs incidents sont survenus durant le cours de l’emploi du demandeur à Postes Canada, y compris un accident de voiture, qui a entraîné une longue période d’absence du travail et de traitement, contrairement aux blessures résultant des accidents de parachute en 1976 et de toboggan en 1978 au sein des Forces armées. En effet, le tout premier diagnostic (1992) de l’état du demandeur a eu lieu des années après sa libération (1979) et ultérieurement à chacune des quatre blessures survenues au cours de son service à Postes Canada, dont la dernière est survenue en 1988.
[43] En tirant ses conclusions – toutes raisonnables et basées sur les éléments de preuve dont il disposait –, le Tribunal a raisonnablement réfuté la présomption de l’alinéa 50f).
C. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de ses propres Lignes directives sur l’admissibilité?
[44] Je ne suis pas d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte de ses propres Lignes directrices sur l’admissibilité [les Lignes directrices]. Ces Lignes directrices ne sont ni contraignantes ni obligatoires à l’égard des arbitres, même si dans l’arrêt Manuge c. Canada (Procureur général), 2015 CF 540, au paragraphe 13, le juge Barnes convient qu’elles :
[…] représentent un raccourci de diagnostic disponible. Cependant, les Lignes directrices indiquent explicitement qu’elles « n’ont pas été élaborées pour servir de manuel de médecine ou d’étiopathogénie » et elles ne sont ni contraignantes ni obligatoires à l’égard des arbitres. Les directives de politique ne sont évidemment que cela; elles n’entravent pas le pouvoir discrétionnaire d’un décideur.
[45] L’écart par rapport aux directives peut être indicatif d’une décision déraisonnable. Cependant, l’absence de prise en compte (d’appui sur) des directives ne constitue pas en soi une erreur. Le Tribunal a fourni sa propre évaluation du lien de causalité et de la cause immédiate du problème; ses conclusions qui n’étaient pas en conflit avec les directives.
D. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en rejetant la preuve médicale non contredite?
[46] Je ne peux pas accepter le dernier des arguments du demandeur, selon lequel le Tribunal a commis une erreur en rejetant des éléments de preuve médicaux non contredits. Le demandeur affirme que l’absence d’éléments de preuve médicaux contemporains est expliquée par la culture des Forces armées canadiennes pendant ses années de Service qui dissuadait les membres de solliciter une aide médicale. Comme l’a expliqué le juge Mosley dans l’arrêt Powell c. Canada (Procureur général), 2005 CF 433, au paragraphe 33 [Powell], le fait de solliciter une telle aide pourrait être perçu comme se plaindre :
L’explication [du demandeur] pour l’absence de documents – selon laquelle il ne voulait pas être perçu comme un râleur – ne s’est apparemment vue accorder aucun crédit par le Tribunal puisqu’il n’en a pas fait mention dans ses motifs. À première vue, l’explication semblerait être raisonnable. On n’a pas besoin d’être imprégné de la culture militaire pour comprendre que les fiers membres des forces armées ne veulent pas être perçus comme des râleurs ou des simulateurs.
[47] Cependant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur en se reposant sur l’absence d’éléments de preuve médicaux objectifs et contemporains pour justifier sa décision (Stevenson c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1130, au paragraphe 47). Et contrairement à l’arrêt Powell, le Tribunal dans cette affaire a tenu compte des raisons du demandeur pour ne pas avoir signalé une blessure dans le bas de son dos (en déclarant qu’il avait tenu compte des conclusions de l’avocat).
[48] Concernant la période postérieure au service militaire, le demandeur prétend que les docteurs précédents n’avaient pas correctement diagnostiqué la Spondylose.
[49] Je ne trouve rien de déraisonnable dans les conclusions du Tribunal à cet égard, en me basant sur son explication de la raison pour laquelle les éléments de preuve médicaux du demandeur manquaient de crédibilité à la lumière des blessures survenues. Bien qu’il n’ait pas contesté les qualifications des médecins, le Tribunal a écrit que :
[…] ces avis médicaux n’abordent pas ou n’excluent pas d’autres facteurs éventuels importants, comme les quatre demandes d’indemnisation pour blessures subies par l’appelant dans la période suivant la libération alors qu’il était employé à [P]ostes Canada. Ces blessures et demandes n’ont pas été abordées dans les avis médicaux et n’ont pas été exclues comme facteurs possibles dans le développement de l’état allégué (dossier certifié du tribunal [DCT], au paragraphe 130).
[50] En effet, des conclusions similaires basées sur des circonstances comparables ont été approuvées par la Cour dans le passé. Dans l’arrêt Lunn c. Canada (Anciens combattants), 2010 CF 1229, aux paragraphes 58 à 65, le juge Russell a conclu que le Tribunal peut parfaitement faire une comparaison en établissant un lien de causalité entre la blessure et le Service du demandeur, lorsqu’une maladie dégénérative est passée inaperçue pendant plusieurs années. Dans cet arrêt, comme en l’espèce, il n’y a eu aucun diagnostic jusqu’après treize années de service. Le juge Russel a également conclu que le Tribunal peut s’appuyer sur les éléments de preuve médicaux obtenus au moment de la libération pour contredire les éléments de preuve médicaux subséquents, lorsqu’il y avait manque d’éléments de preuve d’un rapport de causalité.
[51] Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve médicaux ou de rendre une nouvelle décision, lorsque les éléments de preuve ont été examinés globalement par le Tribunal, et lorsque ses motifs étaient raisonnables (Ben-Tahir, aux paragraphes 41 et 42).
VII. Conclusion
[52] En somme, le Tribunal a offert des motifs justifiés, intelligibles et transparents pour appuyer sa conclusion selon laquelle la Spondylose du demandeur n’était pas causée par ses blessures pendant le Service. Bien qu’il soit possible de parvenir à une conclusion différente, le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas de substituer à celle du Tribunal l’issue qui serait à son avis possible ou préférable. La décision était raisonnable et la demande est par conséquent rejetée.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
1. La demande est rejetée.
2. Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Alan S. Diner »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-407-16 |
INTITULÉ : |
PHILIP M. RYAN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Vancouver (Colombie-Britannique) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 1er septembre 2016 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE DINER |
DATE DES MOTIFS : |
Le 9 novembre 2016 |
COMPARUTIONS :
Philip Ryan et Ann-Marie Ryan |
POUR SON PROPRE COMPTE |
Jon Khan |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Philip Ryan et Ann-Marie Ryan Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR SON PROPRE COMPTE |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique) |
Pour le défendeur |