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Date : 20161031


Dossier : T-255-16

Référence : 2016 CF 1205

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

AUDREY CHÉDOR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 48(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, et de l’alinéa 300b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), en vue de l’homologation et de l’exécution du règlement signé le 7 février 2015 (le Règlement) et approuvé par la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) le 4 mars 2015.

[2]               La présente demande a été déposée par la demanderesse le 10 février 2016 et est contestée par le défendeur. L’affaire a été entendue par la Cour à Montréal le 12 septembre 2016. J’ai tenu compte de la preuve présentée par la demanderesse dans son dossier déposé le 20 avril 2016 et par le défendeur dans son dossier déposé le 10 mai 2016, ainsi que des observations écrites et orales des parties.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie en partie.

Comprendre et gérer les questions liées à l’identité de genre et au changement de mention du sexe

[4]               À titre d’observation préliminaire, la Cour ne saurait davantage insister sur le caractère délicat de la présente instance. Les personnes s’attendent normalement à ce que les renseignements personnels concernant leur vie privée et leur état de santé ne soient pas divulgués ou publicisés sans leur consentement. Il va sans dire que la « conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue » et que « [la] protection de la vie privée est une valeur fondamentale dans les États modernes et démocratiques » (Dagg c. Canada (ministre des Finances), 1997 CanLII 358 (CSC), [1997] 2 RCS 403, aux paragraphes 67 et 65). Dans quelles circonstances une personne devrait-elle être contrainte de divulguer des renseignements personnels aux autorités et, suivant le cas, de fournir la preuve qu’elle a subi une inversion sexuelle chirurgicale (une ISC) afin d’obtenir un document gouvernemental officiel?

[5]               C’est dans ce contexte particulier que la demanderesse et le représentant dûment désigné de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ont convenu de régler, sans l’intervention des cours et des tribunaux, une affaire très privée concernant l’identité de genre et le changement de mention du sexe de la demanderesse sur son certificat de citoyenneté. Bien que le paragraphe 6 du règlement prévoie que les modalités en sont confidentielles, les deux parties ont indiqué à la Cour qu’elles renonçaient à leurs droits sur l’aspect lié à la protection de la vie privée du règlement, alors qu’il n’y a eu aucune requête ou demande pour que le présent dossier de la Cour ou une partie quelconque de ce dossier soit scellé, ou que la présente cause soit entendue à huis clos.

[6]               La demanderesse, Mme Audrey Chédor, est une citoyenne canadienne naturalisée née à l’étranger qui s’identifie comme une [traduction] « femme et une non-conformiste de genre androgyne », mais pas comme une transgenre. Le règlement découle d’une plainte pour motif de discrimination déposée par la demanderesse auprès de la CCDP en avril 2012. En février 2015, la demanderesse a finalement reçu un certificat de citoyenneté révisé, qui tient compte du sexe féminin de la demanderesse, et le défendeur a convenu de revoir ses politiques dans un délai d’un an en ce qui a trait à la mention du sexe dans les documents de CIC.

[7]               Le défendeur est actuellement désigné dans la présente instance comme étant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada. À la suite de l’élection d’un nouveau gouvernement le 19 octobre 2015, CIC a été réorganisé et est actuellement connu sous le nom d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Il convient donc d’ordonner que l’intitulé soit modifié afin de refléter la situation actuelle.

[8]               La demanderesse craint actuellement que, malgré le règlement, d’autres personnes se sentent néanmoins obligées, en cas de changement de sexe ou de genre, de fournir une preuve d’ISC afin que leur demande de citoyenneté ou de preuve de citoyenneté soit traitée par le défendeur. C’est pourquoi la demanderesse veut faire homologuer et exécuter le règlement en tant qu’ordonnance de la Cour.

[9]               Comme il est expliqué ci-dessous, le règlement a profité, dans une très large mesure, à un grand nombre de personnes qui subissent un préjudice et sont victimes de discrimination fondée sur le genre ou le sexe. Le mot « transgenre » est un terme générique pour les personnes dont l’identité sexuelle diffère de ce qui est généralement associé au sexe qui leur a été conféré à la naissance. En revanche, les personnes « transsexuelles » connaîtront une identité de genre incompatible – ou non culturellement associée – avec le sexe qui leur a été conféré à la naissance. En effet, l’acronyme initial LGBT utilisé pour faire référence aux lesbiennes, aux gays, aux bisexuels ou aux transgenres élargit désormais son champ d’application aux autres minorités sexuelles et sexospécifiques discrètes qui ne sont pas hétérosexuelles ou cisgenres. Cela comprend les personnes qui se considèrent comme étant « allosexuels ». Cette catégorisation ne se veut pas offensante, mais représente plutôt des personnes qui rejettent le clivage binaire traditionnel (homme-femme, hétérosexuel-homosexuel) des genres et des sexualités. En supposant que l’identité de genre ou de sexe d’un individu appartienne exclusivement à cet individu, quel type de reconnaissance légale sera accordée par l’État à ces caractéristiques fondamentales inviolables?

[10]           Conformément au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.) [la Constitution], les provinces ont la compétence exclusive pour légiférer sur « la propriété et les droits civils dans la province ». Par conséquent, elles ont la compétence exclusive pour délivrer des certificats de naissance. En revanche, la citoyenneté est une question qui relève de la compétence exclusive du gouvernement fédéral, selon le préambule de l’article 91 et le paragraphe 91(25) de la Constitution. Le certificat de citoyenneté est une preuve de citoyenneté, alors que le certificat de naissance est un document authentique qui atteste les renseignements qui y sont inscrits, à savoir, le nom de la personne, son sexe, le lieu et la date de sa naissance et son affiliation parentale. Par conséquent, pour attester l’identité d’un demandeur sur la preuve de citoyenneté, le gouvernement fédéral s’appuiera habituellement sur des pièces d’identité telles que les certificats de naissance ou d’autres documents acceptables qui sont émis par les gouvernements provinciaux ou, le cas échéant, par des autorités compétentes étrangères lorsque le demandeur n’est pas né au Canada.

[11]           Dans la province de Québec, l’article 10 du Code Civil du Québec, RLRQ c. C.c.Q.-1991 (le C.c.Q. ou le Code), reconnaît que toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. L’article 71 du Code dispose en outre que toute personne dont l’identité de genre ne correspond pas à la mention du sexe figurant à son acte de naissance peut, si elle satisfait aux conditions prévues par le Code et à celles déterminées par un règlement du gouvernement, obtenir la modification de cette mention et, s’il y a lieu, de ses prénoms. En octobre 2015, l’article 71 a été modifié par le gouvernement du Québec pour s’assurer que ces modifications ne pouvaient en aucun cas être subordonnées à l’exigence que la personne ait subi quelque traitement médical ou intervention chirurgicale que ce soit. Cependant, sous réserve de l’article 3084.1 du Code, seule une personne domiciliée au Québec depuis au moins un an et ayant la citoyenneté canadienne peut obtenir de telles modifications. Se fondant sur les droits d’une personne à l’inviolabilité et l’intégrité, le gouvernement du Québec demande actuellement à un demandeur de présenter une déclaration d’un médecin, d’un psychologue, d’un psychiatre, d’un sexologue ou d’un travailleur social qui a suivi la personne concernée et qui est d’avis que la modification de cette mention est appropriée.

[12]           En 2012, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le TDPO) a conclu, dans la décision XY v. Ontario (Government and Consumer Services), 2012 HRTO 726, [2012] OHRTD no 715 [XY], que l’obligation de subir une ISC était discriminatoire et a ordonné au gouvernement de l’Ontario de cesser d’exiger des personnes transgenres qu’elles subissent une [traduction] « opération de changement de sexe » afin d’obtenir un changement de la mention du sexe sur leur acte de naissance. Comme l’a affirmé le TDPO dans la décision XY, au paragraphe 164, [traduction] « il est indiscutable que les personnes transgenres [...] constituent un groupe historiquement désavantagé qui, dans notre société, se heurte à des préjugés et à une stigmatisation sociale extrême »; le Tribunal a noté de plus au paragraphe 215 que l’ancienne exigence [traduction] « repose non pas sur les caractéristiques réelles des “personnes transgenres”, mais sur des hypothèses à leur sujet et sur ce qu’elles doivent faire pour “agir” selon leur genre ». Bien que la Loi sur les statistiques de l’état civil de l’Ontario, LRO 1990, ch. V 4 [LSETO], n’ait jamais été modifiée, le gouvernement de l’Ontario a révisé les critères permettant de modifier la mention du sexe sur un enregistrement de naissance et il n’est plus obligatoire de fournir une preuve d’ISC à l’appui d’une demande de changement de genre ou de sexe sur l’acte de naissance d’un demandeur.

[13]           Dans CF v. Alberta (Vital Statistics), 2014 ABQB 237, [2014] AJ no 420, la demanderesse, CF, était née avec des organes génitaux mâles et avait reçu un nom masculin classique, mais elle se décrivait comme une « femme trans ». CF cherchait à obtenir une déclaration selon laquelle son droit à la même protection et au même bénéfice de la loi sans discrimination, tel que lui garantit l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), avait été violé lorsque le directeur de l’état civil, en vertu de la loi albertaine intitulée Vital Statistics Act (loi sur les statistiques de l’état civil), RSA 2000, c V-4 (la VSA), a refusé sa demande en vue d’obtenir un certificat de naissance indiquant qu’elle était de sexe féminin au motif qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle avait subi une ISC. Souscrivant au raisonnement général du TDPO dans la décision XY, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a jugé que le système d’enregistrement de la naissance prévu dans la VSA créait une distinction fondée sur le sexe. Le système d’enregistrement de la naissance de la VSA et, en particulier, les parties qui ont trait à la délivrance des certificats de naissance, ont contribué aux préjudices dont sont victimes les personnes transgenres en perpétuant les préjugés et les stéréotypes auxquels elles sont assujetties. Par conséquent, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a déclaré qu’en ne permettant pas la délivrance à la demanderesse d’un certificat de naissance qui enregistre son sexe comme étant féminin, la VSA violait le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi garanti par la Charte.

[14]           Ces deux décisions ont certainement déclenché une nouvelle conception de la loi en ce qui concerne la situation particulière de la communauté LGBTA, que la personne concernée soit une transgenre, une transsexuelle ou une allosexuelle. La question fondamentale, dans notre société évoluée, est de savoir si la mention du sexe figurant sur un certificat de naissance correspond toujours à l’identité de genre ou de sexe de l’individu, c’est-à-dire, le genre ou le sexe auquel l’individu s’identifie vraiment et avec lequel il est à l’aise. En effet, de nombreuses législatures provinciales ont maintenant supprimé l’obligation de fournir des déclarations médicales selon lesquelles une ISC a été pratiquée par un chirurgien. Par exemple, depuis le 29 mai 2014, si la naissance d’une personne a été enregistrée en Colombie-Britannique, une déclaration du demandeur, indiquant qu’il assume son identité de genre qui correspond à la mention du sexe désirée, qu’il s’identifie à celle-ci et qu’il a l’intention de la conserver, accompagnée d’une déclaration d’un médecin ou d’un psychologue en exercice qui confirme que la mention du sexe sur l’enregistrement de la naissance du demandeur ne correspond pas à l’identité sexuelle du demandeur, sera normalement requise avant d’apporter une modification de la mention du sexe de cette personne (article 27 de la loi britanno-colombienne Vital Statistics Act, RSBC 1996, c. 479). Pour d’autres exemples, voir également les paragraphes 25(5) et (8) de la Loi sur les statistiques de l’état civil du Manitoba, ch V60, en sa version modifiée le 1er février 2015, et l’article 31 de la Loi de 2009 sur les services de l’état civil de la Saskatchewan, LS 2009, c. V-7.21, en sa version modifiée le 30 juin 2016.

[15]           En acceptant de régler cette affaire de manière confidentielle en février 2015, les parties mettaient ainsi à l’abri d’un examen public un débat qui dure depuis nombre d’années sur la scène provinciale et qui a été réglé favorablement par les lois dans de nombreuses provinces.

Faits à l’origine de la plainte et modalités du règlement

[16]           Comme la demanderesse l’explique dans son affidavit, son dossier médical et son histoire personnelle diffèrent des histoires transgenres stéréotypées : la demanderesse n’a jamais connu de dysphorie de genre au cours de sa vie et est très heureuse d’être la personne qu’elle est. Toutefois, la demanderesse n’est pas disposée à communiquer à qui que ce soit son dossier gynécologique ou à parler de sa vie sexuelle. La situation personnelle de la demanderesse illustre la complexité de l’identité de genre qui, socialement ou légalement, ne correspond pas toujours au sexe particulier de l’individu d’un point de vue clinique. Il existe un point de vue psychologique d’une importance fondamentale dans l’identification de l’individu avec l’un ou l’autre sexe, ainsi que dans la ou les orientation(s) sexuelle(s) de l’individu.

[17]           En tant que canadienne naturalisée née à l’étranger, la demanderesse a obtenu, en 2006, son certificat initial de citoyenneté canadienne : ce certificat indiquait qu’elle était un homme. Cependant, depuis qu’elle est établie au Canada, la demanderesse y vit en tant que femme. En 2008, le Directeur de l’état civil du Québec a délivré à la demanderesse un certificat de naissance mis à jour qui l’identifie comme étant une femme. En décembre 2010, la demanderesse a présenté une demande à CIC en vue de modifier son certificat de citoyenneté (preuve de citoyenneté) et de recevoir un certificat révisé conformément à l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch. C-29.

[18]           En novembre 2011, la demanderesse a été informée par CIC que pour établir qu’il y avait eu un changement de sexe, CIC exigeait également une déclaration officielle d’un chirurgien qualifié ayant pratiqué une ISC, ainsi qu’une déclaration d’une personne qui la connaissait avant l’opération et qui pouvait affirmer qu’elle était la même personne.

[19]           En fait, l’agent de citoyenneté ne faisait que suivre les instructions du guide opérationnel intitulé « CP 3 Établissement de l’identité des demandeurs » (le guide CP 3), puisque les exigences suivantes figurent au paragraphe 6.6 :

[traduction] Le sexe qui paraîtra sur le certificat sera le même que celui qui est indiqué sur le certificat de naissance de la personne concernée ou sur son document d’immigration. Pour prouver qu’il y a eu changement de sexe, le demandeur doit fournir une déclaration d’un chirurgien attestant que l’opération a bien eu lieu ainsi qu’une déclaration d’un tiers indiquant qu’il connaissait le demandeur avant l’opération et qu’il s’agit bien de la même personne.

Les documents provinciaux acceptables sont énumérés à l’annexe A, à la fin du présent chapitre.

[20]           Dans d’autres échanges épistolaires, des représentants de CIC ont rappelé à la demanderesse qu’à moins qu’elle ne fournisse ces deux déclarations d’un chirurgien et d’un tiers, elle n’obtiendrait pas de certificat de citoyenneté révisé, et ce, malgré le fait qu’elle avait déjà fourni des documents provinciaux acceptables attestant qu’elle était une femme, ainsi que son passeport canadien, qui avait été récemment délivré le 8 décembre 2010, et qui indiquait clairement qu’elle était une femme. La demanderesse a refusé de se conformer à ces exigences, qu’elle considère comme discriminatoires envers elle-même et la communauté LGBTA.

[21]           Le 20 avril 2012, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la CCDP.

[22]           En septembre 2014, la CCDP a informé la demanderesse de sa décision de renvoyer sa plainte de discrimination au Tribunal canadien des droits de la personne pour une enquête approfondie.

[23]           En janvier 2015, des discussions sérieuses en vue de régler la plainte se sont déroulées entre la demanderesse et M. Himmat Shinhat, alors directeur, Législation et Politique de programme (CIC), qui agissait en tant que représentant dûment désigné du défendeur. M. Shinhat n’a pas présenté d’affidavit dans la présente instance. Je n’ai aucune raison de douter de la véracité des faits et des circonstances dans lesquelles les parties en sont arrivées à un accord final et qui sont relatés par la demanderesse dans son affidavit.

[24]           La demanderesse a rejeté la première ébauche de l’accord soumise par le défendeur puisqu’elle ne comportait qu’une offre de délivrer un certificat de citoyenneté de remplacement. La demanderesse a insisté sur trois points non négociables : (1) la suppression de l’exigence discriminatoire de présenter une preuve qu’une ISC a été subie; (2) l’acceptation prioritaire de tout document provincial acceptable quel qu’il soit reflétant le changement de mention du sexe; et (3) une révision des politiques de CIC en ce qui concerne le changement de mention du sexe, soit le formulaire de demande CIT 0001, et plus particulièrement le guide d’instructions correspondant (CIT0001) et la trousse de demande, qui devaient être transparents et non discriminatoires. En outre, la demanderesse a reconnu volontiers que le défendeur avait le pouvoir discrétionnaire de désigner d’autres documents acceptables dans les cas où les demandeurs ne seraient pas en mesure de fournir des documents provinciaux ou territoriaux, notamment pour les Canadiens vivant à l’étranger. Le processus d’examen pouvait prendre un certain temps cependant. Il y aurait un délai d’un an après la signature du règlement pour mettre en œuvre la nouvelle politique et mettre à jour le formulaire de demande CIT0001 ainsi que le guide d’instructions correspondant (CIT0001). Toutes ces conditions ont été acceptées par le défendeur, et une réunion s’est tenue à Montréal (Québec), le 7 février 2015, pour signer le règlement.

[25]           Le 7 février 2015, les parties ont signé le règlement.

[26]           Le règlement fait état de concessions et de réserves réciproques faites par les deux parties.

[27]           Tout d’abord, le défendeur délivrera, dans les quatorze jours civils suivant la signature du règlement, un certificat de citoyenneté canadienne révisé reconnaissant le sexe féminin de la demanderesse (paragraphe 1). En effet, le 6 février 2015 (soit quatre ans et deux mois après que la demanderesse eut fait sa demande initiale), en prévision du fait que la demanderesse signerait le règlement, le défendeur avait déjà envoyé le certificat de citoyenneté de remplacement.

[28]           Deuxièmement, le défendeur révisera ses politiques ministérielles, ses formulaires et ses guides, dans l’année civile suivant la signature du règlement, de la manière suivante :

[traduction] 2 – Le défendeur révisera ses politiques ministérielles pour supprimer l’exigence actuelle voulant que les demandeurs qui désirent obtenir un changement de mention du sexe sur leur certificat de citoyenneté prouvent qu’ils ont subi une inversion sexuelle chirurgicale en plus de fournir une documentation provinciale et territoriale reflétant un changement de sexe ou de genre. Cette révision aura lieu dans l’année civile suivant la signature du présent accord. Les formulaires de demande de certificat de citoyenneté pour adultes et mineurs (preuve de citoyenneté) ainsi que les guides correspondants pour les demandeurs seront mis à jour pour tenir compte de la nouvelle exigence en vertu de cette politique.

[29]           À son tour, la demanderesse déposera, dans un premier temps, un avis de désistement de sa plainte dans les cinq jours suivant l’approbation du règlement par la CCDP (paragraphe 4).

[30]           Deuxièmement, la demanderesse ne réclamera pas de dommages-intérêts au défendeur en ce qui concerne cette cause en particulier (paragraphe 5).

[31]           Les modalités du règlement sont confidentielles et les parties ne doivent pas les communiquer à qui que ce soit, à moins d’une autorisation officielle des deux parties ou en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21 (paragraphe 6).

[32]           Enfin, le paragraphe 7 du règlement est rédigé comme suit :

[traduction] La présente opération constitue, en vertu de l’article 2631 du Code Civil du Québec, une transaction à laquelle les parties ont consenti librement sans aucune promesse, déclaration ou intimidation de quelque nature que ce soit et qui est faite dans le seul but de parvenir à un règlement, sans admission de la part des parties.

[33]           Les paragraphes 48(1) et (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoient ce qui suit :

48(1) Les parties qui conviennent d’un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l’approbation de la Commission.

48(1) When, at any stage after the filing of a complaint and before the commencement of a hearing before a Human Rights Tribunal in respect thereof, a settlement is agreed on by the parties, the terms of the settlement shall be referred to the Commission for approval or rejection.

 

(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

(2) If the Commission approves or rejects the terms of a settlement referred to in subsection (1), it shall so certify and notify the parties.

 

[34]           Le 11 mars 2015, la CCDP a approuvé et a certifié le règlement. Après le dépôt de l’avis de désistement, la CCDP a fermé le dossier de la demanderesse le 17 avril 2015.


Mesures prises par le Ministère au cours du délai d’un an

[35]           Le 24 mars 2015, Mme Rosemarie Redden, de l’administration centrale de CIC – Gestion opérationnelle et coordination (maintenant la Direction générale de l’intégrité des programmes), a envoyé un document intitulé « Questions et réponses du télécentre intérimaire » qui devait être envoyé à tous les centres de traitement des appels de CIC. Ce document interne prévoyait que la preuve d’ISC n’était plus nécessaire pour rendre compte d’un changement de mention du sexe sur un document délivré par CIC. Le 15 avril 2015, David Quatermain, directeur de la Division de l’intégrité des programmes à l’administration centrale de CIC – Gestion opérationnelle et coordination, a envoyé un courriel intitulé « Requirements for Change of Sex Designation on a CIC Document/Demande de changement de désignation relative au sexe figurant sur les documents de CIC ». Dans ce document interne, il était souligné qu’en aucun cas les demandeurs ne seront tenus de fournir la preuve qu’ils ont subi une ISC s’ils ne l’ont pas incluse d’emblée avec leur demande.

[36]           Le 17 avril 2015, le défendeur a publiquement annoncé que de nouvelles instructions étaient en cours d’élaboration et qu’il prévoyait leur publication au printemps ou au début de l’été 2015 :

[traduction]

Détermination du sexe pour les demandes de citoyenneté

Avis important

De nouvelles instructions sont en cours d’élaboration. Elles devraient être publiées d’ici au printemps ou au début de l’été 2015. Les instructions actuelles seront modifiées afin de supprimer l’exigence d’une preuve d’inversion sexuelle chirurgicale (ISC) et de fournir une liste des pièces justificatives acceptables pour appuyer la demande de changement de mention du sexe sur un certificat de citoyenneté faite par le demandeur.

Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) accepte maintenant les documents provinciaux ou territoriaux comme un certificat de naissance modifié indiquant une nouvelle mention du sexe ou encore un ordre juridique ou une ordonnance d’un tribunal reconnaissant la personne concernée selon une mention du sexe ou une identité de genre différente. Toutefois, CIC examine également les autres éléments de preuve qui seront acceptés pour appuyer une demande de changement de mention du sexe sur un certificat de citoyenneté pour les clients qui ne sont pas en mesure d’obtenir un document provincial ou territorial.

[37]           Cependant, au printemps ou au début de l’été 2015, pour des raisons qui n’ont pas été publiquement divulguées à l’époque par le défendeur, les formulaires de demande de certificat de citoyenneté pour adultes et mineurs (preuve de citoyenneté), ainsi que les guides correspondants pour les demandeurs, n’avaient pas encore été révisés et mis à jour pour tenir compte de la nouvelle exigence en vertu de cette politique, y compris une autre forme de preuve qui serait désormais acceptée par CIC dans les cas où une personne est incapable d’obtenir les documents provinciaux ou territoriaux. Comme il est expliqué dans l’affidavit de Mme Teny Dikranian, directrice, Législation et Politique de programme, Direction générale de la citoyenneté (CIC), alors que le règlement et le travail initial d’élaboration des politiques qui a suivi étaient axés sur la modification des exigences relatives à la délivrance des certificats de citoyenneté, le défendeur a décidé d’entreprendre un examen complet de l’ensemble de ses guides, formulaires et instructions dans tous ses secteurs d’activité, plus précisément la résidence temporaire, les réfugiés et les personnes protégées, la résidence permanente et la citoyenneté dans son ensemble. Ce processus de révision devait être examiné et approuvé par plusieurs directions générales au sein de CIC, y compris la Direction générale de l’intégrité des programmes, la Direction générale de la citoyenneté et du multiculturalisme, la Direction générale de la coordination opérationnelle des programmes de citoyenneté et de passeport, la Direction générale de l’admissibilité, la Région internationale et la Région du traitement centralisé et devait mettre au point de nouvelles versions des guides et des formulaires comme la trousse de demande et le guide d’instructions (CIT0001).

[38]           Le 14 décembre 2015, la demanderesse, qui surveillait le site Web d’IRCC, a envoyé une lettre recommandée au défendeur (reçue le 24 décembre 2015), suivie d’un courriel de rappel (lu par le destinataire le 29 décembre 2015), au sujet de l’échéance du 7 février 2016 qui avait été fixée et a insisté sur le respect par le défendeur de l’engagement visé au paragraphe 2 du règlement selon lequel le formulaire de demande et le guide d’instructions correspondant (CIT0001) seraient mis à jour pour refléter la nouvelle politique de mention du sexe. La demanderesse a également envoyé d’autres rappels, mais en vain, puisque le défendeur n’y a pas répondu.

[39]           Le 8 février 2016, lorsqu’elle a voulu vérifier le site Web d’IRCC, la demanderesse a remarqué que le défendeur n’avait pas encore révisé et mis à jour ses politiques, formulaires et guides d’instructions. La demanderesse a également donné plusieurs coups de fil anonymes au centre de traitement des appels d’IRCC afin de s’enquérir des nouvelles exigences pour un changement de mention du sexe et a été informée, du moins au début, qu’elle devait envoyer au Centre de traitement des demandes d’IRCC à Sydney la déclaration médicale du chirurgien qui avait pratiqué l’ISC, ainsi qu’une déclaration d’un tiers qui connaissait la demanderesse.

[40]           Dans son affidavit, la demanderesse rappelle que le 8 février 2016, un an après la signature du règlement, elle a parlé avec un agent d’IRCC qui lui a indiqué qu’elle devait envoyer le rapport médical signé par le chirurgien qui avait pratiqué son opération de changement de sexe. Après que la demanderesse se fut opposée à l’information fournie, l’agent lui a proposé d’envoyer d’autres documents qu’un agent de citoyenneté examinerait pour déterminer s’ils pouvaient être acceptables. Lorsque la demanderesse a insisté pour obtenir de l’information claire, l’agent lui a envoyé un courriel qui, là encore, soulignait la nécessité de fournir une preuve d’opération de changement de sexe.

[41]           Comme on peut le constater, malgré les communications internes auxquelles il est fait allusion dans l’affidavit de Mme Dikranian, même un an après le règlement, il semble que tous les membres du personnel d’IRCC n’étaient pas au courant du fait que la preuve d’une ISC n’était plus exigée. Étant donné que la demanderesse avait rempli toutes ses obligations et tenu toutes ses promesses aux termes du règlement, surtout après avoir retiré sa plainte devant le TCDP, et considérant le refus du défendeur de remplir correctement et complètement ses engagements comme une violation très claire du règlement, comme nous l’avons mentionné ci-haut, la demanderesse a déposé, le 10 février 2016, la présente demande en vue de l’homologation et de l’exécution du règlement.

Mesures prises par le Ministère après l’expiration du délai d’un an

[42]           Le 24 février 2016, M. Quartermain a envoyé un courriel aux personnes responsables des divers programmes pour les informer que les nouvelles procédures relatives au changement de mention du sexe étaient désormais prêtes et approuvées.

[43]           Le 24 mars 2016, un document mis à jour à l’usage interne des agents d’Immigration, réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] intitulé « Gestion des identités : Changement de mention du sexe pour des motifs autres qu’une erreur administrative ou de transcription » [le document de mars 2016] a été publié sur le site Web d’IRCC, soit environ six semaines après que la présente instance eut été introduite par la demanderesse. Toutefois, en date du 24 mars 2016, le défendeur n’avait toujours pas publié sur le site Web les nouvelles versions des guides et des formulaires, comme le formulaire de demande et le guide d’instructions correspondant (CIT001).

[44]           Comme il est indiqué dans la Mise à jour concernant l’exécution des programmes – 23 mars 2016 :

Les instructions destinées aux agents d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) qui précisent quand et comment changer la mention du sexe dans les documents d’IRCC dans les secteurs d’activité de la citoyenneté et de l’immigration ont été mises à jour.

IRCC a supprimé l’obligation, pour les demandeurs, de fournir une preuve d’inversion sexuelle chirurgicale pour demander un changement de mention du sexe dans les documents et les systèmes d’IRCC. Par conséquent, ces instructions ont été élaborées pour l’ensemble des secteurs d’activité afin de préciser les preuves documentaires exigibles pour effectuer un changement de mention du sexe.

Remarque : Si un agent a besoin d’une copie de l’un des formulaires mentionnés à la page Changement de mention du sexe pour des motifs autres qu’une erreur administrative ou de transcription avant la date de publication de ceux-ci, il doit communiquer avec l’Intégrité des programmes. Les formulaires sont énumérés ci-dessous et seront disponibles d’ici le mois d’avril 2016.

•     Déclaration solennelle – Demande de changement de la désignation relative au sexe

•     Appui d’un changement de la désignation relative au sexe – Modèle de lettre d’un professionnel médical

•     Demande de nouvelle carte de résident permanent indiquant une désignation relative au sexe qui diffère de celle figurant sur un titre de voyage étranger

[45]           Le 18 avril 2016, le défendeur a publié sur son site Web une trousse de demande mise à jour comprenant un guide d’instructions et les formulaires que le demandeur a besoin de remplir dans le cas d’une « Demande de certificat de citoyenneté pour adultes et mineurs (preuve de citoyenneté) en vertu de l’article 3 (CIT 0001) » [la trousse de demande d’avril 2016], et qui, soit dit en passant, renvoie le demandeur à la « Déclaration solennelle – Demande de changement de la désignation relative au sexe » (formulaire CIT 0404 [032016]).

Politiques actuelles du Ministère sur le changement de mention du sexe

[46]           Le document de mars 2016 propose trois options quant aux documents pouvant être présentés pour demander un changement de mention du sexe sur les documents émis par le défendeur

[47]           La première option, intitulée « Documents délivrés par les provinces ou territoires canadiens », fait référence à trois types de documents qui peuvent être présentés pour obtenir un changement de mention du sexe :

(a)                un document officiel émanant d’un organisme provincial ou territorial responsable des services de l’état civil indiquant un changement de mention du sexe;

(b)               une ordonnance d’un tribunal;

(c)                un certificat de naissance modifié indiquant un changement de mention du sexe.

[48]           Cette information est cohérente avec les renseignements fournis dans le même document sous la rubrique « Autres preuves documentaires exigées selon le secteur d’activité ». Sous « citoyenneté », il est indiqué que la preuve documentaire requise est « soit un document délivré par une province ou un territoire du Canada indiquant le changement de mention du sexe, soit une déclaration solennelle et une lettre rédigée par un professionnel de la santé, si le demandeur est dans l’incapacité d’obtenir un document délivré par une province ou un territoire du Canada » (formulaire CIT0552). Par conséquent, aucune déclaration solennelle n’est nécessaire si un demandeur dépose le document provincial ou territorial exigé.

[49]           La deuxième option, « Preuve d’inversion sexuelle chirurgicale », est énoncée avec la mise en garde qu’IRCC n’exige pas de preuve d’ISC. Toutefois, il est du ressort du demandeur, s’il le désire, de « [...] présenter une preuve d’inversion sexuelle chirurgicale (complète ou partielle) délivrée par un médecin praticien qui est membre en règle de l’organisme de réglementation au sein duquel il exerce ». Cependant, contrairement au document de mars 2016, la trousse d’avril 2016 ne fait aucune mention du fait qu’« IRCC n’exige aucune preuve d’inversion sexuelle chirurgicale pour modifier la mention du sexe dans des documents ».

[50]           La troisième option, « Demandeur dans l’incapacité d’obtenir des documents délivrés par une province ou un territoire du Canada », prévoit que le demandeur qui est dans l’incapacité d’obtenir les documents provinciaux ou territoriaux indiqués doit fournir une déclaration solennelle et une lettre rédigée par un médecin autorisé qui peut confirmer que l’identité de genre du demandeur ne correspond pas à la mention du sexe qui figure dans son document d’IRCC (CIT0404).

[51]           En outre, lorsque les pièces justificatives ne proviennent pas du Canada, mais d’un État étranger, le demandeur sera appelé à fournir un document étranger acceptable (par exemple un ordre juridique ou un certificat de naissance modifié) ou une déclaration solennelle et une lettre d’un médecin ou d’un psychologue autorisé. Curieusement, aux termes de cette section du document de mars 2016, il n’y a aucune obligation de fournir une preuve d’ISC comparativement à la section précédente lorsque les documents sont émis par le Canada.

La présente demande d’homologation et d’exécution du règlement

[52]           Comme nous l’avons mentionné précédemment, le règlement est régi par les règles applicables aux contrats dans la Province de Québec et constitue une « transaction » aux termes de l’article 2631 C.c.Q. (paragraphe 7). Le règlement, qui lie la demanderesse et sa Majesté la Reine du chef du Canada, est indivisible quant à son objet (article 2636 C.c.Q.) et « forme par ailleurs un bloc homogène dont on ne saurait scinder les conditions qu’elle comporte sans en dénaturer la portée et ainsi trahir l’intention des parties » (Audet c. Canada, 2000 CanLII 15752, [2000] A.C.F. Noo 913 (CF), au paragraphe 3, renvoyant à Léonard c. Mona Realties Ltd, [1973] CA 1034, à la page 1039).

[53]           Toute personne, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’un État et de ses organismes, a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés (article 1458 C.c.Q.). Pour déterminer l’étendue des obligations respectives des parties, l’approche normalisée est énoncée par la Cour suprême du Canada dans Banque Manuvie du Canada c. Conlin, [1996] 3 RCS 415, au paragraphe 79 :

La principale règle d’interprétation des contrats veut que les tribunaux mettent à exécution les intentions que les parties ont exprimées dans leur document écrit [...] La cour ne s’écartera du sens ordinaire des mots que si une interprétation littérale des termes du contrat menait à un résultat absurde ou à un résultat [traduction] « nettement inconciliable avec l’intention des parties ».

[Non souligné dans l’original.]

[54]           En l’espèce, l’intention commune des parties était de s’assurer que le défendeur réviserait, dans le délai d’un an, toutes ses politiques ministérielles, ses formulaires de demande, ainsi que les guides correspondants, afin d’éliminer l’exigence supplémentaire selon laquelle les demandeurs qui désirent obtenir un changement de mention du sexe sur leur certificat de citoyenneté doivent prouver qu’ils ont subi une inversion sexuelle chirurgicale (partielle ou complète). L’intention commune des parties était également de s’assurer que la documentation provinciale et territoriale indiquant un changement de sexe ou de genre, comme un ordre juridique, une ordonnance d’un tribunal ou un certificat de naissance modifié, serait suffisante, et que, dans le cas où un demandeur ne serait pas en mesure de fournir cette documentation, le défendeur indiquerait dans ses politiques, instructions, formulaires de demande et guides modifiés quel autre type de document serait également accepté comme preuve du changement de sexe ou de genre.

[55]           L’article 2633 C.c.Q. dispose qu’une transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée, mais que cette transaction n’est susceptible d’exécution forcée qu’après avoir été « homologuée ». À titre de ministre responsable impliqué dans la présente cause, il incombe au défendeur de s’assurer que les obligations de la Couronne en application des paragraphes 1 et 2 du règlement ont été ou seront entièrement exécutées et appliquées à l’échelle du ministère. Dans la province de Québec, étant donné que les transactions sont généralement homologuées par les tribunaux, il y a lieu de se demander si l’approbation du règlement par la CCDP, qui n’est ni un tribunal judiciaire ni un tribunal administratif (comme le Tribunal canadien des droits de la personne), constitue une « homologation » au sens de l’article 2633 C.c.Q.

[56]           Traditionnellement, dans un contexte de droit civil, la cour qui est appelée à homologuer une transaction exerce un contrôle de surveillance (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 8e édition (Presses Universitaires de France, 1987, Paris), page 426). En effet, l’article 2632 C.c.Q. prévoit expressément qu’on ne peut transiger relativement à l’état ou à la capacité des personnes ou sur les autres questions qui intéressent l’ordre public. Par analogie, la demande d’enregistrement, de reconnaissance ou d’exécution d’un jugement étranger – rappelons qu’une transaction a l’autorité de la chose jugée, une fois homologuée – est déposée à la Cour au moyen d’une demande faite en vertu de l’alinéa 300h) et des articles 327 à 334 des Règles. Dans un tel cas, la Cour exerce une compétence en matière de surveillance. Il doit y avoir un lien important entre la cause d’action et le tribunal étranger, et si ce dernier s’est déclaré, à juste titre, compétent, son jugement sera reconnu et appliqué au Canada, pourvu qu’aucun moyen de défense ne vienne en empêcher l’exécution (Beals c. Saldanha, 2003 CSC 72, [2003] 3 RCS 416). Pour une discussion récente de l’application supplétive des articles 1378, 1385 à 1387, 1393, 1399 et 1400 C.c.Q. dans le contexte d’une demande faite à la Cour fédérale en vue d’homologuer un règlement qui a été contesté par une partie signataire en raison d’un vice allégué de consentement ou d’intention commune, voir Beam Suntory Inc c. Domaines Pinnacle Inc., 2016 CAF 212, [2016] A.C.F. no 951, conf. par 2015 CF 680, [2015] A.C.F. no 673.

[57]           Il ne devrait y avoir aucune confusion. Une transaction n’est pas un ordre, mais quand elle est homologuée, aux fins de l’application de la Loi, elle est assimilée à une ordonnance de la Cour. De manière incidente, lorsqu’en vertu d’une loi fédérale, la Cour est autorisée à faire exécuter une ordonnance d’un tribunal et qu’aucune autre procédure n’est requise aux termes de cette loi, le paragraphe 424(1) des Règles prévoit que l’ordonnance peut être exécutée en application de la partie 12 des Règles. Dans un tel cas, tel que le dispose l’article 424(2) des Règles, une telle ordonnance est déposée avec un certificat du tribunal, ou une déclaration sous serment d’une personne autorisée à déposer une telle ordonnance, attestant de l’authenticité de l’ordonnance. Par conséquent, les ordonnances d’un tribunal administratif n’ont pas à être homologuées. Pourtant, elles doivent être officiellement enregistrées auprès du tribunal pour avoir l’effet d’une ordonnance de la Cour; voir par exemple l’article 57 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’article 66 du Code canadien du travail, LRC 1985, ch. L-2, la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Warman, 2011 CAF 297, [2011] A.C.F. no 1502, et le jugement Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes, 2015 CF 355, [2015] A.C.F. no 422).

[58]           Le paragraphe 48(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit ce qui suit :

(3) Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle.

(3) A settlement approved under this section may, for the purpose of enforcement, be made an order of the Federal Court on application to that Court by the Commission or a party to the settlement.

 

[59]           Comme l’a noté la Cour en 2000 dans Canada (Procureur Général) c. Organisation nationale des représentantes et représentants Indiens et Inuits en santé communautaire, 2000 15773 (CF), [2000] A.C.F. no 1083, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne prévoit pas les modalités y afférentes si ce n’est qu’il est prévu que la chose se fait « on application » dans la version anglaise du paragraphe 48(3), alors que la version française utilise les mots « par requête ». Cela porte quelque peu à confusion puisque, dans les Règles, le mot français « requête » se traduit généralement dans la version anglaise des Règles par « motion ». Bien que les requêtes soient régies par la partie 7 des Règles, l’alinéa 300b) des Règles indique clairement que la partie 5 (les demandes) s’applique aux « instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête [...] ». La Cour a néanmoins conclu au paragraphe 10 de la décision précitée qu’« il serait possible de demander à la Cour d’assimiler un règlement à l’une de ses ordonnances en présentant une requête avec affidavit à l’appui et, sur requête de la partie requérante, l’affaire pourrait être réglée sur la base des documents sans comparution des parties ». Quoi qu’il en soit, la demanderesse a choisi de procéder par voie d’avis de demande, qui a donné lieu à un certain nombre de délais supplémentaires.

[60]           La demanderesse, qui se représente elle-même, a joint à son avis de demande daté du 10 février 2016, une copie authentique du règlement. Dans son affidavit daté du 29 février 2016, la demanderesse soutient ce qui suit au paragraphe 61 :

[traduction] [...] J’ai déposé le 10 février 2016 une demande d’exécution de règlement conformément à l’article 48(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et je considère ma demande comme urgente, car elle affecte gravement l’intégrité physique de certains citoyens canadiens qui pourraient être incités par des employés du défendeur à subir une inversion sexuelle chirurgicale, qui, selon les modalités du règlement final, n’est plus nécessaire pour mettre à jour des documents personnels comme un certificat de citoyenneté, ou, par conséquent, un passeport canadien.

[61]           La présente demande est accueillie en partie.

[62]           Dans la présente instance, bien que le défendeur ait comparu et s’oppose à la demande, il n’y a aucune allégation que le règlement présenté par la demanderesse en vue de son homologation et de son exécution n’aurait pas dû être approuvé en premier lieu par la CCDP, ou que le règlement est nul pour un des motifs autorisés par la Loi (article 2634 C.c.Q.), ou que l’une de ses modalités serait illégale ou contraire à l’ordre public d’une quelconque façon (articles 2632, 2635 et 2636 C.c.Q.). Par conséquent, il n’y a aucune raison pour laquelle le règlement ne devrait pas être homologué et, aux fins de l’application de la Loi, être assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale.

[63]           Comme il s’agit d’une condition stipulée dans un contrat ayant le caractère obligatoire d’un jugement définitif, il s’ensuit que le délai d’un an mentionné au paragraphe 2 du règlement ne pourrait pas être révoqué ou modifié par l’une ou l’autre partie, sauf avec l’accord de l’autre partie (article 1439 C.c.Q.). La demanderesse n’a pas consenti à une prorogation unilatérale du délai d’un an; au contraire, elle a insisté sur le respect rigoureux des modalités du règlement tel qu’il appert de la lettre recommandée et du courriel de rappel envoyés au défendeur en décembre 2015. Le dossier contient également des éléments de preuve clairs selon lesquels, à la date de dépôt de la présente demande (le 10 février 2016), le défendeur avait contrevenu au règlement, puisqu’il ne s’était pas entièrement conformé au paragraphe 2 du règlement. En effet, les deux parties à l’audience ont convenu, le 6 février 2016, un an après la signature du règlement, que les nouvelles politiques, les instructions aux agents d’IRCC, les formulaires de demande ainsi que les trousses pour aider les demandeurs en ce qui concerne le changement de mention du sexe dans des questions liées à la citoyenneté n’avaient pas été pleinement mis en œuvre ou publiquement annoncés ni même mis à la disposition du public, malgré les efforts déployés à l’interne et qui sont soulignés dans l’affidavit de Mme Dikranian.

[64]           Cependant, le défendeur soutient que le défaut de respecter le délai d’un an visé au paragraphe 2 du règlement ne devrait pas être un facteur déterminant. Selon le document de mars 2016, dans le cas d’un changement de mention du sexe pour des raisons autres qu’une erreur administrative ou de transcription, trois options sont actuellement offertes à un demandeur. Premièrement, les agents d’IRCC acceptent désormais les documents délivrés par les provinces ou territoires canadiens (document juridique, ordonnance d’un tribunal, certificat de naissance modifié) et aucune preuve d’ISC n’est nécessaire en sus de ces documents (première option). Le défendeur soutient que la première option respecte la condition visée au paragraphe 2 du règlement. Deuxièmement, la preuve d’ISC est encore requise en l’absence de documents provinciaux ou territoriaux acceptables (deuxième option). Troisièmement, pour ceux qui sont dans l’incapacité d’obtenir les documents provinciaux ou territoriaux indiqués, ou qui n’ont pas le droit de les obtenir, une déclaration solennelle du demandeur ainsi qu’une lettre d’un médecin ou d’un psychologue autorisé seront acceptées par les agents d’IRCC, mais seulement si le demandeur peut justifier la raison pour laquelle il ne peut fournir des documents provinciaux ou territoriaux acceptables (première option). Les trois options sont clairement indiquées dans la trousse de demande d’avril 2016. Par conséquent, la Cour devrait refuser d’homologuer et d’exécuter le règlement et devrait s’abstenir de faire toute déclaration ou de rendre toute ordonnance en ce qui concerne la légalité de la deuxième option (preuve d’ISC), qui, soit dit en passant, a priorité sur la troisième option (déclaration solennelle et lettre d’un médecin ou d’un psychologue autorisé) lorsque les certificats de naissance ou documents juridiques proviennent du Canada (première option).

[65]           Au contraire, la demanderesse fait valoir que le défendeur ne s’est pas encore pleinement conformé au paragraphe 2 du règlement et que ce règlement devrait être homologué et assimilé à une ordonnance de la Cour. Ce nouveau mécanisme est à première vue discriminatoire. La nécessité de fournir une preuve d’ISC existe toujours, bien qu’à titre de solution de rechange, ou comme l’un des documents supplémentaires pouvant être exigés par des agents d’IRCC à leur gré, s’ils sont satisfaits d’une déclaration solennelle et de la déclaration d’un médecin ou d’un psychologue. En outre, il n’y a aucune preuve au dossier que le défendeur a effectivement abrogé ou modifié le paragraphe 6.6 du guide CP 3 pour le rendre compatible avec les modalités du règlement. De plus, les instructions actuellement données aux clients prêtent à confusion et peuvent avoir un effet dissuasif. Par conséquent, non seulement la demanderesse demande à la Cour d’homologuer le règlement, mais elle cherche aujourd’hui à se prévaloir d’autres recours qui, selon le défendeur, dépassent l’étendue de la compétence de la Cour à faire appliquer le règlement. En effet, la demanderesse demande à la Cour : de déclarer que le défendeur n’a pas pleinement mis en œuvre le paragraphe 2 du règlement; d’ordonner également que soit retirée l’exigence de preuve d’ISC (même comme solution de rechange) du guide d’instructions (CIT0001) et de toutes les politiques internes ou guides utilisés par les agents d’IRCC, y compris le guide CP 3; d’ordonner au défendeur de publier et de mettre à jour la trousse de demande de 2016 et d’y ajouter [traduction] « IRCC n’exige aucune preuve d’inversion sexuelle chirurgicale pour modifier la mention du sexe dans des documents »; et d’ordonner au défendeur de faire un don de 40 000 $ à un organisme sans but lucratif au Canada offrant un soutien psychologique gratuit aux personnes âgées de moins de 25 ans qui remettent en question leur genre et sont en situation de détresse, et de publier les montants donnés ainsi que les noms des destinataires sur son site Web.

Pourquoi la décision de la Cour aujourd’hui se limite-t-elle à l’homologation du règlement?

[66]           Après avoir dûment tenu compte des arguments avancés par les parties, il suffit aujourd’hui d’homologuer le règlement et de l’assimiler à une ordonnance de la Cour aux fins d’exécution, étant donné notamment qu’il n’y a aucune preuve au dossier que le défendeur a effectivement et officiellement abrogé ou modifié le paragraphe 6.6 du guide CP 3 pour le rendre compatible avec les modalités du règlement.

[67]           À mon humble avis, les autres déclarations de la demanderesse ou les réparations qu’elle demande ne sont pas du ressort de la Cour dans une procédure d’exécution, ou sont prématurées, comme il est expliqué ci-dessous.

[68]           Il y a, du côté de la demanderesse, et dans une certaine mesure du côté du défendeur, une incompréhension fondamentale du rôle de la Cour fédérale dans une demande d’homologation et d’exécution d’un règlement approuvé par la CCDP conformément à l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Bien que la Cour ait examiné le règlement pour s’assurer qu’il était conforme aux prescriptions d’une transaction valide conclue par les parties sous l’égide des dispositions du C.c.Q. (voir les paragraphes 52 à 56 des présents motifs), le rôle de surveillance de la Cour relève toujours du droit civil. Une demande en vue d’homologuer et d’exécuter une transaction ne devient pas une sorte de demande de contrôle judiciaire ou de procédure déclaratoire, où la Cour est appelée à se prononcer sur la légalité ou le caractère raisonnable des politiques ou des mesures prises par le défendeur ou ses agents, lesquelles ont mené à la conclusion de la transaction entre les parties.

[69]           La Cour n’a pas le pouvoir de modifier les modalités de la transaction ni de dispenser une partie de se conformer à ces mêmes modalités (par analogie, International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union, no 529 v Central Broadcasting Company Ltd, [1977] 2 CF 78 [Central Broadcasting Company]; Nauss v International Longshoremen’s Association, Local 269, 1981 CanLII 2787 (CAF)). En homologuant et en exécutant la transaction, la Cour n’agit pas en faveur de l’une ou l’autre des parties, mais rend ses procédures d’exécution forcée possibles en cas de non-respect de la transaction. Il s’ensuit que la compétence de la Cour d’examiner aujourd’hui la légalité ou le caractère raisonnable des nouvelles politiques exprimées publiquement dans le document de mars 2016 et la trousse de demande d’avril 2016 est inexistante.

[70]           À cet égard, certaines des ordonnances actuellement sollicitées par la demanderesse s’apparentent à des injonctions permanentes indépendantes contre la Couronne en vertu de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7, visant à empêcher de nouvelles violations des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou de la Charte. Toute déclaration d’illégalité ou d’inconstitutionnalité des politiques ou des mesures prétendument autorisées ou prises par le défendeur ou par les agents d’IRCC sous l’autorité présumée de la Loi sur la citoyenneté ou de ses règlements d’application ne peut être obtenue que par voie d’une demande en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Tout jugement déclaratoire ou mesure injonctive supplémentaire sollicité par la demanderesse ne peut être accordé aujourd’hui par la Cour sous prétexte d’homologuer et d’exécuter le règlement. Si la demanderesse ou toute autre partie intéressée souhaite soulever des questions de discrimination ou d’illégalité qui ne sont pas couvertes par le règlement, elles doivent utiliser le bon véhicule procédural. De plus, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une demande en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne en vue d’homologuer et d’exécuter les modalités d’une transaction valide entre les parties; il ne s’agit pas d’une action en dommages-intérêts contre la Couronne découlant d’une cause d’action distincte (Paradise Honey Ltd. c. Canada, 2015 CAF 89, [2015] A.C.F. no 399, au paragraphe 151; Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, [2003] A.C.F. no 145, au paragraphe 3).

[71]           Comment un règlement approuvé par la CCDP et assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale aux fins d’une exécution en vertu de l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne peut-il être légalement exécutoire dans la pratique en cas de non-conformité?

[72]           Conformément à l’article 423 des Règles, toutes les questions liées à l’exécution des ordonnances doivent être soumises à la Cour fédérale. Ce sont en particulier les articles 425 à 432 prévus à la partie 12 des Règles qui prescrivent la procédure possible en Cour pour exécuter des ordonnances. En outre, l’article 56 de la Loi sur les Cours fédérales habilite la Cour à délivrer des moyens de contrainte ayant la même teneur et le même effet que ceux émanant d’une cour de la province dans laquelle l’ordonnance doit être exécutée. Le processus permettant de faire exécuter une ordonnance varie en fonction du type d’ordonnance concernée et de la nature particulière de l’obligation qui incombe au débiteur. Cela étant dit, il n’y a aucun fondement juridique dans la partie 12 des Règles qui permet d’ordonner au défendeur de faire un don de 40 000 $ à un organisme à but non lucratif en vue d’aider la population transgenre, comme l’a également réclamé la demanderesse dans sa procédure. En l’espèce, les recours qui seront offerts à l’une ou l’autre partie, une fois que le règlement sera homologué par la Cour, sont assez limités, comme nous l’expliquons plus loin.

[73]           Tout d’abord, le règlement ne prévoit aucun paiement d’une somme d’argent, ni aucune livraison d’immeuble, de bien réel ou de bien personnel appartenant à la demanderesse. Cela signifie qu’une fois que le règlement est homologué et assimilé à une ordonnance de la Cour aux fins d’exécution, la demanderesse ne peut pas solliciter un bref de mise en possession, un bref de délivrance, un bref de saisie-exécution et un bref de séquestration, engager des procédures de saisie-arrêt, ni obtenir une ordonnance constituant une charge ou la nomination d’un séquestre judiciaire (voir articles 424 à 428 des Règles).

[74]           Deuxièmement, les obligations visées au paragraphe 2 du règlement sont précises et doivent être interprétées en sachant qu’elles devaient être exécutées dans un délai d’un an. Le défendeur révisera ses politiques ministérielles pour supprimer l’exigence actuelle voulant que les demandeurs qui désirent obtenir un changement de la mention du sexe sur leur certificat de citoyenneté prouvent qu’ils ont subi une inversion sexuelle chirurgicale en plus de fournir une documentation provinciale et territoriale reflétant un changement de sexe ou de genre. Cette révision aura lieu dans l’année civile suivant la signature du règlement. Les formulaires de demande de certificat de citoyenneté pour adultes et mineurs (preuve de citoyenneté) ainsi que les guides correspondants pour les demandeurs seront mis à jour pour tenir compte de la nouvelle exigence en vertu de cette politique.

[75]           L’article 1594 C.c.Q. dispose qu’un débiteur peut être constitué en demeure d’exécuter l’obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu’il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l’exécuter aura cet effet. Il peut être aussi constitué en demeure par la demande extrajudiciaire que lui adresse son créancier d’exécuter l’obligation, par la demande en justice formée contre lui ou, encore, par le seul effet de la loi. La signification au défendeur et le dépôt de la présente demande le 10 février 2016 ont certainement eu ce dernier effet. Pourtant, le règlement n’avait pas été homologué par la Cour lorsque le défendeur a publié sur le site Web le document de mars 2016 et la trousse de demande d’avril 2016.

[76]           Il y a essentiellement deux modes distincts d’exécution prévus par les Règles pour contraindre un débiteur récalcitrant à exécuter une obligation en nature, ou pour contraindre une partie qui est tenue par une ordonnance de la Cour de faire quelque chose de précis pour obéir à l’ordonnance de la Cour : (1) une ordonnance d’incarcération (alinéa 429(1)c), articles 430 et 431 des Règles); (2) une ordonnance pour outrage (alinéa 466b), articles 467 à 472 des Règles). Il convient de noter qu’aucune de ces mesures d’exécution n’est actuellement sollicitée par la demanderesse dans sa demande, ce qui serait, en tout état de cause, prématuré.

[77]           Les ordonnances d’incarcération sont exceptionnelles et ne sont pas délivrées par la Cour par souci de commodité. L’autorisation de la Cour est requise (paragraphe 429(1) des Règles). Un certain nombre de conditions doivent être remplies. L’ordonnance initiale doit indiquer de façon précise le délai dans lequel l’acte qui fait l’objet d’une ordonnance de faire doit être accompli (Central Broadcasting Company, au paragraphe 58). En outre, dans le cas d’une personne morale, l’ordonnance ne sera pas opposable à un administrateur ou un dirigeant, à moins que l’ordonnance ait été signifiée à cette personne (article 430 des Règles).

[78]           Le but principal des sanctions imposées pour outrage au tribunal est d’assurer le respect des ordonnances du tribunal et de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice (pour une analyse récente et intéressante de la Cour à ce sujet, voir Trans-High Corporation c. Hightimes Smokeshop and Gifts Inc., 2015 CF 1104, [2015] A.C.F. no 1162). Les modalités de l’ordonnance demandée doivent être précises. Une personne qui désobéit à une ordonnance de la Cour ne peut être coupable d’outrage au tribunal à moins qu’une ordonnance lui soit signifiée personnellement et que cette ordonnance lui enjoigne de comparaître devant la Cour et d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, et d’être prête à présenter une défense (alinéa 466b) et article 467 des Règles).

[79]           Dans la pratique, avant que ne soit instituée toute procédure d’exécution contre le défendeur – et sans aborder la question de savoir si la Couronne peut être reconnue coupable d’outrage au tribunal (voir Tahmourpour c. Canada (Commission des droits de la personne), 2014 CAF 204, [2014] A.C.F. no 908, au paragraphe 3 (CAF); 2013 CF 1131, [2013] A.C.F. no 1256, aux paragraphes 24 à 32 [le juge Manson]; 2013 CF 622, [2013] A.C.F. no 858, aux paragraphes 10 à 27 [la protonotaire Tabib]) –, la présente décision devra être signifiée personnellement à l’honorable John McCallum, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.

[80]           Pour tous ces motifs, aucune des mesures d’exécution susmentionnées ne peut être soulevée aujourd’hui.

Frais et dépens relatifs à la présente demande

[81]           La demanderesse sollicite l’adjudication d’une somme forfaitaire de 2 000 $ au lieu de dépens taxés.

[82]           Conformément au paragraphe 400(1) des Règles, la Cour a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Il s’agit d’un des cas particuliers où la partie qui se représente elle-même se voit accorder un montant raisonnable pour le temps et les efforts qu’elle a consacrés à la préparation et à la présentation de sa cause (voir Yu c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 42, [2011] A.C.F. no 162, au paragraphe 37; Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115, [2007] A.C.F. no 404, au paragraphe 24; Sherman c. Canada (Ministre du revenu national), 2003 CAF 202, [2003] A.C.F. no 710, aux paragraphes 46 à 52).

[83]           En l’espèce, je suis convaincu que la demanderesse a agi de bonne foi et avait le droit de déposer la présente demande puisque, à la date du dépôt de son avis de demande, le 10 février 2016, le défendeur ne s’était pas entièrement conformé aux obligations qui lui incombaient en vertu du paragraphe 2 du règlement. En effet, la demanderesse avait précédemment envoyé une lettre recommandée et un courriel en décembre 2015 rappelant au défendeur l’échéance du 6 février 2016 et la nécessité de respecter ses obligations en vertu du paragraphe 2 du règlement. Toutefois, le défendeur a choisi de ne pas répondre ou tenter d’obtenir le consentement de la demanderesse de proroger le délai de grâce d’un an. Il est également manifeste que la demanderesse a consacré beaucoup de temps à la préparation de sa procédure. Bien qu’elle n’ait pas été au courant de toutes les règles complexes de procédure de la Cour fédérale, sa présentation était néanmoins claire et utile. L’ensemble de cette procédure a également nui à la santé de la demanderesse. Dans un geste courageux, la demanderesse a résisté aux pressions exercées par CIC pour qu’elle fournisse une preuve d’ISC et a déposé une plainte auprès de la CCDP qui a été finalement réglée en février 2015. Il s’avère que la demanderesse n’avait rien à gagner personnellement, puisqu’un certificat de citoyenneté modifié lui avait déjà été délivré en février 2015, et elle a présenté cette demande au bénéfice d’un grand nombre de personnes qui subissent un préjudice.

[84]           Tous ces facteurs militent fortement en faveur de l’attribution à la demanderesse de frais raisonnables. Compte tenu de tous les facteurs pertinents, y compris ce que la demanderesse aurait pu autrement obtenir en vertu du tarif si elle avait été représentée par un avocat, un montant forfaitaire de 1 200 $, y compris tous les débours et frais taxables, constitue une compensation équitable dans les circonstances.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  L’intitulé est modifié comme suit :

Le ministre de la Citoyenneté et Immigration Canada est remplacé par le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, à titre de défendeur dans la présente instance;

2.                  La demande présentée par la demanderesse en vue de l’homologation et de l’exécution du règlement signé le 7 février 2015 (le règlement) et approuvée par la Commission canadienne des droits de la personne le 4 mars 2015 est accueillie en partie;

3.                  Le règlement joint au présent jugement (correspondant à la pièce « N » mentionnée dans l’affidavit d’Audrey Chédor daté du 29 février 2016) est homologué, et aux fins d’exécution, est assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale;

4.                  La demanderesse a droit à des dépens de 1 200 $, y compris tous les débours et frais taxables.

« Luc Martineau »

Juge


 

Annexe 1

Document N-1

No de dossier de la Cour fédérale : T-255-16

À TITRE DE RÈGLEMENT FINAL ENTRE ELLES DE LA DEMANDE DEVANT LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE DANS LE DOSSIER NUMÉRO T2061/6214, LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

1-           Le défendeur délivrera à la demanderesse, dans les 14 jours civils suivant la signature du règlement, un certificat de citoyenneté canadienne révisé, reconnaissant le sexe féminin de la demanderesse.

2-           Le défendeur révisera ses politiques ministérielles pour supprimer l’exigence actuelle voulant que les demandeurs qui désirent obtenir un changement de la mention du sexe sur leur certificat de citoyenneté prouvent qu’ils ont subi une inversion sexuelle chirurgicale en plus de fournir une documentation provinciale et territoriale reflétant un changement de sexe ou de genre. Cette révision aura lieu dans l’année civile suivant la signature du présent accord. Les formulaires de demande de certificat de citoyenneté pour adultes et mineurs (preuve de citoyenneté) ainsi que les guides correspondants pour les demandeurs seront mis à jour pour tenir compte des nouvelles exigences en vertu de cette politique.

3-           Dans un délai de deux jours suivant la signature du présent accord, la demanderesse et le défendeur fourniront une copie du présent accord à la Commission canadienne des droits de la personne aux fins d’approbation des modalités du présent règlement.

4-           La demanderesse déposera un avis de désistement de sa plainte au Tribunal dans les cinq (5) jours suivant l’approbation de la transaction par la Commission canadienne des droits de la personne.

5-           La demanderesse ne demandera pas de dommages-intérêts au défendeur en ce qui concerne cette cause en particulier.

6-           Les modalités du présent règlement sont confidentielles et, sous réserve de l’ensemble des dispositions des lois exigeant la divulgation publique de tels renseignements, elles ne doivent pas être communiquées par les parties à qui que ce soit, à moins d’une autorisation officielle des deux parties ou en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

7-           La présente transaction constitue, en vertu de l’article 2631 du Code Civil du Québec, une transaction à laquelle les parties ont consenti librement sans aucune promesse, déclaration ou intimidation de quelque nature que ce soit et qui est faite dans le seul but de parvenir à un règlement, sans admission de la part des parties.


 

Annexe 1

Document N-2

No de dossier de la Cour fédérale : T-255-16

 

EN FOI DE QUOI, LES PARTIES ONT SIGNÉ :

À Montréal, le 7 février 2015

 

À Montréal, le 7 février 2015

 

 

 

Audrey Chédor

 

Himmat Shinhat, représentant dûment autorisé

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-255-16

 

INTITULÉ :

AUDREY CHÉDOR c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Audrey Chédor

Pour la demanderesse

(EN SON PROPRE NOM)

 

Daniel Latulippe

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Audrey Chédor

Pour la demanderesse

(EN SON PROPRE NOM)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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