Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161031


Dossier : T-121-16

Référence : 2016 CF 1206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

BEVERLY KLECKNER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(FORCES ARMÉES CANADIENNES)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Mme Beverly Kleckner, est capitaine au sein des Forces armées canadiennes [FAC] et elle travaille comme administratrice des services de santé au Quartier général des Services de santé depuis juin 2008.

[2]               En novembre 2012, les FAC ont convoqué la capitaine Kleckner à se soumettre à une évaluation psychosociale, dans le cadre de l’examen médical périodique, afin d’assurer sa capacité à être déployée. Elle a refusé de se soumettre à l’examen au motif que les FAC refusaient de lui remettre les paramètres qu’un professionnel de la santé des FAC utiliserait pour juger qu’un membre était inapte au service. Elle a également demandé de pouvoir consulter le médecin de son choix. En raison de son refus de se soumettre à l’examen, les FAC ont déclassé la catégorie médicale de la capitaine Kleckner à « inapte au service ».

[3]               En février 2013, la capitaine Kleckner a présenté une requête urgente visant des mesures injonctives de réparation devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario [CSJO]. Dans sa requête, la capitaine Kleckner demandait une déclaration selon laquelle la référence des FAC la convoquant à se soumettre à un examen psychosocial était inopérante. Elle demandait également une autre déclaration précisant qu’elle était en droit de choisir son propre fournisseur de soins de santé pour tout traitement ou examen médical auquel elle pourrait être soumise par les FAC, y compris l’examen psychosocial. La requête de la capitaine Kleckner a été entendue provisoirement par la juge Ratushny qui a ordonné que l’examen soit annulé et que, d’ici l’audition de la requête, les FAC ne prennent aucune mesure concernant la référence de novembre 2012 qui pourrait affecter sa catégorie médicale. Le juge McKinnon a subséquemment entendu la requête sur quatre (4) jours, se terminant en novembre 2013. Le 15 janvier 2014, il a rejeté la demande en injonction et il a suspendu le recours sous-jacent de la capitaine Kleckner, épuisant ses droits conformément à Loi sur la défense nationale, LRC 1985, ch. N-5 [LDN] (Kleckner v Canada (Attorney General), 2014 ONSC 322) [Kleckner].

[4]               En juin 2014, la capitaine Kleckner déposait auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] une plainte dans laquelle elle alléguait qu’en déclassant sa catégorie médicale à « inapte au service », les FAC avaient fait preuve de discrimination à son égard en matière d’emploi fondée sur une perception de déficience contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 [LCDP].

[5]               À la réception de la plainte, la Commission a informé les parties que la plainte pouvait relever de l’alinéa 41(1)a) de la LCDP puisqu’un autre mécanisme de grief ou d’examen pouvait être disponible. La Division des services de règlements de la Commission a subséquemment établi un rapport relatif aux articles 40 et 41 fondé sur les allégations de la capitaine Kleckner et sur la réponse des FAC, confirmant que la Commission ne traiterait pas la plainte parce que la plaignante n’avait pas épuisé d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. La Commission a ensuite donné l’occasion aux deux parties de répondre au rapport.

[6]               Dans une décision datée du 23 décembre 2015, la Commission a décidé que la plainte de la capitaine Kleckner était irrecevable conformément à l’alinéa 41(1)a) de la LCDP. La Commission a fondé sa décision sur le motif que la capitaine Kleckner n’avait pas épuisé d’abord les procédures de règlement des griefs des FAC qui lui étaient normalement ouvertes. La décision de la Commission étant très courte, le rapport sur les articles 40 et 41 constituait les motifs à l’appui de la décision (Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 37).

[7]               La capitaine Kleckner présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission. Elle affirme que la Commission a erré quand elle a conclu que la procédure de règlement des griefs des FAC lui était « normalement ouverte » en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la LCDP.

[8]               Pour les motifs établis ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Question en litige

[9]               Bien que la capitaine Kleckner ait soulevé un certain nombre de questions dans ses observations écrites, l’unique question déterminante en l’espèce est de savoir si la décision de la Commission de ne pas traiter sa plainte est raisonnable.

III.             Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle à appliquer à l’égard des décisions rendues par la Commission de ne pas traiter les plaintes en vertu du paragraphe 41(1) de la LCPD est la norme de la décision raisonnable (Mun c. Canada (Procureur général), 2016 CF 94, au paragraphe 14 [Mun]; Andrews c. Canada (Procureur général), 2015 CF 780, au paragraphe 20 [Andrews]; English-Baker c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1253, au paragraphe 22). Cette norme de contrôle s’applique tant au processus décisionnel qu’au résultat (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[11]           Lorsqu’elle contrôle une décision en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour s’en tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47; Andrews, au paragraphe 21).

IV.             Analyse

[12]           La capitaine Kleckner soutient que la décision de la Commission de ne pas traiter sa plainte est déraisonnable parce qu’elle n’avait pas pris en considération que dans certains cas, dont le sien, la procédure de règlement des griefs des FAC n’offre pas un autre recours approprié. Plus précisément, elle soutient que la procédure de règlement des griefs des FAC est injuste parce qu’elle manque d’indépendance et d’impartialité. Pour appuyer son argument, elle affirme que le Comité externe d’examen des griefs militaires [Comité des griefs], qui conseille le chef d’état-major de la Défense [CEMD] qui fait office d’autorité de dernière instance à l’égard du système de règlement des griefs, est constitué de membres actifs ou d’anciens membres, à l’exception du président et du vice-président. De plus, les personnes qui lui ont demandé de se soumettre à un examen psychosocial feront en fin de compte partie du Comité de griefs. La capitaine Kleckner allègue par ailleurs qu’elle devra partager ses renseignements médicaux avec son commandant et ses superviseurs puisque la procédure de règlement des griefs des FAC passe par le commandant, et parfois par divers échelons de la chaîne de commandement, avant d’arriver au Comité des griefs ou à l’autorité de dernière instance. Elle a également peur d’être incapable de défendre son grief puisqu’aucun mécanisme n’est en place pour obtenir une ordonnance enjoignant aux FAC de lui divulguer son dossier médical. Elle affirme qu’elle nécessite la communication de son dossier médical complet afin de démontrer que son aptitude pour le service n’avait jamais posé problème.

[13]           La capitaine Kleckner soumet par ailleurs que la procédure de règlement des griefs des FAC ne constitue pas un recours adéquat puisque le CEMD, à titre d’autorité de dernière instance dans la procédure de règlement des griefs des FAC, n’a pas le pouvoir, au moyen de paiements à titre gracieux, d’octroyer une indemnisation monétaire au titre des dommages.

[14]           La capitaine Kleckner maintient également que la LDN ne limite pas le demandeur à la procédure de règlement des griefs des FAC comme seule voie de recours, en s’appuyant sur le libellé du paragraphe 29(1) de la LDN. En d’autres termes, la procédure de règlement des griefs des FAC n’est pas obligatoire et elle n’est que l’un des recours prévus par la LDN.

[15]           Enfin, la capitaine Kleckner affirme que la Commission a commis plusieurs erreurs et qu’elle n’a pas tenu compte de ses observations en plus d’attribuer incorrectement le niveau de sécurité « protégé B » à sa décision.

[16]           L’alinéa 41(1)a) de la LCDP prévoit que la Commission peut refuser de traiter toute plainte reçue si elle estime que le plaignant devrait d’abord épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. La Cour a déclaré que la décision de la Commission devrait seulement décider de ne pas statuer sur une plainte dans les cas « les plus évidents » (Mun, au paragraphe 16; Hicks c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1059, au paragraphe 22; Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Association canadienne des maîtres de poste et adjoints) (1997), 130 FTR 241 (FTD), au paragraphe 3 [Société canadienne des postes]).

[17]           Pour décider si une plainte est visée par l’alinéa 41(1)a) de la LCDP, la Commission doit décider si :

a)                  la procédure de règlement des griefs ou d’examen était « normalement ouverte »;

b)                  le demandeur « devrait » épuiser ces recours avant de déposer une plainte sous le régime de la LCDP;

(Mun, au paragraphe 17; Société canadienne des postes, au paragraphe 6).

[18]           Le règlement d’une question de savoir si un plaignant devrait avoir épuisé les autres recours est subjectif et il suppose l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La portée du contrôle judiciaire est donc restreinte (Mun, au paragraphe 17; Bergeron c. Canada (Procureur général), 2013 CF 301, au paragraphe 39 [Bergeron]; Société canadienne des postes, aux paragraphes 4 et 6).

[19]           De plus, pour décider si une plainte est irrecevable, la Commission doit s’assurer, suivant le libellé du paragraphe 42(2) de la LCDP, que le défaut d’épuiser les autres recours est exclusivement imputable au plaignant (Mun, au paragraphe 18).

[20]           Compte tenu de ces principes et, plus précisément, de la nature discrétionnaire de la décision de la Commission, je conclus que la décision de la Commission est raisonnable.

[21]           La Commission a examiné et a traité tous les arguments soulevés par la capitaine Kleckner, qui pour la plupart, étaient identiques à ceux soulevés devant la Cour et la CSJO.

[22]           Concernant l’allégation du manque d’indépendance et d’impartialité de la procédure de règlement des griefs des FAC, la Commission a reconnu que l’autorité de dernière instance n’était pas une tierce partie indépendante puisque le CEMD (ou le cas échéant, son délégué désigné) travaille pour les FAC. Néanmoins, la Commission a jugé que l’autorité de dernière instance aurait été considérablement éloignée de la capitaine Kleckner et elle aurait pu examiner les questions soulevées par sa situation. La Commission a également observé que la Cour avait jugé que « le manque d’indépendance allégué de la procédure de règlement des griefs » n’était pas suffisant pour infirmer la décision de la Commission de rejeter la plainte. Dans la décision, la Commission s’est appuyée sur la décision de la Cour dans Bergeron, au paragraphe 43.

[23]           La conclusion de la Commission sur cette question est appuyée par la décision de la Cour dans Mun au paragraphe 31, qui a également jugé que le CEMD ou son délégué était considérablement éloigné du dossier du plaignant pour assurer l’indépendance et l’impartialité de la procédure de règlement des griefs. Par ailleurs, la conclusion est conforme à la jurisprudence de la Cour qui a jugé à maintes reprises que la procédure de règlement des griefs des FAC constitue un recours adéquat qui doit être épuisé avant qu’une personne puisse s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation (Mun, aux paragraphes 31 et 32; Moodie c. Canada, 2008 CF 1233, au paragraphe 28; Sandiford c. Canada, 2007 CF 225, au paragraphe 28; Pilon c. Canada, 1996 ACF no 1200, aux paragraphes 8 et 9).

[24]           En ce qui a trait à la crainte de la capitaine Kleckner selon laquelle les personnes à l’origine de la demande voulant qu’elle subisse un examen psychosocial participeraient à la procédure de règlement des griefs, je conclus que les préoccupations de la capitaine Kleckner sont à la fois prématurées et hypothétiques. L’article 8.19 de la Directive et ordonnance administrative de la Défense (DOAD) 2017-1 – Processus de grief militaire prévoit précisément qu’un plaignant a le droit à une audition équitable devant un décideur impartial et que ce droit sera compromis si l’autorité de redressement est prédisposée, ou semble avoir une prédisposition, quant au résultat du grief. En outre, le paragraphe 7.14(2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes interdit explicitement à l’officier saisi du grief d’agir à titre d’autorité initiale dans la procédure de règlement des griefs si le grief se rapporte à une décision, un acte ou une omission de celui-ci. Par conséquent, on doit présumer que si la capitaine Kleckner avait déposé un grief, celui-ci aurait été mené de façon juste et impartiale. Si, après avoir commencé la procédure de règlement des griefs, la capitaine Kleckner était d’avis que tel n’était pas le cas, elle aurait pu présenter ces préoccupations aux autorités compétentes des FAC et ensuite, au besoin, par contrôle judiciaire. Par ailleurs, si la capitaine Kleckner considérait que toutes ses questions relatives aux droits de la personne n’avaient pas été traitées par la procédure de règlement des griefs, elle aurait alors pu retourner devant la Commission pour demander que sa plainte soit réactivée.

[25]           La capitaine Kleckner a également soulevé devant la Commission l’argument selon lequel il y a une inégalité de pouvoir au sein de la procédure de règlement des griefs des FAC parce qu’elle est incapable d’obtenir la diffusion des renseignements dont elle a besoin et qu’elle n’a pas les moyens de retenir les services d’un expert médical ou d’un représentant juridique. Sur cette question, la Commission a noté que lorsqu’un demandeur se représente lui-même, des inégalités de pouvoir similaires sont présentes dans le cadre de procédures judiciaires et d’instances devant des tribunaux administratifs comme la Commission. La Commission a indiqué que la capitaine Kleckner, qui se représente elle-même, rencontrerait probablement des problèmes semblables pour obtenir des renseignements et le témoignage d’un expert médical dans toutes ces instances. Elle a également conclu que même si la Commission avait accepté de traiter la plainte, les FAC auraient toujours une quantité disproportionnée de ressources par comparaison à celles de la capitaine Kleckner.

[26]           Je suis d’avis qu’il n’y a aucune erreur dans les motifs de la Commission. Bien que dans certaines circonstances limitées, le droit constitutionnel à la représentation juridique peut être présent, aucun droit général d’être représenté par un avocat n’existe. Comme le juge Russell de la Cour l’a énoncé dans 893134 Ontario Inc. (Mega Distributors) c. Canada (Revenu national), 2008 CF 715, aux paragraphes 29 et 30 : « le principe de la primauté du droit ne comprend pas l’accès général à des services juridiques lorsque des droits et obligations sont en jeu ». Se représenter soi-même n’est pas une injustice ou même une violation de l’équité procédurale, même si par la suite le plaideur non représenté pense qu’un conseiller juridique aurait pu l’aider à mieux défendre sa cause. En conclure autrement servirait à dire que chaque décision liée à un plaideur non représenté devrait être interprétée comme un manquement à l’équité procédurale, sauf dans des cas où le jugement était en sa faveur (Balasingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1368, au paragraphe 51). Si des parties peuvent se présenter devant les tribunaux, l’absence de représentant juridique dans le contexte de la procédure de règlement des griefs est d’autant plus acceptable étant donné que la procédure de règlement des griefs est conçue pour être moins formelle et plus accessible.

[27]           Pour ce qui est de son incapacité à obtenir son dossier médical complet pour démontrer que son aptitude médicale à servir n’avait jamais été un problème, le Comité des griefs a le pouvoir, conformément à l’article 29.21 de la LDN, de citer des témoins à comparaître et d’imposer leur présence ainsi que le pouvoir de forcer le dépôt de documents. La capitaine Kleckner aurait donc pu demander que le Comité des griefs exige la production de son dossier médical.

[28]           Je remarque que la capitaine Kleckner allègue que les FAC ont retenu une partie de son dossier médical. En janvier 2016, un enquêteur principal du Commissariat à la protection de la vie privée du gouvernement fédéral a confirmé que la capitaine Kleckner n’avait pas reçu tous les renseignements auxquels elle avait droit en réponse à une plainte qu’elle avait déposée. Il s’agit là cependant d’une question distincte. La procédure selon la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, est un processus distinct, ayant une vocation bien différente, et elle est régie par un cadre législatif différent.

[29]           La Commission a également rejeté l’affirmation de la capitaine Kleckner selon laquelle le CEMD ne peut octroyer d’indemnisation pécuniaire par voie de paiements à titre gracieux en réparation du préjudice causé. Elle s’est appuyée sur la décision rendue par le juge McKinnon qui avait abordé la question et qui avait conclu que les modifications législatives récentes donnaient au CEMD le pouvoir discrétionnaire d’octroyer des paiements à titre gracieux dans certains cas. La Commission a donc jugé que la plainte de la capitaine Kleckner relative aux droits de la personne pouvait être traitée au moyen de la procédure de règlement des griefs des FAC.

[30]           Même si je ne suis pas liée par la décision du juge McKinnon, je la trouve tout de même convaincante. Lorsque j’examine la question de savoir si la procédure de règlement des griefs des FAC constituait un recours subsidiaire approprié pour traiter les demandes de la capitaine Kleckner visant plusieurs violations de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi sur le Canada de 1982 (R.-U.), ch. 11 [la Charte], le juge McKinnon a jugé que le CEMD possède l’autorité et la compétence voulue pour appliquer la Charte aux personnes dont les droits qu’elle garantit peuvent avoir été violés (Kleckner, au paragraphe 47). Je note également que la Cour a récemment confirmé aussi que le CEMD peut avoir recours aux paiements à titre gracieux pour accorder une compensation (Lafrenière c. Canada (Autorité des griefs des Forces canadiennes), 2016 CF 767, au paragraphe 67; Chua c. Canada (Procureur général), 2014 CF 285, au paragraphe 13). La capitaine Kleckner n’a pas réussi à me persuader que le CEMD n’aurait pas pu exercer son pouvoir discrétionnaire pour lui octroyer un paiement à titre gracieux en reconnaissance de ses douleurs et souffrances alléguées si elle avait déposé un grief.

[31]           La capitaine Kleckner a également affirmé devant la Commission que si elle avait recours à la procédure de règlement des griefs, son droit d’appel serait refusé. À mon avis, la Commission a jugé à bon droit que même si une décision rendue par l’autorité de dernière instance dans le cadre de la procédure de règlement des griefs est définitive et obligatoire, la révision judiciaire à la Cour fédérale est disponible en vertu de l’article 29.15 de la LDN. La situation de la capitaine Kleckner ressemble à celles de nombreuses autres personnes qui participent à d’autres procédures judiciaires de nature administrative pour lesquelles aucun droit d’appel n’est présent. Compte tenu de la retenue dont il faut faire preuve à l’égard des tribunaux administratifs et de leurs domaines d’expertises respectifs, la révision judiciaire est souvent la seule réparation possible à l’encontre des décisions prises par les décideurs ou les tribunaux administratifs.

[32]           La Commission a également abordé l’argument de la capitaine Kleckner selon lequel la procédure de règlement des griefs n’était pas obligatoire. La Cour a répondu à cet argument même au paragraphe 24 de la décision Mun : « sans égard à la question de savoir si le processus est obligatoire ou facultatif, la Commission avait néanmoins le droit de décider s’il était préférable que la plainte du demandeur soit traitée selon la procédure de règlement des griefs avant de lui être soumise ».

[33]           La Commission a également jugé, conformément au paragraphe 42(2) de la LCDP, que la capitaine Kleckner était l’unique responsable de ne pas avoir épuisé la procédure de règlement des griefs des FAC. La Commission a constaté que : 1) la capitaine Kleckner avait eu l’occasion de déposer un grief puisqu’elle avait obtenu une prorogation de délai jusqu’au 28 novembre 2014 inclusivement; 2) la décision de la CSJO a avisé la capitaine Kleckner qu’elle devait déposer un grief avant d’entreprendre un recours juridique à cette Commission; 3) la Commission a également avisé la capitaine Kleckner de l’alinéa 41(1)a) et du paragraphe 42(2) de la LCDP et elle l’a enjoint à utiliser la procédure de règlement des griefs qui lui était normalement ouverte. La conclusion de la Commission était raisonnable étant donné que le dossier soutient les faits sur lesquels elle s’est appuyée.

[34]           Pour ce qui est des autres questions soulevées par la capitaine Kleckner, je conclus que la capitaine Kleckner n’a pas réussi à démontrer un manquement à l’équité procédurale de la part de la Commission. La Commission a donné aux deux parties l’occasion de faire des représentations à l’égard du rapport sur les articles 40 et 41. Bien que la capitaine Kleckner allègue que la Commission n’a pas tenu compte de tous ses éléments de preuve et qu’elle aurait préféré que la réponse de la Commission soit plus exhaustive, il est bien établi en droit qu’un décideur est présumé avoir examiné toute la preuve (Anderson c. Canada (Procureur général), 2013 CF 1040, au paragraphe 55). Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a jugé dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 12, 14, 16 et 22, qu’un décideur n’a pas l’obligation de rendre un jugement explicite sur chacun des éléments menant à sa conclusion. J’ai également jugé que le caractère adéquat ou suffisant des motifs ne relève pas de l’équité procédurale et de la norme de la décision correcte y correspondant, mais est plutôt une question qui demande une analyse fondée sur le caractère raisonnable. Ce principe est tout aussi applicable aux décisions prises dans le contexte de la détermination par la Commission de savoir si elle devrait traiter ou non une plainte (Berberi c. Canada (Procureur général), 2013 CF 99, aux paragraphes 18 et 19).

[35]           Enfin, la capitaine Kleckner a soutenu devant nous que la Commission a erré en assignant le niveau de sécurité « protégé B » à sa décision. Elle est d’avis que la Commission tentait d’empêcher qu’elle soit rendue publique. Il s’agit d’un argument dénué de fondement. L’objectif de cette désignation est d’indiquer que la décision contient des renseignements personnels. Quoi qu’il en soit, cet argument est maintenant sans objet puisque la décision fait maintenant partie du dossier public.

[36]           En conclusion, la Commission jouit d’un certain pouvoir discrétionnaire pour décider de traiter ou non une plainte en tenant compte du fait que le plaignant devrait épuiser le grief ou la procédure de révision qui lui est normalement ouverte (Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1998] ACF 1609, au paragraphe 51). Je comprends que l’effet du présent jugement sera que la capitaine Kleckner se retrouvera sans recours puisque la date butoir du 28 novembre 2014 pour déposer un grief est passée depuis longtemps. Les FAC renonceront peut-être à ce délai. Quoi qu’il en soit, je juge que la capitaine Kleckner avait amplement d’occasions et suffisamment de temps pour entreprendre une procédure de grief. La capitaine Kleckner savait non seulement que la procédure de règlement des griefs des FAC était accessible, elle avait également l’avantage du jugement émis par la CSJO, qui l’avait avisé qu’elle devait épuiser ses recours conformément à la LDN. Je suis d’accord avec la CSJO qu’il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle justifiant que l’on s’écarte de la procédure de règlement des griefs normale (Kleckner, au paragraphe 66).

[37]           Par conséquent, la décision de la Commission de ne pas traiter sa plainte est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens établis à 3 100 $.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens payables au défendeur et fixés à 3 100 $.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-121-16

INTITULÉ :

BEVERLY KLECKNER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (FORCES ARMÉES CANADIENNES)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OCTOBRE 2016

COMPARUTIONS :

Beverly Kleckner

Pour la demanderesse

(EN SON PROPRE NOM)

Sarah Churchill-Joly

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.