Dossier : IMM-36-16
Référence : 2016 CF 1210
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 31 octobre 2016
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE : |
SAIED ROSHAN |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, M. Roshan, est un citoyen de l’Iran. Il est arrivé au Canada en mai 2012 et a déposé une demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada a rejeté sa demande en novembre 2013. M. Roshan n’était pas admissible à interjeter appel devant la Section d’appel des réfugiés (SAR) et sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée par notre Cour.
[2] M. Roshan a par la suite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en mars 2015. À l’appui de sa demande, il a présenté de nouveaux éléments de preuve à l’agent d’ERAR (l’agent) : 1) affirmant qu’il était en danger en Iran en raison de sa participation à des manifestations antigouvernementales en 2009, contrairement aux conclusions de la SPR; et (2) soutenant l’existence d’un risque sur place. L’agent a accepté une partie seulement des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Roshan, rejetant la preuve documentaire antérieure à l’audience de la SPR. La demande d’ERAR a été rejetée en novembre 2015.
[3] M. Roshan soutient maintenant qu’en rendant une décision défavorable, l’agent a commis une erreur en : 1) n’accordant aucun poids aux nouveaux éléments de preuve qui corroborent son exposé circonstancié devant la SPR; 2) concluant qu’il ne serait pas en danger en Iran en tant qu’athée; 3) s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques qui n’ont pas été divulgués en rejetant le risque découlant de son activité en ligne au Canada.
[4] M. Roshan demande à notre Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvel examen.
[5] La demande soulève un certain nombre de questions, mais la seule question que je dois traiter est celle de savoir si l’agent d’ERAR a mal interprété son rôle lorsqu’il a abordé les nouveaux éléments de preuve de M. Roshan corroborant son exposé circonstancié devant la SPR.
[6] Je suis d’avis que l’agent a commis une erreur susceptible de révision et que l’intervention de notre Cour est justifiée. La demande sera accueillie pour les motifs exposés ci-après.
II. Norme de contrôle
[7] La question soulevée au sujet du rôle de l’agent d’ERAR et de l’évaluation des nouveaux éléments de preuve de M. Roshan soulève des questions de fait et de droit auxquelles s’applique la norme de la décision raisonnable (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 11, au paragraphe 20).
III. Analyse
A. L’agent d’ERAR a-t-il mal interprété son rôle lorsqu’il a abordé les nouveaux éléments de preuve corroborant l’exposé circonstancié de M. Roshan devant la SPR?
[8] Devant la SPR, M. Roshan a fait valoir qu’il craignait de retourner en Iran en raison de sa participation à des manifestations après les élections présidentielles iraniennes de 2009. Il a affirmé que les autorités connaissaient son identité, ce qui le mettait en danger. La SPR a conclu que les questions déterminantes étaient celles de la crédibilité, de l’absence de demande d’asile déposée ailleurs et de la crainte subjective.
[9] La SPR a souligné que M. Roshan avait passé près de trois ans à Chypre après avoir fui l’Iran. M. Roshan a témoigné avoir déposé une demande d’asile à Chypre, mais il n’a pas été en mesure de produire une copie de ladite demande. Il a témoigné que les autorités d’immigration chypriotes lui avaient dit qu’il recevrait un appel, mais il n’a jamais été contacté et n’a jamais eu l’occasion de parler de sa demande d’asile avec les responsables chypriotes. Compte tenu de ce témoignage, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi pour établir que M. Roshan avait déposé une demande d’asile à Chypre. La SPR a ensuite déclaré : [traduction]
Il est absurde de suggérer que le demandeur se soit rendu à Chypre, signataire de la Convention des Nations Unies et du Protocole relatif au statut des réfugiés, craignant d’être persécuté en Iran, et n’ait pas présenté de demande d’asile. Il n’y a aucune raison de croire que Chypre ne respecte pas ses obligations. Il est ridicule que le demandeur soit resté à Chypre pendant environ trois ans, parfois menacé d’expulsion d’après l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage, et qu’il n’ait pas déposé de demande d’asile, compte tenu de sa crainte présumée de retourner en Iran. Je conclus que le fait que le demandeur n’a pas déposé de demande ou donné suite à sa demande à Chypre mine sa crédibilité et reflète une absence de crainte subjective.
[10] Dans le cadre de sa demande d’ERAR, M. Roshan a présenté de nouveaux éléments de preuve documentaire indiquant comment les demandeurs d’asile à Chypre, en particulier ceux d’origine musulmane, ne bénéficient pas des droits et procédures prévus par la loi chypriote. Ces éléments de preuve ont été admis par l’agent, mais ce dernier n’y a accordé aucun poids.
[11] En particulier, les nouveaux éléments de preuve indiquaient ce qui suit : 1) les demandeurs d’asile à Chypre se voient souvent refuser les droits et procédures prévus par le droit chypriote; 2) les documents imprimés établissant les droits minimaux ne sont souvent pas fournis lorsqu’une demande d’asile est présentée; 3) les demandeurs d’asile sont souvent invités à revenir à une date ultérieure et ne se voient offrir aucune documentation, et 4) aucun permis de séjour valide n’est délivré. Ces éléments de preuve semblaient corroborer le témoignage de M. Roshan devant la SPR relativement à son expérience en matière de demande d’asile, témoignage qui, selon la conclusion de la SPR, était absurde et ridicule. Il soutient que l’agent n’a pas pris en considération le fait que les nouveaux éléments de preuve pouvaient permettre de revoir une conclusion défavorable antérieure concernant la crédibilité.
[12] Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur en n’accordant aucun poids aux éléments de preuve documentaire. Le défendeur soutient que si les éléments de preuve sur les conditions dans le pays « paraissent être bien meilleurs » que ceux qui ont été présentés à la SPR, les éléments de preuve ne démontrent pas un changement dans le traitement des demandeurs d’asile ou dans les conditions dans le pays. Je ne suis pas convaincu.
[13] Il est bien établi qu’un ERAR ne constitue pas un appel d’une décision antérieure en matière d’asile et qu’un agent d’ERAR doit respecter une décision défavorable antérieure de la SPR. Cependant, il est tout aussi bien établi que lorsqu’un agent d’ERAR admet de nouveaux éléments de preuve et que ces éléments de preuve auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance, l’agent d’ERAR peut réexaminer les mêmes questions de fait ou de droit que celles qui ont été examinées par la SPR (Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 12 et 13 [Raza]).
[14] En l’espèce, l’agent d’ERAR a admis une partie des nouveaux éléments de preuve proposés. Ces éléments de preuve corroboraient le témoignage que M. Roshan avait donné devant la SPR, puisqu’ils faisaient état de son expérience en matière de demande d’asile à Chypre. On peut soutenir que les éléments de preuve contredisent la conclusion négative de la SPR concernant la crédibilité et la conclusion d’absence de crainte subjective tirée par la SPR. Toutefois, l’agent n’a pas entrepris d’analyser ces éléments de preuve après avoir conclu à leur admissibilité. Au lieu de cela, l’agent ne leur a attribué aucun poids en se fondant sur le fait que la SPR avait précédemment conclu que M. Roshan n’avait pas de crainte subjective, qu’il n’avait pas déposé de demande d’asile à Chypre et qu’il n’était pas renvoyé à Chypre.
[15] À mon avis, cette conclusion reflète la conviction qu’en dépit des nouveaux éléments de preuve potentiellement contradictoires, l’agent était lié par les conclusions antérieures de la SPR. Cela va à l’encontre du rôle de l’agent d’ERAR tel qu’il est énoncé dans Raza.
[16] Je reconnais que les éléments de preuve en question ont trait aux conditions à Chypre et non en Iran. Toutefois, les éléments de preuve n’ont pas été présentés à l’agent pour démontrer un risque à Chypre, mais plutôt pour répondre à la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité et pour soutenir les allégations de risque en Iran avancées par M. Roshan. Après avoir admis les éléments de preuve, l’agent avait l’obligation d’examiner le caractère substantiel de ces éléments de preuve – leur éventuelle incidence sur la décision rendue par la SPR (Hausleitner c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 641, au paragraphe 36 [Hausleitner]). En n’accordant aucun poids aux éléments de preuve, l’agent n’a pas examiné la question du caractère substantiel dans le contexte des risques allégués par M. Roshan.
[17] L’agent aurait certainement pu conclure, après avoir examiné les éléments de preuve, qu’ils n’avaient pas d’incidence sur l’évaluation globale des risques comme c’était le cas dans l’affaire Hausleitner. Cependant, je ne peux pas conclure que cela aurait été nécessairement le cas. Pour ce motif, la demande est accueillie.
IV. Conclusion
[18] La demande est accueillie. Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande est accueillie, la décision de l’agent d’ERAR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.
« Patrick Gleeson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier : |
IMM-36-16 |
INTITULÉ : |
SAIED ROSHAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 7 juillet 2016
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GLEESON
|
DATE DES MOTIFS : |
Le 31 OCTOBRE 2016
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COMPARUTIONS :
Anthony Navaneelan
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Pour le demandeur
|
Stephen Jarvis
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bureau du droit des réfugiés Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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