Date : 20161028
Dossier : T-536-16
Référence : 2016 CF 1204
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2016
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE :
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FARZANEH KASHEFI
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demanderesse
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et
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L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
CS-77788/4531-0842
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Direction des recours de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a conclu, au nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) et conformément à l’article 131 de la Loi sur les douanes, SRC 1985 c 1 (2e suppl.) (la Loi), qu’il y avait eu infraction à la Loi et, conformément à l’article 133, que les marchandises saisies ainsi que la somme de 220 $ perçue en contrepartie de la restitution d’un véhicule saisi tiendraient lieu de confiscation.
Contexte factuel
[2]
Le 10 août 2015, alors qu’elle se trouvait à bord d’un véhicule avec une autre personne, la demanderesse s’est vue refuser l’entrée aux États-Unis au passage frontalier de Windsor-Detroit. Comme l’ASFC avait fait un signalement concernant la demanderesse et le véhicule au retour, un agent a procédé à une inspection primaire au poste frontalier canadien. L’agent a posé plusieurs questions d’usage aux occupants du véhicule avant de les diriger vers une inspection secondaire, qui a été effectuée par l’agent des services frontaliers Cormier (l’agent Cormier), assisté d’un second agent. À ce stade, le sac à main de la demanderesse a été fouillé et les agents y ont découvert différents comprimés dans deux flacons dont les étiquettes d’ordonnance avaient été effacées. L’agent Cormier a déclaré qu’il avait soupçonné qu’il s’agissait de comprimés de substances contrôlées. La demanderesse a été arrêtée. L’agent Cormier a expliqué que l’ordonnance trouvée dans le véhicule était datée du 11 août 2015, soit le lendemain de la fouille. Il a été établi que la demanderesse avait en sa possession de l’Aleve, des laxatifs, ainsi que 10 comprimés d’oxycodone (de marque Roxicodone), 6 de lorazépam, 6 d’amitryptaline et 8 de trimipramine. Selon l’agent Cormier, les comprimés de lorazépam (Valium) ont fait l’objet d’une saisie de niveau 2 parce qu’une saisie de stupéfiants en possession de la demanderesse avait eu lieu en 2011.
[3]
La demanderesse a été relâchée plusieurs heures plus tard. La valeur des 6 comprimés de lorazépam a été établie à 18 $ et ils n’ont pas été restitués. Pour récupérer le véhicule saisi, la demanderesse devait payer une somme de 220 $, ce qu’elle a fait. On lui a remis un reçu pour saisie indiquant qu’elle pouvait s’opposer à la mesure d’exécution en soumettant une demande d’examen dans les 90 jours suivant la date de ladite mesure. Le 5 octobre 2015, elle a fourni une copie de l’ordonnance, un formulaire d’autorisation de renouvellement du médecin ainsi que son historique de renouvellement de l’ordonnance. Elle a par la même occasion réclamé le remboursement de la somme de 220 $ et demandé que toute mention de l’affaire soit radiée de son dossier. La Direction des recours a accusé réception de sa demande le 28 octobre 2015. Le 30 octobre 2015, conformément à l’article 130 de la Loi, une agente principale des appels de la Direction des recours a signifié par écrit à la demanderesse un avis des motifs de la saisie et lui a demandé de fournir certains renseignements. La lettre a aussi été transmise aux Opérations des programmes voyageurs de l’ASFC à Windsor, accompagnée d’une demande de renseignements supplémentaires. La Direction des recours a reçu la réponse de l’ASFC le 9 novembre 2015, et une agente principale des appels l’a transmise à la demanderesse dans une lettre datée du 12 novembre 2015. Il était mentionné dans ladite lettre que l’agent des services frontaliers avait déclaré que ce n’était pas la première fois que la demanderesse était trouvée en possession de drogues contrôlées sans ordonnance. Il y était également indiqué que la demanderesse disposait de 15 jours pour présenter tout renseignement ou document supplémentaire qu’elle estimait utile pour aider la Direction des recours à rendre sa décision. La demanderesse a répondu par téléphone le 24 novembre 2015. Le 18 mai 2016, l’avocat du ministre a envoyé à la demanderesse un formulaire d’interrogatoire par écrit portant sur une autre saisie effectuée en février 2012. La demanderesse a répondu à l’interrogatoire le 18 juillet 2016.
[4]
Le 26 janvier 2016, l’agente principale des appels a dressé un résumé de l’affaire et formulé une recommandation dans laquelle elle concluait, conformément à l’article 131 de la Loi sur les douanes, qu’il y avait eu infraction à la Loi ou à ses règlements relativement aux marchandises et au moyen de transport saisis et que, conformément à l’article 133 de la Loi, les 6 comprimés de lorazépam saisis et la somme de 220 $ versée en contrepartie de la restitution du véhicule saisi tiendraient lieu de confiscation. Dans une lettre datée du 16 février 2016, la Direction des recours a informé la demanderesse que le ministre avait rendu une décision conforme à la recommandation susmentionnée. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire (la décision).
Décision faisant l’objet du contrôle
[5]
La Direction des recours a précisé que la décision avait été rendue à la suite d’un examen de la mesure d’exécution, des éléments de preuve et du droit applicable au dossier de la demanderesse, de même que d’un examen attentif des documents fournis par la demanderesse et du bureau émetteur de l’ASFC. La Direction des recours a établi, conformément à l’article 131 de la Loi sur les douanes, qu’il y avait eu infraction à la Loi ou à ses règlements et que, conformément à l’article 133 de la Loi, les 6 comprimés de lorazépam saisis et la somme de 220 $ versée en contrepartie de la restitution du véhicule saisi tiendraient lieu de confiscation.
[6]
Dans ses motifs, la Direction des recours mentionne que la demanderesse a fourni une copie de son ordonnance pour les comprimés. Elle conclut toutefois que la demanderesse était tenue, conformément au paragraphe 12(3.1) de la Loi, de déclarer les comprimés à l’ASFC même s’ils provenaient du Canada puisque, aux fins de la déclaration de marchandises aux termes du paragraphe 12(1), le fait de faire entrer des marchandises au Canada après leur sortie du pays constitue une importation. De plus, l’importation de lorazépam est contrôlée aux termes de l’article 6 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996 c 19, et l’origine canadienne des marchandises n’a aucune incidence sur une mesure d’exécution prise en application du paragraphe 12(7) de la Loi sur les douanes.
[7]
La décision précise que même si le lorazépam avait été obtenu au Canada au moyen d’une ordonnance, les comprimés ne se trouvaient pas dans un emballage dûment étiqueté par une pharmacie ou un hôpital, et ils n’ont pas été déclarés à l’ASFC au moment de l’importation. Plus précisément, les comprimés n’ont pas été importés conformément aux dispositions de l’Exemption accordée en vertu de l’article 56 aux voyageurs qui importent ou exportent des produits pharmaceutiques d’ordonnance contenant un stupéfiant ou une drogue contrôlée, qui impose des conditions particulières pour l’importation des drogues contrôlées pour usage personnel.
[8]
Au vu des renseignements à sa disposition, la Direction des recours a établi que les comprimés de lorazépam n’avaient pas été dûment déclarés à l’ASFC, en contravention de l’article 12 de la Loi sur les douanes. Par conséquent, les comprimés et le moyen de transport utilisé pour les importer ont été légalement saisis à titre de confiscation en application de l’article 110 de la Loi. Les conditions d’importation stipulées dans l’Exemption accordée en vertu de l’article 56 n’ayant pas été remplies, les comprimés ont tenu lieu de confiscation. De plus, il a été tranché que la pénalité de 220 $ imposée pour la restitution du moyen de transport était une mesure d’exécution appropriée compte tenu des circonstances lui ayant donné lieu, et que cette mesure était compatible avec celles qui avaient été prises dans des circonstances analogues.
[9]
La décision indique que la demanderesse disposait d’un délai de 90 jours après l’envoi par la poste de la décision fondée sur l’article 131 pour en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale, conformément à l’article 135 de la Loi sur les douanes. Pour interjeter appel de la décision fondée sur l’article 133 de la Loi sur les douanes, la demanderesse pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, SRC 1985 c F-7, normalement dans les 30 jours suivant la date d’envoi de la décision par la poste.
Compétence
[10]
La défenderesse fait valoir que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour cause d’absence de compétence puisque la demanderesse conteste le constat d’infraction établi conformément à l’article 131 de la Loi sur les douanes et doit donc procéder par voie d’une action devant notre Cour.
[11]
Selon la défenderesse, la décision rendue par le ministre par suite d’une demande de révision comporte deux volets. Premièrement, conformément à l’article 131, le ministre étudie les circonstances et décide s’il y a eu infraction à la Loi. Deuxièmement, le ministre établit, conformément à l’article 133, si la pénalité imposée était appropriée. Il s’agit de deux décisions distinctes et, conformément à la Loi sur les douanes, elles doivent faire l’objet de deux contestations distinctes. L’article 131 porte sur le motif de l’infraction alléguée à la Loi ou à ses règlements qui a donné lieu à la saisie de marchandises importées. Il importe de souligner que le paragraphe 131(3) est une disposition privative prévoyant qu’une décision rendue en application du paragraphe 131(1) n’est susceptible d’appel, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 135(1). Aux termes du paragraphe 135(1), une personne qui demande au ministre de rendre une décision fondée sur l’article 131 peut, dans les 90 jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale.
[12]
Par contre, l’article 133 autorise le ministre à imposer une sanction conformément à l’article 133 s’il estime, conformément à l’article 131, que des motifs d’infraction à la Loi ou à ses règlements ont été valablement retenus relativement aux marchandises et aux moyens de transport visés à cet article. Ainsi, il doit y avoir eu constat d’infraction pour qu’une décision soit rendue en application de l’article 133, mais cette décision vise uniquement la pénalité imposée pour sanctionner l’infraction. Pour interjeter appel d’une décision fondée sur l’article 133, la personne visée par la pénalité doit soumettre une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, conformément au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.
[13]
Par conséquent, seule la décision du ministre à l’égard de la pénalité imposée en application de l’article 133 peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le constat d’infraction établi en application de l’article 131 peut seulement être attaqué par voie d’action (Nguyen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 724, au paragraphe 20 [Nguyen]).
[14]
La défenderesse soutient que pour établir si elle a compétence pour connaître d’une demande, notre Cour doit cerner la nature essentielle du litige en se fondant sur une [traduction] « appréciation réaliste du résultat concret visé par le demandeur »
(Leroux v Canada Revenue Agency, 2012 BCCA 63, au paragraphe 20). Comme la demande de contrôle judiciaire en l’espèce vise essentiellement à contester le constat d’infraction établi par la Direction des recours en application de l’article 131 de la Loi sur les douanes, la défenderesse estime qu’elle doit être rejetée pour cause d’absence de compétence.
[15]
La demanderesse, qui se représente elle-même, n’a présenté aucune observation de fond sur la question de la compétence.
[16]
Le juge Shore se prononce à ce sujet dans la décision Nguyen :
[19] La demanderesse conteste, par la présente demande de contrôle judiciaire, le constat d’infraction à la Loi fait par le ministre en vertu de l’article 131 de la Loi. Le paragraphe 131(3) de la Loi est une clause privative de la Loi sur les douanes qui prévoit que les décisions rendues en vertu de l’article 131 de la Loi ne sont susceptibles d’appel que selon les modalités prévues au paragraphe 135(1) de la Loi, lequel prévoit que la décision prise par le ministre en vertu de l’article 131 de la Loi ne peut faire l’objet d’un appel que par voie d’action.
[20] La Loi n’accorde aucun droit d’appel semblable en ce qui concerne les décisions prises par le ministre en vertu de l’article 133 de la Loi, lequel dispose que, s’il décide, en vertu de l’article 131 de la Loi, qu’il y a eu infraction à la Loi, le ministre peut infliger une amende ou prendre toute autre mesure de réparation applicable telle que la restitution des marchandises à la réception d’un montant déterminé. En conséquence, la décision prise en vertu de l’article 133 est souvent tributaire du constat d’infraction à la Loi. Ces deux décisions sont néanmoins distinctes et elles doivent être contestées séparément. La décision prise en vertu de l’article 131 de la Loi relativement à une infraction à l’article 12 de la Loi ne peut être portée en appel que par voie d’action devant notre Cour. Quant à la décision rendue en vertu de l’article 133 de la Loi au sujet de la restitution des marchandises, elle ne peut être contestée que par voie de demande de contrôle judiciaire introduite conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c F-7.
[Souligné dans l’original.]
(Voir également : Hamod c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 937, aux paragraphes 16 et 17; Pounall c Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CF 1260, au paragraphe 15; Conseil des Mohawks d’Akwesasne c Toews, 2012 CF 1442, au paragraphe 21; Akinwande c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 C 963, aux paragraphes 10 et 11).
[17]
Je souligne que la décision évoque la procédure d’appel applicable aux décisions fondées sur l’article 131 et sur l’article 133. Cela dit, pour les parties qui se représentent elles-mêmes, il est loin d’être évident de choisir entre les deux processus d’appel possibles pour une même décision, même s’ils visent deux dispositions distinctes (Nguyen, au paragraphe 21).
[18]
Quoi qu’il en soit, la défenderesse a raison d’affirmer que notre Cour n’a pas compétence pour instruire la présente demande de contrôle judiciaire du volet de la décision se rapportant à l’article 131, c’est-à-dire la question de savoir s’il y a eu infraction à la Loi sur les douanes ou à ses règlements. En revanche, il m’est impossible de conclure que la contestation en l’espèce vise essentiellement le volet de la décision se rapportant à l’article 131 et que le rejet réclamé par la défenderesse est par conséquent justifié.
[19]
Dans la décision Nguyen, la preuve et l’argumentation de la demanderesse visaient strictement à établir qu’elle n’avait pas enfreint la Loi. Elle n’a produit aucun élément de preuve ou argument en réponse à la décision du ministre concernant la restitution des marchandises saisies, rendue en application de l’article 133. Dans la présente affaire, la demanderesse a saisi l’ASFC d’un premier appel par lequel elle réclamait la restitution des 220 $ versés en contrepartie de la restitution du moyen de transport, soit le véhicule à bord duquel elle est entrée au Canada, ainsi que la radiation de son dossier de toute mention de l’affaire. À l’appui de sa demande, elle a fourni une copie d’une ordonnance obtenue le 9 juillet 2015 sur laquelle figurait le lorazépam, un formulaire d’autorisation de renouvellement de son médecin et un historique de renouvellement de médicaments d’ordonnance provenant d’une pharmacie. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 février 2016 par laquelle la Direction des recours ordonnait la confiscation des 6 comprimés de lorazépam ainsi que des 220 $ versés en contrepartie de la restitution de son véhicule. En guise de réparation, elle demande la restitution des 6 comprimés et des 220 $, ainsi que la radiation de toute mention de l’affaire de son dossier de l’ASFC. Elle a joint les documents soumis pour son appel initial à l’affidavit fourni pour la présente demande. Elle insiste dans l’affidavit sur le fait qu’on ne lui a pas restitué les comprimés et les 220 $ réclamés dans l’appel initial. L’exposé des faits et du droit de la demanderesse comporte seulement deux paragraphes, également centrés sur la pénalité [traduction] : « J’ai envoyé tous les documents requis à Ottawa (la Direction des recours de l’ASFC) pour obtenir la restitution de mon argent et des comprimés, mais ils n’ont pas été acceptés. Ils ont pris la décision de retenir mes 6 comprimés et la somme de 220 $. Ils m’ont informée que j’avais le droit d’en appeler devant la Cour fédérale du Canada. »
[20]
Comme je l’ai déjà mentionné, la demanderesse s’est représentée elle-même. L’anglais n’est pas sa langue maternelle. Cependant, même si ses observations et son argumentation sont limitées, il est clair qu’elles sont axées sur la pénalité imposée. De toute évidence, la pénalité imposée représente un élément essentiel de la demande dont notre Cour est saisie et de la décision de la Direction des recours fondée sur l’article 133. Par conséquent, comme la demanderesse met en cause le caractère approprié de la décision de confisquer les 6 comprimés de lorazépam saisis et la somme de 220 $ perçue en contrepartie de la restitution du véhicule saisi, notre Cour est compétente pour examiner sa demande.
[21]
Je souligne par ailleurs que la demanderesse a présenté peu d’éléments de preuve à l’appui de son opposition au constat d’infraction établi aux termes de l’article 131 de la Loi sur les douanes. Elle s’en est tenue à dire que le formulaire type de déclaration ne mentionne pas l’obligation de déclarer les drogues contrôlées obtenues sous ordonnance, ce qui est exact, et que les agents de l’ASFC ne l’ont pas interrogée d’emblée à ce sujet lors de l’inspection primaire ou lorsqu’elle a été détenue pendant l’inspection secondaire – ils l’ont fait seulement après la fouille.
[22]
Cependant, la demanderesse ne peut plus attaquer la décision fondée sur l’article 131, pour quelque motif que ce soit, puisque la période de 90 jours pour intenter une action est expirée et qu’elle n’a pas demandé de dispense de cette exigence.
La décision fondée sur l’article 133 était-elle raisonnable?
[23]
La défenderesse soutient que la seule question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire a trait au caractère raisonnable de la décision de la Direction des recours fondée sur l’article 133 de la Loi sur les douanes. Je conviens qu’une décision rendue sous le régime de l’article 133 est discrétionnaire et doit reposer sur les faits. Elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Shin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1106, au paragraphe 47 [Shin]; United Parcel Service Canada Ltd. c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 204, aux paragraphes 40 à 43).
[24]
Lorsque la Cour est appelée à trancher le caractère raisonnable d’une décision, elle doit intervenir seulement si le délégué a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiée et intelligible, et si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Shin, au paragraphe 48; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).
[25]
Selon la défenderesse, la demanderesse n’a fourni aucune preuve ou aucun argument qui permettrait de considérer la décision comme illégale ou déraisonnable. Les motifs détaillés de la décision ont été remis à la demanderesse, et l’amende à payer en contrepartie de la restitution du moyen de transport a été fixée à 220 $, soit le montant minimum prescrit dans le Manuel de l’exécution des douanes pour une infraction à la Loi sur les douanes consistant à introduire illégalement une substance contrôlée d’une quantité inférieure à 10 comprimés lorsque l’auteur de l’infraction a des antécédents de contrebande de drogues. Les six comprimés saisis ont aussi tenu lieu de confiscation.
[26]
À mon avis, la décision de la Direction des recours était raisonnable. Elle a assorti sa décision de motifs intelligibles et expliqué les arguments juridiques fondant le constat d’infraction à la Loi sur les douanes et la pénalité imposée à la demanderesse. La Direction a notamment expliqué que les six comprimés de lorazépam, une substance contrôlée, ont été saisis et confisqués parce qu’ils n’ont pas été dûment déclarés. Il a été établi que la pénalité de 220 $ imposée pour la restitution du moyen de transport était une mesure d’exécution appropriée compte tenu des circonstances lui ayant donné lieu, et que cette mesure était compatible avec celles qui avaient été prises dans des circonstances analogues.
[27]
Comme l’a mentionné la défenderesse, l’imposition d’une pénalité de 220 $ était conforme aux modalités du Manuel d’exécution des douanes de l’ASFC (dont une copie a été versée au dossier) pour la restitution d’un moyen de transport utilisé pour la contrebande de drogues pour usage personnel. L’amende imposée est celle qui est recommandée dans le Manuel pour l’importation de moins de 10 comprimés d’une drogue contrôlée par une personne ayant des antécédents de contrebande de drogue.
[28]
Dans le cas de la demanderesse, le rapport de l’agent Cormier évoque une saisie de stupéfiants effectuée en 2011, mais la source de l’information n’est pas donnée. L’ASFC n’a d’ailleurs fourni aucun document attestant que la demanderesse aurait fait l’objet d’une saisie en 2011 ou à un autre moment. Elle a plutôt transmis à la demanderesse un interrogatoire par écrit contenant six questions. Notamment, on lui a demandé si, à son retour d’un voyage au Nicaragua en février 2012, elle avait fait l’objet d’une mesure d’exécution par l’ASFC à l’Aéroport international Pearson de Toronto relativement à l’importation de médicaments d’ordonnance. La saisie en question visait 20 comprimés non déclarés de médicaments d’ordonnance – que l’on croyait être du chlordiazépoxide – retrouvés dans un contenant mal identifié et pour lesquels elle n’avait pas d’ordonnance valide.
[29]
La demanderesse a nié qu’elle importait des médicaments d’ordonnance, affirmant qu’elle les avait en sa possession pour son usage personnel. Elle a aussi réfuté l’allégation comme quoi elle avait omis de déclarer ses médicaments d’ordonnance en faisant valoir que le formulaire de déclaration type, dont une copie a été fournie, ne mentionne pas cette obligation et qu’on ne l’a pas interrogée sur ses médicaments. Elle a admis qu’elle n’avait pas son ordonnance avec elle à son retour en 2012, mais qu’elle en avait produit une copie ultérieurement. La demanderesse s’est dite étonnée que cet incident puisse figurer à son dossier de l’ASFC, faisant observer qu’elle n’avait pas compris le sens de « saisie »
et les conséquences, ni qu’elle devait faire des démarches pour que l’incident soit radié de son dossier. Il a fallu les explications de son compagnon, qui l’accompagnait quand le second incident est survenu en août 2015, pour qu’elle comprenne ce qui se passait. En résumé, même si les réponses de la demanderesse n’étaient pas très claires, elle a fini par admettre que des comprimés lui avaient été confisqués en 2012 et qu’à l’époque, elle n’avait pas d’ordonnance en main.
[30]
Même si elle a expliqué qu’elle n’avait pas compris l’importance de la première saisie et de ses conséquences subséquentes, ses réponses suffisent pour confirmer que l’événement a eu lieu. Je considère donc que l’amende de 220 $ imposée pour la restitution du moyen de transport était raisonnable compte tenu de l’omission de la demanderesse de déclarer les 6 comprimés de lorazépam et de ses antécédents en matière de saisie, tout comme la décision de confisquer ces comprimés et la somme perçue.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 25e jour de novembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-536-16
|
INTITULÉ :
|
FARZANEH KASHEFI c AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA CS-77788/4531-0842
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 20 octobre 2016
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE STRICKLAND
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 28 octobre 2016
|
COMPARUTIONS :
Farzaneh Kashefi
|
POUR SON PROPRE COMPTE
|
Jacob Pollice
|
Pour la défenderesse
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour la défenderesse
|