Date : 20160722
Dossier : IMM-148-16
Référence : 2016 CF 864
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2016
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE : |
PAVLO DOVHA |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, Pavlo Dovha, a déposé une demande d’asile pour lui-même et pour sa fille, Darya Dovha. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande. La Section d’appel des réfugiés (SAR) a accueilli l’appel de la demande de Darya au motif que le risque de persécution auquel l’expose son homosexualité en fait une réfugiée au sens de la Convention.
[2] L’appel de M. Dovha a été rejeté. Au paragraphe 6 de ses motifs, la SAR expose ainsi sa compréhension du fondement de la demande d’asile de M. Dovha :
[traduction] L’appelant principal a fait valoir devant la SPR qu’il avait peur de retourner en Ukraine parce qu’il devra s’enrôler dans l’armée en raison des troubles civils qui agitent le pays, faute de quoi il sera emprisonné.
[3] M. Dovha ne remet pas en cause les conclusions touchant ses craintes de la conscription, mais il soutient que la SAR n’a pas tenu compte du second fondement de son allégation de persécution, c’est-à-dire sa parenté avec une lesbienne. Il rappelle que la SPR n’a pas examiné ce fondement de sa demande parce qu’elle a conclu que Darya n’était pas lesbienne. Selon lui toutefois, après que la SAR a reconnu que Darya était effectivement lesbienne, elle a commis une erreur en n’évaluant pas le risque qu’il court parce qu’il est son père.
[4] Le ministre fait valoir que la SAR n’était nullement tenue d’examiner un fondement qui n’avait pas été soulevé comme motif d’appel. Le ministre s’appuie sur le sous-alinéa 3(3)g)(i) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, qui exige que le « dossier de l’appelant comporte […] un mémoire qui inclut des observations complètes et détaillées concernant les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel ». Le ministre se fonde également sur la décision de la Cour dans Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321, qui décrète que la SAR n’est pas tenue d’examiner un argument qui n’a pas été soulevé devant elle, et qu’une telle démarche s’attaquerait en fait au régime législatif et à la jurisprudence établie.
[5] M. Dovah prétend qu’il n’a pas soulevé expressément la question du risque auquel l’expose l’orientation sexuelle de sa fille parce que la SPR y a passé outre après avoir décrété qu’elle n’était pas lesbienne. Selon lui, après avoir reconnu que Darya était lesbienne, la SAR aurait dû examiner la question du risque qu’il courait comme membre de sa famille, même s’il n’avait pas expressément soulevé ce motif d’appel.
[6] Je ne suis pas de cet avis. Même si la SPR ne s’est pas penchée sur le motif du risque présumé, il incombait à l’appelant de le soulever en appel.
[7] Je dis bien « présumé » parce que, après avoir lu attentivement le fondement de la demande de M. Dovah, je ne suis pas persuadé qu’il a fait allusion au risque auquel l’expose sa relation avec sa fille lesbienne. Il a tout au plus mentionné sa peur d’être enrôlé par l’armée ou d’être emprisonné s’il désobéit aux ordres.
[8] Il a joint un texte descriptif de trois pages à son formulaire de fondement de la demande. Dans ce texte, il écrit notamment [traduction] « Darya et moi ne pouvons pas retourner en Ukraine parce que notre vie y est menacée ». Il ajoute que Darya [traduction] « a été victime de persécution à cause de son orientation sexuelle ». Dans les sept paragraphes qui suivent ces déclarations, il explique en détail son refus de s’enrôler et les conséquences qu’il encourt. Il affirme ce qui suit : [traduction] « Nous ne pouvons pas retourner en Ukraine parce que ma vie familiale est menacée. » Il s’agit de la seule allusion, encore qu’indirecte, à une menace qui pèse sur l’ensemble de sa famille. Dans les 18 paragraphes suivants, il décrit avec force détails les incidents dans lesquels Darya a été impliquée parce qu’elle est lesbienne, et notamment les [traduction] « graffitis d’insultes sur la porte » de sa maison et l’obligation pour sa famille de changer d’appartement. Il relate ensuite des événements plus récents concernant les tentatives d’enrôlement, y compris sa tentative d’obtenir une dispense. Il conclut ainsi : « [traduction] « Ma fille et moi ne pouvons retourner en Ukraine parce que je crains pour notre sécurité là-bas. Les autorités ukrainiennes ne protègent pas ma fille et je risque d’être emprisonné pendant deux à cinq ans. » [Non souligné dans l’original.]
[9] À mon avis, cette dernière phrase indique très clairement qu’il ne fonde pas sa demande sur un autre motif que la conscription militaire.
[10] Bref, la SAR n’était aucunement tenue d’examiner un motif que n’avait pas soulevé M. Dovah dans son dossier d’appel, et le motif qui à son avis a échappé au regard de la SAR n’est pas mentionné dans le matériel joint aux demandes soumises à la SPR et à la SAR.
[11] La décision est raisonnable et la demande doit être rejetée.
[12] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier. Aucune question ne figure au dossier.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande et aucune question n’est certifiée.
« Russel W. Zinn »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-148-16 |
INTITULÉ : |
PAVLO DOVHA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 14 juillet 2016 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE ZINN |
DATE DES MOTIFS : |
Le 22 juillet 2016 |
COMPARUTIONS :
Aleksei Grachev |
Pour le demandeur |
Aleksandra Lipska |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Otis & Korman Avocats Toronto (Ontario) |
Pour le demandeur |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |