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Date : 20161014


Dossier : IMM-838-16

Référence : 2016 CF 1142

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

JENIFFER CHINYERE OKECHUKWU OKOH KASIE SOPHIA OKECHUKWU

PRECIOUS CHIAMAKA OKECHUKWU

KOSISOCHUKWU FRANCIA OKECHUKWU

CHIDUBEM HENRY OKECHUKWU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 29 janvier 2016, dans laquelle la SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (« la LIPR »).

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. La principale demanderesse, Jeniffer Chinyere Okechukwu Okoh, est une veuve née le 17 septembre 1972. Elle est la représentante désignée de ses quatre enfants mineurs (Kasie Sophia Okechukwu, Precious Okechukwu, Chidubem Henry Okechukwu et Kosisochukwu Francis Okechukwu). La famille est arrivée au Canada le 17 mars 2015.

[3]               À l’audience de la SPR, Mme Okoh a soutenu qu’elle avait été victime de violence conjugale et qu’elle et ses enfants vivaient dans une crainte fondée de persécution de la part du frère de son défunt mari. Le 13 février 2015, suite à une agression et à des menaces de mort proférées dans le contexte de la liquidation de la succession de son mari, elle a été forcée de quitter sa ville de résidence, Onitsha, et déménager avec ses quatre enfants à Lagos, ville de résidence de son frère. Elle a témoigné que son beau-frère et les agents qu’il avait embauchés ont réussi à la retrouver quelques jours plus tard et ont tenté de l’assassiner. Ses cris à l’aide ont permis d’empêcher l’attaque. Cet événement l’a amenée à fuir le Nigéria et à demander asile au Canada.

[4]               Les demandeurs ont été entendus par la SPR le 24 juin 2015. La SPR a conclu que la question déterminante dans la demande était la crédibilité, soulignant les nombreuses incohérences relevées dans les éléments de preuve et dans le témoignage de la principale demanderesse. Parmi les éléments de preuve soumis par la SPR figure une évaluation psychologique préparée par la Dre J. Pilowsky confirmant que la principale demanderesse souffre de trouble de stress post-traumatique (TPST). Une décision défavorable a été rendue le 31 juillet 2015. Les demandeurs ont interjeté appel de la décision auprès de la SAR.

II.                DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]               Le tribunal de la SAR a procédé à sa propre évaluation de la décision de la SPR. Le tribunal a observé qu’en vertu de la LIPR, il a le pouvoir de confirmer la décision de la SPR ou de lui substituer sa propre décision. En confirmant la conclusion de la SPR, la SAR a affirmé qu’elle n’était pas liée par le raisonnement à la base de la décision de la SPR. Cela ressort clairement, a-t-elle affirmé, de l’utilisation du mot « conclusion » aux alinéas 111(1)a) et b). En outre, selon la SAR, les restrictions en matière de renvoi au paragraphe 111(2) suggèrent que l’intention du législateur était d’amener la SAR à finaliser les demandes d’asile dans la mesure où elle pourrait le faire équitablement, notamment en confirmant une conclusion selon des motifs subsidiaires.

[6]               Selon la SAR, la seule question dont elle était saisie était de savoir s’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour les demandeurs au Nigéria.

[7]               La SPR disposait d’éléments de preuve démontrant l’existence d’une PRI accessible et raisonnable, qui était la question déterminante. La SAR a souligné le fait que bien que la SPR ait interrogé les demandeurs quant à l’existence d’une PRI, elle n’a pas formulé de conclusions à ce sujet. La SAR a procédé à sa propre évaluation d’une PRI en fonction du dossier dont elle était saisie. Notamment, la SAR a invité l’avocat des demandeurs à soumettre ses observations concernant la PRI, qu’elle a reçues et examinées. Elle a conclu qu’il existait des PRI viables dans les villes d’Ibadan, Abuja, Benin City et Lagos.

[8]               Pour en arriver à cette conclusion, la SAR a tenu compte des directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe (directive numéro 4  du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe) ainsi que du contexte social et culturel ayant donné lieu aux allégations de la principale demanderesse. La SAR a également pris en considération les directives du président sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié.

[9]               Dans son évaluation de la PRI, la SAR a établi et appliquée le critère à deux volets qui figure dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), modifié convenablement pour tenir compte de la section 97 de la LIPR.

[10]           La SAR a souligné que le fardeau de prouver qu’aucune PRI n’existe dans les circonstances repose sur les demandeurs. La SAR a également noté que la PRI doit être une option réaliste et abordable. Par conséquent, on ne peut exiger d’un demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer : Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] CF 589 (CA).

[11]           La SAR s’est fondée sur la directive opérationnelle relative au Nigéria rédigée par le Home Office du Royaume-Uni, qui stipule qu’une réinstallation à l’intérieur du pays pour échapper à des mauvais traitements de la part d’agents non étatiques est presque toujours une option et qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, il ne serait pas trop sévère pour une personne de se réinstaller à l’intérieur du pays.

[12]           La SAR a souligné que Lagos compte plus de 28 millions d’habitants et est l’un des plus importants ports du Nigéria. La SAR a déterminé qu’aucune preuve convaincante n’a été soumise pour démontrer que la principale demanderesse ne pourrait obtenir un emploi à Lagos, ou habiter dans une autre partie de Lagos, loin de la maison de son frère. La SAR a également noté que les problèmes rencontrés par la principale demanderesse avec la famille de son défunt marin étaient de nature locale. La SAR a examiné le profil et l’influence des agents de persécution relativement à la PRI. Aucun élément de preuve au dossier ne m’a convaincu qu’ils seraient en mesure de retrouver les demandeurs ailleurs à Lagos ou dans d’autres villes du Nigéria.

[13]           La SAR a également examiné le caractère raisonnable de la PRI dans les villes d’Ibadan, Abuja, Benin City ou Lagos. Elle a souligné que le critère de caractère raisonnable consisterait à déterminer s’il serait trop sévère de s’attendre à ce que les demandeurs déménagent dans une région moins hostile du pays avant de demander asile à l’étranger. La SAR a souligné que l’existence d’une PRI dans les villes d’Ibadan, Abuja, Benin City ou Lagos ne dépend pas de la taille de ces villes. La SAR a plutôt tenu compte de l’ensemble de la preuve, y compris le fait que les demandeurs ont affirmé être des chrétiens pratiquants et que les preuves documentaires ont montré que les populations des villes d’Ibadan et Lagos, à tout le moins, sont principalement chrétiennes. La SAR a conclu que les demandeurs disposeraient de sources d’aide morale et spirituelle et de soutien dans l’une ou l’autre de ces villes. Finalement, la SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas produit de preuve convaincante pour indiquer qu’ils seraient obligés de vivre dans la clandestinité dans les villes d’Ibadan, Abuja, Benin City ou Lagos.

[14]           Compte tenu de ce qui précède, la SAR a conclu qu’une PRI viable existait pour les demandeurs. La question de la PRI est déterminante et la SAR n’a pas vu la nécessité d’examiner les autres motifs invoqués en appel.

III.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[15]           Les dispositions pertinentes de la LIPR sont rédigées comme suit :

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

[En blanc/Blank]

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

[En blanc/Blank]

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

[En blanc/Blank]

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

Renvoi

Referrals

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 Était-il loisible à la SAR de rejeter l’appel pour un motif autre que celui établi par la SPR?

C.                 Est-ce que la SAR a commis une erreur en déterminant qu’une PRI viable existait pour les demandeurs dans les villes de Lagos, Ibadan, Abuja et Benin City?

V.                ANALYSE

A.                Norme de contrôle

[17]           La norme de contrôle applicable par notre Cour à la décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30, 34 et 35.

[18]           La norme de contrôle appliquée par la SAR aux décisions de la SPR est celle de la décision correcte. Dans Huruglica, au paragraphe 78, la Cour d’appel a conclu que :

...la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un  autre fondement...

[Non souligné dans l’original.]

[19]           Même s’il est vrai que la SAR n’a pas pu s’inspirer de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica, elle a tout de même conclu qu’elle effectuerait sa propre analyse de la décision de la RPS et déterminerait de façon autonome si les demandeurs sont des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger. Les demandeurs n’ont pas contesté la portée du contrôle par la SAR de la décision de la SPR.

[20]           L’existence d’une PRI viable est une enquête sur les faits fondée sur les éléments de preuve et examinée selon la norme de la décision raisonnable : Segura Agudelo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 465, au paragraphe 17; Shehzad Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 21.

B.                 Était-il loisible à la SAR de rejeter l’appel pour un motif autre que celui établi par la SPR?

[21]           Cette question n’a pas été soulevée par les demandeurs, mais a été portée à l’attention de la Cour par l’avocat du défendeur en raison d’une décision récente du juge Richard Bell : Angwah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 654.

[22]           Les faits dans  Angwah ressemblent beaucoup à ceux en l’espèce.  Dans cet arrêt, la SPR a déterminé que la question déterminante était la crédibilité en raison d’un certain nombre de contradictions dans le témoignage du demandeur. En appel, la SAR a confirmé le rejet de la demande, mais pour un motif subsidiaire, à savoir qu’il existait une PRI accessible et viable.

[23]           Toutefois, contrairement à e qu’elle a fait dans la présente instance, la SAR a expressément indiqué, dans Angwah, qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si la SPR avait commis une erreur susceptible de révision en tirant ses conclusions à l’égard de la crédibilité.

[24]           Dans cette affaire, la SAR a cité des passages de la décision du juge Michael Phelan dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2014 CF 799, aux paragraphes 54 et 55.  Adoptant la formulation du juge Phelan, la SAR a indiqué qu’elle « peut reconnaître et respecter la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité et/ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion...  ».

[25]           Dans son analyse du bien-fondé de l’appel, la SAR a souligné d’emblée que les demandeurs avaient admis qu’il y avait quelques problèmes de crédibilité relativement au témoignage écrit et oral de la principale demanderesse. Ils ont cherché à faire annuler les conclusions de la SPR pour le motif que la principale demanderesse a introduit des erreurs dans les éléments de preuve en raison des effets de son TPST. La SAR a fait référence aux arguments que les demandeurs ont soulevés sur le caractère raisonnable des conclusions de la SPR concernant la crédibilité. Le tribunal a conclu ses observations sur les conclusions en indiquant que « l’avocat a abordé ces questions dans ses observations après l’audience, mais le tribunal n’y a pas accordé d’importance ». À mon avis, ces remarques indiquent que la SAR n’a décelé aucune erreur dans les conclusions sur la crédibilité du SPR, bien qu’elle ne l’ait pas exprimé expressément. La SAR s’est ensuite concentrée sur la question de la PRI. La question consiste à déterminer si elle était autorisée à trancher cette question alors qu’elle n’avait pas décelé d’erreur dans les conclusions de la SPR.

[26]           Dans Angwah, la SAR a conclu que, selon son pouvoir légal de confirmer ou de substituer une décision de la SPR aux termes des alinéas 111(1) a) et b) de la Loi, elle peut confirmer la décision de la SPR selon des motifs subsidiaires et traiter uniquement la question de la PRI sans conclure que la SPR a commis une erreur. La SAR a déterminé que la SPR avait examiné à fond la question de la PRI, mais n’a tiré aucune conclusion à ce sujet. Avant de tirer une conclusion selon le motif subsidiaire, la SAR a offert à l’avocat la possibilité de soumettre d’autres observations sur la question de la PRI, comme cela a été fait dans cette affaire.

[27]           Dans la demande de contrôle judiciaire soumise au juge Bell, le demandeur a soutenu que la SAR a commis une erreur en tranchant l’appel selon des motifs autres que ceux pris en compte dans la décision de la SPR. Le juge Bell a déterminé que la norme de contrôle appropriée pour trancher la question était la norme de la décision raisonnable puisque cette question relevait entièrement de la compétence de la SAR et n’était pas d’application générale : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Huruglica, précité. Il a conclu, après l’examen de la législation et de la jurisprudence citées par le demandeur, que la SAR « dispose du pouvoir discrétionnaire pour prendre une décision à l’égard de cette question » : Angwah, au paragraphe 15. Je souscris à cette conclusion.

[28]           Le juge Bell a ajouté, toutefois, que « lorsque la SAR confirme une décision de la SPR sur un autre fondement, elle doit le faire après avoir signalé une erreur dans la décision prise par la SPR » : Angwah, au paragraphe 16, citant Huruglica aux paragraphes 78 et 103. Ces alinéas se lisent comme suit :

78 À cette étape-ci de mon analyse, je conclus que la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de droit et de fait. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un  autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle détermine qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111[2]b] de la LIPR).

...

103 Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile.  L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[29]           Par conséquent, le juge Bell a déterminé que la SAR n’a pas conclu que la SPR avait commis cette erreur. En outre, la SAR n’a pas énoncé clairement qu’elle s’est détournée des conclusions de la SPR en matière de crédibilité et qu’elle a pris en compte de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à la SPR. Par conséquent, le juge Bell a conclu que la décision de la SAR n’était ni transparente ni intelligible et ne respectait pas le critère de la décision raisonnable.

[30]           Je comprends que les paragraphes cités dans la décision de la Cour d’appel dans Huruglica peuvent être interprétés comme une exigence à l’égard de la SAR qu’elle conclut à une erreur de la part de la SPR avant de pouvoir examiner un motif subsidiaire pour confirmer la décision de rejeter la demande. Je ne suis pas convaincu, toutefois, que le but visé par les législateurs ou la Cour d’appel était de restreindre ainsi la compétence de la SAR. À mon avis, cela serait contraire à l’intention évidente du législateur que les affaires entendues par la SAR ne soient pas renvoyées à la SPR pour un nouvel examen à moins qu’il ait clairement été établi : a) que la SPR a commis des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit; ou b) que la SAR ne peut prendre de décision sans entendre la preuve, tel que décrit au paragraphe 111 (2) de la LIPR.

[31]           À la lumière du dossier, je conclus que la SAR était convaincue du bien-fondé de la décision de la SPR relativement à la crédibilité, mais a décidé de trancher l’appel selon les motifs liés à la PRI puisque cette question serait déterminante, quelle que soit l’issue. Je ne trouve aucun motif pour modifier ce résultat.

C.                 Est-ce que la SAR a commis une erreur en déterminant qu’une PRI viable existait pour les demandeurs dans les villes de Lagos, Ibadan, Abuja et Benin City?

[32]           Les demandeurs font valoir que dans la conclusion quant à l’existence d’une PRI, le facteur sous-jacent à prendre en compte est la question à savoir s’il est objectivement raisonnable pour les demandeurs de vivre dans le refuge intérieur proposé sans crainte de persécution : Kulanthavelu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1273, au paragraphe 8. Ils soutiennent que, compte tenu du fait qu’ils se sont déjà relogés à au moins une des PRI suggérées à Lagos, où ils ont été retracés et où la principale demanderesse a été menacée et attaquée par l’agent de persécution, il était déraisonnable pour la SAR de conclure qu’ils seraient en sécurité dans cette ville. Puisque Lagos est encore plus loin de l’autre PRI suggérée, il existe une possibilité sérieuse que le beau-frère de la principale demanderesse puisse les retrouver dans l’une des autres villes proposées.

[33]           En ce qui concerne le deuxième volet du critère touchant la possibilité de refuge intérieur, les demandeurs prétendent que la SAR n’a pas tenu compte des preuves à la lumière des directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe.  La principale demanderesse est veuve et a quatre enfants mineurs (dont l’âge varie de 13 à 17 ans); elle ne peut vivre dans la clandestinité et doit pouvoir se déplacer librement dans l’intérêt de ses enfants. Les villes proposées ne lui permettraient pas de se déplacer librement. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte des difficultés qu’ils subiraient s’ils devaient déménager et s’établir dans l’une des villes proposées : Kayumba c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 138.

[34]           Les demandeurs soutiennent également que la SAR n’a pas tenu compte du rapport d’examen psychologique figurant au dossier, qui indique que la principale demanderesse présente un trouble d’anxiété et un TSPT. Ils font valoir que si cet élément de preuve crucial avait été pris en considération par la SAR, le tribunal en serait arrivé à une autre conclusion.

[35]           Les demandeurs qui tentent de démontrer qu’une IPR suggérée est déraisonnable portent un lourd fardeau : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 RCF 164, aux paragraphes 15 à 17, citant Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] CF 589 (CA) :

[15] Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d’appel, indique qu’il faille placer la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne.

[16] Il y a au moins deux motifs qui font qu’il est important de ne pas baisser la barre. Premièrement, comme notre Cour l’a dit dans Thirunavukkarasu [à la page 599], la définition de réfugié au sens de la Convention exige que «les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d’origine et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays ». En d’autres mots, ce qui fait qu’une personne est un réfugié au sens de la Convention, c’est sa crainte d’être persécutée par son pays d’origine quel que soit l’endroit où elle se trouve dans ce pays. Le fait d’élargir ou de rabaisser la norme d’évaluation du caractère raisonnable de la PRI dénature de façon fondamentale la définition de réfugié: on devient un réfugié sans avoir la crainte d’être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays.

[36]           Selon la Cour, la SAR n’a pas mal interprété la preuve relative à la question à savoir si les demandeurs disposaient d’une PRI viable, pas plus qu’elle n’a fait fi de la preuve se rapportant aux circonstances des demandeurs.

[37]           La SAR a conclu que les demandeurs pouvaient habiter Lagos, une ville de 28 millions d’habitants, loin de la maison du frère de la demanderesse principale. L’absence de membres de la famille dans d’autres parties de Lagos ou dans d’autres villes rendrait difficile leur relocalisation, mais la SAR a raisonnablement conclu que les difficultés associées à la relocalisation ne sont pas de nature à rendre la PRI déraisonnable.

[38]           Les demandeurs n’ont pas fourni de preuve démontrant que le beau-frère de la principale demanderesse pourrait influencer le travail de la police ou accéder à des ressources pour retrouver les demandeurs s’ils se relocalisaient à l’intérieur du pays. L’assertion de la principale demanderesse est fondée uniquement sur le fait que son beau-frère est un homme sophistiqué, qui a beaucoup voyagé. Il n’a pas été difficile de trouver les demandeurs au domicile de son frère, à Lagos. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure qu’une PRI pourrait exister à l’écart du domicile du frère.

[39]           Il est clair que la SAR n’a pas omis de prendre en compte les Directives sur la persécution fondée sur le sexe ou les Directives concernant les enfants qui revendiquent le statut de réfugié puisqu’elle y fait référence dans sa décision. Le rapport psychologique fourni par la Dre Pilowsky, qui est assez courant dans le cadre des demandes d’asile, a été peu utile pour trancher la question de la PRI, puisqu’il ne portait pas sur les conditions au Nigéria et ne tenait pas compte des effets psychologiques de la relocalisation à l’intérieur du pays.

[40]           Compte tenu des éléments de preuve, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs s’adapteraient vraisemblablement à leur nouvel environnement, poursuivraient leurs études et trouveraient des emplois, et qu’ils n’auraient pas à vivre dans la clandestinité dans l’un des endroits proposés comme PRI.

[41]           Par conséquent, la Cour conclut que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[42]           Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-838-16

INTITULÉ :

JENIFFER CHINYERE OKECHUKWU OKOH

KASIE SOPHIA OKECHUKWU

PRECIOUS CHIAMAKA OKECHUKWU

KOSISOCHUKWU FRANCIA OKECHUKWU

CHIDUBEM HENRY OKECHUKWU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 14 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Peter Obuba Kalu

Pour les demandeurs

Bridget A. O’Leary

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Obuba Kalu

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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