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Date : 20161017


Dossier : IMM-699-16

Référence : 2016 CF 1153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

TENZING YESHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Yeshi, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et a établi qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

I.                   Aperçu

[2]               Le demandeur prétend être un apatride d’origine ethnique tibétaine. Il est né en Inde, mais prétend qu’il n’a pas la citoyenneté indienne. Il se dit être un disciple du dalaï-lama et il craint d’être renvoyé en Chine, où il serait persécuté en raison de ses croyances religieuses et de ses opinions politiques. Il prétend également qu’il ferait face à la discrimination en Inde et qu’il se verrait refuser un passeport indien.

[3]               La SAR a conclu que le demandeur était un citoyen de l’Inde de naissance et qu’en raison de sa décision de ne pas exercer son droit à la citoyenneté indienne, il ne peut demander l’asile au Canada. La SAR a également conclu que la crainte de persécution en Inde n’était pas fondée.

[4]               En ce qui concerne le contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la SAR a enfreint l’équité procédurale en s’appuyant sur la décision de la Cour fédérale dans Tashi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1301, [2015] ACF no 1412 (QL) [Tashi], qui a été rendue après qu’il a mis en état son appel, et en s’appuyant sur des éléments de preuve qui ne figuraient pas dans le dossier soumis à la SAR. Le demandeur soutient également que la décision est déraisonnable parce que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la question de savoir s’il relevait de sa compétence d’obtenir la citoyenneté à la lumière de la récente décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Tretsetsang v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FCA 175, 398 DLR (4th) 685 [Tretsetsang (CA)].

[5]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

[6]                Je conclus que la référence de la SAR à la décision Tashi et l’examen par la SAR de cette dernière n’ont pas donné lieu à un manquement à l’équité procédurale. L’examen par la SAR de la décision Tashi n’a pas soulevé de nouvelle question. Le demandeur connaissait les questions en appel et a présenté des observations à la SAR, y compris sur la question de sa capacité d’obtenir la citoyenneté indienne. Les motifs démontrent que la décision de la SAR était fondée sur la preuve au dossier.

[7]               Je suis également d’avis que la décision de la SAR est raisonnable. Bien que la SAR ait été guidée par la décision de la Cour fédérale dans Tretsetsang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 455, [2015] ACF no 479 (QL) [Tretsetsang (CF)], la décision de la SAR est conforme aux directives de la Cour d’appel dans Tretsetsang (CA) au sujet de l’analyse visant à déterminer si le droit à la citoyenneté relève du demandeur. La SAR n’a pas fait fi des éléments de preuve figurant dans le cartable national de documentation (CND). La SAR a pris note de documents récents décrivant l’évolution des conditions pour les Tibétains qui demandent la citoyenneté indienne et a souligné la divergence des points de vue.

II.                Contexte

[8]               Le demandeur est né en Inde en 1990. Ses parents sont tibétains. Son père a fui le Tibet à la suite de l’invasion chinoise et la mère du demandeur est née de parents tibétains en Inde en 1969.

[9]               Le demandeur possède un certificat de naissance indien, un certificat d’enregistrement, qui lui permet de travailler, voyager et résider en Inde, et un certificat d’identité portant la mention [traduction] « Rien ne s’oppose à un retour », qui lui permet de voyager à l’extérieur de l’Inde.

[10]           Il est arrivé au Canada le 17 janvier 2015 et a demandé l’asile – d’abord à l’égard du Népal, puis à l’égard de la Chine.

La décision de la SPR

[11]           La SPR a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité, lesquelles se sont étendues à tous les éléments de preuve pertinents. Malgré les préoccupations concernant l’identité du demandeur et sa crédibilité, la SPR a évalué la demande.

[12]           La SPR a conclu que le demandeur est un ressortissant indien de naissance et qu’il n’encourt aucun risque en Inde, y compris l’expulsion vers la Chine.

[13]           La SPR a pris note de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Williams, 2005 CAF 126, 253 DLR (4th) 449 [Williams] qui établit que l’asile des réfugiés ne sera pas accordé s’il relève du pouvoir du demandeur d’obtenir la citoyenneté d’un pays. La SPR a également cité les décisions ultérieures qui ont appliqué le critère de l’arrêt Williams.

[14]           La SPR a souligné que la loi indienne sur la citoyenneté de 1955 (loi no 57 de 1955) [loi indienne sur la citoyenneté de 1955] stipulait ce qui suit : [traduction]

3.         Citoyen de naissance : – (l) Sous réserve de ce qui est prévu au paragraphe (2), toute personne née en Inde :

a)         le 26 janvier 1950 ou après cette date, mais avant le 1er juillet 1987;

b)         le 1er juillet 1987 ou après cette date, mais avant l’entrée en vigueur de la loi de 2003 modifiant la loi sur la citoyenneté [(Citizenship Amendment Act 2003)], et dont l’un des parents est citoyen indien au moment de la naissance;

[...]

est citoyenne indienne de naissance.

[15]           La SPR a conclu que le demandeur était né en Inde en 1990 et que sa mère était née en Inde en 1969. Conformément à l’alinéa 3(1)a) de la Citizenship Act, 1955 de l’Inde, la mère du demandeur est une citoyenne indienne et le demandeur, qui est né en Inde d’une citoyenne indienne, est un citoyen indien en vertu de l’alinéa 3(1)b). La SPR a reconnu que le demandeur pourrait avoir des difficultés à faire reconnaître sa citoyenneté. Cependant, la SPR a passé en revue les preuves objectives sur la situation des Tibétains en Inde et a finalement conclu que le demandeur était un citoyen de l’Inde et qu’il n’encourait aucun risque en Inde.

III.             La décision de la SAR faisant l’objet du contrôle

[16]           Les arguments que le demandeur a fait valoir à la SAR portaient sur les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, sur la conclusion de la SPR selon laquelle il pouvait obtenir la citoyenneté en Inde, et sur l’évaluation de la citoyenneté chinoise faite par la SPR.

[17]           La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur n’étaient pas admissibles conformément au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[18]           La SAR a estimé que les questions déterminantes étaient les suivantes : i) s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté en Inde, et ii) dans l’affirmative, si le demandeur avait une crainte bien fondée de persécution en Inde.

[19]           La SAR a noté que le demandeur avait reconnu qu’il aurait eu un droit légal à la citoyenneté en Inde si sa mère avait été une citoyenne de ce pays au moment de sa naissance en 1990. Cependant, il conteste le fait que sa mère avait une telle citoyenneté. La question de savoir si une personne tibétaine, en l’occurrence la mère du demandeur, née en Inde entre 1950 et 1987, est une citoyenne de naissance, ou s’il relève de son pouvoir d’acquérir cette citoyenneté, a été abordée dans les décisions qui appliquent le critère de l’arrêt Williams. La SAR a cité quatre décisions de la Cour qui reflètent deux lignes de raisonnement.

[20]           La SAR a favorisé le raisonnement dans les décisions Tretsetsang (CF) et Tashi. Dans les deux décisions, la Cour a conclu que le décideur avait raisonnablement conclu, compte tenu des faits de ces affaires, qu’il était du ressort du demandeur d’exercer son droit à la citoyenneté et qu’un demandeur devait prendre certaines mesures pour obtenir la citoyenneté au lieu de spéculer que de telles mesures seraient futiles.

[21]           La SAR a estimé que le cartable national de documentation (CND) fournissait des précisions supplémentaires sur les décisions des Hautes Cours de l’Inde concernant les demandes de citoyenneté des Tibétains. La SAR a pris note des caractéristiques distinctives de ces décisions, ainsi que des renseignements fournis dans le cadre de réponses à des demandes d’information (RDI) du CND.

[22]           La SAR a conclu que le demandeur avait émis l’hypothèse qu’il ne pourrait pas acquérir la nationalité indienne et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il prenne des mesures pour exercer son droit [traduction] « plutôt qu’il invoque cette hypothèse non vérifiée ». Constatant qu’il avait un certificat de naissance étayant le fait qu’il était né en Inde et un certificat d’identité avec la mention [traduction] « Rien ne s’oppose à un retour », la SAR a conclu qu’il serait en mesure d’établir le bien-fondé de sa citoyenneté auprès des autorités indiennes. La SAR a ajouté que grâce à la citoyenneté, le demandeur serait protégé par l’État contre toute crainte ou tout risque de déportation vers la Chine.

[23]           La SAR a conclu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que le demandeur est un ressortissant indien de naissance et qu’il n’a pas de crainte fondée d’être persécuté en Inde.

IV.             Les questions en litige

[24]           Le demandeur fait valoir que la SAR a manqué à son devoir d’équité procédurale et que la décision n’est pas raisonnable.

[25]           Le demandeur soutient que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale : premièrement, en omettant de lui donner l’occasion de formuler des commentaires au sujet de la décision Tashi, sur laquelle la SAR s’est appuyée et qui a été rendue après qu’il a mis en état son appel; deuxièmement, en fondant ses conclusions sur les éléments de preuve présentés à la SPR dans la décision Tashi, plutôt que sur les éléments de preuve versés au dossier en l’espèce.

[26]           Le demandeur fait également valoir que la décision de la SAR selon laquelle il était en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté est déraisonnable, son analyse des éléments de preuve n’étant pas conforme au critère établi par la Cour d’appel dans l’arrêt Tretsetsang (CA). Le demandeur soutient que la probabilité d’avoir à intenter une action en justice pour obtenir la citoyenneté constitue un obstacle important, ce que la SAR n’a pas envisagé. Il allègue que rien ne l’obligeait à  prendre des mesures raisonnables pour obtenir la citoyenneté parce que de telles mesures auraient été vaines.

V.                La norme de contrôle

[27]           Les parties s’entendent en l’espèce pour dire que la norme de contrôle que la Cour doit appliquer aux questions d’équité procédurale dans le cadre d’un contrôle judiciaire est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339).

[28]           Les conclusions de fait et mixtes de fait et de droit de la SAR doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. La norme de la raisonnabilité porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

VI.             La SAR a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

A.                La SAR a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de donner au demandeur l’occasion de formuler des commentaires au sujet de la décision Tashi, une décision rendue après que le demandeur a mis en état son appel?

[29]           Le demandeur fait valoir, compte tenu de la division qui existe au sein de la jurisprudence, que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en s’appuyant sur la décision Tashi sans lui donner l’occasion de répondre. Pour le demandeur, le fait que la SAR se soit fondée sur la décision Tashi s’apparente à l’émergence d’une nouvelle question. Il mentionne des décisions selon lesquelles il y a un manquement à l’équité procédurale lorsque le décideur a soulevé une nouvelle question sans donner à la partie concernée la possibilité de répondre. Voir Ojarikre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896, aux paragraphes 22 et 23, [2015] ACF no 909 (QL) [Ojarikre]; Husian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684, aux paragraphes 10 et 11, [2015] ACF no 687 (QL) [Husian]; Ching c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, aux paragraphes 70 et 71, [2015] ACF no 722 (QL) [Ching]; R. c. Mian, 2014 CSC 54, au paragraphe 30, [2014] 2 RCS 689 [Mian].

[30]           Le défendeur affirme que la référence de la SAR à la décision Tashi n’a pas donné lieu à un manquement à l’équité procédurale.

[31]           Le défendeur souligne que les cas invoqués par le demandeur concernent des situations où le décideur a soulevé de nouvelles questions ou a tiré des conclusions supplémentaires en matière de crédibilité sans offrir à la partie concernée la possibilité d’aborder les questions. En l’espèce, le demandeur était au courant de la question sur laquelle la SAR devait se prononcer, la question n’a pas changé et le demandeur avait toute latitude pour faire valoir ses arguments sur la question. Le demandeur a également eu l’occasion de formuler des commentaires sur les deux courants jurisprudentiels dans ses observations et c’est ce qu’il a fait.

[32]           Le défendeur soutient, à titre subsidiaire, que si la Cour conclut que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale, il serait inutile de renvoyer l’affaire à la SAR pour qu’elle la réexamine étant donné que le résultat serait inévitablement le même (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, 111 DLR (4th) 1).

[33]           Le défendeur explique que la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pris aucune mesure raisonnable pour exercer son droit à la citoyenneté, sans explication, est conforme à l’arrêt Tretsetsang (CA). Cette conclusion porte un coup fatal, peu importe que le demandeur ait eu ou non l’occasion d’aborder la décision Tashi. Le défendeur soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur pourrait avoir accès à la citoyenneté en Inde repose sur une évaluation de l’ensemble du dossier, y compris des éléments de preuve figurant dans le CND. L’occasion de formuler des commentaires sur la décision Tashi n’aurait pas eu d’incidence sur cette évaluation.

La SAR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de donner au demandeur l’occasion de formuler des commentaires au sujet de la décision Tashi

[34]           Je conviens avec le demandeur que, lorsqu’un tribunal ou une cour d’appel soulève une nouvelle question et s’appuie sur celle-ci, l’appelant devrait pouvoir donner suite à cette question. Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a soulevé une nouvelle question ou s’est appuyée sur celle-ci en l’espèce.

[35]           La Cour suprême du Canada a examiné ce qui constituerait une « nouvelle question » dans l’arrêt Mian. Mian était une affaire criminelle, mais les principes ont été appliqués dans d’autres procédures, y compris dans le contexte administratif (voir Ching, au paragraphe 71).

[36]           La Cour Suprême du Canada dans Mian (paragraphe 30) donne la définition suivante d’une nouvelle question :

Une question est nouvelle lorsqu’elle constitue un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer – autre que les moyens d’appel formulés par les parties – pour conclure que la décision frappée d’appel est erronée. Les questions véritablement nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties (voir Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712, par. 39) et on ne peut pas raisonnablement prétendre qu’elles découlent des questions formulées par les parties. Vu cette définition, dans le cas de nouvelles questions, il faudra aviser les parties à l’avance pour qu’elles puissent en traiter adéquatement.

[Non souligné dans l’original.]

[37]           Dans la décision Ojarikre (aux paragraphes 20 à 24), la Cour a conclu que la SAR ne pouvait fonder sa décision sur une question, en l’occurrence une possibilité de refuge intérieur, qui n’avait pas été prise en compte par la SPR et qui ne constituait pas l’objet de l’appel interjeté par la demanderesse. La SAR doit accorder à un demandeur la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve documentaire et des observations à l’égard de la nouvelle question.

[38]           Dans la décision Husian, la Cour a conclu que la SAR avait commis une erreur en formulant des conclusions de fond supplémentaires, qui n’étaient pas les conclusions de la SPR, et qui n’avaient pas été soulevées par le demandeur, sans lui donner la possibilité de présenter des observations supplémentaires.

[39]           Les circonstances en l’espèce sont relativement différentes. La question dont était saisie la SAR était la même que celle soumise à la SPR, à savoir si l’accès à la citoyenneté indienne était du ressort du demandeur. La SAR a pris note du raisonnement dans les décisions Tretsetsang (CF) et Tashi, qui ont toutes deux abordé la question de la jurisprudence relative à l’application du critère de l’arrêt Williams.

[40]           Dans ses observations à la SAR, le demandeur a abordé la conclusion de la SPR selon laquelle il pourrait obtenir la citoyenneté en Inde. Il a examiné les deux courants jurisprudentiels et a soutenu que la décision Tretsetsang (CF) ne devrait pas être suivie. Il a ajouté que la divergence jurisprudentielle était sans importance parce que sa citoyenneté dépendait du droit de sa mère à la citoyenneté, lequel lui avait été refusé.

[41]           La SAR n’a pas soulevé de nouvelle question en se référant à la décision Tashi; elle a soulevé une décision récente portant sur la question examinée par la SPR. La décision Tashi reflète un courant jurisprudentiel sur cette question centrale, dont le demandeur était au courant.

[42]           Dans l’arrêt Mian (paragraphe 30), la Cour suprême a noté que les nouvelles questions étaient différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties. En l’espèce, la question restait la même, sur les plans juridique et factuel.

[43]           Étant donné qu’aucune question nouvelle n’a été soulevée, il n’y avait aucune obligation d’équité procédurale de porter la décision Tashi à l’attention du demandeur et de l’inviter à présenter des observations. Bien que cela ait pu constituer une bonne pratique à la lumière de l’évolution de la jurisprudence, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une erreur justifiant une intervention judiciaire.

B.                 La SAR a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en fondant sa conclusion selon laquelle le demandeur pouvait avoir accès à la citoyenneté en Inde sur les éléments de preuve examinés par la Cour dans la décision Tashi plutôt que sur les éléments de preuve en l’espèce?

[44]           Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve qui ne lui étaient pas parvenus pour conclure qu’il pouvait obtenir la citoyenneté indienne. Il fait valoir que la SAR a adopté les éléments de preuve invoqués par la Cour dans la décision Tashi, qui indiquaient un changement dans la situation du pays et un assouplissement de l’approche de l’Inde à l’égard des Tibétains d’origine indienne.

[45]           Le demandeur reconnaît que, dans la décision Tashi, la juge Mactavish avait fait remarquer qu’une demande devait être tranchée au vu du dossier (voir les paragraphes 37 à 38). Toutefois, il soutient qu’en l’espèce, la SAR s’est appuyée sélectivement sur des réponses à des demandes d’information, a fait fi de la preuve de la nécessité de porter sa cause devant les tribunaux et a longuement cité la décision Tashi pour conclure que sa mère née en Inde pouvait maintenant demander la citoyenneté indienne, ce qui lui permettrait à son tour d’obtenir la citoyenneté.

[46]           Le défendeur prétend que la SAR s’est appuyée uniquement sur le dossier dont elle était saisie. Le défendeur fait remarquer que les décisions de la SAR comportent souvent de longues citations de la jurisprudence, ce qui ne signifie pas que l’on se fonde sur les éléments de preuve contenus dans cette jurisprudence. Le défendeur souligne que la SAR indique expressément qu’elle a évalué le dossier, y compris le CND de 2015 et les décisions plus récentes de la Haute Cour en Inde.

La SAR ne s’est pas appuyée sur des éléments de preuve qui ne figuraient pas dans le dossier dont elle disposait

[47]           Dans la décision Tashi, la juge Mactavish a souligné que le tribunal était tenu de trancher la demande dont il est saisi en fonction des faits propres à l’affaire qu’il examine, notamment les derniers renseignements sur la situation dans le pays (paragraphe 37).

[48]           La décision de la SAR est conforme à cette orientation. La SAR a fait remarquer que le dernier CND pour l’Inde (2015) a apporté des précisions supplémentaires sur les décisions de 2010 et de 2014 de la Haute Cour de Delhi et de la Haute Cour de Karnataka en 2013 sur le droit à la citoyenneté de naissance. La SAR a souligné, par exemple, que dans le cas de la Cour de Delhi, où les autorités régionales avaient refusé un passeport à un demandeur né en Inde pendant la période pertinente, le pétitionnaire avait indiqué que sa nationalité était tibétaine et que c’est ce qui avait conduit au refus de la délivrance du passeport.

[49]           La SAR a également fait référence à la décision de la Haute Cour de Karnataka, qui faisait état de la distinction entre un certificat d’identité et un passeport. D’après la réponse à la demande d’information, une personne titulaire d’un certificat d’identité pourrait très bien présenter une demande de citoyenneté par naissance. La SAR a fait mention, de façon plus détaillée, d’autres décisions de la Haute Cour de Karnataka et d’une décision plus récente de la Haute Cour de Delhi, qui a conclu que le pétitionnaire, né en 1979, ne pouvait pas se voir refuser un passeport en raison de l’origine tibétaine de ses parents. La SAR a fait référence à d’autres décisions récentes de la Cour concernant l’inscription des Tibétains admissibles sur les listes électorales pour 2014-2015, ainsi qu’aux objections du ministère des Affaires intérieures, qui considère que les Tibétains doivent d’abord demander la citoyenneté indienne parce qu’ils ne peuvent pas être à la fois réfugiés et citoyens. La SAR a reconnu la tension créée par les différents points de vue, mais a conclu que l’octroi de droits de vote était une preuve supplémentaire de la volonté de l’Inde de conférer la citoyenneté aux Tibétains admissibles.

[50]           La SAR a également pris acte de l’avis de la professeure Narain, bien qu’elle n’accepte pas son rapport comme nouvelle preuve. La SAR a noté que le rapport était semblable à la preuve incluse dans le dossier, tout comme l’opinion de la professeure que le processus de revendication de la citoyenneté peut être difficile et coûteux, qu’il pose des obstacles bureaucratiques et qu’une décision est prise au cas par cas.

[51]           La RDI de 2015, dont le demandeur fait valoir qu’elle a été ignorée, a été expressément citée par la SAR. C’est ce qui a permis à la SAR d’y « voir clair » dans les diverses décisions des Hautes Cours de l’Inde. La RDI de 2015 est plus récente que la RDI de 2013 invoquée par le demandeur, qui décrit les obstacles qui peuvent subsister pour les Tibétains qui cherchent à obtenir la citoyenneté. La RDI de 2015 ne contredit pas la RDI de 2013 – toutes deux soulignent l’évolution de l’approche à l’égard des Tibétains en Inde et le fait que des tensions subsistent – toutefois, la SAR avait le droit de s’appuyer sur la RDI plus récente et d’y accorder plus de poids (Tashi, au paragraphe 37). De plus, la SAR a fait remarquer que la situation du demandeur diffère de celle décrite dans la RDI de 2013. Par exemple, il possède un certificat d’identité portant la mention [traduction] « Rien ne s’oppose à un retour ».

[52]           Par conséquent, la SAR n’a pas fait fi de la preuve au dossier que certains obstacles à la citoyenneté existent et elle n’a pas fondé sa décision sur des éléments de preuve qui ne figurent pas dans le dossier. La SAR a examiné et pris en compte les éléments de preuve inscrits au dossier et les motifs révèlent les renseignements sur lesquels la SAR s’est appuyée pour tirer ses conclusions. Comme dans la décision Tashi, le dossier étaye le caractère raisonnable de la conclusion selon laquelle, en raison du changement dans la situation du pays, l’accès à la citoyenneté est du ressort du demandeur.

VII.          La décision de la SAR est-elle raisonnable?

[53]           Par ailleurs, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que l’accès à la citoyenneté indienne relève de son contrôle et de son pouvoir.

[54]           Le demandeur fait remarquer que le SAR s’est appuyée sur la décision du juge Mosley dans Tretsetsang (CF). Il prétend que sa demande devrait maintenant être examinée à la lumière de l’analyse en deux étapes de la Cour d’appel dans l’Arrêt Tretsetsang (CA) et que son obligation d’intenter une action constitue un obstacle important à l’exercice de son droit à la citoyenneté.

[55]           Le demandeur soutient que dans l’arrêt Tretsetsang (CA), M. Tretsetsang n’a pas établi l’existence d’obstacles étant donné qu’il n’avait pris aucune mesure pour déterminer si l’Inde le reconnaîtrait sans qu’il ait besoin de porter sa cause devant les tribunaux. Le demandeur soutient que sa situation est différente. Le gouvernement indien n’a pas reconnu le droit de sa mère à la citoyenneté, ce qui montre que l’acquisition de la citoyenneté en Inde échappe au contrôle de sa mère et à son propre contrôle. Le demandeur soutient également qu’il lui faudra désormais faire valoir son droit à la citoyenneté auprès des tribunaux et que, du fait de cet obstacle, son droit à la citoyenneté échappe à son contrôle.

[56]           Le demandeur reconnaît que dans l’arrêt Tresetsang (CA), la Cour d’appel a convenu qu’il incombait au demandeur de démontrer l’existence d’un obstacle important à l’acquisition de la citoyenneté et qu’il devait prendre des mesures raisonnables pour surmonter cet obstacle.

[57]           Le demandeur ajoute que l’arrêt Tretsetsang (CA) suit le raisonnement de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1, en ce qui concerne la protection de l’État. Bien qu’il incombe à un demandeur de démontrer un manque de protection de l’État, l’absence de mesure prise par celui-ci pour obtenir la protection de l’État n’est pas fatale si la tentative visant à se prévaloir de la protection de l’État s’avérait être un exercice futile.

[58]           Le demandeur souligne les motifs dissidents du juge Rennie dans Tretsetsang (CA) et la conclusion du juge Rennie selon laquelle la nécessité d’intenter une action devrait être prise en considération pour déterminer si l’accès à la citoyenneté n’est pas du ressort d’un demandeur. Il soutient que la décision majoritaire dans l’arrêt Tretsetsang (CA) appuie également le point de vue selon lequel la nécessité d’intenter une action constituerait un obstacle important.

[59]           Le demandeur prétend que le dossier fournit des éléments de preuve à l’appui de sa position, à savoir qu’une action en justice serait nécessaire, qu’une telle action constitue un obstacle important et que, compte tenu de cet obstacle, son défaut de prendre des mesures pour obtenir la citoyenneté ne portait pas un coup fatal à sa demande.

[60]           Le défendeur soutient que, bien que la décision de la SAR ait été rendue avant Tretsetsang (CA), la décision de la SAR est conforme à l’analyse en deux parties de la Cour d’appel. Le fait que le demandeur n’a pris aucune mesure pour déterminer si l’Inde le reconnaîtrait comme citoyen porte un coup fatal à sa demande d’asile. La SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il prenne des mesures [traduction] « plutôt qu’il invoque cette hypothèse non vérifiée ». Cette approche a été confirmée par l’arrêt Tretsetsang (CA). La nécessité d’intenter une action en justice n’est pas la question en litige, car le demandeur n’a rien fait qui aurait pu l’obliger à intenter une action.

[61]           Le défendeur fait également remarquer que le juge Rennie, dans ses motifs dissidents, a convenu que le défaut de prendre des mesures est fatal et que le caractère raisonnable des mesures raisonnables dépend des faits. Le juge Rennie a également souligné que le demandeur doit démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il devra plaider sa cause pour obtenir la citoyenneté afin d’établir ou de faire valoir le fait qu’il n’a pas besoin de prendre de mesures.

La décision de la SAR est raisonnable; elle reflète l’approche de la Cour d’appel dans l’arrêt Tretsetsang (CA)

[62]           Après avoir examiné le dossier, la SAR a conclu que la situation en Inde avait changé par rapport aux Tibétains. La SAR a examiné, entre autres, les récentes décisions des Hautes Cours de l’Inde, les changements concernant les droits de vote et les dispositions de la Citizenship Act, 1955 de l’Inde.

[63]           La SAR a conclu que le demandeur avait émis l’hypothèse qu’il ne pourrait pas acquérir la nationalité indienne et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il prenne des mesures pour exercer son droit [traduction] « plutôt qu’il invoque cette hypothèse non vérifiée ». Constatant que le demandeur avait un certificat de naissance étayant le fait qu’il était né en Inde et un certificat d’identité avec la mention [traduction] « Rien ne s’oppose à un retour », la SAR a conclu qu’il serait en mesure d’établir le bien-fondé de sa citoyenneté auprès des autorités indiennes. La SAR a ajouté que grâce à la citoyenneté, il serait protégé par l’État contre toute crainte d’être déporté vers la Chine.

[64]           Bien que le demandeur n’ait pas soulevé la question de la nécessité de plaider sa cause devant la SAR, il soutient maintenant que la SAR aurait dû examiner cette question à la lumière de la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Tretsetsang (CA). Il affirme que la nécessité de plaider sa cause est un obstacle majeur qui l’empêche de prendre des mesures pour exercer son droit à la citoyenneté, car, à son avis, il serait futile de le faire.

[65]           Le demandeur s’appuie sur le CND, en particulier la RDI de 2013 – qui fait référence aux rapports selon lesquels les Tibétains étaient tenus de lancer une action pour obtenir la citoyenneté – et soutient que la SAR a fait fi de ces références.

[66]           Tel qu’il a été mentionné précédemment, je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la SAR s’est appuyée sélectivement sur des éléments de preuve ou a fait fi de la preuve. Je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a commis une erreur en omettant d’expliquer pourquoi elle a rejeté des éléments de preuves contradictoires contraires au principe établi dans l’arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), 157 F.T.R. 35. Le CND était volumineux et la SAR n’était pas tenue de se référer à chaque document dans ce dossier volumineux. La SAR a défini les documents sur lesquels elle s’est appuyée, y compris les plus récents, et a reconnu les tensions qui subsistent et les opinions divergentes concernant les obstacles rencontrés par les Tibétains en Inde. Comme il a été signalé précédemment, la SAR distingue la situation du demandeur de celle décrite dans la RDI de 2013 et prend note des récentes décisions des Hautes Cours indiennes qui sont décrites dans la RDI de 2015.

[67]           La décision de la SAR est raisonnable compte tenu de l’approche de la Cour fédérale dans la décision Tretsetsang (CF) et de l’approche de la Cour d’appel dans l’arrêt Tretsetsang (CA) Contrairement à ce que soutient le demandeur, les faits de son affaire sont analogues à ceux de l’affaire Tretsetsang.

[68]           Dans la décision Tretsetsang (CF), le juge Mosley a fait remarquer que le demandeur ne contestait pas qu’il avait légalement droit à la citoyenneté indienne en raison de sa naissance. Le juge Mosley a refusé de suivre une autre jurisprudence qui avait conclu que l’obtention de la citoyenneté n’était qu’une possibilité parce qu’une action en justice pourrait être requise.

[69]           Au paragraphe 30, le juge Mosley a dit ce qui suit :

[30]      Si le demandeur demande des documents relatifs à la citoyenneté en Inde, tels qu’un passeport, et qu’ils lui sont refusés, il peut intenter un recours judiciaire semblable à ceux décrits dans la preuve documentaire. Dans l’arrêt Williams, au paragraphe 27, la Cour d’appel a jugé qu’un demandeur devait tenter d’acquérir la citoyenneté dans tout pays sûr où il pouvait la réclamer. Le même principe semblerait s’appliquer à l’exercice de droits conférés par la loi au demandeur, en tant que citoyen, en dépit des efforts d’obstruction déployés par les fonctionnaires. Selon l’admission qu’a faite le demandeur à la SPR, il n’a jamais tenté d’obtenir ou d’exercer les droits relatifs à la citoyenneté indienne. Il pose simplement comme hypothèse qu’il ne sera pas en mesure de le faire, malgré la législation et la jurisprudence en sa faveur. À mon avis, il ne peut demander l’asile au Canada sans faire quelque effort que ce soit pour se réclamer de la nationalité indienne, à laquelle il a droit dans ce pays.

[70]           Le juge Mosley a clairement conclu que les tentatives qu’un demandeur doit faire pour acquérir la citoyenneté incluent la poursuite d’un litige. Dans Tretsetsang, comme en l’espèce, le demandeur n’a pris aucune mesure pour faire valoir ses droits.

[71]           Dans l’arrêt Tretsetsang (CA), le juge Rennie, dans ses motifs dissidents, a examiné de quelle façon la nécessité de plaider une cause devait être abordée dans l’application du critère de l’arrêt Williams. Il a conclu que s’il était nécessaire pour une personne de porter sa cause devant les tribunaux pour que l’État reconnaisse son droit à la citoyenneté, on pouvait alors présumer que la citoyenneté est hors de son contrôle (au paragraphe 34). Il a précisé qu’il incombait au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait tenu de plaider sa cause (au paragraphe 35).

[72]           Le juge Rennie a résumé ses conclusions au paragraphe 39. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont souligné leur accord avec le paragraphe 39d) :

d)         Par conséquent, un demandeur sera généralement tenu de prendre des mesures raisonnables pour faire reconnaître son droit à la citoyenneté. Il est loisible à la Commission de tirer des conclusions raisonnables du défaut de prendre des mesures raisonnables. Lorsque le demandeur dit faire face à des obstacles administratifs, le défaut d’évaluer la rigueur de cette allégation constitue une preuve substantielle et pertinente pour l’examen de la question du contrôle.

[73]           Le juge Rennie a finalement conclu que la décision de la SAR n’était pas raisonnable, car elle n’expliquait pas son raisonnement et ne faisait que formuler ses conclusions.

[74]           Les juges majoritaires ont indiqué qu’ils étaient d’accord avec certaines des conclusions du juge Rennie, mais qu’ils n’étaient pas d’accord avec sa décision quant à l’appel. Les juges majoritaires ont noté que le droit pertinent de la citoyenneté aux fins d’une demande d’asile au titre de l’article 96 était le droit qui permettrait au demandeur de se prévaloir de la protection de l’État et ont reformulé la question certifiée comme suit, au paragraphe 66 :

Les obstacles auxquels un demandeur d’asile peut faire face pour se réclamer de la protection d’un État dans un pays dont il est citoyen sont-ils suffisants pour exclure ce pays de l’application de l’expression « pays dont elle a la nationalité » prévue à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[75]           Les juges majoritaires ont répondu à la question par la négative et ont expliqué que seul un obstacle important serait suffisant (au paragraphe 67).

[76]           Les juges majoritaires ont souscrit à la conclusion du juge Rennie selon laquelle la SAR peut tirer des conclusions raisonnables du défaut de prendre des mesures raisonnables. De plus, les juges majoritaires ont conclu que le fait que le demandeur ne prenne aucune mesure pour déterminer si un pays le reconnaîtrait comme citoyen, sans explication raisonnable, porterait un coup fatal à sa demande d’asile (au paragraphe 70).

[77]           Les juges majoritaires ont ensuite exposé l’analyse qui devrait être effectuée en appliquant le critère de l’arrêt Williams au paragraphe 72 :

[72]      Par conséquent, le demandeur qui allègue l’existence d’un obstacle à l’exercice de son droit à la citoyenneté dans un pays donné doit établir, selon la prépondérance des probabilités :

a)         qu’il existe un obstacle important qui pourrait raisonnablement être considéré comme pouvant l’empêcher d’exercer son droit à la protection de l’État que lui confère la citoyenneté dans le pays dont il a la nationalité;

b)         qu’il a fait des efforts raisonnables pour surmonter ces obstacles, mais que ces efforts ont été vains et qu’il n’a pu obtenir la protection de l’État.

[78]           Les juges majoritaires ont expliqué que ce qui constitue des efforts raisonnables ne peut être déterminé qu’au cas par cas, ajoutant que « le demandeur ne sera pas tenu de faire des efforts pour surmonter ces obstacles s’il est établi qu’il serait déraisonnable d’exiger pareils efforts » (au paragraphe 73).

[79]           Si les juges majoritaires n’indiquent pas expressément comment la nécessité de plaider devrait être considérée dans le cadre du critère en deux parties, ils ont examiné cette question en évaluant les arguments de M. Tretsetsang. À mon avis, la décision des juges majoritaires reflète le fait que la nécessité de poursuivre un litige pour accéder à la citoyenneté peut constituer un « obstacle important », mais il doit être établi par le demandeur selon la prépondérance des probabilités, tout comme tout autre obstacle allégué. Le demandeur doit également prouver, suivant la prépondérance des probabilités, qu’il a fait des efforts raisonnables pour surmonter cet obstacle.

[80]           La question de savoir si la nécessité de former un litige constitue un obstacle tel que le demandeur serait exempté de prendre des mesures pour acquérir la citoyenneté est également une question de fait que le demandeur doit établir selon la prépondérance des probabilités.

[81]           Dans l’arrêt Tretsetsang (CA), la Cour s’est penchée sur l’argument de M. Tretsetsang selon lequel il serait tenu de présenter une demande devant le tribunal indien et a noté ce qui suit au paragraphe 76 :

[76]      L’essentiel de l’argument de l’appelant est fondé sur l’obstacle qu’il doit surmonter pour se faire reconnaître comme citoyen de l’Inde, l’appelant alléguant qu’il devra s’adresser aux tribunaux pour faire reconnaître ce droit. Cependant, l’appelant n’a pris aucune mesure pour déterminer si l’Inde lui reconnaîtrait le droit à la citoyenneté prévu par la Citizenship Act,1955 de l’Inde sans que lui-même soit forcé de porter sa cause devant les tribunaux, et notamment pour déterminer si la documentation qu’il avait en sa possession serait suffisante pour établir, sans litige, qu’il était né en Inde durant la période pertinente. De plus, l’appelant n’a fourni aucune raison pour expliquer son défaut de prendre quelque mesure à cette fin.

[Italiques dans l’original.]

[82]           Par conséquent, la Cour d’appel a conclu, sur des faits très semblables à celui de la présente affaire, que le défaut de M. Tretsetsang de faire respecter son droit à la citoyenneté, et son absence d’explication, portait un coup fatal à sa demande. Il ne pouvait pas se contenter de soulever l’obstacle éventuel représenté par un litige sans faire quelque chose pour faire valoir ses droits. La Cour d’appel a conclu que M. Tretsetsang « n’avait pas établi qu’il y eut quelque obstacle que ce soit, et encore moins un empêchement important, à sa capacité de se prévaloir de son droit à la protection de l’État inhérent à la citoyenneté indienne » (au paragraphe 78).

[83]           En l’espèce, le demandeur a soulevé deux obstacles : i) le refus d’octroyer un passeport à sa mère en 2000, et ii) la nécessité de plaider sa cause pour exercer son droit à la citoyenneté.

[84]           La SAR n’a pas accepté comme nouvelle preuve l’affidavit de la mère du demandeur, mais elle a noté que, si elle l’avait fait, il n’aurait pas surmonté les conclusions de la SAR concernant les événements récents en Inde. En d’autres termes, les efforts déployés par la mère du demandeur il y a plus de seize ans – quels qu’ils aient été – ne constituaient pas des efforts raisonnables de la part du demandeur pour exercer son droit à la citoyenneté en 2015. Compte tenu de l’arrêt Tretsetsang (CA), la conclusion de la SAR est analogue à la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas établi l’existence d’un obstacle significatif et il n’a pris de mesures pour surmonter cet obstacle.

[85]           Le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il lui faudrait intenter une action pour accéder à la citoyenneté. Il ne fait qu’avancer une hypothèse. Il n’a pris aucune mesure, même sans aller jusqu’au litige, pour faire respecter son droit légal.

[86]           Les arguments du demandeur selon lesquels la SAR a ignoré la preuve de la nécessité d’intenter une action pour accéder à la citoyenneté et la nécessité d’intenter une action le décharge du fardeau de prendre des mesures raisonnables pour accéder à la citoyenneté sont sans fondement. Comme il a été signalé précédemment, la SAR avait le droit d’invoquer la RDI la plus récente, laquelle apportait des précisions sur les décisions de la Haute Cour de l’Inde. La SAR a raisonnablement conclu que ces éléments de preuve n’établissaient pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’un litige était nécessaire. La SAR a admis les points de vue selon lesquels les obstacles bureaucratiques à la citoyenneté en Inde demeurent. Toutefois, elle a conclu qu’étant donné les circonstances de la présente affaire – y compris le fait que le demandeur possédait un certificat d’inscription et un certificat d’identité portant la mention [traduction] « Rien ne s’oppose à un retour » – le demandeur aurait dû faire des efforts pour exercer son droit à la citoyenneté.

[87]           En conclusion, la décision de la SAR est raisonnable et conforme aux directives fournies par la Cour d’appel dans l’arrêt Tretsetsang (CA). La décision de la SAR appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

Aucune question n’a été posée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-699-16

 

INTITULÉ :

TENZING YESHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Ronald Shacter

 

Pour le demandeur

TENZING YESHI

 

Eleanor Elstub

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

TENZING YESHI

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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