Date : 20160916
Dossier : T-1353-13
Référence : 2016 CF 1047
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2016
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE : |
ARCTIC CAT INC. ET ARCTIC CAT SALES, INC. |
demanderesses/défenderesses reconventionnelles |
et |
BOMBARDIER PRODUITS RÉCRÉATIFS INC. |
défenderesse/demanderesse reconventionnelle |
JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS
(Jugement et motifs confidentiels rendus le 16 septembre 2016)
TABLE DES MATIÈRES
II. Fonctionnement d’un moteur à deux temps
B. Les revendications en litige
VII. Personne versée dans l’art
VIII. Interprétation des revendications
A. Les moteurs 440 HO et 600 RS
B. Les moteurs 600 ETEC et 800 ETEC
A. Monsieur A. Carter pour les demanderesses
B. Dr Ugone pour la défenderesse
(1) Répartition en fonction du coût différentiel
(2) Répartition selon les intrants et les coûts relatifs
(3) Répartition en fonction de l’utilisation de la fonctionnalité mise en cause
A. Objections sur l’admissibilité de la preuve
(1) Absence de fondement factuel
C. Défaut de se conformer au Code de déontologie des témoins experts
D. Preuve factuelle inappropriée
E. Opinion exprimée au-delà de l’expertise convenue
JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS
[1] La présente action en contrefaçon (article 54 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, ci-après la Loi sur les brevets) vise certaines revendications exposées dans le brevet canadien n° 2 322 738, que nous appellerons le brevet 738. Essentiellement, Arctic Cat Inc. et Arctic Cat Sales Inc. allèguent que quatre des moteurs utilisés par Bombardier Produits Récréatifs Inc. (BRP) dans plus de 125 000 motoneiges vendues au Canada au cours des dernières années contrefont au moins une des cinq revendications invoquées (trois des cinq revendications invoquées sont dépendantes d’une revendication indépendante, de telle sorte que huit revendications sont en fait visées en l’espèce). La défenderesse affirme qu’elle ne met pas en œuvre le brevet en litige. Elle ajoute que, même si elle le mettait en œuvre, le brevet 738 devrait être invalide pour cause d’antériorité (absence de nouveauté) ou d’évidence (absence d’inventivité). Selon elle, le brevet 738 a une portée excessive et la personne présentée comme étant son inventeur ne l’est pas, de telle sorte que les demanderesses, à titre de cessionnaires, n’ont pas la qualité requise pour faire valoir le brevet. Pour ce qui est des dommages-intérêts appropriés dans l’éventualité où une revendication valide aurait été contrefaite, les positions des parties demeurent très éloignées l’une de l’autre. Le procès s’est déroulé sur une période de 25 jours.
[2] La présente action en contrefaçon d’un brevet a été déposée comme demande reconventionnelle d’une action en contrefaçon initiée par BRP à l’encontre d’Arctic Cat (AC) à l’égard de brevets détenus par BRP et dont l’objet était différent et ne concernait pas les moteurs. Le brevet visé par la présente porte le titre de « Moteur à deux temps avec séquence d’allumage contrôlée par la température des gaz d’échappement ». Dans une ordonnance rendue le 25 juillet 2013, la protonotaire Aronovitch a conclu que l’ensemble de l’affaire devait être disjoint de l’action initiale et poursuivi en tant qu’instance distincte. Ainsi, AC est devenue la demanderesse dans l’action en contrefaçon pour laquelle BRP est devenue défenderesse et a déposé une demande reconventionnelle alléguant que les revendications invoquées du brevet 738 étaient, en tout état de cause, invalides et nulles.
[3] Au-delà des dommages subis par le breveté qui découleraient d’une déclaration selon laquelle son brevet valide a été contrefait, les demanderesses demandent une injonction interlocutoire et permanente interdisant à BRP de contrefaire les revendications invoquées du brevet 738, ainsi qu’une ordonnance de destruction de tous les véhicules contrefaisant son brevet. Elles demandent enfin l’octroi de dommages-intérêts exemplaires, majorés et punitifs, avec intérêts avant et après jugement.
I. Les parties
[4] La demanderesse, Arctic Cat Inc., est un fabricant de véhicules récréatifs fondée au début des années 1960 par Edgar Hetteen, qui a été décrit comme le grand-père de l’industrie de la motoneige. Arctic Cat Inc. fabrique actuellement des motoneiges et d’autres véhicules récréatifs destinés aux États-Unis, au Canada et à d’autres marchés dans le monde.
[5] L’autre demanderesse, Arctic Cat Sales, Inc., est une filiale en propriété exclusive d’Arctic Cat, Inc. qui est chargée de la vente des motoneiges Arctic Cat à des concessionnaires tiers indépendants au Canada. Arctic Cat, Inc. et Arctic Cat Sales, Inc. (collectivement Arctic Cat ou AC) sont constituées en société conformément aux lois américaines de l’État du Minnesota et ont leur siège social situé au 601, Brooks Avenue South, à Thief River Falls, au Minnesota. Elles sont également défenderesses reconventionnelles à l’égard des allégations d’invalidité portées par la défenderesse.
[6] La défenderesse et demanderesse reconventionnelle, Bombardier Produits Récréatifs Inc. (BRP), est une société publique constituée en personne morale conformément à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44. Tout comme Arctic Cat, BRP est un fabricant de véhicules récréatifs. Ses origines remontent aux années 1940 avec la première « autoneige » conçue par Joseph Armand Bombardier et les motoneiges commercialisées sous la marque « Ski-Doo » dont la production débuta dans les années 1960. En 1970, Bombardier a fait l’acquisition de Lohnwerke GMbH, fabricant des moteurs Rotax.
[7] BRP compte aujourd’hui des employés dans près de vingt pays et vend six différentes lignes de produits, dont les motoneiges Ski-Doo, aux États-Unis, au Canada et ailleurs dans le monde. Le siège social de BRP est situé au 726, rue Saint-Joseph, à Valcourt, au Québec.
II. Fonctionnement d’un moteur à deux temps
[8] Avant de s’attaquer au brevet 738, une brève description du fonctionnement d’un moteur à deux temps pourrait s’avérer utile. Une preuve à cet effet a d’ailleurs été produite au procès.
[9] Dans son témoignage, le Dr Checkel, l’expert engagé par AC, a expliqué en détail le fonctionnement général des moteurs à deux temps, ainsi nommés parce qu’ils accomplissent cinq processus de base (soit l’admission, la compression, la combustion, la détente et l’échappement) en deux temps (un vers le haut et un vers le bas) des pistons alternatifs se trouvant généralement dans des cylindres de moteur. Un moteur à quatre temps, en revanche, nécessite quatre mouvements de pistons alternatifs pour accomplir les cinq mêmes processus de base du moteur.
[10] Dans les deux cas, le piston est généralement relié à une bielle et à un vilebrequin qui, à son tour, est relié à un volant moteur servant à fournir une puissance d’entraînement à partir du moteur. Ces éléments sont généralement couplés d’une culasse de cylindre fermant le dessus du moteur et formant une chambre entre celui-ci et le piston se trouvant à l’intérieur du cylindre. L’objectif est d’enflammer le mélange d’air et de carburant comprimé dans cette chambre pendant que le piston est proche de son point le plus haut dans le cylindre (communément appelé le « point mort haut » ou « PMH »). Le mélange brûle ensuite lorsque le piston passe par la position PMH et commence à descendre, augmentant ainsi la pression et transmettant plus d’énergie dans le piston descendant que ce qui était nécessaire au piston ascendant pour comprimer le mélange avant sa combustion. Le gain net d’énergie est ensuite acheminé au véhicule par le volant moteur.
[11] La capacité des moteurs à deux temps de fournir ainsi de l’énergie à chacun des cycles du moteur permet à ce dernier d’être plus léger et plus compact que les moteurs à quatre temps pour un niveau de puissance donné. Ces moteurs se sont ainsi avérés populaires pour des petits véhicules comme des motocyclettes, des véhicules tout-terrain et des motoneiges. Les moteurs à deux temps doivent toutefois accomplir les cinq processus mentionnés précédemment en deux courses de piston seulement, plutôt que les quatre courses offertes aux moteurs à quatre temps.
[12] Sur de petits véhicules comme les motoneiges, les moteurs accomplissent généralement cette tâche par la combinaison d’orifices de cylindres plutôt que par des valves pour les processus d’admission et d’échappement, par la pré-compression dans le carter de vilebrequin et par une chambre d’expansion de l’échappement. Ces caractéristiques supplémentaires permettent au moteur d’accomplir les processus d’admission et de compression lorsque le piston monte vers la culasse de cylindre pendant la première course. Le processus de combustion survient lorsque le piston arrive au PMH. Puis, pendant la deuxième course, le moteur accomplit les processus de détente et d’échappement restant lorsque le piston descend vers son point le plus bas dans le cylindre (point mort bas ou PMB).
[13] Lorsque le piston est à son PMB, les orifices d’admission de la partie supérieure du cylindre sont exposés et le mélange d’air et de carburant du carter de vilebrequin est chassé dans les orifices de la paroi de cylindre. Cette étape expulse les produits de combustion restant par les orifices d’échappement et dans une chambre d’expansion qui fait partie du système d’échappement du moteur. Cette chambre, si elle est correctement dimensionnée (ou si elle est bien « calibrée ») crée au bon moment une vague de pression d’échappement empêchant le nouveau mélange d’air et de carburant d’être expulsé de la chambre, avec ses résidus, avant la fermeture des orifices d’échappement, lors de la remontée du piston dans le cylindre. Le calibrage approprié varie selon les conditions en cours, dont le régime du moteur et la température à l’intérieur de la chambre. Lorsque ce processus se déroule correctement, il apporte un surplus de puissance au moteur.
[14] Traditionnellement, les moteurs utilisaient des carburateurs pour gérer le mélange d’air et de carburant à l’entrée d’air moteur. Comme l’a expliqué le Dr Bower, l’expert en génie mécanique dont les services ont été retenus par BRP, un carburateur est un dispositif mécanique d’admission du carburant qui ne dépend pas d’un module de commande ou d’une entrée électronique. Ces dispositifs ont progressivement été remplacés par une technologie à injection directe de carburant, qui injecte le carburant directement dans la chambre située au-dessus du piston au début de la compression plutôt que de l’aspirer dans le cylindre avec l’air.
[15] Le Dr Checkel a expliqué que la puissance produite par un moteur à deux temps est généralement contrôlée à l’aide d’une valve (le papillon), qui sert à limiter l’arrivée d’air dans le moteur pendant l’entrée d’air. Il est utile de connaître le travail que doit fournir le moteur pour fonctionner en comparaison de sa capacité maximale (la charge du moteur) à des fins de commande du moteur.
[16] Le point précis d’allumage lors de chaque cycle du moteur s’avérerait primordial pour la puissance du moteur, son rendement, sa durabilité et pour contrôler les émissions d’échappement tant pour les moteurs à deux temps que pour les moteurs à quatre temps. Si la combustion survient trop tard dans le cycle, le moteur génère moins de puissance d’entraînement, produit plus de perte de chaleur et est généralement moins efficace. Si cette combustion se produit trop tôt dans le cycle, le moteur devra travailler plus fort pour accomplir le processus de compression, réduisant proportionnellement la puissance de sortie et le rendement du moteur tout en augmentant les émissions d’échappement indésirables.
III. Le brevet 738
A. Aperçu/ divulgation
[17] Avant d’examiner de plus près le brevet 738, il convient d’énoncer certaines informations de base à son sujet :
• Son inventeur est Greg L. Spaulding, un employé d’AC qui a témoigné lors du procès.
• Le brevet a été mis à la disponibilité du public le 25 mai 2001.
• La demande de brevet a été déposée le 10 octobre 2000 et le brevet a été délivré le 18 février 2003.
• Le brevet indique la date de priorité du 1er décembre 1999 pour le brevet américain 09/452 657 et le 10 mai 2000 pour le brevet américain 09/568 449.
[18] AC faisait initialement valoir un grand nombre des 47 revendications exposées dans le brevet en litige. Toutefois, au moment de l’instruction, les revendications invoquées ont été réduites au nombre de cinq.
[19] Le titre donné au brevet n’est pas particulièrement éclairant : Moteur à deux temps avec séquence d’allumage contrôlée par la température des gaz d’échappement. L’abrégé du brevet énonce ceci :
Un moteur à combustion interne à deux temps présente un point d’allumage variant en fonction du régime du moteur. Une série de configurations d’allumage (le rapport entre point d’allumage et régime moteur) est utilisée. La température d’échappement du moteur est détectée, et utilisée pour déterminer la courbe d’allumage particulière utilisée à un moment donné.
[20] De toute évidence, cette invention concerne les moteurs et, plus précisément, les moteurs à combustion interne à deux temps. Il est possible dans un moteur à deux temps de varier le point d’allumage du mélange air-carburant dans le cylindre dans lequel le piston fonctionne de façon à optimiser le fonctionnement du moteur. L’invention en cause permettrait de choisir parmi différentes « courbes d’allumage » en fonction de la température des gaz d’échappement. Selon le brevet, il est possible d’utiliser la température des gaz d’échappement de deux façons. Trois des cinq revendications invoquées concernent la sélection de la courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement. Ces revendications seront désignées collectivement par les « revendications de sélection ». Deux autres revendications portent également sur la sélection de la courbe d’allumage à partir d’une pluralité de courbes d’allumage de base, la courbe d’allumage de base sélectionnée étant ensuite modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée. Ces revendications seront désignées par les « revendications de modification ». L’historique de l’invention fournit certains renseignements et est libellé comme suit :
[traduction]
Historique de l’invention
La présente invention a pour objet un moteur à deux temps à combustion interne ainsi que le fonctionnement de ce moteur. De tels moteurs sont utilisés, par exemple, pour mouvoir divers véhicules comme des motoneiges, des motocyclettes, des motomarines et autres engins.
Le fonctionnement de ces moteurs est basé sur l’allumage d’un mélange air-carburant comprimé dans un cylindre, ayant pour résultat l’expansion du mélange allumé entraînant un piston alternatif situé dans le cylindre. Le mouvement alternatif du piston sert ensuite à mouvoir le véhicule propulsé par le moteur.
Il est souhaitable de varier le point d’allumage du mélange air-carburant pendant le cycle alternatif du piston, c’est-à-dire un point entre le « point mort bas » et le « point mort haut », afin d’obtenir un fonctionnement optimal du moteur. Ainsi, il est par exemple possible que le point optimal d’allumage pendant l’accélération soit différent de celui nécessaire pour un fonctionnement normal du moteur. Parce que les pistons sont généralement entraînés par un vilebrequin rotatif, le point d’allumage est souvent exprimé en termes de degré d’avancement relativement au point mort haut, ou autrement dit, la position relative aux degrés de rotation du vilebrequin rotatif avant la position du point mort haut.
Généralement, les différents régimes de fonctionnement du moteur, qui sont habituellement exprimés en tours par minute, seront associés à différentes conditions du moteur. Par exemple, un régime plus élevé est souvent associé à une accélération. Par conséquent, on a estimé que pendant le cycle alternatif du piston, le point d’allumage devrait être modifié en fonction du régime de fonctionnement du moteur au moment donné et des systèmes de commande d’allumage du moteur peuvent être programmés pour modifier le point d’allumage en fonction du régime du moteur.
D’autres facteurs peuvent affecter le point d’allumage optimal. Par exemple, un moteur en fonction peu après son démarrage peut nécessiter un rapport différent entre le point d’allumage et le régime du moteur (ci-après la « courbe d’allumage ») qu’un moteur fonctionnant depuis un certain temps. Par le passé, la possibilité d’avoir un système permettant à l’utilisateur de passer d’une courbe d’allumage à une autre a été examinée. Ce système n’était cependant pas tout à fait satisfaisant au niveau de l’optimisation du rendement du moteur.
[21] Les revendications sont reproduites sous le titre [traduction] « Sommaire de l’invention » dans la partie divulgation du mémoire descriptif. Le seul paragraphe qu’il est pertinent de reproduire ici se retrouve à la page 2 du brevet 738 :
[traduction]
Sommaire de l’invention
La présente invention vise à fournir un moteur à deux temps bénéficiant d’un rendement amélioré grâce à la sélection d’une pluralité de rapports entre le point d’allumage et le régime du moteur (les courbes d’allumage) en fonction de la température des gaz d’échappement. Selon un aspect de la présente invention, les courbes individuelles d’allumage couvrent une plage de température des gaz d’échappement d’environ 50 °C. La sensibilité du système de commande augmente au fur et à mesure que la plage de température diminue. Selon un autre aspect de la présente invention, la température des gaz d’échappement est établie à l’aide d’un capteur qui est en contact avec les gaz d’échappement, par exemple dans un tuyau d’échappement. Selon un aspect supplémentaire de l’invention, un système d’allumage à décharge de condensateur sert à commander le point d’allumage d’une bougie d’allumage. Encore un autre aspect de l’invention prévoit une courbe d’allumage par défaut en cas de fonctionnement défectueux du capteur de température.
L’invention vise en elle-même diverses courbes d’allumage qui seront sélectionnées en fonction de la température des gaz d’échappement ou qui seront modifiées en fonction de cette même température, qui aura été détectée par un capteur approprié. Les courbes d’allumage ne sont que le rapport entre le point d’allumage et le régime du moteur exprimé en tours par minute (T/M). Il pourrait y avoir différents points d’allumage différents pour différents régimes de moteur. Dans un moteur à deux temps, le piston se déplacera vers le haut du cylindre. À un certain point, le mélange air-carburant sera allumé et l’explosion ainsi créée générera de l’énergie qui renverra le piston vers le bas du cylindre. Le véhicule se déplace grâce au fonctionnement d’un vilebrequin rotatif activé par le mouvement du piston vers le bas du cylindre (le point mort bas). Les courbes d’allumage sont sélectionnées selon le brevet en vue d’optimiser le fonctionnement du moteur dans différentes conditions. Ce point est décrit en termes de degrés de rotation du vilebrequin avant, ou possiblement après, l’atteinte du haut du cylindre par le piston (point mort haut).
[22] Avant de traiter des revendications, l’exposé présente en cinq tableaux de données (A à E) les données qui représentant chacune une courbe d’allumage. Pour un régime donné du moteur (T/M), il y a un angle qui constitue le nombre de degrés avant le point mort haut. Cet angle peut varier en fonction des T/M. Dans les courbes d’allumage représentées dans les cinq tableaux, il y a un angle correspondant aux différents T/M, passant de 1 000 T/M à 8 800 T/M. Chacun des tableaux présente une courbe d’allumage en fonction d’une plage de différentes températures des gaz d’échappement. Dans ce cas précis, les températures sont présentées en plages, le tableau A couvrant une plage de 0 °C à 250 °C et les autres tableaux fonctionnant par échelon de 50 °C (250 à 300, 300 à 350, 350 à 400), le dernier tableau visant les températures de 400 °C et plus. Tant que la température des gaz d’échappement se maintient dans une plage, ce sera cette courbe d’allumage qui commandera. Ainsi, à mesure que les T/M varient, un point d’allumage différent, représentant un angle différent, sera choisi dans un tableau particulier.
[23] J’ai reproduit le tableau E du brevet 738, qui montre un exemple d’une courbe d’allumage. Ce tableau s’applique lorsque la température des gaz d’échappement a atteint au moins 400 degrés. D’autres courbes d’allumage s’appliqueront pour différentes plages de températures :
E : Température des gaz d’échappement de 400 °C ou plus
T/M |
Angle |
8 800 |
11,0 |
8 600 |
11,0 |
8 400 |
11,0 |
8 200 |
11,5 |
8 000 |
13,0 |
7 750 |
15,0 |
7 250 |
19,0 |
7 000 |
20,0 |
6 500 |
22,0 |
6 000 |
24,0 |
5 000 |
24,0 |
4 000 |
20 |
3 000 |
10 |
2 000 |
10 |
1 000 |
8 |
0 |
8 |
Un point d’allumage correspondra à l’angle, soit le nombre de degrés avant l’atteinte du point mort haut à un régime précis. Ainsi, à 8 000 T/M, l’angle sera de 13°, ce qui signifie que la source d’allumage enflammera le mélange air-carburant à 13° avant le PMH. Comme l’indique le tableau, les angles différeront selon les T/M pour des températures au-dessus de 400 °C. De même, l’angle pourra être différent pour différentes plages de températures des gaz d’échappement. Au tableau A, pour des températures inférieures à 250 °C, l’angle avant le PMH est de 10° à 8 000 T/M. Lorsque la température des gaz d’échappement quitte une plage déterminée, une nouvelle courbe d’allumage survient.
[24] La description renvoie aux figures présentées après les revendications. La figure 1, reproduite ici, est un dessin assez rudimentaire d’un moteur à deux temps, où 10 représente le moteur lui-même, 12 le cylindre, 14 le piston, 16 le vilebrequin, 18 la source d’allumage (comme une bougie d’allumage), 20 le module de commande pour allumer la source d’allumage, 22 la bobine par laquelle une bougie d’allumage peut être allumée, 24 le capteur de température des gaz d’échappement et 26 le tuyau d’échappement (à la page 3 de l’exposé, on retrouve « tuyau d’échappement 28 », ce qui est manifestement une erreur).
[25] Les figures 2 et 3 illustrent des exemples de la commande du calage de l’allumage. Les figures 4 à 8 sont des graphiques illustrant différentes courbes d’allumage. Les graphiques ne semblent pas correspondre exactement aux tableaux A à E présentés aux pages 7 à 9 du mémoire descriptif, mais chacun d’eux est néanmoins présenté comme étant une courbe d’allumage pour une plage de températures particulière. Ni les tableaux et ni les figures ne fournissent de renseignements concernant ce que ces courbes sont censées réaliser afin d’optimiser le fonctionnement d’un moteur. Rien n’est indiqué sur le diagnostic issu de la détection de la température.
[26] À première vue, la courbe d’allumage est au cœur de l’invention. Les tableaux A à E présentent les chiffres qui correspondent à des points d’allumage pour divers T/M, une fois que les températures des gaz d’échappement ont atteint une plage particulière. Les figures 4 à 8 ne sont rien de plus que la représentation graphique des courbes d’allumage. Le point d’allumage se trouve au croisement entre le régime du moteur et le nombre de degrés avant le point mort haut d’une plage particulière de température des gaz d’échappement. Les graphiques illustrent l’ensemble de ces points. Une courbe d’allumage n’est jamais constituée d’un seul point. La courbe représente simplement le rapport entre les régimes du moteur et les degrés d’avance avant le point mort haut, soit les calages de l’allumage, pour différentes plages de températures. Les figures 4 à 8 et les tableaux 1 à 5 présentent les mêmes informations, mais sous des formes différentes, c’est-à-dire une courbe d’allumage se compose de divers points d’allumage; selon les tableaux et les figures 4 à 8, il ne peut y avoir de courbe d’allumage en présence d’un seul point d’allumage. Ce concept fondamental n’est pas altéré par l’ajout du degré d’ouverture du papillon dans un cas donné (deux des revendications invoquées seraient « tridimensionnelles » en ce que la courbe d’allumage correspond au rapport des degrés d’avance avant le point mort haut, du régime du moteur et de l’ouverture du papillon).
B. Les revendications en litige
[27] Des 47 revendications exposées dans le brevet 738, AC fait désormais valoir cinq revendications, soit les revendications 11 et 16 (les « revendications de modification ») ainsi que les revendications 33, 40 et 47 (les « revendications de sélection »). Les revendications 11 et 16 sont liées entre elles dans la mesure où la revendication 11 est la revendication portant sur le moteur relative à la revendication de méthode 16 du même moteur. Ce lien s’applique également aux revendications 40 et 47. Elles sont en fait les miroirs l’une de l’autre, les conclusions auxquelles parviendra la Cour concernant le moteur s’appliqueraient également aux méthodes de fonctionnement. Les revendications 40 et 47 sont rédigées sous forme de dépendance à l’égard des revendications 34 et 41 et concernent expressément les motoneiges, alors que les revendications 11 et 16 n’ont pas ce caractère spécifique et ne se limitent pas aux motoneiges. Enfin, la revendication 33 est la revendication dépendante de la « revendication de méthode » 28 pour laquelle le moteur est un moteur de motoneige. Le fait que les revendications 40 et 47 soient tridimensionnelles, c’est-à-dire que le point d’allumage varie en fonction du régime du moteur et de la position du papillon, par opposition au point d’allumage variant uniquement en fonction du régime du moteur dans les trois autres revendications, s’est avéré sans grande importance. Les revendications sont reproduites à l’annexe « A ». Les revendications invoquées, avec leurs revendications indépendantes, sont surlignées.
[28] Il n’est pas contesté que toutes les revendications portant sur le moteur concernent un moteur à deux temps comprenant :
• un cylindre
• un piston
• une source d’allumage
• un module de commande
• un capteur.
De la même façon, les revendications de méthode comprennent toutes un procédé d’actionnement d’un moteur à deux temps comprenant :
• le déplacement d’un piston dans un cylindre
• l’activation d’une source d’allumage dans le cylindre pendant le mouvement de compression
• l’expulsion des gaz d’échappement provenant de la combustion
• la détection de la température des gaz d’échappement.
BRP ne conteste pas que ces éléments composent les moteurs de ses motoneiges mises en cause. D’ailleurs, BRP ne conteste pas que ses moteurs possèdent tous les éléments illustrés à la figure 1 du brevet 738 (reproduite au paragraphe 24 des présents motifs). Le cœur du débat n’est pas là.
[29] Il existe de toute évidence des différences entre les revendications et certaines questions d’interprétation à leur égard se posent. Nous examinerons tout cela un peu plus loin dans les présents motifs. Pour le moment, un aperçu sera suffisant.
[30] Les revendications 11 et 16 seront examinées ensemble. Selon elles, il doit exister une pluralité de « courbes d’allumage de base » à partir desquelles une courbe d’allumage de base sera sélectionnée et modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. C’est la raison pour laquelle ces revendications ont été qualifiées de « revendications de modification ». Cette courbe d’allumage de base modifiée devient ainsi la courbe d’allumage. Le module de commande activera la source d’allumage en fonction de cette courbe d’allumage. Les revendications 11 et 16 concernent uniquement le rapport entre le point d’allumage et le régime du moteur.
[31] Les trois autres revendications invoquées sont des « revendications de sélection » et visent la sélection d’une courbe d’allumage effectuée à partir d’une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement. La revendication 33, qui est dépendante de la revendication de méthode 28, est une revendication de sélection. Contrairement aux revendications 40(34) et 47(41), les deux autres revendications de sélection, la revendication 33(28) est bidimensionnelle à l’instar des revendications 11 et 16, puisque le papillon n’y figure pas.
[32] Comme nous l’avons souligné précédemment, les revendications 40(34), 47(41) et 33(28) visent toutes des moteurs de motoneiges, ce qui n’est pas le cas des revendications de modification 11 et 16.
IV. Litiges à l’étranger
[33] Il est ressorti, pendant le procès, qu’un litige était toujours en cours entre les parties aux États-Unis concernant des brevets se rapportant au brevet en litige en l’espèce. Cette situation a été portée à l’attention de la Cour lors du contre-interrogatoire d’un témoin impliqué d’une quelconque manière dans cet autre litige.
[34] Il semble donc que des procédures sont en cours à la Cour fédérale du Minnesota, mais que l’affaire ne sera pas entendue avant un certain temps puisqu’elle n’est pas encore fixée à procès. En ce qui concerne le litige porté devant l’United States International Trade Commission (Commission américaine sur le commerce international), celui-ci s’est conclu en mai 2015, après qu’Arctic Cat Inc. a retiré sa plainte déposée en décembre 2014. De ce que j’en comprends, Arctic Cat Inc. soutenait que des motoneiges contrefaisant certaines revendications de ses brevets américains étaient importées aux États-Unis. Elle ne fait plus valoir cette allégation aujourd’hui.
[35] D’autres litiges auraient également eu lieu entre Polaris, un autre fabricant de motoneiges, et AC il y a plus de dix ans de cela.
[36] Ceci étant dit, j’estime que les litiges se déroulant à l’étranger n’ont aucune incidence sur l’affaire devant être tranchée au Canada selon le droit canadien et la preuve déposée par les parties. Quoi qu’il en soit, aucune décision étrangère n’a été rendue.
V. Les témoins
[37] Les parties se sont appuyées sur de nombreux témoignages pour faire valoir leur position lors de l’instruction. D’abord et avant tout, elles se sont chacune appuyées sur un expert pour analyser et présenter leur théorie de la cause concernant la contrefaçon présumée du brevet et, par l’entremise de la demande reconventionnelle, la présumée invalidité des revendications. Les parties ont également fait entendre des experts sur la question des dommages-intérêts demandés, dans l’éventualité où il y aurait eu contrefaçon d’un brevet valide. Chaque partie a fait entendre trois autres témoins. Je me pencherai d’abord sur le témoignage des témoins non experts et renverrai à la preuve présentée par les experts lorsque leur expertise est nécessaire.
A. Brad Darling
[38] M. Darling était le représentant de l’entreprise AC. Il travaille pour AC depuis l’an 2000 et occupe le poste de vice-président directeur général de la division motoneige d’Arctic Cat Inc. depuis le mois de janvier 2011.
[39] M. Darling a expliqué qu’Arctic Cat a appris, et a cru, que BRP contrefaisait le brevet 738 au début de l’année 2012, après que son nouveau juriste interne ait examiné l’ensemble des brevets détenus par Arctic Cat. Cette découverte a été faite peu après que BRP ait déposé sa propre poursuite en contrefaçon de brevet à l’encontre d’Arctic Cat, mais monsieur Darling ne peut affirmer avec certitude si, comme le soutient BRP, cet examen a été mené dans le but de répondre à la poursuite. La question de savoir si la présente procédure a été déposée en riposte ou non est sans importance en ce qui concerne la Cour. La seule considération pertinente est d’établir si un brevet valide a été contrefait ou non.
[40] Il semblerait qu’AC, après avoir conclu que son brevet 738 avait été contrefait par BRP, a contacté cette dernière en vue de conclure un accord de concession réciproque de licences. Manifestement, aucun accord n’a émané de cette discussion.
[41] M. Darling a expliqué le volet « réseau de distribution » de son poste, qui impliquait de faire le suivi des concessionnaires Arctic Cat et des concessionnaires concurrents sur l’ensemble du territoire canadien. Cette analyse est effectuée en fonction d’une année modèle, de l’année civile puis de la saison de motoneige. La conclusion de ces études est qu’Arctic Cat occupe une position compétitive au Canada parmi les principaux concessionnaires de l’industrie (Polaris, Ski-Doo et Yamaha). M. Darling a témoigné qu’Arctic Cat fabriquera 26 000 motoneiges pour l’année modèle 2016, ce qui représente une diminution d’un peu plus de 41 000 véhicules par rapport à 2005, avant la récession. Cela correspond à un ralentissement du marché à l’échelle de l’industrie.
[42] AC compte sur ses motoneiges de course pour commercialiser son produit et soutenir la recherche et le développement. Le brevet 738 en particulier a d’abord été exploité sur les modèles de course de l’année modèle 2000 puis sur les modèles destinés aux usagers à compter de l’année modèle 2001. En 2008, le brevet 738 était exploité dans tous les modèles à deux temps 600 et 800 d’Arctic Cat. Cette « technologie » a été très bien reçue par l’industrie en raison de ses avantages remarquables en matière d’accélération au départ.
[43] Au cours de son contre-interrogatoire, M. Darling a expliqué qu’il ne savait pas quelle technologie avait été utilisée pour la première fois en liaison avec un « bouton de démarrage à chaud » sur les motoneiges de l’année modèle 1999. Il n’avait pas non plus connaissance de l’existence d’une technologie antérieure permettant « de calibrer manuellement le tuyau d’échappement ». Il a confirmé que Suzuki était le fournisseur exclusif d’Arctic Cat en ce qui concerne les moteurs, et ce jusqu’en 2008.
[44] Il convient de noter que M. Darling n’a pas témoigné sur la façon dont AC met en œuvre son invention. Personne n’a témoigné à ce sujet.
B. Troy Halvorson
[45] M. Halvorson travaille pour Arctic Cat depuis 1997. Il est devenu chef de l’équipe des produits de haute performance en 2004 et était notamment responsable de la mise au point des modèles « Firecat ». Depuis le mois d’avril 2015, M. Halvorson est le chef de produit motoneige chez Arctic Cat. À ce titre, il participe à l’orientation du plan du produit, qui régit le développement des nouveaux produits sur un cycle de cinq ans en général.
[46] Il deviendra plus tard évident que le témoignage de M. Halvorson, reposant principalement sur des documents écrits produits par AC, avait pour objectif de comparer les deux motoneiges fabriquées par AC afin de distinguer le modèle de l’année 2005 de celui de 2006 pour jeter les bases pour l’expert quant aux dommages-intérêts.
[47] Ainsi, M. Halvorson a expliqué que la Firecat F6 EFI EXT, la Firecat F6 EFI et la Firecat F6 EFI Sno pro étaient les modèles disponibles mentionnés sur la fiche technique de l’année modèle 2005. « EFI » désigne un système d’injection électronique alors qu’« EXT » désigne une chenille plus longue que celle retrouvée sur le modèle de base Firecat F6 EFI et sur le modèle Firecat F6 EFI Sno Pro. Un modèle supplémentaire, le Firecat F6 EFIR (le « R » signifiant que la motoneige possède une fonction de marche arrière), était également disponible. Tous les modèles posséderaient les mêmes caractéristiques de moteur. M. Halvorson a expliqué que les moteurs utilisés dans les modèles 2006 étaient les mêmes que ceux utilisés pour les modèles 2005. Toutefois, la brochure de 2006 mentionne un capteur de température du tuyau d’échappement, mis en place dans le F6 pour cette année modèle. On y note une autre différence à l’égard des amortisseurs, les modèles 2005 utilisant les amortisseurs à gaz Arctic Cat à piston flottant interne et les modèles 2006 utilisant les amortisseurs à gaz Fox à piston flottant interne. Le modèle 2005 Firecat F6 EFIR pour sa part aurait eu les mêmes caractéristiques que le Firecat F6 EFIR de 2006 s’il avait été mentionné dans la brochure portant sur l’année modèle 2005. M. Halvorson a relevé deux dernières différences entre les années modèles 2005 et 2006, soit un changement au niveau de la palette de couleurs et le fait qu’Arctic Cat n’offrait plus le modèle EXT en 2006. Il a ensuite expliqué qu’Arctic Cat n’offrait pas les démarreurs électriques comme option disponible en 2005, ce qu’elle fit en 2006. Les offres en 2006 n’ont toutefois pas eu d’impact sur le prix demandé par Arctic Cat à ses concessionnaires de motoneiges puisque ces options étaient vendues par les concessionnaires aux clients, en sus des motoneiges.
[48] Le témoin n’a donné aucun renseignement sur la façon dont la motoneige F6 de l’année modèle 2006 mettait en œuvre l’invention. En fait, étonnamment, M. Halvorson a uniquement mentionné l’ajout d’un capteur de température du tuyau d’échappement sur le dernier moteur.
[49] Au cours de son contre-interrogatoire, M. Halvorson a expliqué que sa connaissance des modèles d’Arctic Cat de ces années-là était très limitée, de même que sa connaissance du matériel promotionnel qu’il n’a pas lui-même conçu. Il a cependant confirmé que pendant cette période, Arctic Cat achetait les moteurs destinés aux modèles Firecat chez Suzuki. Pour ce qui est des fiches techniques présentées dans les brochures, celles-ci étaient exactes jusqu’à un certain point, étant donné que les caractéristiques pouvaient être modifiées au moment du démarrage de la fabrication et que des erreurs pouvaient s’y glisser.
[50] M. Halvorson a expliqué que la référence à un capteur de température du tuyau d’échappement, qui est indiqué sur la fiche technique mais non sur la brochure, pouvait être associée par un lecteur bien informé à [traduction] « une performance innovante quelle que soit la température ». Le témoin n’a pas contesté qu’AC faisait la promotion de ses suspensions en 2006.
[51] Il a été établi devant la Cour que le témoin a obtenu son diplôme de l’université polytechnique CalPoly (California Polytechnic State University), d’un programme qu’il décrit comme étant de technologie industrielle. Bien que M. Halvorson ne soit pas ingénieur et ne prétend pas l’être, il travaille depuis 1997 pour AC. Malgré cela, il a été incapable de fournir une explication au sujet du moteur qui est supposé faire une différence.
[52] La Cour n’a aucun doute quant à l’intégrité de ce témoin : il a été honnête et franc. Il a immédiatement admis que sa connaissance relativement au moteur était limitée. Voici les passages importants du contre-interrogatoire, qui se trouvent aux pages 2441 à 2445 :
[traduction]
R. Je ne détiens pas de diplôme en génie mécanique.
Q. D’accord. Et vous ne possédez pas non plus de diplôme en génie électrique?
R. Non, je n’en ai pas.
Q. D’accord. Vous avez fait mention du Firecat F6 EFI. EFI signifie système d’injection électronique, est-ce exact?
R. Exact.
Q. Bien. Savez-vous, de façon générale, comment les systèmes d’injection électronique fonctionnent?
R. De façon générale, oui.
Q. Donc, jusqu’à quel point s’étend votre connaissance?
R. Dans un système conventionnel plus ancien composé de carburateurs, le circuit d’alimentation en carburant est basé sur... c’est la façon dont le carburant arrive au carburateur dans le moteur. Dans un système d’injection électronique, l’injection se fait dans le moteur par une impulsion électrique qui est fournie par... dictée par l’ordinateur, l’ECU d’une motoneige.
Q. D’accord. Et pour commander l’injection électronique d’une ECU, savez-vous quelles sont les entrées et les sorties de cette ECU?
R. Il y a beaucoup d’entrées et de sorties, oui.
Q. Seriez-vous en mesure de les nommer?
R. Probablement pas toutes.
Q. Et sauriez-vous de quelle façon la commande de ce système d’injection électronique fonctionne à l’intérieur du module de commande, en fonction des entrées des capteurs et des sorties?
R. Je ne sais pas exactement comment cela fonctionne.
Q. Et cela ne fait pas partie de vos fonctions de toute façon?
R. Non.
[...]
Donc vous avez mentionné que vous ne connaissez pas le fonctionnement de l’ECU, est-ce exact? Vous ne connaissez pas le fonctionnement interne de l’ECU, la logique, le logiciel?
R. C’est exact. Je... je ne... je sais comment... je veux dire. J’ai une idée de comment fonctionne un ordinateur. Mais si je devais dire à quelqu’un comment construire un ordinateur, j’aurais de la difficulté.
Q. Oui. Et vous ne seriez pas en mesure d’expliquer à une personne comment programmer l’ECU utilisée par Arctic Cat ou de l’aider à la programmer?
R. Non.
Q. Si nous étions en 2005 ou 2006?
R. Je ne serais pas capable de leur dire
Q. Donc vous ne savez pas ce que les capteurs de température du tuyau d’échappement font?
R. Oui, je sais ce qu’ils font.
Q. Sont-ils raccordés à l’ECU?
R. Je sais que le capteur électronique ou le capteur de température du tuyau d’échappement mesure la température des gaz d’échappement.
Q. D’accord. Et cela signale l’entrée à l’ECU?
R. Il s’agit d’un capteur sur lequel l’ECU se fonde au niveau de cette information, oui.
Q. Mais au-delà de cela, vous ne savez pas ce que l’ECU fait avec cette information ni comment il y répond?
R. Bien, je... Je ne sais pas comment, non.
Q. Merci.
Si on revient en 2006, le modèle de l’année 2006, équipé du capteur de température du tuyau d’échappement, encore une fois, il s’agissait d’un moteur Suzuki, est-ce exact?
R. Exact.
Q. Pourvu d’une ECU de marque Kokusan? Est-ce cela vous rappelle quelque chose?
R. Oui.
Q. Donc il s’agit de K-O-K-U-S-A-N. Et ils étaient livrés avec les moteurs, est-ce exact?
R. Il faudrait que vous définissiez « livrés avec le moteur ».
Q. C’est-à-dire qu’ils étaient déjà installés sur le moteur ou prêts à être installés sur le moteur. Est-ce comme ça que les moteurs arrivaient?
R. Non.
Q. Non, ce n’était pas comme ça. Étaient-ils expédiés avec le moteur pour un moteur particulier?
R. J’ai... Ils faisaient partie du colis qui accompagnait le moteur, mais ils n’étaient pas directement avec le moteur.
Q. D’accord. Donc le moteur « A » vient avec l’ECU « A » de Kokusan. Le moteur « B » vient avec l’ECU « B » de Kokusan. Serait-ce une bonne façon de décrire comment ça se passait?
R. Je ne pourrais... Je ne pourrais pas répondre à cette question.
Q. D’accord. Et vous ne savez rien à propos de la logique de commande de ces ECU, si elle a été développée à l’interne par Arctic Cat ou ailleurs?
R. Non.
[53] Comme on peut l’observer, aucune preuve ne ressort des témoignages de messieurs Darling et Halvorson, malgré leur association de longue date avec AC et, dans le cas de M. Halvorson, de son diplôme en technologie industrielle, à propos du moteur qui réaliserait les marges sur coûts directs utilisées par un expert pour le calcul des dommages-intérêts. Cela laissait à Greg Spaulding, l’inventeur nommé dans le brevet, de présenter des éléments de preuve sur l’invention.
C. Greg Spaulding
[54] M. Spaulding est actuellement le directeur du groupe de conception et de développement du moteur à deux temps dans le service d’ingénierie d’Arctic Cat. Il travaille pour Arctic Cat depuis 1994. Son groupe conçoit les composantes nécessaires pour obtenir un moteur assemblé, collaborant avec la société Suzuki Motor Corporation en tant que fabricant de moteurs pour fabriquer un prototype. Son groupe a ensuite achevé le développement du moteur, ce qui comprend la conception et le développement du tuyau d’échappement. M. Spaulding ne possède pas de diplôme en génie, mais son expérience et ses connaissances en matière d’étalonnage de moteurs ne peuvent être niées.
[55] Le témoin a présenté à la Cour sa version de l’historique de l’invention. M. Spaulding a expliqué qu’aux environs de 1996, il avait eu, au départ, l’idée d’optimiser le calage de l’allumage. Il a d’abord eu l’idée de conserver les tours par minute du moteur au départ sous le niveau auquel l’embrayage s’enclenche tout en ouvrant le papillon afin de s’éloigner plus rapidement de la ligne de départ au début d’une course. M. Spaulding a contacté Suzuki, le fournisseur de moteur d’Arctic Cat, afin de mettre en œuvre cette idée. Les unités de commande du moteur (ECU) qu’il a reçues de Suzuki limitaient cependant les tours par minute en produisant moins d’étincelles, ce qui avait également pour effet de diminuer la chaleur produite par le tuyau d’échappement et par conséquent de dégrader plutôt que d’améliorer la performance à la ligne de départ.
[56] M. Spaulding a expliqué qu’il a contacté Suzuki pour lui proposer de limiter les tours par minute en retardant l’allumage du moteur, transférant ainsi moins d’énergie au piston et plus au tuyau d’échappement afin d’augmenter la température. Suite à cette demande, il a reçu des systèmes supplémentaires qui retardaient le calage de l’allumage, mais qui utilisaient toujours le procédé contre-productif d’élimination des étincelles. M. Spaulding a donc communiqué avec Suzuki pour lui demander précisément d’ajouter la possibilité que l’allumage se produise après le point mort haut. Cette fonctionnalité a été intégrée au 440 ZR racer dans l’année modèle 1998. M. Spaulding n’était toutefois pas encore satisfait de la conception, c’est pourquoi il n’a pas intégré les éléments qui auraient permis au conducteur d’utiliser cette fonction.
[57] Il a poursuivi la mise au point en s’éloignant de l’idée de limiter le régime du moteur pour plutôt se diriger vers un « système à deux cartographies » sélectionné par un interrupteur chaud/froid dont les réglages permettaient d’obtenir une courbe de puissance optimale pour les températures chaudes et froides du tuyau d’échappement. Arctic Cat a mis en œuvre cette nouvelle approche dans le 440 ZR racer de l’année modèle 1999. L’appellation [traduction] « calage de l’allumage à la limite de tours-moteur » pour la cartographie des émissions à froid a toutefois été conservée dans la fiche technique définitive remise à AC par Suzuki, en raison du souhait de M. Spaulding d’éviter de « rendre confuse » Suzuki.
[58] M. Spaulding a ensuite expliqué que les étapes suivantes de création avaient pour objectif de rendre les changements entre les cartographies automatiques. Il a demandé à Suzuki de revoir les courbes de calage de l’allumage utilisées par Arctic Cat pour ses réglages d’interrupteur froid/chaud. M. Spaulding a décrit la courbe froide comme permettant une meilleure accélération grâce à un réchauffage plus rapide du tuyau et la courbe chaude comme offrant une meilleure performance et empêchant [traduction] « l’effondrement par la chaleur », c’est-à-dire la perte de performance qui survient lorsqu’un moteur à deux temps atteint des températures plus élevées. M. Spaulding a demandé à Suzuki s’il était possible que ces courbes soient automatiquement sélectionnées, sans capteur de position du papillon, mais Suzuki n’a élaboré aucune suggestion.
[59] L’invention est décrite comme [traduction] « utilisant la température des gaz d’échappement pour optimiser les réglages, le calage de l’allumage dans un moteur à deux temps ». Le terme « optimiser », fait référence, de façon détournée, à [traduction] « utiliser la température des gaz d’échappement pour choisir le calage de l’allumage optimal en fonction de cette température interne » (transcription, à la page 2616, aux lignes 5 à 14). M. Spaulding n’a pas témoigné sur la façon dont la température des gaz d’échappement devait être utilisée ni à quelles fins. Selon son témoignage principal, la Cour se trouve devant une personne qui posait des questions à Suzuki, le fabricant de moteurs, qui reviendrait avec de possibles solutions. En fait, la preuve documentaire déposée par AC est constituée de questions, généralement envoyées par télécopieur, à Suzuki. Je n’ai pas été en mesure de découvrir dans quelle mesure AC et M. Spaulding ont contribué aux solutions apportées pour répondre aux questions posées.
[60] M. Spaulding a allégué qu’il a eu l’idée d’utiliser la température des gaz d’échappement pour effectuer une sélection entre différentes courbes, un procédé qu’Arctic Cat a mis en œuvre dans son modèle 440 ZR de l’année modèle 2000. Les problèmes au niveau de la mise au point tenaient au fait que le capteur de température qu’ils avaient choisi ne fonctionnerait pas en dessous et au-dessus de certaines températures. Selon le témoignage, Arctic Cat travaillait avec Suzuki pour développer une logique logicielle qui contournerait la plage de tolérance du capteur. Aucun détail sur cette coopération n’a toutefois été fourni.
[61] M. Spaulding a expliqué qu’il ne s’est jamais particulièrement préoccupé de la logique ou des capteurs, seuls les résultats escomptés l’intéressaient. Son objectif était que les capteurs [traduction] « mesurent la température afin de choisir les courbes d’allumage qui étaient optimales pour cette température donnée » (transcription, à la page 2677, aux lignes 9 à 18). Il a confirmé que dans le cas du modèle de l’an 2000, « optimiser » faisait référence à la puissance (transcription, à la page 2678, aux lignes 12 à 14). Le recours au capteur de tuyau dans le modèle ZR 440 de l’an 2000 pour effectuer une sélection entre différentes cartes de calage de l’allumage a donné de très bons résultats de course pour ce qui est de l’accélération à la ligne de départ.
[62] Le modèle 500 ZR de l’année modèle 2001 fut le premier modèle destiné aux consommateurs à utiliser cette « technologie » de sélectionner des courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement mesurée permettant ainsi une meilleure commande moteur. La « technologie » relative au capteur de tuyau n’a pas été intégrée aux modèles utilisant des moteurs 600 CC et 700 CC, y compris le modèle F6 Firecat, jusqu’à l’année modèle 2006, pour des questions de coûts afférents à ces capteurs. Il reste très difficile de savoir ce que le témoin entend par « technologie ». Si le terme « technologie » signifie [traduction] « l’étude ou l’utilisation des sciences mécaniques et appliquées, l’application de ces sciences à des essais pratiques de l’industrie » (The Canadian Oxford Dictionary, Oxford University Press, 2001), la Cour peut difficilement trouver dans le témoignage de M. Spaulding un quelconque élément s’apparentant à de la technologie. Nous n’avons aucune idée de la façon dont la température des gaz d’échappement est utilisée pour ajuster le calage de l’allumage au moyen de différentes cartographies et courbes d’allumage. Nous ne savons pas non plus quels avantages pourraient en être tirés, autrement que de la présenter en termes d’« optimisation ».
[63] M. Spaulding a ensuite expliqué que c’est M. Ole Tweet, un vice-président chez Arctic Cat, qui a suggéré de breveter l’utilisation d’un capteur pour sélectionner des courbes d’allumage. M. Spaulding n’a pas rédigé le texte du brevet. Il a dessiné à la main le croquis qui est devenu la figure 1 du brevet 738. Pour leur part, les figures 2 et 3 qui illustrent la logique logicielle utilisée dans le 440 ZR de l’année modèle 2000, de même que les figures 4 à 8 ont été réalisées par Suzuki.
[64] Enfin, M. Spaulding a expliqué que c’est une autre compagnie japonaise, Kokusan, le fabricant de l’unité de commande de moteur [ECU] utilisée dans les moteurs d’Arctic Cat, qui a écrit le logiciel de commande. Kokusan a ensuite fourni les composants électroniques à Suzuki, qui à son tour a fourni les moteurs dotés des systèmes électriques à Arctic Cat. M. Spaulding a été très clair à propos de ce qu’il considère être son invention. La mise au point de l’invention portait sur l’utilisation de différentes courbes d’allumage. Il a obtenu un système qui a été décrit comme étant [traduction] « la mesure de la température des gaz d’échappement par un capteur afin de sélectionner des courbes de calage de l’allumage qui sont optimisées pour le fonctionnement du moteur à ces températures internes de tuyau » (transcription, à la page 2671). Tout au long de la mise au point de l’invention, le concept de modifier les courbes d’allumage est demeuré essentiel (transcription, aux pages 2649, 2646 et 2670 entre autres).
[65] Au cours de son contre-interrogatoire, M. Spaulding a confirmé que la conception d’un moteur signifiait la conception de sa structure et de ses pièces. Cette étape a principalement été réalisée par Suzuki, bien qu’Arctic Cat a donné son avis de façon régulière pendant la phase de conception. M. Spaulding n’a pas communiqué avec Suzuki pour la mise au point de la technologie du tuyau d’échappement pour le moteur du ZR 440 de l’année modèle 2000. Arctic Cat a plutôt reçu un système qui mesurerait la température des gaz d’échappement pour choisir différentes courbes d’allumage. La mise au point et l’optimisation de ces courbes ont été réalisées par M. Spaulding lui-même, chez Arctic Cat.
[66] M. Spaulding a également confirmé que la logique de commande, y compris la capacité de choisir parmi des cartes, était déjà programmée dans l’ECU lorsqu’il l’a reçu et qu’il n’est pas intervenu dans sa programmation. Les valeurs de calage de l’allumage qu’il a fournies à Suzuki à installer dans l’ECU étaient toutes des valeurs génériques courantes. M. Spaulding a par la suite optimisé les différentes cartes tout en travaillant sur la version définitive du tuyau calibré, confirmant que cela contribuait jusqu’à 70 % de la puissance du moteur d’une motoneige comme la ZR 440.
[67] Bien qu’Arctic Cat n’a pas présenté de preuve sur la façon dont son propre moteur met éventuellement en œuvre l’invention, M. Spaulding a été contre-interrogé sur l’usage qui a été fait de son invention à partir de 2006. Il est toutefois devenu évident que l’inventeur n’avait pas beaucoup à apporter. Il a été plus précis au sujet de l’historique de l’invention.
[68] Les données figurant dans les cinq tableaux du brevet 738, qui représentent cinq courbes d’allumage, sont issues des valeurs d’entrée et non des valeurs réelles de la fiche technique définitive.
[69] La teneur des modifications apportées aux courbes d’allumage faisait également l’objet du contre-interrogatoire. Le seul paragraphe de l’exposé abordant la question des modifications apportées à la courbe d’allumage (qui correspond aux revendications 11 et 16) a été présenté à l’inventeur. Il n’y a, à mon avis, aucune ambiguïté quant à ce qui était prévu pour modifier la courbe d’allumage :
[traduction]
R. Je n’avais pas d’autre choix que d’utiliser un comparateur de calage,
le D-58, pour choisir?
Q. Une courbe, puis...
R. Lors de la mise au point du 440 ZR de l’année modèle 2000...
Q. Oui.
R. ... grâce à ma technologie en matière de capteur de tuyau et un comparateur de calage D-58, la température des gaz d’échappement choisissait la courbe. Le comparateur de calage D-58 prenait simplement les courbes et les ajustait à la hausse ou à la baisse.
Q. Oui.
R. La mesure des gaz d’échappement pour choisir une courbe existerait et fonctionnerait toujours. L’objectif de cela était, et est encore aujourd’hui parce que nous utilisons le même cadran, par exemple, serait - en raison des tolérances et des composants d’allumage, les tolérances de fabrication, la valeur spécifique de calage correspond au réglage du calage, c’est-à-dire à quel moment vous vérifiez le calage pour vous assurer que votre système est réglé correctement, selon la tolérance de fabrication, il peut y avoir une tolérance de plus ou moins un degré à la valeur de calage.
Donc l’opérateur ayant un cadran comme celui-ci serait en mesure de vérifier son calage de l’allumage manuellement, en supposant qu’il comprend comment il faut faire. Il a découvert que, puisque la tolérance permettait d’avoir un degré de retard ou un degré d’avance, il était possible de modifier ce comparateur pour que le réglage du calage soit conforme à la description. Il s’agit de l’un des objectifs. (Transcription, à la page 2824).
[Non souligné dans l’original.]
Manifestement, la courbe est modifiée, selon l’exemple donné par le témoin, « en les ajustant à la hausse ou à la baisse ».
[70] Il est frappant de constater que l’inventeur n’a pas expliqué qu’elle a été sa part de contribution à l’invention, autre que d’avoir des idées générales et de demander des solutions au fabricant de moteurs. Le témoin a déclaré à plusieurs reprises que la mise au point du moteur est le fruit d’un effort commun, mais cette allégation n’a pas été soutenue par le détail de la contribution de M. Spaulding. Il a simplement pivoté en annonçant qu’il était passé d’un « limiteur de régime » (limitant les tours par minute) au choix de cartographies. Au mieux, sa preuve est nébuleuse (transcription, aux pages 2653 à 2658). Le témoin a même déclaré que ses idées avaient évolué, mais il n’en avait pas avisé Suzuki de peur de la rendre confuse. Il n’a pas été précisé de quelle façon Suzuki devait mettre en œuvre l’innovation à deux courbes. On nous a simplement mentionné l’envoi de télécopies par AC à Suzuki en décembre 1997 demandant un avis sur la façon de modifier l’évolution des deux courbes manuelles en quelque chose [traduction] « qui se fait automatiquement, sans capteur de position du papillon, qui serait peut-être activée par les tours moteurs et la durée. Avez-vous des idées? » (pièce P-57)
[71] Il demeure que le témoin a déclaré que, dans le contexte où l’idée de modifier automatiquement la courbe d’allumage était examinée, il a eu l’idée (transcription, à la page 2669). Mais de quelle idée s’agissait-il? Le dossier concernant sa contribution réelle est resté très mince. Il n’y a aucun doute que M. Spaulding est un maître de l’étalonnage et compte de nombreuses années d’expérience. Sa contribution à une invention, son « système » qu’il a décrit à la page 2671 de la transcription, comme étant [traduction] « la mesure de la température des gaz d’échappement par un capteur afin de sélectionner des courbes de calage de l’allumage qui sont optimales pour le fonctionnement du moteur à ces températures internes de tuyau » est encore plus douteuse au vu de la qualité de la preuve déposée au procès.
[72] BRP a également fait entendre trois témoins, en plus des experts engagés pour traiter de la question de la contrefaçon et de la validité du brevet et des dommages subis.
D. Bernard Guy
[73] M. Guy a suivi une formation en génie mécanique à l’Université de Sherbrooke. Il détient également un diplôme de maîtrise en administration des affaires. Employé chez BRP depuis 1987, il est devenu vice-président responsable des ventes et des concessionnaires, avant d’être promu vice-président responsable des ventes, du marketing et du service à la clientèle pour l’Amérique du Nord.
[74] Le témoin a expliqué que BRP n’est plus une division de Bombardier depuis 2003. Il s’agit d’une personne morale autonome. En 2005, le marché de la motoneige représentait environ 150 000 véhicules vendus, mais a chuté entre 90 000 et 100 000 motoneiges par année dernièrement La part canadienne de marché se situerait aux environs de 40 000 à 50 000 motoneiges. Le marché compte quatre principaux acteurs : Yamaha, Polaris, AC et BRP. BRP détient 49 % du marché au Canada et 43 % en Amérique du Nord.
[75] Il a témoigné que la différence de prix entre les différentes motoneiges ne tient pas entièrement du coût élevé des moteurs. Dans certains cas, une différence de 3 700 $ entre deux motoneiges de même catégorie pourrait s’expliquer en grande partie par la différence au niveau des amortisseurs (pouvant atteindre jusqu’à 1 000 $). Parfois, les différences de prix sont bien moindres.
[76] Au cours de son contre-interrogatoire, l’accent a été mis sur un document intitulé [traduction] « Étude sur l’injection directe » daté du mois de juin 2006. M. Guy a confirmé que BRP examinait la perception des consommateurs à l’égard de la technologie de l’injection directe et, en corollaire, toute association avec une technologie particulière d’injection directe comme celle d’Evinrude E-TEC. M. Guy a reconnu que les perceptions reliées aux désavantages de ce type de moteur relativement à sa fiabilité et à sa durabilité, même minimes, étaient des questions sur lesquelles BRP devait se pencher. Les principales préoccupations concernaient le prix et le fait que l’injection directe n’avait pas fait ses preuves dans l’industrie de la motoneige.
[77] Le contre-interrogatoire a établi que BRP se préoccupait des questions de durabilité, de qualité et de fiabilité. Lorsque les premiers moteurs 600 E-TEC ont été introduits sur le marché, une partie de la campagne publicitaire de BRP faisait la promotion du moteur comme étant pratiquement [traduction] « sans tracas ». Il semble que le déploiement de 2009 n’a pas été pleinement satisfaisant. Une étude de marché effectuée en juin 2009 faisait état de difficultés. M. Guy a confirmé que ces difficultés sont survenues après le déploiement du 600 E-TEC et qu’un sondage indiquait que le Ski-Doo avait perdu de 5 000 à 8 000 ventes en raison des problèmes de durabilité, de qualité et de fiabilité. Il a expliqué qu’il aurait besoin de valider davantage le document pour pouvoir formuler une opinion précise sur ce qu’est une projection statistique. M. Guy a aussi expliqué que ces statistiques reposaient sur des enquêtes statistiques de consommateurs extrapolées pour obtenir des résultats à plus grande échelle.
[78] La Cour doute peu que la durabilité, la qualité et la fiabilité étaient des questions dont se préoccupait BRP. BRP devait éviter ce type de problèmes sur son modèle 800 E-TEC. La société étudie soigneusement la satisfaction des clients. Malgré les propos équivoques de M. Guy, il ne fait aucun doute que la fiabilité et la durabilité préoccupaient BRP.
E. Steward Strickland
[79] M. Strickland a obtenu son baccalauréat en génie mécanique de l’Université McGill en 2000 et a commencé à travailler chez BRP peu de temps après. Il est actuellement l’un des deux « ingénieurs en propriété intellectuelle » chez BRP, un emploi qui consiste à faire le lien entre les inventeurs de BRP et les agents externes qui rédigent les demandes de brevet.
[80] Le travail du témoin consiste à s’assurer que les produits de BRP ne contrefont pas de brevets détenus par des tiers. Il n’y a aucun doute que BRP souhaitait ajuster le calage de l’allumage de ses moteurs par rapport à la température des gaz d’échappement. M. Strickland a donc été mis à contribution. En 2004, le premier moteur pour lequel BRP a proposé d’utiliser la température des gaz d’échappement pour ajuster le calage de l’allumage d’un premier moteur était le 440 HO. Dans le cadre de sa recherche d’antériorité de brevets, M. Strickland a effectué des recherches auprès des offices de brevets dans le but de trouver des brevets pertinents dès qu’il a été informé de la problématique soulevée par le projet qui lui a été présenté. À l’aide de moteurs de recherches ou d’autres méthodes, il a découvert le brevet 738 et son équivalent américain.
[81] En l’espèce, quatre moteurs de BRP sont en litige, soit le 440 HO, le 600 RS, le 600 E‑TEC et le 800 E-TEC. M. Strickland a expliqué qu’il a participé aux recherches d’antériorité de brevets pour le modèle 440 HO en 2004, lorsqu’un ingénieur du service des courses l’a approché au sujet de l’utilisation de capteurs de température de tuyau d’échappement pour modifier le calage de l’allumage. L’objectif était d’aider les moteurs de course à obtenir le feu vert plus rapidement.
[82] Ces brevets, trouvés par M. Strickland, appartiennent à AC; le témoin a estimé qu’ils faisaient tous partie de la même famille de brevets. En examinant l’historique du dossier des brevets américains, il a constaté l’existence de précédents litiges entre AC et Polaris, un autre fabricant de motoneiges. N’ayant pas été en mesure de trouver de décision relative à cette affaire, le témoin a communiqué avec un avocat américain qui était intervenu dans le litige.
[83] La conversation téléphonique qu’il a eue avec cet avocat, qui se serait déroulée à la fin de 2004, l’a conduit au brevet américain 5 946 908 (le brevet 908). Tout en souhaitant éviter de contrefaire les brevets en vigueur, le témoin voulait également trouver l’art antérieur qui pourrait l’aider à contrer les problèmes de validité. Selon son témoignage, l’avocat américain a souligné que le brevet 908 mettait en œuvre un élément différent de celui du brevet d’AC, en ce qu’il enseigne une cartographie de base à partir de laquelle une valeur de calage est extraite, et cette valeur de calage est ensuite corrigée. On peut lire à la page 1320 de la transcription :
[traduction]
R. Bien, c’est... Vous savez, ce sont mes souvenirs et ma compréhension de ce qu’il disait alors que je transcrivais ses propos. Essentiellement, il a continué en ajoutant quelques détails supplémentaires.
Il a également dit que les cartes préprogrammées choisies par la température des gaz d’échappement étaient différentes de celles préprogrammées puis calculées instantanément. Et au fond, ce dont il fait mention ici, et il y faisait toujours référence... nous voyons au bas de la page qu’il y a certains numéros de brevets américains. L’un d’entre eux se termine par 908. Il faisait référence à ce brevet.
Il disait que ce brevet montre... il faisait partie de l’art antérieur à cette époque, il était accessible au public. Il disait que ce brevet 908 montrait l’utilisation d’une cartographie de base et la correction de cette carte à l’aide d’un facteur de correction et que c’était différent parce qu’il était en permanence calculé. Le point... le point d’allumage de la cartographie de base était calculé puis modifié à l’aide du facteur de correction, ce qui était différent de ce qui était revendiqué dans les brevets en litige à ce moment-là entre Polaris et Arctic Cat.
[84] Satisfait que le brevet 908 était différent des brevets d’AC, M. Strickland a poursuivi ses recherches pour s’assurer que le brevet 908 ne pouvait pas être contrefait :
[traduction]
Q. Nous allons nous arrêter un moment sur ce point. Donc vous dites que vous aviez beaucoup de brevets américains. Nous voyons le nombre ici. En ce qui concerne ces brevets, vous cherchiez une solution je dirais, ou une recherche d’antériorité pour le modèle 440 HO. Avez-vous examiné ces brevets pour voir leur statut?
R. Oui, à l’époque, je me souviens... parce qu’une fois Chuck Segelbaum nous a parlé au sujet du brevet 908, il a dit que c’était ce qui était mis en œuvre, enseigné et protégé dans le brevet. Donc, bien entendu, avant de poursuivre et de tenter d’éviter un brevet en faisant quelque chose dans le brevet suivant, bien, je voulais m’assurer que je n’allais pas contrefaire le second brevet. Donc oui, j’ai vérifié l’état au moment du brevet 908.
Q. Quel était l’état?
R. Il était en fait expiré. Le cessionnaire, qui est Yamaha, n’avait pas payé l’une des taxes périodiques qui était due avant cette date et par conséquent, le brevet était expiré.
(Transcription, à la page 1323)
[85] M. Strickland a donc témoigné que les brevets d’AC n’étaient pas contrefaits si BRP voulait mettre en œuvre le brevet 908, qui avait alors expiré.
[86] À l’issue de discussions qui se sont déroulées chez BRP, le témoin a déclaré que l’option retenue fut celle d’une cartographie de base comportant des valeurs de correction. Comme il est expliqué à la page 1335 de la transcription, le facteur de correction serait ajouté au point de calage de l’allumage [traduction] « préalablement obtenu à partir de la carte d’allumage de base ». C’était la suggestion que recommandait M. Strickland (transcription, à la page 1339).
[87] Selon la preuve du témoin, ces suggestions ont également été mises en application dans les autres moteurs mis en cause, soit le 600 RS, le 600 HOE-TEC et le 800 HOE-TEC (transcription, aux pages 1350 et 1351).
[88] Au cours de son contre-interrogatoire, M. Strickland a précisé que l’avocat américain avait spécifiquement fait référence au brevet US 908 et que celui-ci était mis en œuvre par Polaris; BRP a choisi de baser son système sur [traduction] « une cartographie de base à l’aide d’une méthode de facteur de correction, c’est ce qui était enseigné dans le brevet 908 ». (Transcription, à la page 1371)
[89] Le témoignage concernant la mise en œuvre du brevet 908 n’a pas été sérieusement contesté au procès. Le contre-interrogatoire s’est plutôt concentré sur l’emplacement du capteur de température des gaz d’échappement. Le témoin a affirmé qu’à son avis, le brevet 908 décrit que le capteur peut être en contact direct avec les gaz d’échappement ou qu’il peut être installé juste à côté du système d’échappement et ainsi mesurer indirectement la température.
[90] C’est évidemment une chose d’avoir un ingénieur en propriété intellectuelle qui témoigne de la décision de BRP de mettre en œuvre le brevet US 908, qu’il allègue être différent du brevet 738, en mettant l’accent sur les courbes d’allumage qui étaient soit sélectionnées soit modifiées au moyen de la température des gaz d’échappement. Cette tâche incombait au témoin suivant.
F. Bruno Schuehmacher
[91] M. Schuehmacher est titulaire d’un baccalauréat en génie mécanique décerné par l’École Polytechnique de Montréal. Il travaille chez BRP depuis 1993 et en tant qu’ingénieur mécanique dans le service d’étalonnage de moteur depuis 1998. À ce titre, il est responsable d’étalonner les moteurs de motoneige et à deux temps. Étant donné que les moteurs sont assemblés par la division Rotax de BRP en Autriche, son travail consiste à élaborer des systèmes d’admission et d’échappement ainsi qu’un logiciel utilisé par le module de commande des moteurs.
[92] M. Schuehmacher a expliqué qu’en réponse aux normes environnementales qui devenaient de plus en plus sévères, BRP a conçu une série de moteurs à injection semi-directe (ISD) qui ont été intégrés aux modèles de 2003. La technologie d’injection semi-directe restreint la perte de carburant par le tuyau d’échappement d’un moteur à deux temps en injectant du carburant par l’orifice de transfert et non à l’aide d’un carburateur. Une véritable injection directe règle intégralement ce problème, mais cette technologie est beaucoup plus chère. BRP a fait l’acquisition de Johnson-Evinrude et de sa technologie d’injection directe E-TEC dans les années 2000 ou 2001 et a commencé à la mettre au point pour l’utiliser dans ses motoneiges. Cette technologie a été commercialisée pour l’année modèle 2008 et la technologie d’injection semi-directe a été abandonnée en 2009. Toutefois, une autre technologie appelée « P-TEK », commercialisée pour la première fois en l’an 2000, a continué à être fabriquée en petites quantités avec un carburateur géré par un module de commande.
[93] Le témoin a expliqué comment les moyens sont utilisés dans la logique de commande des moteurs de BRP. Selon son témoignage, la même logique de commande était utilisée pour les moteurs P-TEK (avec carburateurs) et les moteurs 440 HO et 600 RS (à injection directe). Les cartographies de base sont essentiellement des courbes d’allumage. Les points d’allumage sont préétablis pour des régimes de moteur différents. Pour un régime de moteur donné, ou une gamme de régimes de moteur, un point d’allumage est établi, généralement à un point situé avant que le piston n’atteigne le haut du cylindre (point mort haut). Les cartographies de base fournissent le calage de l’allumage, avance initiale. Dans le cas de ces moteurs, les quatre cartographies de base, A, B, C et D, sont liées au type de carburant utilisé. La cartographie D pour sa part correspond à la cartographie de « préchauffage » utilisée uniquement dans les modèles de course. La cartographie C n’a jamais été utilisée.
[94] E, F, G, H, J, et K x L sont toutes des corrections qui sont appliquées au calage de l’allumage sélectionné à partir de l’une des quatre cartographies de base, de sorte que la logique se présente comme suit :
((A ou B ou C ou D)+E+F+G+H+J+K x L)
Où K est la correction apportée en fonction de la température des gaz d’échappement.
Comme on peut le constater à partir de cette équation, une fois que l’une des quatre cartographies de base a été sélectionnée, une correction est appliquée au point d’allumage correspondant au régime du moteur. Une des corrections proviendra de la température des gaz d’échappement. Il est utile de reproduire le résumé du fonctionnement de la commande logique des moteurs, dans les mots du témoin. Ce résumé n’a jamais été contesté. La Cour doit donc tenir pour acquis qu’il s’agit de la logique de fonctionnement des moteurs de BRP. Comme nous le verrons plus loin, la même logique s’appliquera également aux moteurs E-TEC.
[traduction]
R. Le module de commande devra d’abord sélectionner quelle table de base d’avance à l’allumage utiliser pour extraire le calage de l’allumage. Ainsi, comme il a été expliqué, ce sera en règle générale A ou B, selon qu’il s’agit d’une course ou non, ou s’il s’agit d’un préchauffage du tuyau d’échappement calibré à la ligne de départ; dans ce cas, ce sera D, si je ne me trompe pas, qui correspond au préchauffage. Donc, en fonction des conditions de fonctionnement du moteur, la table de base est choisie. Connaissant le point de fonctionnement du régime du moteur et la position du papillon, un calage de base de l’allumage est extrait et une fois que ce calage de base de l’allumage est extrait diverses corrections sont ajoutées pour la pression atmosphérique de la température du moteur, le rodage du moteur et la température des gaz d’échappement. Une fois que ces ajouts sont faits, le calage de l’allumage final est établi, et il sera envoyé à la bobine d’allumage pour produire l’étincelle.
(Transcription, à la page 828)
[95] M. Schuehmacher a ensuite abordé la question des moteurs E-TEC, pour lesquels BRP utilisait le module de commande et la logique élaborée par Johnson-Evinrude. Il a expliqué que BRP a simplement ajouté des fonctions qui n’existaient pas à l’extérieur, mais qui sont nécessaires aux motoneiges. BRP a également intégré plusieurs autres fonctions déjà existantes dans les modules P-TEK, notamment la gestion de la température du silencieux. Ce travail a été réalisé en collaboration avec Johnson-Evinrude et, dans une certaine mesure, avec Rotax.
[96] Selon M. Schuehmacher, les contributions au module E-TEC sont essentiellement les mêmes que celles apportées au module P-TEC. Toutefois, il existe également un moyen« GPSTP » qui est destiné à la température des gaz d’échappement dans le tuyau calibré. Cela correspond à un second détecteur de température des gaz d’échappement situé dans le tuyau d’échappement calibré plutôt que dans le silencieux. On le retrouve dans le modèle 800 E-TEC, mais non dans le modèle 600 E-TEC. M. Schuehmacher a ensuite mentionné que l’avance à l’allumage du module du modèle 800 E-TEC fonctionne en sélectionnant une des quatre tables de base en fonction de la combinaison de deux paramètres distincts : la pression barométrique et la qualité du carburant. Une fois que la table de base est sélectionnée, le module extraira une avance à l’allumage selon la vitesse de rotation du moteur et la position du papillon. Les corrections extraites de la « cartographie dynamique de correction du calage de l’allumage », notamment une correction établie selon le capteur de température des gaz d’échappement, sont ajoutées à cette valeur. Cela s’applique uniquement lorsque le papillon a une ouverture de plus de 70 % ou de 80 %, selon le modèle de motoneige, et lorsque le moteur tourne à un régime de plus de 7 800 tours par minute. Par conséquent, ce n’est que lorsque ces conditions surviennent que la correction s’appliquera en fonction de la température détectée.
[97] Le module de gestion du moteur [ECM] des moteurs E-TEC est programmé pour déterminer le point d’allumage final en appliquant une ou plusieurs corrections au point de calage de base de l’allumage extrait de l’une des quatre cartographies de calage de base de l’allumage. Les corrections sont établies en fonction du régime du moteur, de la pression barométrique et de la température du silencieux (voir BRPE-58/8-9) à l’aide de la formule suivante :
Calcul du calage de l’allumage : (A ou B ou C ou D) + E + F + G
où :
• A, B, C ou D représente la valeur de calage de l’allumage extraite en fonction des tr/m et de la position du papillon de la cartographie de calage de base de l’allumage préalablement sélectionnée;
• E représente la valeur de correction du calage de l’allumage (correction dynamique de l’angle d’allumage) pour la température des gaz d’échappement détectée et pour le régime du moteur (tr/m);
• F représente la valeur de correction du calage de l’allumage pour l’altitude;
• G représente la valeur de correction du calage de l’allumage pour la protection du silencieux contre la surchauffe.
[98] M. Schuehmacher a expliqué que selon les données recueillies des essais réalisés sur les motoneiges de BRP depuis 2005, les situations pour lesquelles une correction devait être appliquée en raison des températures des gaz d’échappement étaient très rares en pratique, puisqu’elles correspondent à de grandes ouvertures du papillon, supérieures à 70 % ou 80 %, qui ne surviennent qu’à très grande vitesse. La correction pour le modèle 800 E-TEC ne sera utilisée que lorsque le moteur tourne à plus de 7 800 tours par minute. La correction établie selon la température des gaz d’échappement ne survient donc que de 3 % à 5 % du temps. M. Schuehmacher a ajouté toutefois que ces données peuvent varier selon la puissance du moteur et la façon dont il est utilisé. Pour les modèles 800 E-TEC, 3 % correspond à une utilisation sur piste alors que 5 % correspond à une utilisation en montagne. Le modèle 600 E-TEC, qui est un moteur plus fiable, est généralement utilisé uniquement sur pistes et la correction s’applique dans moins de 5 % de son temps d’utilisation.
[99] En contre-interrogatoire, le témoin n’a pas été interrogé sur la logique de commande qui est utilisée par les moteurs incriminés. Il lui a été demandé de donner des exemples sur le fonctionnement de la logique, possiblement dans une tentative de démontrer que la logique utilisée par les quatre moteurs correspond, en fin de compte, à la description des revendications invoquées du brevet 738.
[100] Le témoin était toutefois convaincu. La logique des quatre moteurs requiert qu’un point d’allumage soit extrait de la cartographie de base sélectionnée, puis qu’il soit corrigé, notamment en fonction de la température des gaz d’échappement (transcription, aux pages 1108 à 1123).
[101] Enfin, le contre-interrogatoire a confirmé que BRP était consciente de l’existence des brevets détenus par AC. Il est manifeste que BRP souhaitait éviter toute contrefaçon; M. Schuehmacher a d’ailleurs conclu qu’à son avis, il n’y avait pas de contrefaçon (transcription, aux pages 1143 à 1146). Loin de revenir sur son opinion qu’elle ne mettait pas en œuvre le brevet 738, BRP va même plus loin en déclarant qu’elle a pris soin d’éviter de le contrefaire. Il ne s’agit pas d’un cas où la contrefaçon est justifiée ex post facto. BRP, connaissant l’existence des brevets d’AC, a voulu éviter de contrevenir au monopole.
[102] Au vu du dossier dont dispose la Cour, il n’est pas contredit que la logique de BRP voulait qu’une cartographie de base soit sélectionnée selon certains critères (la qualité du combustible par exemple), et non en fonction de la température des gaz d’échappement.
[103] Une fois la cartographie sélectionnée, le calage de l’allumage correspondant à un régime précis du moteur (tours par minute) serait extrait afin d’y appliquer une correction. Cette valeur serait ensuite corrigée en fonction de différents facteurs, dont la température des gaz d’échappement. Cette logique est essentiellement la même pour les quatre moteurs incriminés. Après avoir interprété les revendications invoquées par AC, la question qui se pose est la suivante: y a-t-il contrefaçon du brevet?
[104] J’ai examiné attentivement les témoignages présentés par ces témoins. Le témoignage de M. Spaulding est important pour comprendre en quoi consiste l’invention et s’il s’agit de son invention. Messieurs Strickland et Schuehmacher ont pour leur part voulu démontrer comment BRP a évité de contrefaire le brevet 738. Cette affaire revient donc à établir en premier lieu quelle logique suivent les quatre moteurs mis en cause. Deuxièmement, la Cour devra déterminer, en s’appuyant sur l’interprétation des revendications, en quoi consiste l’invention, avant de comparer ladite invention à la logique utilisée par BRP à l’égard de ses moteurs.
G. Les experts
[105] Les parties ont fait entendre quatre experts dans la présente cause. AC et BRP ont toutes deux fait entendre un expert afin de faciliter la compréhension du fonctionnement des moteurs à deux temps et l’interprétation de ce brevet.
[106] Le Dr David Checkel est l’expert d’AC. En plus d’être un ingénieur mécanique professionnel, il est titulaire d’un doctorat en ingénierie de l’Université de Cambridge. Il a enseigné au département de génie mécanique de l’University of Alberta pendant près de 30 ans et est maintenant à la retraite.
[107] L’expert de BRP, le Dr Glenn Bower, a également reçu une formation d’ingénieur mécanique. Il détient un doctorat de l’University of Wisconsin-Madison. Il est actuellement scientifique principal au centre de recherche sur les moteurs de l’University of Wisconsin-Madison et professeur agrégé au département de génie mécanique de cette même université.
[108] Les services de deux autres experts ont été retenus par les parties pour prendre part à la détermination des dommages-intérêts. La question des dommages-intérêts n’a pas été disjointe en l’espèce et les arguments à son soutien ont été examinés sans égard à la décision sur la contrefaçon et sur la validité du brevet. Ces deux experts en matière de dommages-intérêts ont également témoigné dans la cause analogue T-2025-11.
[109] M. Andrew N. Carter est l’expert d’AC. Il détient un baccalauréat en sciences de la Rose-Hulman Institute of Technology. Il a également une maîtrise en administration des affaires (MBA) de la Graduate School of Business de l’University of Chicago.
[110] L’expert de BRP, le Dr Keith R. Ugone, a reçu une formation en économie. Son baccalauréat en économie a été décerné par l’University of Notre-Dame. Il détient une maîtrise en économie à l’University of Southern California et a obtenu son doctorat de l’université Arizona State University.
[111] M. Carter et le Dr Ugone dispensent depuis un certain temps des conseils à leurs clients par l’intermédiaire, dans le cas de M. Carter, d’une société dans laquelle il dirige le groupe de témoignage d’experts et pour le Dr Ugone, comme directeur général chez Analysis Group Inc., où il est spécialisé en interprétation de données financières et économiques.
VI. Crédibilité des experts
[112] Les qualifications des experts n’ont jamais été mises en doute. AC a néanmoins décidé de consacrer un certain nombre des 60 pages réservées à son mémoire des faits et du droit pour mettre en doute la crédibilité des deux experts dont les services ont été retenus par BRP en l’espèce.
[113] AC reproche au Dr Bower, un expert en génie mécanique, de manquer d’impartialité et d’agir comme porte-parole de la partie ayant retenu ses services.
[114] Il ne fait aucun doute que les témoins experts ont « l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité quant aux questions qui relèvent de son domaine de compétence » (article 1 du Code de déontologie régissant les témoins experts, adopté en vertu de l’article 52.2 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106). L’article 2 du code est encore plus explicite :
Cette obligation l’emporte sur toute autre qu’il a envers une partie à l’instance notamment envers la personne qui retient ses services. Le témoin expert se doit d’être indépendant et objectif. Il ne doit pas plaider le point vue d’une partie. |
2 This duty overrides any duty to a party to the proceeding, including the person retaining the expert witness. An expert is to be independent and objective. An expert is not an advocate for a party. |
Vu le rôle particulier joué par les témoins experts et leur obligation d’aider la Cour avec impartialité, le juge a posé plusieurs questions tout au long de leurs témoignages afin de clarifier les éléments souvent laissés ambigus ou flous, du moins aux yeux de la Cour. Ceci était vrai tant pour les experts engagés par BRP que pour ceux dont les services ont été retenus par AC.
[115] À mon avis, après avoir examiné leurs rapports détaillés et écouté très attentivement le témoignage des quatre experts en l’espèce, notamment le témoignage du Dr Bower, j’ai la ferme conviction que ce dernier n’était pas plus un porte-parole de BRP que ne l’étaient le Dr Checkel et M. Carter pour AC.
[116] Il faut reconnaître que les experts comparaissent dans le contexte d’un procès où les parties ont des opinions différentes. Ils ont émis une opinion qui, manifestement, rejoindra la théorie de la cause avancée par une partie. Cela me paraît être l’idée saisie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182 [White Burgess Langille Inman]. Il est certainement vrai qu’on s’attend à ce que l’opinion de l’expert soit impartiale, indépendante et sans parti pris. Toutefois, ces concepts sont définis en tenant compte du contexte entourant le témoignage de l’expert :
32 Trois concepts apparentés sont à la base des diverses définitions de l’obligation de l’expert, à savoir l’impartialité, l’indépendance et l’absence de parti pris. L’opinion de l’expert doit être impartiale, en ce sens qu’elle découle d’un examen objectif des questions à trancher. Elle doit être indépendante, c’est-à-dire qu’elle doit être le fruit du jugement indépendant de l’expert, non influencée par la partie pour qui il témoigne ou l’issue du litige. Elle doit être exempte de parti pris, en ce sens qu’elle ne doit pas favoriser injustement la position d’une partie au détriment de celle de l’autre. Le critère décisif est que l’opinion de l’expert ne changerait pas, peu importe la partie qui aurait retenu ses services (P. Michell et R. Mandhane, « The Uncertain Duty of the Expert Witness » (2005), 42 Alta. L. Rev. 635, p. 638-639). Ces concepts, il va sans dire, doivent être appliqués aux réalités du débat contradictoire. Les experts sont généralement engagés, mandatés et payés par l’un des adversaires. Ces faits, à eux seuls, ne compromettent pas l’indépendance, l’impartialité, ni l’absence de parti pris de l’expert.
Il n’est certainement pas rare que des experts aient des opinions différentes. On en trouve une autre illustration dans l’arrêt récent R. c. Borowiec, 2016 CSC 11, dans lequel deux experts ont rendu des opinions diamétralement opposées quant à la question de savoir si une mère accusée d’infanticide avait un esprit « déséquilibré ». Avoir des opinions différentes ne démontre pas un manque d’impartialité. Il est courant que des experts soient en désaccord.
[117] En l’espèce, AC a allégué que le Dr Bower ne s’était pas conformé à certaines exigences précises de l’article 3 du Code de déontologie. AC semble ici faire référence à son argument selon lequel le Dr Bower aurait dû indiquer « les ouvrages ou les documents expressément invoqués à l’appui des opinions ». Comme je l’ai expliqué ailleurs dans le présent jugement, il n’a pas ainsi été dérogé au code puisque ce qui était reproché à M. Bower n’entrait pas dans la catégorie des ouvrages ou documents.
[118] AC s’est également plaint du rôle secondaire que peut éventuellement jouer l’expert sur un projet mené par l’université à laquelle il est associé et pour lequel un des partenaires serait BRP. Il lui est également reproché d’avoir agi dans une affaire aux États-Unis concernant l’équivalent américain du brevet 738 mettant en cause Polaris, un autre fabricant de motoneiges, et Arctic Cat. Ni l’une ni l’autre de ces deux allégations n’était guère convaincante. Elles ne portaient pas sur les concepts d’impartialité, d’indépendance et d’absence de parti pris décrits par la Cour suprême. Après avoir examiné les rapports déposés en l’espèce par l’expert ainsi que son comportement à la barre des témoins, il était franc et coopératif, peut-être même plus que le Dr Checkel, nul doute que son évaluation était objective, ou que l’opinion qu’il a exprimée n’était pas issue de son jugement indépendant, sans égard à la partie qui avait retenu ses services. Il s’est montré prêt à expliquer son évaluation, notamment son examen méticuleux et complet des revendications. Il n’a jamais hésité à coopérer avec les personnes l’interrogeant ou la Cour. Le Dr Bower n’était pas moins impartial et indépendant que le Dr Checkel ou M. Carter. Je ne mettrais pas en doute leur intégrité au motif qu’ils ont un point de vue différent de celui du Dr Bower et, plus précisément, du Dr Ugone. L’inverse est tout aussi vrai. Ce sont tous des experts qui sont arrivés à une conclusion et rien n’indique que leur position est adaptée au cas par cas.
[119] AC a prétendu que le fait que le Dr Bower a trouvé une antériorité qui invaliderait le brevet 738 a démontré le parti pris. Toutefois, en l’espèce, les principaux éléments de l’antériorité ont été identifiés il y a plus de dix ans par BRP, alors qu’elle tentait d’éviter de contrefaire le brevet 738. Ceci est un objectif louable en soi et personne ne devrait être blâmé pour avoir mené des recherches que j’ai jugé diligentes. Le fait que le Dr Bower, une fois que ses services ont été retenus, ait mené d’autres recherches ne peut être critiqué. Bien au contraire. On devrait s’attendre à ce qu’il y ait des recherches pour déterminer la portée de l’antériorité. Ce serait une toute autre affaire si le Dr Bower avait découvert une antériorité qui nuirait à sa position et qu’il l’avait cachée à la Cour. La Cour n’a pas jugé que c’était particulièrement remarquable le fait que [traduction] « l’interprétation du Dr Checkel est indépendante de l’antériorité invoquée. En réalité, il ne se rappelait pas avoir examiné l’antériorité invoquée en préparant son rapport sur l’interprétation de la revendication et sa contrefaçon ». (mémoire des faits et du droit d’AC, au paragraphe 190)
[120] En fait, l’hésitation dont a fait preuve le Dr Checkel en définissant et expliquant ce qu’est une « courbe d’allumage », le concept au cœur de ce brevet, indiquait une intention de s’en tenir à un scénario défini à l’avance. À plus d’une occasion, le Dr Checkel s’est montré réticent à aborder ce concept de première importance, comme si cette question pouvait être évitée. La Cour avait l’impression que l’expert marchait sur une corde raide et qu’il hésitait à s’en écarter.
[121] AC a tenté de tirer avantage du changement de position manifeste du Dr Bower par rapport aux qualifications requises de la personne versée dans l’art. Il est certainement vrai qu’il a exprimé un point de vue différent dans un rapport qu’il a rédigé dans l’affaire américaine Polaris c. Arctic Cat, il y a environ 13 ans de cela. Comme il l’a honnêtement avoué au procès, il avait oublié les détails de son implication dans cette affaire qui, en fait, ne l’a jamais amené à témoigner en cour puisqu’il y a eu un règlement hors cour. Contrairement à ce qu’a fait valoir AC, le Dr Bower n’a pas démontré qu’il tentait d’ignorer sa propre preuve, mais plutôt qu’il l’avait oubliée.
[122] Comme je tenterai de le démontrer dans la section de ces motifs consacrée à la définition des caractéristiques d’une personne versée dans l’art, il y a plutôt lieu d’adopter celle du Dr Bower. À mon avis, la connaissance nécessaire pour mettre en œuvre le brevet 738 demande plus que l’expérience d’un technicien de chambre d’essai. Si le concept inventif est celui défini par AC, il est tout simplement improbable qu’une personne versée dans l’art ne possède pas les compétences d’un ingénieur mécanique. Si, par contre, on a besoin d’un étalonneur de moteur, cela correspondrait à la définition de personne versée dans l’art présentée par le Dr Checkel où aucun diplôme universitaire n’est nécessaire. J’ai conclu que ce brevet ne s’adressait pas à un simple étalonneur.
[123] Il s’ensuit que la Cour est d’avis que la définition de personne versée dans l’art présentée par le Dr Bower en l’espèce ne le rend pas moins qualifié, ni moins objectif ou indépendant. Je suis arrivé à la conclusion que sa crédibilité, et le poids de la preuve qu’il a soumise, ne devraient pas être minimisés au simple motif qu’il a changé d’avis quant à la définition de la personne versée dans l’art. Comme il a été indiqué précédemment, il avait oublié le litige mettant en cause Polaris. À mon avis, changer d’opinion ne doit pas être retenu contre un expert, à moins qu’on puisse inférer que ce changement d’opinion sert des fins malveillantes, ce qui n’a pas été démontré en l’espèce. AC a fait valoir que par ce changement d’avis, ou d’opinion, l’expert montrait qu’il était prêt à changer d’opinion en fonction de la personne qui retient ses services. Je ne suis pas d’accord. Dans le litige américain Polaris c. AC, Polaris se trouvait dans la même position que celle où se trouve actuellement BRP, soit dans le camp opposé à AC. Dans un certain sens, Polaris et BRP semblent être dans le même camp, comme la conversation entre M. Strickland et l’avocat américain de Polaris en témoigne. Le fait que le Dr Bower définirait différemment la personne versée dans l’art ne peut refléter une prédilection de l’expert à changer d’avis selon la personne qui l’engage puisque les deux clients sont en fait confrontés à des difficultés semblables.
[124] J’ajouterais en aparté qu’il est assez ironique qu’AC insiste autant sur la différence entre la position adoptée par le Dr Bower en l’espèce et celle qu’il avait prise dans le litige mettant en cause Polaris.
[125] Il a été porté à l’attention de la Cour qu’AC s’opposait farouchement à répondre aux questions concernant le litige américain, notamment sur la question de savoir si l’affaire n’avait pas été instruite parce que Polaris s’était, en définitive, inspirée des brevets américains 082 et 566 sans toutefois les copier. Une des raisons invoquées était que ces deux brevets ne sont pas équivalents au brevet en litige et que les revendications sont différentes tant dans leur nombre que dans leur formulation (interrogatoire de Donn Eide, représentant de la société, les 20 et 21 mars 2014). Sans en savoir davantage sur le litige américain impliquant le témoin, il est impossible d’établir avec certitude quelle y aurait été la définition appropriée d’une personne versée dans l’art. En effet, tenter de comparer les exigences sous-tendant deux litiges différents instruits dans deux pays différents et utilisant un ensemble de règles et de lois différentes s’avère toujours être un exercice périlleux.
[126] La Cour a constaté que le Dr Bower était généralement plus précis dans ces explications que le Dr Checkel. Le Dr Checkel s’est trompé sur plusieurs points dans son rapport; comme pour le Dr Bower, je ne retiendrai pas cela contre lui. Des erreurs peuvent arriver. Il a par contre hésité à répondre à des questions qui semblaient être simples, indiquant parfois qu’il n’avait pas bien compris la question posée. De plus, l’exercice d’interprétation des revendications effectué par le Dr Bower était beaucoup plus complet que l’examen superficiel accompli par le Dr Checkel. Le Dr Bower était précis et son interprétation tenait compte des mots employés dans les revendications.
[127] Il faut toutefois dire que les deux experts disposaient d’un brevet qui laissait beaucoup à désirer. Ils avaient tous deux leur propre théorie sur l’objectif de l’invention, dans une certaine mesure, sur ce qui est attendu dans une affaire dont la Cour est saisie. En d’autres termes, le seul fait que l’affaire devait être portée devant les tribunaux est un indice important de l’existence d’un profond désaccord. La Cour n’a pas conclu que le Dr Chekel et le Dr Bower n’étaient pas des experts ni que leurs éléments de preuve ne devaient pas être recevables; elle a plutôt conclu que les experts faisaient face à un brevet difficile, qui manquait de détails et de précisions et que leur intégrité ne devait pas être mise en doute. En fin de compte, la Cour est d’avis que la preuve présentée par le Dr Bower se rapprochait davantage de la formulation du brevet et était conforme à l’antériorité qui avait été définie.
[128] Défendre une partie et défendre une opinion dont on est convaincu sont deux choses différentes. À mon avis, l’avantage dont bénéficie le Dr Bower par rapport au Dr Checkel est que l’opinion du Dr Bower restait proche du texte du brevet, tenait compte de tous les termes de la revendication et n’allait pas à l’encontre du texte. De plus, l’antériorité pertinente était conforme à l’opinion qu’il a exprimée dans ses rapports et dans son témoignage.
[129] AC a soulevé le même type d’arguments relativement à la preuve présentée par le Dr Ugone. Il a été engagé par BRP pour évaluer les dommages qu’aurait subis AC si la Cour accueillait la demande des demanderesses. En l’espèce, l’argument se résume à un désaccord avec le témoignage de M. Carter, l’expert engagé par AC. AC a indiqué que le Dr Ugone était réticent à aider la Cour. En fait, le Dr Ugone ne s’est pas montré plus réticent à aider la Cour que M. Carter. Sur la question des dommages, ces deux experts sont arrivés à des conclusions qui ne pourraient être plus éloignées l’une de l’autre.
[130] En ce qui a trait au Dr Ugone, il a été accusé de manquer de cohérence dans ses méthodologies et de se montrer réticent à aider la Cour.
[131] Comme il sera démontré dans la section des motifs traitant des dommages-intérêts, aucun des experts n’a en définitive été d’un grand secours pour la Cour. Une des trois méthodologies présentées par le Dr Ugone aurait pu, avec quelques ajustements importants, servir de base à la négociation fictive. Par contre, aucune des quatre méthodologies élaborées par M. Carter n’a été utile à la Cour. Même son rapport était tout sauf instructif; ses méthodes étaient plutôt rudimentaires et manquaient de précision ou de fondement théorique. J’ai conclu que cette situation est largement attribuable au brevet en litige, car sans plus de renseignements sur sa réelle mise en application, il est très difficile d’évaluer les dommages. Je n’aurais aucune critique à formuler à l’encontre du Dr Ugone. Si une certaine aide pouvait découler de la preuve présentée par les experts à l’égard des dommages, la preuve du Dr Ugone a, à tout le moins, apporté une méthode pouvant fournir une orientation.
[132] Jusqu’à la fin, il est demeuré difficile de savoir quelle incidence l’invention a eu, ou aurait pu avoir, sur la rentabilité des motoneiges mises en cause. Il s’agit pourtant d’un élément essentiel d’une argumentation sur la question des dommages. Cette absence de clarté résulte principalement du manque d’information découlant d’un brevet comme le brevet 738. M. Carter, qui a fondé son opinion sur la rentabilité de la motoneige d’AC plutôt que sur les moteurs mis en cause, n’a jamais expliqué de quelle façon la motoneige d’AC mettait en œuvre l’invention ni quels systèmes étaient directement influencés par ledit brevet. Il s’est plutôt retranché sur la notion vague de la marge sur coût direct entre les motoneiges. Il est bien connu que seuls les dommages « que cette contrefaçon leur a fait subir » peuvent être indemnisés (paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets). M. Carter devait composer avec une invention qui consistait à utiliser la température des gaz d’échappement pour régler le calage de l’allumage afin d’optimiser la performance d’un moteur de motoneige, notamment augmenter sa puissance, effectuer des ajustements pour le carburant, pour corriger une carburation incorrecte ou le débit de combustible et plus généralement, éviter des dommages au moteur. Néanmoins, le brevet ne précise pas de quelle façon la température des gaz d’échappement sera utilisée pour atteindre ces objectifs et la preuve ne démontre pas si le moteur d’AC ou le moteur mis en cause a atteint l’un de ces objectifs. AC n’a pas présenté de preuve sur l’usage qu’elle a fait de cette invention. Autrement dit, quelle valeur l’invention a-t-elle générée? Considérant cette absence de preuve, il n’est pas surprenant que les experts en dommage tentaient d’être créatifs pour établir un fondement à l’octroi des dommages-intérêts. En conséquence du manque de renseignements, leur témoignage était dépourvu de fondement solide.
[133] En fin de compte, il s’agit d’une affaire où les experts ont fourni à la Cour toute l’assistance dont ils étaient capables eu égard au brevet en litige. Cela ne devrait pas se répercuter de façon indue sur leur témoignage. À mon avis, les prétentions d’AC à l’encontre du Dr Bower et du Dr Ugone ne constituent rien de plus que l’expression d’un désaccord à l’égard des opinions exprimées par ces deux experts. Comme la Cour suprême l’a mentionné dans l’arrêt White Burgess Langille Inman, précité, cela fait partie de la réalité du système de justice contradictoire que les experts, même les plus qualifiés, puissent en arriver à des conclusions qui ne concordent pas. C’est donc au juge qui préside d’avoir recours à l’expertise offerte pour décider quelle opinion a davantage de poids. Dans une affaire de brevet, nous disposons au moins du texte du brevet, qui est éclairci avec l’aide d’experts.
[134] Les avocats d’AC ont bien exprimé dans leur mémoire des faits et du droit que [traduction] « [l]’agent de brevets est libre de rédiger de cette façon, en espérant rédiger une revendication valide et de portée suffisante pour protéger l’invention » (au paragraphe 82). Le juge Pigeon, dans l’arrêt Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555 [Burton Parsons], a saisi l’essence de cette idée :
Plusieurs arrêts signalent qu’un inventeur est libre de formuler ses revendications aussi étroitement qu’il le juge à propos dans le but de se protéger de l’invalidité qui pourrait résulter d’une formulation trop générale. En pratique, cette liberté est vraiment très limitée, car le brevet peut avoir aussi peu de valeur que s’il était invalide si, pour éviter toute possibilité d’invalidité, il laisse un champ inoccupé entre ce que représente l’invention telle qu’elle est décrite et ce qui est visé par les revendications. Tout chacun peut alors utiliser l’invention dans les limites de ce champ laissé inoccupé. À mon avis, l’inventeur ne doit pas être considéré comme un Shylock réclamant sa livre de chair. En l’espèce, ainsi qu’il a été reconnu, il s’agit d’une invention méritoire et Hewlett-Packard, après avoir vainement tenté d’en déprécier l’utilité, s’en est effrontément emparée.
[135] En l’espèce, AC faisait face au même type de dilemme. Si les revendications doivent être interprétées de façon à mettre la courbe d’allumage au cœur de l’invention, cela laisse potentiellement un champ inoccupé où quelqu’un évite d’utiliser les courbes d’allumage de la façon décrite dans les revendications. D’autre part, si la courbe d’allumage doit être atténuée, voire ignorée, une antériorité sera invoquée pour faire valoir l’invalidité des revendications. Voici le contexte dans lequel les deux experts ont témoigné. Les demanderesses faisaient face à ce dilemme.
VII. Personne versée dans l’art
[136] À l’instar d’autres affaires en matière de brevet, cette affaire nécessite l’identification de la personne versée dans l’art, c’est-à-dire la personne fictive qui examinera le brevet et à laquelle il est adressé.
[137] Il semblerait que la définition de personne versée dans l’art donnée par le groupe canadien de l’Association internationale pour la protection de la propriété intellectuelle (AIPI) ait reçu une certaine attention. Le juge Hughes de notre Cour l’a d’ailleurs mentionné dans la décision Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510, 85 CPR (4th) 179. Dans son ouvrage Annotated Patent Act (Carswell), Bruce Stratton élabore une définition de ce terme dans la section sur les mots et phrases consacrés par les tribunaux intitulée « Words and Phrases Judicially Considered ». Elle se lit comme suit :
[traduction]
Au Canada, la « personne moyennement versée dans l’art » est la personne fictive à laquelle s’adresse le brevet. Il peut s’agir d’une seule personne ou d’un groupe représentant diverses disciplines, selon la nature de l’invention. La personne moyennement versée dans l’art est censée être dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, posséder néanmoins un degré moyen de compétence et de connaissances accessoires au domaine dont relève le brevet (c.-à-d. les connaissances générales courantes) et faire preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans ce domaine. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possèdent généralement les personnes versées dans l’art en cause au moment considéré. Par conséquent, elles peuvent inclure les connaissances que se transmettent les personnes du domaine, notamment des renseignements qui ne sont pas publiés. Inversement, tout ce qui est publié ne fait pas partie des connaissances générales courantes.
[138] Cette même personne fictive a été décrite, dans le contexte du type de personne pour qui une invention serait évidente, de façon plus colorée dans le jugement Beloit Canada Ltd c. Valmet Oy (1986), [1986] A.C.F. no 87, à la page 294 :
Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que les inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
[139] Je ne souhaite pas suggérer d’appliquer ces définitions de façon trop rigide et sans nuances. Mais l’idée générale est qu’une personne, ou un groupe représentant éventuellement différentes disciplines, possède un degré moyen de compétence et de connaissances, dont une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans le domaine. Cette personne, ou cette équipe, est considérée comme dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, elle n’est ni un génie ni une idiote, seulement une personne moyennement compétente (voir l’arrêt Mailman c. Gillette Safety Razor Co. of Canada, [1932] R.C.S. 724).
[140] Bien que les parties s’accordent sur la description générale de qui peut constituer une personne versée dans l’art, y compris sur le fait que cette notion peut comprendre une petite équipe, elles ne s’entendent pas sur les qualifications que devrait posséder une personne versée dans l’art en l’espèce.
[141] En exigeant un niveau de scolarité moindre, AC se retrouverait avec une catégorie où la scolarité serait remplacée par au moins dix ans d’expérience appropriée de travail sur des projets en matière de commande de moteur. Ce n’est pas tant que le mécanicien possédant 10 ans d’expérience fait partie d’une équipe où l’expérience doit remplacer la formation formelle et l’expérience.
[142] Dans son rapport initial (daté du 15 juin 2015, pièce P-2), le Dr Checkel, l’expert engagé par AC, a déclaré que [traduction] « [l]a personne versée dans l’art devrait avoir une formation d’ingénieur mécanique et posséder une connaissance de base des circuits électriques », avant de demander d’autres connaissances au sujet de [traduction] « la façon des dispositifs de commande électronique (généralement, un microprocesseur) pourraient être programmés et couplés à des capteurs et des systèmes de commande » (au paragraphe 28). Étonnamment, dans sa dernière phrase du paragraphe 29 traitant de la personne versée dans l’art, le Dr Checkel élargie cette catégorie en déclarant que [traduction] « les compétences nécessaires pourraient également avoir été acquises avec moins de formation scolaire, mais plus d’années d’expérience appropriée (vraisemblablement, au moins dix ans) de travail sur des projets en matière de commande de moteur ». Dans son deuxième rapport (daté du 26 août 2015, pièce P-60), le Dr Checkel a contesté la définition de personne versée dans l’art formulée par le Dr Bower, l’expert engagé par BRP, qui imposerait que la personne, qui ferait partie de l’équipe, possède une formation scolaire et de l’expérience, c’est-à-dire un baccalauréat en génie mécanique et deux à trois ans d’expérience dans l’élaboration, la conception et la performance de systèmes de commande du moteur à deux temps (pièce D-40, 15 juin 2015).
[143] Il semble que la critique du Dr Checkel vient en partie de son désir d’être inclusif. Ainsi, il écrit que [traduction] « [l]a définition est exagérément restrictive en ce qu’elle ne prévoit pas la possibilité d’avoir des personnes possédant moins de scolarité, mais plus d’expérience pratique » (P-60, au paragraphe 14). Son attention est dirigée vers les personnes généralement trouvées dans les services de mise au point et d’étalonnage de moteur de compagnies de tailles moyennes qui fabriquent des véhicules récréatifs et tout-terrain, ainsi que dans des plus petites compagnies qui se spécialisent dans la mise au point de commande de moteur et dans l’adaptation ou l’étalonnage de moteurs pour des applications particulières (P-60, au paragraphe 14). Le Dr Bower n’exclut toutefois pas de l’équipe les personnes ayant moins de scolarité; il avance plutôt qu’il est nécessaire que des membres de l’équipe aient reçu une formation scolaire. Le Dr Checkel semble reconnaître que la personne versée dans l’art [traduction] « devrait vraisemblablement posséder un diplôme universitaire ou collégial approprié et avoir de deux à quatre ans d’expérience » (P-2, au paragraphe 29), mais soutient également qu’une personne moins scolarisée ne ferait pas uniquement partie de l’équipe à laquelle le Dr Bower fait référence, mais que [traduction] « plus d’années d’expérience pertinente dans des projets de commande de moteur » serait suffisant en soi (P-2, au paragraphe 29).
[144] Il est difficile de suivre le raisonnement du Dr Checkel lorsqu’il explique pourquoi la personne versée dans l’art ne devrait pas nécessairement avoir de formation officielle. Il préconise l’inclusion, ce que le Dr Bower n’exclut pas, car [traduction] « il est important de tenir compte des connaissances générales courantes et de l’état de la technique du point de vue de cette personne » (P-60, au paragraphe 15). Néanmoins, cela ne peut justifier d’exclure l’ingénieur mécanique diplômé. Dans son premier rapport, le Dr Checkel accepte que la personne versée dans l’art posséderait vraisemblablement un diplôme universitaire approprié jumelé à quelques années d’expérience, mais il conclut que l’équivalent consisterait à un minimum de dix ans d’expérience « pertinente ». Qu’est-ce qui constitue cette expérience « pertinente » reste à établir. Dans son deuxième rapport, il préconise l’inclusion, ce qui est une habile diversion, et justifie son choix en déclarant que les connaissances générales courantes et l’antériorité doivent être examinées du point de vue de la personne d’expérience, ne possédant pas de formation officielle. C’est prendre la question à l’envers.
[145] Avec respect, la personne que décrit le Dr Checkel n’est pas la personne fictive à laquelle s’adresse le brevet. Il est banal de souligner qu’un brevet vise une invention et qu’une invention est définie précisément dans la Loi sur les brevets :
“invention” |
“invention” |
« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. |
“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter; |
[146] Dans l’ouvrage Canadian Patent Law, 2nd edition, les auteurs Stephen J. Perry et Andrey Currier ont bien saisi le lien entre les connaissances que doit posséder la personne versée dans l’art relativement à l’invention :
[traduction]
§15.7 Il incombe donc à la cour, lorsqu’elle interprète un brevet, de le faire du point de vue d’une personne versée dans l’art. La personne versée dans l’art a été définie comme une personne à laquelle s’adresse précisément la description de brevet et qui a vraisemblablement un intérêt pratique pour l’objet de l’invention et comme une personne qui possède une connaissance pratique et une expérience du type de travail dans lequel l’invention est susceptible d’être utilisée. Dans au moins une décision, la cour a reconnu que cette connaissance pouvait être acquise par l’éducation ou par l’expérience pratique.
[Souligné dans l’original.]
[147] À plusieurs reprises pendant son témoignage, le Dr Checkel faisait référence à la personne versée dans l’art comme étant celle qui établissait les commandes de nouveaux moteurs (voir, par exemple, les pages 3016 et 3025). Le brevet 738 concerne un concept inventif, quelque chose de nouveau, plutôt qu’un concept dont aurait simplement besoin un technicien d’expérience pour établir les commandes ou pour étalonner le moteur. En effet, il ne serait pas approprié de limiter l’expérience au domaine de la motoneige puisque le brevet vise les moteurs à deux temps à combustion interne et leur fonctionnement.
[148] Il semblerait qu’AC fait valoir que la personne versée dans l’art est celle qui établit les commandes et étalonne le moteur. Selon elle, l’invention utilise la température des gaz d’échappement pour optimiser le calage de l’allumage d’un moteur à deux temps. L’optimisation est présentée comme permettant d’obtenir la meilleure puissance possible, bien que le libellé du brevet 738 ne prévoit pas une telle restriction. Comme il est mentionné dans l’historique de l’invention, [traduction] « il est par exemple possible que le point optimal d’allumage pendant l’accélération soit différent du point optimal pour le fonctionnement normal du moteur ».
[149] La difficulté posée par cette affirmation est que le brevet 738 propose plus que le simple étalonnage d’un moteur en vue d’optimiser sa puissance. Il est certainement vrai que le brevet énonce que le fonctionnement optimal du moteur peut nécessiter différents points d’allumage optimaux pendant l’accélération. Néanmoins, le brevet ne se limite pas à l’accélération et à la puissance.
[150] L’optimisation peut se rapporter au fonctionnement du moteur peu après son démarrage, alors qu’il est encore froid, nécessitant différents rapports entre le calage de l’allumage et le régime du moteur.
[151] En fait, le brevet vise le fait que [traduction] « [d]ifférentes conditions de fonctionnement du moteur peuvent entraîner le besoin d’avoir différentes courbes d’allumage ». La température des gaz d’échappement [traduction] « servira à évaluer les conditions de fonctionnement » (pages 3 et 4 du brevet 738). La température des gaz détectée pourra être utilisée pour indiquer le type de carburant utilisé, régler la courbe de calage de l’allumage en conséquence. Le brevet poursuit en indiquant que la courbe d’allumage ajustée éviterait d’endommager le moteur.
[152] D’ailleurs, le brevet mentionne même que la température des gaz sera [traduction] « utile pour indiquer certains problèmes de performance du moteur, une carburation inadéquate ou un mauvais débit de combustible par exemple » (à la page 5).
[153] Comme on peut le voir, la performance ne se limite pas à l’accélération ou à la puissance. Pour être cette personne à laquelle s’adresse le brevet, il faut déterminer ce que la température des gaz d’échappement indique et de poser le diagnostic qui en découle pour résoudre les problèmes de performance du moteur et éviter d’endommager le moteur. L’étalonnage adéquat suit le diagnostic. Cela dépend de ce qui doit être effectué. La température des gaz sert-elle à indiquer la performance du moteur comme la carburation ou le débit de combustible? La température détectée indique-t-elle le type de carburant utilisé? La température devrait-elle être utilisée pour évaluer les conditions de fonctionnement?
[154] Le brevet 738 est muet sur la façon dont la température des gaz d’échappement peut être utilisée pour identifier des problèmes. Il est également silencieux quant à la façon selon laquelle cette information est utilisée pour résoudre les problèmes. Il ne décrit pas quelle courbe d’allumage est appropriée pour éviter une carburation incorrecte ou un débit de combustible inadéquat. La façon dont le capteur de température des gaz d’échappement doit être utilisé pour détecter ces problèmes est laissée à la personne versée dans l’art. Il me semble qu’il s’agit d’un indice supplémentaire démontrant qu’un ingénieur mécanique est nécessaire pour mettre en application l’invention. Ce brevet s’adresse à une personne qui fait plus que l’étalonnage de moteurs : elle doit notamment décider des valeurs nécessaires pour la courbe d’allumage pour différents régimes de moteur. C’est cette connaissance que doit posséder la personne à qui s’adresse le brevet, connaissance que ne possède pas la personne versée dans l’art proposée par AC.
[155] C’est une chose de mettre au point des commandes moteur, [traduction] « de connaître les structures et les mécanismes impliqués dans le fonctionnement des moteurs à deux temps » (P-60), mais ça en est une autre d’apprécier et de comprendre ce qui est prétendument un art nouveau et utile, un processus, une machine, une construction ou une composition de matière. Le point de vue du Dr Bower, qu’on retrouve en entier au paragraphe 14 de sa réponse au rapport sur la contrefaçon présenté par le Dr Checkel (pièce D-45, 28 août 2015) est plus conforme au brevet 738. La formation officielle entraîne des connaissances plus vastes que celles acquises par l’expérience en travaillant sur certains types de moteurs.
[156] Réagissant au rapport du Dr Bower (P-40), selon lequel il demande à ce que l’équipe soit composée d’une personne possédant un baccalauréat en génie mécanique associé à deux ou trois ans d’expérience en création, conception et performance des systèmes de commande de moteur à deux temps (au paragraphe 55), le Dr Checkel suggère, comme on l’a vu ci-dessus, que la définition du Dr Bower est exagérément restrictive, [traduction] « en ce qu’elle ne prévoit pas la possibilité d’avoir des personnes possédant moins de scolarité, mais plus d’expérience pratique » (pièce P-40, au paragraphe 14).
[157] Le souhait du Dr Checkel de se montrer inclusif est certainement louable. Thomas Alva Edison avait des milliers de brevets à son nom sans bénéficier d’une formation scolaire. Personne ne contestera toutefois qu’il était l’exception et non la règle. Il est le génie mécanique de l’affaire Gillette. En fait, le Dr Bower n’exclut pas de l’équipe les personnes possédant un niveau d’études moindre : il souhaite qu’une personne de cette équipe soit diplômée de génie mécanique.
[158] Je retiens la preuve du Dr Bower selon laquelle une formation scolaire, qui évidemment comporte les bases théoriques dans le domaine, aidera à avoir la bonne compréhension de l’avance à l’injection, du débit d’injection, de l’admission d’air et de la configuration du tuyau calibré. Le brevet 738, s’il doit être mis en œuvre conformément à son exposé, requiert une personne possédant un diplôme en génie mécanique.
[159] Cela ne veut pas dire qu’il serait impossible pour une personne très expérimentée et autodidacte ou autodidacte en partie, de pleinement comprendre le brevet 738. Le Dr Checkel souhaite que cette dernière possibilité fasse partie de la définition. Il ne s’agit cependant pas du critère à appliquer. La Cour ne doit pas être guidée par une tentative d’inclure les personnes qui travaillent généralement dans le domaine, mais doit plutôt déterminer à qui s’adresse le brevet. Il s’agit d’un brevet qui vise la logique utilisée pour le fonctionnement d’un moteur à deux temps, ce qui n’est pas, comme nous l’avons constaté tout au long du procès, une matière facile à maîtriser. Comme l’ouvrage de Bruce Stratton Annotated Patent Act l’a si bien mentionné, [traduction] « la personne fictive versée dans l’art devrait être une personne qui comprend, en pratique, le problème à régler, la façon dont différents moyens de correction peuvent fonctionner et les conséquences probables de leur utilisation » (annotation de l’article 28.3, à la page 1‑200.11). Il me semble que ce qui est requis ici n’est pas tant une personne qui peut établir le calage, qu’une personne en mesure de pleinement comprendre le mémoire descriptif et de travailler avec celui-ci. Le juge Dickson a écrit dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 523 :
Les personnes à qui le mémoire descriptif s’adresse sont « des travailleurs moyens » doués d’habiletés moyennes dans l’art dont l’invention relève et possédant les connaissances générales moyennes qu’ont les gens de ce domaine d’activité précis. On arrive à la bonne interprétation du brevet en tenant compte de ce qu’un ouvrier habile qui aurait lu le mémoire descriptif à l’époque aurait jugé divulgué et revendiqué par le mémoire.
[160] Le brevet 738 ne revendique pas l’étalonnage. Un étalonnage approprié proviendrait d’une exploitation appropriée du brevet, mais découlera d’une bonne compréhension de l’objet de l’invention. Le témoignage de M. Troy Halvorson, un employé d’AC, peut illustrer à un certain point les difficultés rencontrées si on fait droit à la tentation d’utiliser un plus petit dénominateur pour définir la catégorie de personnes à laquelle peut s’adresser le brevet 738 sans que personne de l’équipe ne possède la formation scolaire.
[161] Mon avis selon lequel la personne versée dans l’art doit posséder un diplôme en génie est renforcé par le commentaire formulé par le Dr Checkel dans son rapport, répondant aux allégations d’invalidité soulevées par BRP (P-60). Le Dr Checkel, discutant des conditions normales de fonctionnement pouvant être réparées, a estimé que plusieurs facteurs devraient être pris en compte :
[traduction]
73. Je ne suis pas d’accord avec l’opinion du Dr Bower selon laquelle le brevet 738 est indéfini par rapport au terme « une première courbe d’allumage ». Aux paragraphes 74 à 83 du rapport, le Dr Bower examine les termes des revendications relatifs à l’utilisation de la température des gaz d’échappement pour détecter des conditions de fonctionnement non souhaitées ou un fonctionnement du moteur non voulu. Aux paragraphes 81 et 82, le Dr Bower souligne qu’il serait difficile de dire si le fonctionnement est normal ou anormal en s’appuyant uniquement sur la température des gaz d’échappement. Je conviens que l’utilisation de la température des gaz d’échappement seule n’est pas suffisante pour diagnostiquer un fonctionnement anormal. Le mémoire descriptif détaillé du brevet 738 ne mentionne toutefois pas qu’un fonctionnement anormal peut être « établi » par la température des gaz d’échappement seule. Le mémoire descriptif détaillé utilise plutôt les phrases suivantes (à la page 5, aux lignes 21 à 30) : « [...] la température des gaz d’échappement détectée peut être un indicatif [...] » et «...la température des gaz d’échappement détectée peut également être utile pour indiquer [...] ». Cette distinction illustre que la température des gaz d’échappement sera utilisée comme un élément parmi d’autres pour déterminer s’il y a présence d’une condition anormale de fonctionnement pouvant être modifiée ou atténuée en sélectionnant une autre courbe d’allumage.
[Non souligné dans l’original.]
[162] Certes, même un bon étalonneur aurait besoin de suivre les directives d’un ingénieur mécanique pour rendre le diagnostic approprié. La question n’est pas tant que le bon étalonneur devrait être exclu, mais plutôt que les compétences d’un ingénieur mécanique possédant une certaine expérience doivent se retrouver au sein de l’équipe. Ces compétences ne peuvent être remplacées.
[163] Le Dr Checkel a soulevé le même argument dans son témoignage principal (transcription, aux pages 160 à 162). Ce dernier semble juger satisfaisant qu’une personne d’expérience ajuste les commandes des moteurs. Toutefois, lorsqu’une nouvelle situation se présente et que l’expérience issue de la répétition n’est pas un atout, il semble être d’accord qu’il est préférable qu’une personne ayant un diplôme en ingénierie soit impliquée :
[traduction]
Pour cela, il est toujours utile d’être un ingénieur en recherche expérimenté formé à Cambridge. Je ne retiendrais donc pas les services d’une personne qui a fait une série de réétalonnage sur de nouvelles gammes de produits pour le même moteur V8, mais plutôt celle qui a travaillé sur un collecteur d’admission différent chaque année. Je ne lui demanderais pas de le faire sans la diriger, mais j’aimerais qu’elle fasse partie de l’équipe si je dois le faire sur un nouveau projet. Elle possède plus d’expérience que moi en ajustement de commandes du moteur et en réalisation d’essais sur l’équipement qu’elle utilise. Je possède plus d’expérience dans la création de nouveau matériel dont vous aurez besoin pour mesurer quelque chose qui n’a jamais été créé auparavant.
(Transcription, à la page 162, aux lignes 18 à 28, et à la page 163, à la ligne 1)
[164] Enfin, je suis aussi préoccupé par ce qui semble motiver la définition de catégorie donnée par le Dr Checkel pour être considérée comme une personne versée dans l’art. Au paragraphe 15 de son deuxième rapport (P-60), le Dr Checkel suggère que [traduction] « [p]lusieurs personnes possédant l’expertise nécessaire impliquée dans ce domaine seraient exclues de la définition proposée par le Dr Bower, et il est important de tenir compte des connaissances générales courantes et de l’état de la technique du point de vue de cette personne ». Ce que le Dr Checkel veut dire n’est pas parfaitement clair. Si cela signifie que l’expérience, l’information et les méthodes disponibles pour résoudre des problèmes s’ajoutent en intégrant à l’équipe la personne ayant une expérience de travail appropriée sur des projets de commande de moteur, comme le propose le Dr Bower, cette proposition serait évidemment acceptable. Les connaissances générales courantes seraient donc l’accumulation des connaissances courantes des personnes issues de différentes disciplines qui sont complémentaires. Je ne suis toutefois pas convaincu que l’affirmation du Dr Checkel n’a pas pour objectif de limiter les connaissances générales courantes et l’antériorité. Nous ne devrions pas définir la personne versée dans l’art en vue de produire quelque effet, avec le recul. Si cette personne n’a pas la connaissance nécessaire pour comprendre pleinement le brevet, il serait alors difficile de conclure qu’elle est effectivement le public visé du brevet. Cette description semble avoir été approuvée par la Cour suprême dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 (Free World Trust) :
Traditionnellement, les tribunaux ont protégé le breveté contre les effets d’une interprétation trop textuelle. Le brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l’art, que le Dr Fox a décrit comme
[traduction] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre une description qui lui est adressée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.
(Fox, op. cit., à la p. 184)
Il faut se rappeler qu’une personne versée dans l’art n’est pas seulement la personne à laquelle s’adresse le brevet, mais également à celle qui construit ou exploite l’invention après la fin du monopole (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067).
[165] Il s’ensuit que dans le cas du brevet concerné, la personne versée dans l’art, constituée d’une personne ou d’une équipe, doit posséder une formation scolaire en génie mécanique (un baccalauréat au minimum) ainsi qu’une certaine expérience pratique dans la création et la conception de systèmes de commande de moteur à deux temps. Après avoir entendu 19 jours de témoignage sur le brevet, je ne vois pas comment une personne versée dans l’art sans diplôme en génie pourrait être la personne à laquelle s’adresse le brevet. Il demeure vrai que des personnes ayant moins d’études ou d’expérience pourraient malgré tout être des membres précieux d’une équipe travaillant sur de nouveaux moteurs à deux temps, mais le brevet 738 ne pourrait s’adresser exclusivement à elles.
[166] Pour tirer ma conclusion, j’ai pris pleinement en considération le fait que le Dr Bower a changé la position qu’il avait adoptée il y a 12 ans. Le Dr Checkel ne m’a pas convaincu qu’au vu du brevet 738, la personne à laquelle s’adresse le mémoire descriptif ne doit pas avoir fait des études en génie mécanique. L’ampleur des connaissances requises par le brevet 738 nécessite plus de dix ans [traduction] « d’expérience de travail pertinente sur des projets de commande de moteur ». Il n’a pas été démontré que le brevet 738 s’adresse à des travailleurs expérimentés dans le domaine des projets de commande de moteur. De plus amples renseignements sont nécessaires pour comprendre le mémoire descriptif ainsi que ce qui est divulgué et revendiqué par ce mémoire.
VIII. Interprétation des revendications
[167] Avant d’examiner les allégations de contrefaçon relatives aux revendications en litige ou leur validité, la Cour doit interpréter les revendications. Cette interprétation, qui est une question de droit, est réalisée avec l’aide d’une personne versée dans l’art au moment de date de la publication de la demande de brevet (Whirlpool, au paragraphe 45). Par conséquent, il serait inapproprié d’examiner les revendications avec la compréhension que nous avons aujourd’hui de la puissance informatique des ordinateurs actuels, qui a augmenté de façon exponentielle au fil des années. L’invention est survenue au moment où la puissance informatique était beaucoup plus limitée que ce qu’elle est actuellement et où les concessions quant à l’utilisation de la capacité des dispositifs de commande étaient plus répandues.
[168] S’agissant d’une question de droit, il n’appartient pas à l’expert d’interpréter les revendications. Le professeur David Vaver l’a d’ailleurs expliqué avec humour dans son livre sur la propriété intellectuelle Intellectual Property, 2nd Ed, Irwin Law (2011) :
[traduction]
Il demeure que la signification d’un brevet est, en définitive, une question de droit souvent tranchée par un juge, qui n’est peut-être pas particulièrement versé dans un art ou dans une science, encore moins dans l’art ou la science dont relève l’invention. Il possède probablement une compréhension plus près de celle d’un ouvrier d’antan que celle d’un scientifique ou d’un ingénieur formé d’aujourd’hui, mais même des juges d’expérience possédant une formation en science se sentent souvent perdus en dehors de leur discipline. Les parties au litige et leurs experts doivent alors instruire le juge sur l’art visé ou la science en cause. Ils peuvent en fait le faire si bien que même si tous s’entendent sur ce que la revendication signifie pour eux ou pour un lecteur versé dans l’art, le juge finira par être en désaccord avec toutes ces parties.
[à la page 347]
De plus, l’interprétation de la revendication ne se fait pas dans le but de savoir s’il y a eu contrefaçon ou si le brevet est invalide. Il s’agit de questions qui seront abordées plus tard dans l’analyse. On ne saurait permettre que cette interprétation devienne axée sur des résultats (Whirlpool, au paragraphe 49).
[169] La présente affaire se résume donc à l’interprétation qui doit être donnée à un nombre relativement restreint de phrases contenues dans cinq revendications, soit les revendications 11, 16, 33, 40 et 47. La majorité des éléments principaux des revendications ne sont pas contestés. Le moteur à deux temps, qui est l’objet du brevet 738, consiste en un certain nombre d’éléments communs à ces moteurs : tous reconnaissent que cylindre, piston, vilebrequin, bougie d’allumage (ou des variantes), capteur, tuyau d’échappement, bobine d’allumage et module de commande font partie du moteur.
[170] Pour trois des cinq revendications invoquées, les phrases à interpréter se retrouvent dans des revendications indépendantes. La revendication 40 est dépendante de la revendication 34 alors que les revendications de méthode 33 et 47 sont respectivement dépendantes des revendications 28 et 41. Les revendications 11 et 16 ne nécessitent pas de recourir à des revendications indépendantes puisqu’elles sont autonomes.
[171] Il faut rappeler que les revendications 11 et 40(34) relatives au moteur ont des revendications de méthode 16 et 47(41) correspondantes. La revendication de méthode 33 est autonome. Il s’ensuit que l’analyse concerne, pour ainsi dire, seulement deux ensembles de revendications, soit les revendications 11 et 16 et les revendications 40(34), 47(41) et 33(28).
A. « Courbe d’allumage »
[172] Comme cela a été mentionné à plusieurs reprises au cours de l’instruction de cette affaire, les mots « courbe d’allumage » sont au cœur du brevet et des revendications invoquées. Cela s’explique par le fait que « courbe d’allumage » reçoit une signification particulière qui, comme nous le verrons, exclut d’être composée d’un seul point d’allumage, et par le fait que toutes les revendications exigent que le point d’allumage soit allumé conformément à une courbe d’allumage. Autrement dit, tout semble tourner autour d’une courbe d’allumage à plus d’un titre. Ces mots ne sont pas ainsi définis dans les revendications, mais le mémoire descriptif donne des indications sur leur signification (Western Electric Co c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570). Bien qu’on ne puisse pas utiliser l’abrégé pour interpréter des revendications (Apotex Inc. c. ADIR, 2009 CAF 222), il illustre en l’espèce l’importance de ce qu’on appelle la « courbe d’allumage » : « La température d’échappement du moteur est détectée, et utilisée pour déterminer la configuration d’allumage particulière utilisée à un moment donné. » Les cinq revendications examinées renvoient à ce concept.
[173] L’interprétation théologique qui doit présider en matière d’interprétation de revendications permet, si le texte des revendications n’est pas clair, d’examiner l’exposé pour en extraire leur sens. En l’espèce, les revendications sont muettes quant au sens de « courbe d’allumage ». Les deux experts ont invoqué l’exposé pour faciliter la compréhension du terme. Je suis d’accord avec cette méthode.
[174] À mon avis, l’exposé fait clairement ressortir la signification du terme « courbe d’allumage » employé dans le brevet. À la page 1 du mémoire descriptif, l’inventeur mentionne qu’un [traduction] « moteur fonctionnant peu après son démarrage peut nécessiter un rapport différent entre le calage de l’allumage et le régime du moteur (ci-après la « courbe d’allumage ») [...] ». On peut aussi lire en haut de la page suivante que [traduction] « [l]a présente invention vise à fournir un moteur à deux temps bénéficiant d’un rendement amélioré en sélectionnant parmi une pluralité de rapports entre le calage de l’allumage et le régime du moteur (les courbes d’allumage) en fonction de la température des gaz d’échappement ». Quelques pages plus tard, l’exposé apprend au lecteur que [traduction] « les différentes combinaisons de calages de l’allumage et de régimes de moteurs particuliers formeront ainsi une courbe d’allumage précise ». De toute évidence, une courbe d’allumage renvoie au rapport existant entre au moins le calage de l’allumage et le régime auquel tourne le moteur. Le brevet précise également qu’une courbe se compose de différentes combinaisons de calages de l’allumage et de régimes de moteur. Par conséquent, la signification usuelle de « courbe » est confirmée par le fait qu’une combinaison d’un calage de l’allumage et d’un régime de moteur ne constitue pas une courbe. Elle requiert diverses combinaisons de calages et de régimes. Les revendications rendent cette exigence encore plus explicite.
[175] Les cinq revendications soulevées par AC (ainsi que les revendications indépendantes selon le cas) font toutes référence aux « courbes d’allumage ». Elles mentionnent toutes que l’activation de la source d’allumage surviendra [traduction] « selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur ». Les revendications de sélection, les revendications 33(28), 40(34) et 47(41), indiquent toutes de plus [traduction] « différentes courbes d’allumage ayant un rapport différent entre le point d’allumage et le régime du moteur ». Considérant que ces revendications exigent la sélection d’une courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage, cela démontre que les courbes d’allumages doivent toutes être différentes les unes des autres. Conformément à l’exposé, ces phrases mentionnées dans les revendications font toutes la différence entre un point d’allumage, qui est le résultat de la combinaison d’un calage de l’allumage avec un régime particulier du moteur, et la courbe d’allumage qui comprendra ce point d’allumage. Dans le cas des revendications 40(34) et 47(41), la courbe d’allumage comprendrait une troisième dimension, de sorte que le point d’allumage varie non seulement en fonction du régime du moteur, mais également selon la position du papillon. Par conséquent, selon le brevet, la sélection d’une courbe d’allumage se fera parmi une série de courbes différentes.
[176] Le Dr Checkel a finalement accepté qu’une courbe d’allumage doive se composer de plus d’un seul rapport entre un calage de l’allumage et un régime de moteur t/m (transcription, aux pages 386 à 389 relativement aux revendications 33(28), 40(34) et 47(41) et aux pages 3123 et 3124 relativement aux revendications 11 et 16). Néanmoins, qu’il soit d’accord ou non, un examen minutieux de l’exposé et des revendications mène inexorablement à cette conclusion.
[177] Il ne peut y avoir de courbe s’il y a un seul rapport entre un calage de l’allumage et un régime de moteur. Il s’agit d’un point d’allumage et non pas d’une courbe d’allumage. Alors que le mémoire descriptif illustre ce que signifie le terme « courbe d’allumage », le brevet lui-même renvoie à des tableaux décrivant divers régimes de moteurs et le nombre de degrés avant le point mort haut dans les tableaux A à E (qui constituent les valeurs de calage de l’allumage). Les données présentées aux tableaux A à E montrent cinq courbes d’allumage pouvant être utiles à différentes températures des gaz d’échappement. Les figures 4 à 8 indiquent, sous forme graphique, les rapports entre les régimes du moteur et les calages de l’allumage à différentes températures des gaz d’échappement. Ces figures représenteraient les courbes d’allumage pour des températures de 250 °C et moins, de 250 °C à 300 °C, de 300 °C à 350 °C, de 350 °C à 400 °C et de 400 °C et plus respectivement (à la page 7). En d’autres termes, chaque figure représente une courbe et chaque courbe est constituée de plus d’un point. C’est plutôt l’ensemble des points qui constituera une courbe. Le brevet ne mentionne jamais qu’un seul point d’allumage, soit celui auquel le mélange air-carburant sera allumé dans le cylindre, forme une courbe d’allumage.
[178] Comme l’enseigne le brevet, [traduction] « la température des gaz d’échappement sert à évaluer les conditions de fonctionnement du moteur et ainsi à déterminer quelle courbe d’allumage parmi les multiples courbes possibles devrait être sélectionnée pour le fonctionnement du moteur » (à la page 4). Ainsi, non seulement une courbe doit comprendre plus d’un point d’allumage, mais il doit également y avoir plus d’une courbe d’allumage puisqu’il s’agit d’une courbe qui est sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement. Comme l’explique l’exposé, la courbe d’allumage doit être composée d’une combinaison de différents régimes de moteur (et, pour certaines revendications, de positions du papillon) et de différents calages de l’allumage, puisque lorsqu’une courbe d’allumage a été sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement, cette courbe est utilisée pour commander le point d’allumage. Le rapport entre les calages de l’allumage et les régimes du moteur constitue la courbe d’allumage, que cette dernière soit sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement ou en fonction d’une courbe d’allumage, désignée dans les revendications 11 et 16 du brevet comme étant « de base », est modifié en fonction de la température des gaz d’échappement. Il importe peu que la courbe d’allumage, à partir de laquelle le module de commande activera la source d’allumage au point d’allumage approprié, soit sélectionnée ou modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. L’important est, qu’à la fin, il y ait une courbe d’allumage selon laquelle le module de commande activera la source d’allumage. La courbe d’allumage constitue la pierre angulaire choisie du brevet.
[179] Dans les revendications invoquées, le brevet 738 fait référence à « courbe d’allumage » et « point d’allumage ». Il doit manifestement exister une différence entre ces deux concepts puisque le point d’allumage fait partie de la courbe d’allumage. Une interprétation qui conclurait qu’un seul point d’allumage, représentant le rapport entre un calage de l’allumage et un régime du moteur, constitue également une courbe d’allumage ignorerait le texte du brevet et la teneur des revendications. Comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Free World Trust, précité :
40. La primauté de la teneur des revendications était déjà profondément enracinée dans notre jurisprudence et elle devrait, je crois, être confirmée de nouveau dans le cadre du présent pourvoi.
La Cour ne peut réécrire les revendications. BRP et les autres personnes intéressées par le brevet 738 étaient en droit de s’appuyer sur les mots employés. La teneur des revendications est importante, puisqu’elle définit le monopole.
[180] Trois des cinq revendications invoquées nécessitent la sélection de la courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement détectée. Par conséquent, les revendications 33(28), 40(34) et 47(41) peuvent être examinées ensemble. En effet, la seule différence entre les revendications 28 et 41, qui sont toutes deux des revendications de méthode, est que le point d’allumage varie en fonction du régime du moteur dans la revendication 28 ainsi qu’en fonction de la position du papillon selon la revendication 41. Il s’agit d’une différence négligeable pour l’interprétation des revendications pour la cause en l’espèce. Comme il a déjà été mentionné, les revendications 11 et 16 sont respectivement les revendications portant sur le moteur et de méthode concernant la modification d’une courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement. Cinq phrases, ne portant pas sur la « courbe d’allumage », méritent une attention particulière.
B. [traduction] Commander l’activation de la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur [et la position du papillon]. Revendications 33(28), 47(41) et 16)
Un module de commande destiné à activer la source d’allumage [...], le module de commande activant la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur [et la position du papillon]. (Revendications 40(34) et 11)
[181] La température des gaz d’échappement peut servir à plusieurs fins. AC fait valoir que le brevet est centré sur la puissance et l’accélération. Le mémoire descriptif traite de la détection du type de carburant, de certains problèmes de performance du moteur, ou même de la panne d’un capteur de température. Il traite également des différents états du moteur peu après le démarrage par rapport à l’état d’un moteur fonctionnant pendant un certain temps. L’invention vise à établir le fonctionnement optimal du moteur de façon plus générale que ce que propose AC. Cette optimisation s’obtient en variant le point d’allumage du mélange air-carburant pendant le cycle du piston. Comme le prévoit l’exposé à sa page 4, [traduction] « la température des gaz d’échappement sert à évaluer les conditions de fonctionnement du moteur et ainsi à déterminer quelle courbe d’allumage parmi les multiples courbes possibles devrait être sélectionnée pour le fonctionnement du moteur ». Se concentrer sur la puissance et l’accélération limite de façon excessive ce que le brevet énonce et revendique. Cependant, l’utilisation faite de la température des gaz d’échappement pour obtenir un fonctionnement optimal du moteur importe peu pour nos besoins. En fait, le brevet 738 n’indique rien d’autre que l’utilisation éventuelle de la température des gaz d’échappement pour optimiser le fonctionnement du moteur.
[182] Les trois revendications de sélection concernent la détection de la température des gaz d’échappement qui permet au moteur d’utiliser différentes courbes d’allumage. Une fois qu’une courbe d’allumage est sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement ([TRADUCTION] « la sélection de la courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température détectée des gaz d’échappement », dans les revendications 33(28) et 47(41) et [traduction] « la courbe d’allumage particulière utilisée par le module de commande étant sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée » dans la revendication 40(34)), le calage de l’allumage variera dans cette courbe d’allumage selon le régime du moteur (et la position du papillon). Dès que la température des gaz d’échappement, qui sert à évaluer les conditions de fonctionnement du moteur qui nécessitera une autre courbe d’allumage, change, la courbe d’allumage change également.
[183] Il s’ensuit que les mots [traduction] « commander l’activation de la source d’allumage selon une courbe d’allumage », qui sont présents avec de légères modifications grammaticales dans les cinq revendications examinées, trouvent leur sens naturel. Ils signifient simplement que la source d’allumage, qui peut être une bougie d’allumage ou toute autre source, allumera le mélange air-carburant en trouvant dans la courbe d’allumage le calage de l’allumage adéquat pour les conditions de fonctionnement du moteur détectées par la température des gaz d’échappement, qui correspond au régime du moteur (et à la position du papillon). Il doit en être ainsi parce que la courbe d’allumage est formée selon diverses combinaisons des calages de l’allumage et des régimes particuliers du moteur. L’essentiel est que l’activation de la source d’allumage est réalisée à partir d’une courbe d’allumage qui se compose de plus d’un point d’allumage. Le prélèvement d’un point qui est allumé survient après la sélection de la courbe d’allumage en fonction de la température ou après la modification d’une courbe en fonction de la température. Il s’agit de la courbe d’allumage à partir de laquelle le point d’allumage sera choisi et qui est sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement. Autrement dit, la courbe d’allumage est toujours affectée par la température des gaz d’échappement, jamais directement par un point d’allumage.
[184] Cet énoncé confirme plusieurs propositions :
a) Une courbe d’allumage doit être différente d’un point d’allumage parce que ce dernier ferait partie de la courbe d’allumage ([TRADUCTION] « selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage »).
b) Les différents points d’allumage dans une courbe d’allumage varient selon le régime du moteur (et la position du papillon), ce qui correspond aux tableaux A à E et aux figures 4 à 8.
c) L’activation de la source d’allumage est réalisée selon la courbe d’allumage. Ce lien et le fait que le module de commande devra sélectionner le point dans la courbe correspondant au régime du moteur (et à la position du papillon) confirment que la sélection du point d’allumage est conforme à ce qui est indiqué dans la courbe d’allumage. Une courbe d’allumage est sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement ou la courbe d’allumage de base est modifiée selon la température des gaz d’échappement. Une fois la courbe choisie, le point d’allumage adéquat pour le régime de moteur (et la position du papillon) à ce moment-là sera sélectionné selon la courbe d’allumage. La courbe d’allumage n’est pas seulement utilisée pour choisir un point d’allumage : le point d’allumage est en fait sélectionné selon la courbe d’allumage. Selon les revendications, ce sont les seules étapes intervenant dans le processus. Une fois de plus, ceci est parfaitement conforme à l’essence et au caractère véritable du brevet tel qu’il est formulé. L’ensemble du brevet vise donc des courbes d’allumage composées de plus d’un point d’allumage. Le point d’allumage approprié au régime (et à la position du papillon) sera ainsi sélectionné à partir de cette courbe d’allumage, jusqu’à ce que la température des gaz d’échappement change. Ce qu’il est important de noter est que l’effet de la température des gaz d’échappement détectée se fait sentir sur la courbe d’allumage elle-même. Dès que la température change, la courbe d’allumage devra changer également. Soit une courbe sera sélectionnée en fonction de la température, soit la courbe d’allumage finale, celle selon laquelle le point d’allumage adéquat sera allumé, sera modifiée en fonction de la température. De toute façon, selon les revendications, ce n’est pas le point d’allumage qui est corrigé en fonction de la température, mais plutôt la sélection de la courbe qui est affectée par la température des gaz d’échappement; c’est à partir de cette courbe comportant plus d’un point d’allumage que le point d’allumage approprié, selon le régime du moteur (et la position du papillon), sera allumé.
[185] De toute évidence, les courbes d’allumage selon lesquelles le module de commande activera la source d’allumage à un certain point d’allumage changeront lorsque la température des gaz d’échappement change. Il s’agit là de la nature de l’invention. Il convient de rappeler que dans son sommaire de l’invention, l’inventeur déclare que la sélection d’une courbe parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’allumage permet une amélioration de la performance du moteur. Il est allégué que de meilleures performances seront obtenues en changeant les courbes d’allumage. On ne peut échapper à l’importance des courbes d’allumage. C’est l’ensemble d’une courbe qui est sélectionnée ou modifiée, jamais un seul point d’allumage.
C. [traduction] La courbe d’allumage étant sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes.
[186] On retrouve cette phrase, formulée de façon légèrement différente, dans les revendications de sélection 33(28), 40(34) et 47(41). Elle constitue le fondement des revendications de sélection.
[187] Une courbe d’allumage ne peut être sélectionnée parmi d’autres courbes d’allumage si celles-ci n’existent pas. Il n’est pas contesté que les courbes sont préprogrammées. En fait, les revendications font état d’une pluralité de courbes d’allumage différentes, ce qui suggère qu’un nombre limité de courbes existe déjà. Il ne fait aucun doute que le terme « pluralité » implique qu’il existe plus d’une courbe, qu’il y en a même peut-être un grand nombre. Cela ne signifie toutefois pas qu’il y en a un nombre infini. Plus important peut-être, cela signifie que la pluralité de courbes d’allumage doit précéder une sélection qui sera réalisée en fonction d’un élément : la température des gaz d’échappement. Il est donc pertinent d’examiner cette phrase conjointement avec une autre phrase énoncée dans les trois revendications.
D. [traduction] La courbe d’allumage particulière utilisée par le module de commande étant sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée.
[188] De toute évidence, ces deux phrases décrivent deux idées différentes : premièrement, il y a la nécessité d’avoir plus d’une courbe d’allumage; on ne peut sélectionner une courbe sans qu’il y en ait plusieurs à partir desquelles choisir. Deuxièmement, la courbe d’allumage sera sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement, mais, encore une fois, ce sera une courbe qui sera sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement, rien d’autre. En toute déférence, la thèse d’AC selon laquelle [traduction] « la phrase formulée dans les revendications du brevet 738 signifie que la température des gaz d’échappement détectée doit constituer un facteur de sélection du point d’allumage utilisé pour un régime de moteur donné » n’est exacte que lorsqu’intervient l’étape intermédiaire de la sélection de la courbe d’allumage. Il est vrai qu’en définitive, le point d’allumage reflétera la température des gaz d’allumage détectée. On néglige toutefois le fait que c’est grâce à la courbe d’allumage, à partir de laquelle est tiré le point d’allumage, qu’il est possible d’affirmer que la température constitue un facteur de la sélection du point d’allumage. Il est essentiel au brevet 738 que le point d’allumage soit tiré d’une courbe d’allumage composée de plus d’un point d’allumage. La logique du brevet 738 exige que les courbes d’allumage puissent être sélectionnées en fonction de la température des gaz d’échappement. Le brevet est muet quant à la question de savoir si la courbe sélectionnée sera maintenue jusqu’à ce qu’une nouvelle courbe la remplacera lorsqu’une température différente des gaz d’échappement a été détectée. Il semblerait toutefois que ce soit implicite. Inexorablement, plusieurs points d’allumage différents seront activés à partir de la même courbe d’allumage, variant selon les variations de régime du moteur, jusqu’à ce qu’une nouvelle courbe d’allumage soit mise à contribution pour différentes températures.
E. [traduction] Les différentes courbes d’allumage ayant différents rapports entre les points d’allumage et le régime du moteur.
[189] Une fois de plus, les trois revendications de sélection comportent essentiellement le même libellé. Cette phrase semble suffisamment explicite. Les différentes courbes d’allumage doivent présenter différents rapports entre le point d’allumage et le régime du moteur; autrement, il n’y a aucune différence entre les courbes d’allumage, elles sont identiques.
[190] Dans ses observations écrites, AC affirme que cette phrase doit recevoir une signification différente d’une autre phrase énoncée dans les mêmes revendications qui indique [traduction] « un point d’allumage variant selon le régime du moteur ou la position du papillon » (mémoire des faits et du droit d’AC, au paragraphe 106) et semble suggérer que des « changements progressifs » des courbes d’allumage pourraient poser problème. Essentiellement, ce qu’on appelle les « changements progressifs » surviennent lorsque la forme de la configuration ou de la courbe d’allumage ne change pas. La courbe d’allumage se déplace uniquement de haut en bas. On peut en trouver une illustration à la pièce P-37 :
[191] Au paragraphe 108, l’avocat d’AC écrit :
[traduction]
Lorsque la forme de la courbe d’allumage ne change pas, c’est-à-dire lorsque les valeurs du calage de l’allumage changent de façon constante avec le régime du moteur, l’ordre de grandeur des valeurs peut être différent, mais le rapport demeure le même : c’est ce qui constitue ce qu’on appelle un changement progressif des courbes d’allumage. Il s’agirait de courbes d’allumage différentes, mais ne constitue pas des courbes d’allumage ayant des rapports différents entre le point d’allumage et le régime du moteur.
L’avocat a raison de faire valoir que ces deux phrases doivent avoir une signification différente. Elles en ont une. Il me semble que ces deux phrases traitent de questions fondamentalement différentes. La phrase examinée est simple : elle exige que les courbes d’allumage soient différentes. La seconde phrase traite d’un aspect différent. Elle ne compare pas les courbes d’allumage, mais aborde plutôt les caractéristiques d’une courbe d’allumage en particulier. Il convient de lire la clause dans son ensemble, et non seulement quelques mots. La clause complète est ainsi formulée : [traduction] « [...] une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur [et la position du papillon du moteur]. »
[192] L’invention énonce essentiellement que le point d’allumage dans une courbe d’allumage varie selon le régime du moteur et la position du papillon. Ce ne constitue pas une proposition surprenante. Si le point d’allumage ne varie pas en fonction du régime du moteur et de la position du papillon, il n’y a qu’un point pour chaque tr/m. Cela ne diffère pas de ce qui est divulgué dans le mémoire descriptif. Par conséquent, les points d’allumage varient selon le régime du moteur et la position du papillon afin d’obtenir plus d’un point d’allumage, la nature même d’une courbe d’allumage.
[193] La phrase examinée ne concerne pas les points d’allumage d’une courbe d’allumage précise. Elle précise uniquement ce qui constitue différentes courbes d’allumage, étant donné qu’une courbe d’allumage doit être sélectionnée parmi une pluralité de courbes en fonction de la température des gaz d’échappement.
[194] Je ne vois pas comment le changement progressif des courbes d’allumage ne satisferait pas le critère de la phrase en question. Il suffit que les points d’allumage soient différents entre les courbes d’allumage pour obtenir des rapports différents. Il existe certainement un rapport différent entre le point d’allumage et le régime du moteur entre les courbes présentées à la pièce P-37 reproduites au paragraphe 190. Par exemple, une des courbes de la pièce P37 présente un angle de 10° avant le point mort haut à 3 000 tr/m alors qu’une autre courbe possède un angle de 20° à 3 000 tr/m. Il s’agit donc d’un rapport différent entre les deux courbes, la première ayant un angle de 10° avant le point mort haut à 3 000 tr/m et la seconde ayant un angle de 20° avant le point mort haut à 3 000 tr/m. C’est tout ce que cette phrase requiert. Le rapport entre le point d’allumage et le régime du moteur, soit 10° avant le point mort haut à 3 000 tr/m et 20° avant le point mort haut à 3 000 tr/m, est nettement différent. Il est essentiel que les courbes aient des rapports différents entre elles. Ces courbes possèdent des rapports différents entre le point d’allumage et le régime du moteur. Ceci sert l’interprétation téléologique des revendications, puisque comme l’inventeur l’a mentionné, les courbes doivent être différentes. Quoi qu’il en soit, les demanderesses ont décidé de ne pas poursuivre la question du changement progressif dans les courbes d’allumage pendant leurs observations orales. Il est difficile de savoir précisément quel argument l’inventeur tentait de tirer de son propre brevet en limitant les types de différences qui justifient le respect de l’obligation d’une pluralité de courbes d’allumage. En fait, M. Spaulding a témoigné à propos des changements de courbe (voir le paragraphe 69, précité). Certainement, une courbe d’allumage modifiée de 2°, pour quelque raison que ce soit, serait une courbe différente. Rien dans le brevet 738 n’indique le contraire.
F. [traduction] La courbe d’allumage étant sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage de base différentes. (Revendications 11 et 16)
[195] Deux revendications (les revendications 11 et 16) font référence à une modification d’une courbe d’allumage de base en fonction de la température des gaz d’échappement.
[196] Il n’existe en fait qu’un élément qui différencie les revendications de sélection des revendications de modification. Dans les deux cas, la source d’allumage est activée selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage varie selon le régime de fonctionnement du moteur. Toutefois, alors que les revendications de sélection produisent leurs effets selon une courbe d’allumage sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement, la courbe d’allumage visée par les revendications 11 et 16 est le résultat de la sélection d’une courbe d’allumage de base parmi une pluralité de courbes d’allumage de base, qui est ensuite modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Autrement dit, dans un cas, une courbe d’allumage est sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement alors que dans l’autre cas, une courbe d’allumage de base est choisie parmi une pluralité de courbes d’allumage de base, selon des critères qui ne sont pas énoncés, mais la courbe d’allumage de base sélectionnée est ensuite modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Ce n’est que la courbe d’allumage de base qui est modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement et rien d’autre.
[197] Les commentaires formulés plus tôt à propos de la notion de « pluralité » s’appliquent également aux revendications 11 et 16. Il n’existe pas une infinité de courbes d’allumage de base, seulement une pluralité. Il est également vrai qu’il y a plus d’une courbe d’allumage de base. L’accent est donc plutôt mis sur l’interprétation à donner à l’expression « courbe d’allumage de base ».
[198] Tous s’entendent sur la signification de « courbes d’allumage de base », qui renvoie aux courbes existantes avant leurs modifications. À la page 2987 de la transcription, le Dr Checkel décrit les modifications apportées à la courbe :
[traduction]
Le témoin : J’imagine que la modification la plus importante est que nous avons maintenant une pluralité de courbes d’allumage de base. Nous avons donc déjà sélectionné certaines courbes d’allumage de base, sans connaître la température des gaz d’échappement. Et maintenant, nous modifions la courbe d’allumage ou la carte d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement.
Et si j’étalonnais le moteur, je pourrais dire : d’accord, voici ma cartographie de base. Que dois-je faire lorsque je détecte la température des gaz d’échappement? J’aurai normalement quelque chose dans un autre tableau avec la température des gaz d’échappement, que j’ajouterai à la carte. Donc en fin de compte, nous avons une courbe d’allumage de base que nous avons sélectionnée, une d’elles, et maintenant nous y apportons une modification à l’aide de la température des gaz d’échappement. Je vais donc créer un type de tableau des écarts pour la température des gaz d’échappement ou un genre de représentation graphique.
Les courbes d’allumage de base (il en existe une pluralité) représentent les courbes initiales. On peut présumer que l’inventeur a décidé de définir la courbe d’allumage en ajoutant « de base », car elles seront modifiées et ne constituent pas la courbe d’allumage qui sera éventuellement utilisée. Les mots employés aident à différencier ce avec quoi nous débutons, la courbe d’allumage de base, de ce qui est utilisé pour activer la source d’allumage. Ce qu’il est important de noter est que c’est la courbe qui est modifiée. Cela sous-entend que les diverses combinaisons de calages de l’allumage et de régimes de moteurs, ou certains d’entre eux, qui forment une courbe d’allumage sont modifiées avant que la source d’allumage soit activée selon la nouvelle courbe issue de la modification (à l’aide de la température des gaz d’échappement) de la courbe d’allumage de base sélectionnée.
[199] La logique des revendications 11 et 16 est assez simple. Premièrement, il existe différentes courbes d’allumage de base : les revendications enseignent à la personne versée dans l’art qu’il en existe une pluralité. Deuxièmement, la source d’allumage est activée selon une courbe d’allumage, comme pour les autres revendications invoquées. Bien entendu, la courbe d’allumage servant à activer la source d’allumage n’est pas la courbe d’allumage de base. Troisièmement, les revendications énonçant que [traduction] « la courbe d’allumage de base utilisée par le module de commande étant modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée » confirment ce qui précède : la courbe d’allumage de base devient la courbe d’allumage selon laquelle le point d’allumage est déclenché après que la courbe a été modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Voilà ce que le brevet nous enseigne. Si d’autres modifications sont réalisées après la sélection et la modification de la courbe d’allumage de base selon la température des gaz d’échappement, celles-ci ne sont pas enseignées par le brevet.
G. [traduction] La courbe d’allumage de base utilisée par le module de commande étant modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée. (Revendications 11 et 16)
[200] Comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, c’est la courbe d’allumage de base qui est modifiée afin d’obtenir la courbe selon laquelle l’activation aura lieu. Le point d’allumage est extrait par le module de commande après que la courbe d’allumage de base ait été sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage de base, et qu’elle ait été modifiée. Cela semble exclure la possibilité que d’autres modifications soient apportées à la courbe d’allumage de base après sa sélection parmi une pluralité de courbes d’allumage de base. AC a fait valoir que la courbe [traduction] « fournit [simplement] une approximation initiale pour le calage de l’allumage, à partir duquel la valeur finale du calage de l’allumage peut être obtenue grâce à des modifications ou à des calculs » (mémoire des faits et du droit d’AC, au paragraphe 92). Le brevet est muet relativement aux éléments pouvant constituer, en fin de compte, les courbes d’allumage de base. Les modifications ou les calculs tenant compte des diverses difficultés peuvent très bien avoir lieu au moment de la création des courbes d’allumage de base. Il serait donc exagéré de soutenir que la pluralité de courbes d’allumage de base constitue simplement une approximation initiale destinée au calage de l’allumage. Le brevet exige l’existence d’une pluralité de ces courbes d’allumage de base, à partir desquelles une courbe sera sélectionnée en fonction de facteurs inconnus. La valeur finale du calage de l’allumage ne proviendra pas de la courbe d’allumage de base : elle proviendra de la courbe d’allumage découlant des modifications apportées à la courbe d’allumage de base en fonction de la température des gaz d’échappement détectée. Ce sont les différentes combinaisons de calages de l’allumage et de régimes de moteur qui forment la courbe d’allumage de base qui a été sélectionnée et qui, par la suite, sont modifiées pour devenir une nouvelle combinaison de courbes et de régimes de moteur. Dès que la courbe d’allumage de base a été sélectionnée, il ne s’agit pas d’une approximation initiale. La seule chose requise est que la courbe soit modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Voilà ce que le brevet nous enseigne. Si d’autres modifications sont apportées à la courbe après la sélection et la modification de la courbe d’allumage de base en fonction de la température des gaz d’échappement, celles-ci ne sont pas décrites dans le présent brevet.
[201] Le libellé des revendications 11 et 16 peut être complexe. Si une certaine ambiguïté demeure quant à la signification à donner au terme « modification », le mémoire descriptif peut aider à confirmer que c’est bien la courbe d’allumage « de base » qui est modifiée à l’aide de la température des gaz d’échappement, et non un point d’allumage :
[traduction]
Il est également possible d’utiliser les relevés de la température détectée pour modifier une courbe de calage particulière, qui peut être sélectionnée parmi une pluralité de courbes. Par exemple, l’utilisateur peut être en mesure de sélectionner une courbe de calage parmi une pluralité de courbes de calage à l’aide d’un commutateur ou autre, et les relevés de température détectée peuvent être utilisés pour modifier de façon adéquate les courbes sélectionnées. [à la page 5]
Ce qui émerge des modifications réalisées en fonction de la température des gaz détectée est une courbe d’allumage et non pas un calage de l’allumage. Le calage de l’allumage proviendra de cette courbe d’allumage modifiée lorsque le module de commande active la source d’allumage. Il ressort clairement des revendications 11 et 16 que la courbe d’allumage, juste avant d’être modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement, constitue la courbe d’allumage de base.
[202] Le brevet ne vise pas l’importance ou l’ampleur des modifications apportées à la courbe d’allumage de base. Il traite toutefois de la logique qui est mise en œuvre. Dans les revendications 11 et 16, tout comme dans les autres revendications invoquées, la logique passe par les courbes d’allumage à partir desquelles émanera un point d’allumage. Il est vrai, comme l’a fait valoir AC, que la courbe d’allumage de base peut être modifiée par un changement apporté à un seul point. En effet, les courbes d’allumage de base peuvent ne différer que de peu. Cela signifie simplement qu’il existe des courbes d’allumage de base différentes aidant à constituer cette pluralité de courbes.
[203] Essentiellement, la différence entre les revendications de sélection (les revendications 40, 33 et 47) et les revendications de modification (11 et 16) réside dans l’utilisation de la température des gaz d’échappement. Alors que la température des gaz d’échappement sert à sélectionner la courbe d’allumage selon laquelle l’activation de la source d’allumage sera effective dans trois revendications, cette température peut aussi servir à modifier la courbe d’allumage de base selon laquelle la source d’allumage sera activée. Dans les deux ensembles de revendications, la source d’allumage est activée selon une courbe d’allumage, et une courbe d’allumage ne constitue jamais un seul point d’allumage. Il sera présent dans la courbe d’allumage.
[204] De même, AC a raison d’affirmer que les revendications 11 et 16 ne limitent pas les facteurs à utiliser pour la sélection de la courbe d’allumage de base parmi une pluralité de courbes d’allumage de base. En fait, cela importe peu. Toutefois, lorsqu’une courbe d’allumage de base est sélectionnée, elle est modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée. C’est cette courbe d’allumage de base modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée qui devient la courbe d’allumage selon laquelle la source d’allumage est activée par le module de commande.
[205] La position adoptée par les demanderesses tout au long de l’instruction est largement attribuable à leur volonté de réagir aux arguments de la défenderesse, et ce, malgré le fait qu’AC a le fardeau de convaincre la Cour que son interprétation des revendications et son allégation de contrefaçon à l’égard de son brevet sont à privilégier. C’était particulièrement vrai pour l’interprétation de leurs propres revendications. On se serait attendu à ce que les demanderesses aient une théorie générale de l’objet de leur brevet et de ce que leurs revendications peuvent accomplir.
[206] Néanmoins, un thème récurrent ressort de l’interprétation des revendications. La courbe d’allumage se compose toujours de plus d’un point d’allumage. Il y a toujours une courbe d’allumage qui émane d’une pluralité de courbes d’allumage. Dans le cas des revendications de modification, une courbe sera sélectionnée à partir de courbes d’allumage de base, puis la courbe de base sélectionnée sera modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Pour les revendications de sélection, une courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage sera sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement. La température des gaz d’échappement opère au préalable, c’est-à-dire avant que la courbe d’allumage soit mise à contribution. Dans les deux cas, les revendications font référence à une courbe d’allumage disponible pour l’allumage du mélange air-carburant. Étant donné que la courbe d’allumage doit se composer de plus d’un point d’allumage, les revendications prévoient que l’activation de la source d’allumage par le module de commande se réalisera selon la courbe d’allumage qui a été sélectionnée ou modifiée. Différents régimes de moteur correspondront à différents calages de l’allumage (dans des systèmes d’allumage tridimensionnels, une troisième variable, soit la position du papillon, sera ajoutée), ces différentes combinaisons formant une courbe d’allumage particulière. Évidemment, le module de commande devra sélectionner le point d’allumage approprié pour un régime de moteur particulier.
IX. Contrefaçon
[207] Les demanderesses soutiennent en l’espèce que la défenderesse a contrefait, et continue de contrefaire, certaines revendications de son brevet canadien portant le numéro 2 322 738 (le brevet 738).
[208] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les revendications invoquées, une fois bien interprétées, n’ont pas été contrefaites par BRP. Si une interprétation différente d’une revendication menait à conclure que celle-ci a été contrefaite, je conclurais que la revendication ainsi interprétée serait invalide pour cause d’évidence.
[209] L’article 27 de la Loi sur les brevets établit clairement que les revendications doivent définir « distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention » pour lequel un monopole de 20 ans est demandé. L’objet du mémoire descriptif est de décrire de façon exacte et complète l’invention, son application et son exploitation. Le mémoire descriptif doit également expliquer le principe de la machine ainsi que « la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application ».
[210] Une fois que l’on sort de l’impasse des mots qui composent le brevet 738 que l’inventeur entend appeler une invention, il sera possible de le comparer à la logique des moteurs utilisés par BRP et de décider si une contrefaçon a été commise ou non.
[211] AC l’emportera si au moins une de ses cinq revendications invoquées est jugée valide. L’article 58 de la Loi sur les brevets dispose que :
Lorsque, dans une action ou procédure relative à un brevet qui renferme deux ou plusieurs revendications, une ou plusieurs de ces revendications sont tenues pour valides, mais qu’une autre ou d’autres sont tenues pour invalides ou nulles, il est donné effet au brevet tout comme s’il ne renfermait que la ou les revendications valides. |
When, in any action or proceeding respecting a patent that contains two or more claims, one or more of those claims is or are held to be valid but another or others is or are held to be invalid or void, effect shall be given to the patent as if it contained only the valid claim or claims. |
(Voir également Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, au paragraphe 47).
[212] S’il suffit qu’une seule revendication soit jugée valide pour qu’AC l’emporte, les demanderesses doivent malgré tout démontrer que les moteurs de BRP comprennent tous les éléments essentiels des revendications invoquées. Dans l’arrêt Free World Trust, précité, la Cour n’aurait pu être plus claire :
31 Le présent pourvoi soulève donc la question fondamentale de la démarche qui s’impose pour arbitrer «contrefaçon textuelle» et «contrefaçon de l’essentiel du brevet» de façon à obtenir un résultat juste et prévisible. D’innombrables débats ont eu lieu à ce sujet au Canada et ailleurs dans le monde; j’en ferai état brièvement à l’appui des propositions suivantes:
[...]
f) Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis :
[213] Le fardeau de la preuve de la contrefaçon repose bien entendu sur les épaules des demanderesses (Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 29). En résumé, AC doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que tous les éléments essentiels d’au moins une revendication invoquée ont été contrefaits, en d’autres termes que BRP a mis en œuvre l’invention.
[214] En l’espèce et à ce chapitre, AC ne s’est pas acquittée de son fardeau. Le brevet 738 n’a pas été contrefait, car il manque des éléments essentiels des revendications.
[215] Il n’y a aucun doute que BRP connaissait l’existence du brevet en litige. En effet, elle a déployé des efforts importants pour éviter de contrefaire le brevet d’AC. Cela n’est évidemment pas déterminant pour l’issue de la question en litige puisqu’il est tout à fait possible de contrefaire un brevet par inadvertance. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.
[216] Une fois bien interprétées, les revendications visent toutes l’utilisation de courbes d’allumage. Ces courbes d’allumage sont un élément central des cinq revendications. Dans chacune des cinq revendications invoquées, le module de commande active la source d’allumage selon une courbe d’allumage. Cette courbe doit être composée de plus d’une combinaison de calages de l’allumage et de régimes de moteur particulier, dont l’une de ces combinaisons sera choisie pour être allumée. Il importe peu que la revendication soit présentée comme une revendication de modification (11 et 16) ou comme une revendication de sélection (33(28), 40(34) et 47(41)); chacune d’elles exige que le point d’allumage provienne d’une courbe d’allumage qui comporte plus d’un point d’allumage.
[217] La différence entre les deux types de revendications tient de la façon dont elles arrivent à la courbe d’allumage, de laquelle sera issu le point d’allumage. Pour ce qui est de ce qu’on appelle les « revendications de sélection », la courbe d’allumage correspondant à la température des gaz d’échappement à ce moment-là sera sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage. La température des gaz d’échappement sert à sélectionner la courbe d’allumage qui sera jugée adéquate. Le brevet énonce simplement que l’objectif est d’offrir un fonctionnement optimal du moteur à l’aide d’un calage de l’allumage optimal. Les « revendications de modification » prévoient qu’une courbe d’allumage de base est sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage de base, puis modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée pour devenir la courbe d’allumage. Tant dans les« revendications de sélection » que dans les« revendications de modification », la source d’allumage est ensuite activée par le module de commande selon la courbe d’allumage. Un point d’allumage est issu [traduction] « des différentes combinaisons de calages de l’allumage et de régimes de moteurs particuliers» qui « forment ainsi une courbe d’allumage précise » (brevet 738, à la page 3).
[218] La présente affaire vise la logique de commande d’allumage présente sur deux moteurs à injection semi-directe de BRP, à savoir les modèles 440 HO et 600 RS, et sur deux moteurs à injection directe de BRP, à savoir les modèles 600 ETEC et 800 ETEC. Selon AC, ces moteurs contrefont son brevet.
[219] Les quatre moteurs partagent plusieurs caractéristiques communes. L’une des principales est l’intégration d’un capteur de température des gaz d’échappement, utilisé comme un moyen pour ajuster le calage de l’allumage. Les grandes lignes de leur logique de commande du moteur sont essentiellement les mêmes et quelles que puissent être les différences qui pourraient exister, elles n’ont aucune incidence sur l’affaire.
[220] Dans tous les cas, l’unité de commande de moteur commence par sélectionner un tableau d’allumage en fonction de facteurs autres que la température des gaz d’échappement détectée. Elle extrait ensuite un seul point du tableau choisi auquel elle applique une valeur de correction selon différents facteurs, dont la température des gaz d’échappement détectée. Après que l’unité de commande de moteur ajoute la valeur de correction au point extrait du tableau d’allumage, en vue d’obtenir la valeur finale, elle déclenche la bougie d’allumage.
[221] Les similitudes dans la façon dont les unités de commande de moteur exécutent ce processus sont encore plus grandes dans les modèles 440 HO et 600 RS (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 835:1 à 17) et les modèles 600 ETEC et 800 ETEC (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 887:24 à 888:4). BRP a ainsi décidé de regrouper ces modèles en deux catégories distinctes et Arctic Cat, pour sa part, ne s’éloigne pas trop de cette classification. Par conséquent, je commencerai par présenter la logique de commande du moteur utilisée dans les moteurs à injection semi-directe 440 HO et 600 RS, avant d’aborder la logique commune partagée par les modèles à injection directe 600 ETEC et 800 ETEC.
A. Les moteurs 440 HO et 600 RS
[222] Tel que susmentionné, les moteurs 440 HO et 600 RS utilisent une logique de commande du moteur sensiblement semblable. Dans les deux cas, l’unité de commande du moteur est programmée avec quatre tableaux d’allumage de base distincts (c’est-à-dire les cartographies) destinés à être utilisés selon différentes conditions de fonctionnement du moteur. Elles correspondent au supercarburant, au carburant de course, aux conditions transitoires et aux conditions assorties d’une fonction de préchauffage (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 838:22 à 839:12, rapport CADET, BRPE-136, P-15). Cependant, l’un de ces quatre tableaux n’a jamais été mis en œuvre dans le moteur 440 HO, de sorte que ce moteur est effectivement programmé avec seulement trois tableaux distincts.
[223] À l’égard des moteurs 440 HO et 600 RS, l’unité de commande du moteur commence par sélectionner une de ces quatre cartographies de base en fonction d’un commutateur de préchauffage et de la qualité du carburant; la température des gaz d’échappement ne compte pas dans cette décision (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 814:17 à 816:19, 819:15 à 23, 828:11 à 18; rapport Bower sur la contrefaçon, D-45, aux paragraphes 53 et 88 à 89, description du logiciel Rev01 BRP 04068 Racing MY2006, P-14, à 31 et 47 à 50, rapport CADET, BRPE-136, P-15; rapport CADET, à BRPE-1119, D-11). Après avoir sélectionné une cartographie de base, la commande du moteur située dans les deux moteurs extrait une valeur numérique unique (soit, un point) de cette carte, selon le régime du moteur et la position du papillon (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 828:20 à 22, aux pages 834:18 à 835:8).
[224] L’unité de commande du moteur applique ensuite diverses valeurs de correction au point ainsi extrait de la carte (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 828:22 à 829-1, aux pages 835:5 à 17; rapport Bower sur la contrefaçon, D-45, aux paragraphes 54 à 56). Ces valeurs sont calculées de la même façon dans ces deux modèles 440 HO et 600 RS et sont établies en fonction de facteurs comme l’altitude, la « détonation» du moteur et la température des gaz d’échappement, selon cette formule :
(A ou B ou C ou D)+E+F+G+H+J+K x L
(Transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 814:17 à 815:14, aux pages 822:1 à 823:18, aux pages 824:28 à 828:3; logiciel Racing MY2006 P2 (mandat), BRPE-0215, D-9, [traduction] « Allumage » à 4).
Dans cette formule, A, B, C et D représentent les valeurs extraites des cartographies de base et E, F, G, H, et J représentent les corrections appliquées à la valeur extraite de A, B, C ou D. « K » correspond à la correction du calage de l’allumage pour la « température du tuyau calibré » et constitue l’unique entrée de capteur établie selon la température des gaz d’échappement (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 827:8 à 828:3, logiciel Racing MY2006 P2 (mandat), BRPE-0215, D-9, [traduction] « Allumage » à 3 et 7). Lorsque l’unité de commande du moteur a ajouté toutes les valeurs de correction applicables au point extrait, elle déclenche la bougie d’allumage selon la valeur finale.
[225] L’unité de commande du moteur répète l’ensemble de ce processus plusieurs fois par seconde. Les cartographies de base demeurent toutefois inchangées, puisqu’elles sont sauvegardées sans modification dans la mémoire morte de l’unité de commande du moteur.
B. Les moteurs 600 ETEC et 800 ETEC
[226] La logique de commande des moteurs 600 ETEC et 800 ETEC est sensiblement la même, avec pour principale exception que le moteur 800 ETEC sélectionne entre deux tableaux de correction dynamiques distincts en fonction de l’altitude (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 914:21 à 915:2). D’autres différences entre les moteurs consistent en l’ajout d’un second capteur de température des gaz d’échappement situé dans le tuyau calibré des modèles 800 ETEC Summit and Back Country, de même que la tension opérationnelle des injecteurs de carburant. Ces caractéristiques n’ont aucune incidence en l’espèce puisqu’elles n’ont aucun impact sur la logique.
[227] Les moteurs 600 ETEC et 800 ETEC utilisent tous deux une unité de commande du moteur programmée d’une manière semblable aux modèles 440 HO et 600 RS. Tous deux possèdent quatre cartographies de base, correspondant respectivement à un faible indice d’octane/basse altitude, haut indice d’octane/basse altitude, faible indice d’octane/haute altitude et haut indice d’octane/haute altitude (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 896:22 à 898:22, [traduction] Structure des cartes de correction d’allumage des capteurs de température des gaz d’échappement – modèles 2011 600/800 MXZ ETEC et 800 Summit, P-10, rapport Bower sur la contrefaçon, pièce D-45, aux paragraphes 77 et 78, à la figure 24).
[228] Tout comme dans les moteurs 440 HO et 600 RS, l’unité de commande du moteur située dans les moteurs ETEC est programmée pour d’abord effectuer une sélection parmi les quatre cartographies de base, mais cette fois selon la qualité du carburant et l’altitude (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 922:3 à 923:2; rapport Bower sur la contrefaçon, D-45, aux paragraphes 97 à 103 et 106; démonstration de BRP, pièce D-49). Une fois encore, la température des gaz d’échappement n’intervient pas à cette étape. Dans les deux modèles 600 ETEC et 800 ETEC, l’unité de commande du moteur extrait ensuite un seul point de cette carte en fonction du régime du moteur (et de la position du papillon) (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 899:21 à 26 et aux pages 923:3 à 923:8).
[229] L’unité de commande du moteur est ensuite programmée pour appliquer au point extrait les valeurs de correction correspondant à plusieurs facteurs. Contrairement aux moteurs 440 HO et 600 RS toutefois, ces facteurs ne comprennent pas toujours la température détectée des gaz d’échappement. L’unité de commande du moteur n’est plutôt programmée que pour appliquer une telle correction si l’ouverture du papillon est supérieure à un seuil défini (soit 70 % ou 80 %, selon le moteur) et si le moteur fonctionne à haut régime (transcription, Bruno Schuehmacher, aux pages 908:19 à 910:7). Quoi qu’il en soit, lorsque l’unité de commande du moteur a établi l’ensemble des valeurs de correction, elle les ajoute au point extrait et utilise la valeur finale obtenue pour déclencher la bougie d’allumage.
[230] Comme précédemment, l’unité de commande du moteur répète l’ensemble de ce processus plusieurs fois par seconde. Les quatre cartographies de base demeurent encore une fois inchangées, puisqu’elles sont sauvegardées dans la mémoire morte de l’unité de commande.
C. Analyse
[231] On ne remet pas en question que BRP souhaitait utiliser la température des gaz d’échappement des motoneiges qu’elle fabriquera pour obtenir la combinaison de calage de l’allumage et du régime du moteur qui sera considérée comme optimale pour le moteur de ses motoneiges. Il est également clair, à mon avis, que BRP ne recourt pas aux courbes d’allumage de la façon enseignée par le brevet 738. Pour être franc, BRP ne sélectionne pas une courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement et ne modifie pas une courbe d’allumage selon cette température. Les moteurs de BRP utilisent la température des gaz d’échappement après l’extraction du point d’allumage. C’est le point d’allumage qui est corrigé à l’aide de la température des gaz d’échappement. C’est toujours le point d’allumage extrait qui est corrigé, contrairement au brevet 738 où toute la courbe est soit sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement, soit la courbe d’allumage de base est transformée en courbe d’allumage après la modification de la courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement. Selon le brevet 738, le point d’allumage proviendra de la courbe sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement ou modifiée selon cette dernière, ce qui n’est pas le cas pour les moteurs de BRP.
[232] Deux éléments essentiels des revendications invoquées sont déterminants pour la résolution de cette affaire. Premièrement, avant que le module de commande puisse activer la source d’allumage, selon une courbe d’allumage, c’est toute la courbe d’allumage qui est sélectionnée ou modifiée. Dans les deux cas, c’est à cette étape que la température des gaz d’échappement détectée est utilisée, avant que la source d’allumage puisse être activée. En d’autres termes, le brevet 738 mentionne que les gaz d’échappement ont une incidence sur les courbes d’allumage et non sur le point d’allumage. Deuxièmement, une courbe d’allumage devant toujours se composer de plus d’un point d’allumage, le module de commande activera la source d’allumage en choisissant parmi plusieurs points d’allumage.
[233] Le fait que les courbes d’allumage doivent être différentes et que leur nombre ne peut être infini s’avère également pertinent à l’analyse. De même, les points d’allumage d’une courbe d’allumage ne peuvent être tous identiques puisqu’ils varient en fonction du régime de fonctionnement (et de la position du papillon). Il est impossible dans ce brevet qu’une courbe soit composée d’un seul point d’allumage.
[234] BRP utilise ses moteurs mis en cause d’une manière très différente de celle décrite dans l’invention. La preuve présentée par Bruno Schuehmacher est claire et n’a en aucune façon été contestée lors de l’instruction. De plus, AC n’a pas déposé de preuve de son propre chef qui pourrait être considérée comme contestant la logique de commande des moteurs de BRP.
[235] Essentiellement, BRP a recours aux cartographies de base à partir desquelles un point d’allumage sera sélectionné. Dans le cas des moteurs mis en cause 440 HO et 600 RS, les cartographies de base renvoient aux conditions de fonctionnement des moteurs (carburant de course, carburant super et préchauffage). Les moteurs mis en cause 600 E-TEC et 800 E-TEC utilisent quatre cartographies de base différentes (faible indice d’octane/basse altitude, haut indice d’octane/haute altitude, faible indice d’octane/haute altitude, haut indice d’octane/basse altitude). Ces cartographies sont sélectionnées selon des conditions qui n’ont rien à voir avec la température des gaz d’échappement. Aucune cartographie n’est sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement. Les facteurs déterminants sont plutôt le type de carburant utilisé et l’altitude, ainsi que la possibilité d’utiliser une carte qui correspond au temps de préchauffage des moteurs 440 HO et 600 RS. Il n’y a pas non plus de cartographie de base modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Les cartographies de base dans la logique de BRP demeurent les mêmes, elles ne changent pas.
[236] En fonction des cartographies de base sélectionnées, les moteurs de BRP extraient une combinaison d’un calage de l’allumage et d’un régime de moteur, soit le point d’allumage correspondant au régime de moteur dans la carte de base sélectionnée. Ce point, et ce point seulement, fera l’objet de corrections. L’une de ces corrections apportées au point d’allumage extrait sera établie selon la température détectée des gaz d’échappement. Toutefois, pour les moteurs 600 E-TEC et 800 E-TEC, cette correction surviendra uniquement lorsque le papillon est ouvert au-delà d’un certain niveau (>70 %), ce qui entraînera un haut régime.
[237] Le point d’allumage extrait de la cartographie de base est corrigé et le module de commande active la source d’allumage seulement lorsque les corrections sont achevées.
[238] Comme on peut le voir, les moteurs de BRP ne possèdent pas de module de commande activant la source d’allumage après la sélection d’une courbe d’allumage ou après la modification d’une courbe d’allumage de base menant à une courbe d’allumage. Dans le brevet 738, il est essentiel que la source d’allumage soit activée selon une courbe d’allumage, sélectionnée ou modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement, qui doit être constituée de plus d’un point d’allumage. La logique de commande de BRP extrait le point d’allumage beaucoup plus tôt dans le processus puis le corrige, à l’aide de la température des gaz d’échappement, parmi plusieurs corrections possibles.
[239] En outre, la température détectée des gaz d’échappement est utilisée différemment. Comme nous l’avons déjà vu, BRP ajuste le point d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement : il s’agit donc du point d’allumage qui est ajusté selon la température des gaz d’échappement. AC, par ailleurs, utilise la température des gaz d’échappement à d’autres fins. Dans le cas des revendications de sélection, la courbe d’allumage qui sera utilisée est sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes en fonction de la température détectée des gaz d’échappement. C’est la combinaison des points d’allumage qui est sélectionnée et non un point précis qui est corrigé en fonction de la température des gaz d’échappement. De même, les revendications de modification montrent que la température des gaz d’échappement est utilisée à l’égard d’une courbe d’allumage, et non d’un seul point extrait de la courbe d’allumage. La courbe d’allumage de base est modifiée selon la température détectée des gaz d’échappement afin de devenir la courbe d’allumage à partir de laquelle sera issu un point d’allumage.
[240] AC a soutenu que les cartographies de base de BRP sont en fait identiques à ses courbes d’allumage de base décrites dans les deux revendications de modification. À mon avis, cette contestation ne repose sur rien. Si on présume que les cartographies de base de l’une sont les courbes d’allumage de base de l’autre, il reste que c’est l’ensemble de la courbe d’allumage de base sélectionnée qui est modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement et non un seul point d’allumage extrait de la courbe d’allumage de base sélectionnée (ou de la cartographie de base sélectionnée).
[241] De plus, contrairement à ce que le paragraphe 118 du mémoire des faits et du droit d’AC soutient, le brevet 738 précise que l’activation de la source d’allumage a lieu selon une courbe d’allumage qui a soit été sélectionnée à partir d’autres courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement, soit qui est le résultat de modifications portées à une courbe d’allumage de base (sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage de base) en fonction de la température des gaz d’échappement. AC suggère plutôt qu’il suffit d’utiliser une courbe d’allumage. Cette suggestion est avancée sans doute pour donner l’impression que, tant qu’une courbe d’allumage est utilisée quelque part dans le processus, cela sera suffisant pour satisfaire l’exigence d’activer la source d’allumage selon une courbe d’allumage.
[242] Une telle suggestion, ou une telle thèse, fait fi du sens du mot « selon » ([traduction] « conformément à », « d’une façon correspondant à », tel que défini par le dictionnaire Oxford Canadian Dictionary, Oxford University Press Canada, 2001), et plus important encore, elle n’est pas cohérente avec la structure même des revendications et de l’exposé du brevet. La source d’allumage sera activée selon la courbe d’allumage comportant plus d’un point d’allumage qui reste après sa sélection en fonction de la température ou de la modification de la courbe d’allumage sélectionnée en fonction également de la température. Autrement dit, le module de commande doit sélectionner un point d’allumage après que la courbe à partir de laquelle il sera choisi ait été sélectionnée ou modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Au contraire, la logique de commande des moteurs de BRP repose sur l’activation de la source d’allumage du point qui aura été corrigé : la cartographie de base (ou courbe d’allumage) n’est jamais corrigée ou modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Les moteurs de BRP n’utilisent pas le module de commande activant la source d’allumage après avoir sélectionné un point d’allumage parmi plusieurs autres selon une courbe d’allumage. Les cartographies de base ne sont ni sélectionnées ni modifiées en fonction de la température des gaz d’échappement. Seul le point d’allumage issu d’une cartographie de base est modifié. BRP n’active pas la source d’allumage selon une courbe d’allumage, mais plutôt selon une valeur d’allumage qui a été corrigée en fonction de la température des gaz d’échappement.
[243] On a indiqué, sans explications claires toutefois, qu’il n’y a pas de réelle différence entre la logique de commande du brevet 738 et le moteur mis en cause de BRP, car, au final, on obtient le même résultat. La Cour refuse de suivre un tel argument. L’épigramme plein d’humour de l’arrêt Free World Trust, précité, à propos des hommes atteints de calvitie semble, à mon avis, trancher ce type d’argument :
32 À partir de ces principes, je conclus que les arguments de l’appelante doivent être écartés. Je le répète, l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet. J’examinerai maintenant la première des propositions énumérées.
[Non souligné dans l’original.]
Le libellé des revendications mène à une seule conclusion. Le brevet 738 ne concerne pas uniquement la température des gaz d’échappement détectée permettant d’obtenir un point d’allumage optimal. Il est essentiel aux fins de ce brevet que ce soit la courbe d’allumage, et non pas un point d’allumage, qui soit sélectionnée ou modifiée à l’aide de la température des gaz d’échappement. Il ne s’agit pas d’un dispositif mineur ou sans importance et il offre de la précision et de la certitude. Comme il a été précédemment mentionné, BRP connaissait l’existence du brevet 738. Il est impossible, à mon avis, d’interpréter téléologiquement les mots de la revendication sans reconnaître l’importance de la « courbe d’allumage ». Comme le juge Pratte l’a écrit dans la décision Eli Lilly & Co c. O’Hara Manufacturing Ltd (1989), 26 CPR (3d) 1 (CA) :
[traduction]
Le tribunal doit interpréter les revendications; il ne peut les réécrire. Lorsqu’un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu’il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu’il se trompait.
Les mêmes préoccupations trouvent écho dans l’arrêt Free World Trust, précité :
49 [...] L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
[Non souligné dans l’original.]
[244] Le témoignage de l’inventeur de même que le mémoire descriptif du brevet 738 indiquent clairement l’importance des courbes d’allumage. On ne peut ignorer ce fait. En effet, les revendications invoquées concordent parfaitement avec le mémoire descriptif.
[245] L’exigence mentionnée dans les revendications selon laquelle la source d’allumage sera activée selon la courbe d’allumage sélectionnée ou modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement est indiquée non seulement dans le titre du brevet (Moteur à deux temps avec séquence d’allumage contrôlée par la température des gaz d’échappement), mais également dans le mémoire descriptif ([traduction] « [l]e module de commande sélectionne ensuite une courbe d’allumage en fonction des renseignements sur la température des gaz d’échappement. La courbe sélectionnée sert ensuite à commander l’avance à l’allumage en fonction du régime de fonctionnement du moteur » (à la page 4, aux lignes 23 à 25).
[246] Je n’ai rien trouvé dans le brevet 738 qui permet de démontrer qu’une courbe d’allumage peut être constituée d’un seul point d’allumage ou qui permet l’extraction d’un point d’allumage avant la sélection ou la modification de la courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement. Le brevet fait clairement état des courbes sélectionnées ou modifiées. La différence existant entre le brevet et ce qui est mis en œuvre par BRP n’en est pas seulement une de degré, mais également de nature. Le brevet repose sur les courbes d’allumage, alors que BRP extrait un point d’allumage au début du processus.
[247] Fondamentalement, lorsqu’on reconnaît qu’une courbe doit toujours avoir plus d’un point d’allumage et que l’activation de la source d’allumage a lieu selon cette courbe ([traduction] « sert à commander l’avance à l’allumage en fonction du régime de fonctionnement du moteur »), il est facile de constater la différence par rapport aux moteurs de BRP qui extraient un point d’allumage, et non une courbe, qui est par la suite corrigé. Aucune courbe n’est sélectionnée ou modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement et le point d’allumage n’est pas sélectionné à partir d’une courbe d’allumage sélectionnée ou modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement.
[248] En conséquence, la Cour doit conclure que les cinq revendications invoquées n’ont pas été contrefaites.
X. Invalidité
[249] Si j’ai tort de conclure que le brevet 738 n’a pas été contrefait en l’espèce, je devrais examiner la validité du brevet 738. BRP soutient qu’il est invalide. Considérant les efforts considérables qui ont été déployés au cours de l’instruction, un court examen de la question peut être utile en l’espèce.
[250] Il incombe à BRP de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 738 est invalide (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 75). En l’espèce, BRP a invoqué les motifs d’antériorité et d’évidence en affirmant que le brevet en litige est invalide.
[251] Comme BRP l’a fait valoir, si la Cour devait examiner les arguments sur la validité du brevet 738, c’est qu’elle aurait eu tort de conclure que le terme « courbe d’allumage » exige la présence de plus d’une combinaison de calage de l’allumage et de régime de moteur particulier. Autrement dit, une courbe d’allumage pourrait se composer d’une seule combinaison. Plus tôt, le Dr Checkel, l’expert engagé par AC, s’est montré hésitant à se prononcer sur l’utilisation qui est faite de la courbe d’allumage.
[252] Dans ses dernières observations orales présentées à la Cour, l’avocat d’AC a soutenu que la personne versée dans l’art [traduction] « sait quelles valeurs j’obtiens en bout de ligne. C’est ce qui compte pour la personne versée dans l’art » (transcription, 2 février 2016, à la page 225:4 à 6). L’avocat a ajouté que le brevet prévoit une équation qui engendrera un point d’allumage pour un régime du moteur donné à une température des gaz d’échappement particulière :
[traduction]
Et je ne suis pas d’accord que cette définition ne s’applique qu’à un seul brevet (courbe). La définition, si vous retenez ma thèse selon laquelle une équation est une définition, vous pouvez insérer différentes valeurs et vous obtenez toujours le même résultat. Vous obtenez toujours la même valeur définie. Ce qui représente un rapport défini entre deux variables. Si j’ajoute ma température, j’obtiens un rapport défini au niveau de mon régime de moteur. Il est défini grâce à mon équation. Cela n’a pas à être posé ainsi.
(Transcription, 2 février, aux pages 226 à 227)
[253] Si je comprends bien, la position qui est finalement ressortie est que le brevet 738 prévoit que les courbes d’allumage sont le résultat d’une équation, ce qui a été qualifié de « rapport fictif ». La température est ajoutée à cette courbe d’allumage, qui représente le rapport défini de deux variables; l’ajout de la température constitue un apport de renseignement permettant au point d’allumage d’être activé par la source d’allumage. Comme l’avocat d’AC l’a fait valoir :
[traduction]
M. Crinson : Laissez-moi essayer de vous convaincre d’y regarder de plus près...
Le juge Roy : S’il vous plaît
M. Crinson :... Examinons la question, encore une fois, du point de vue de la personne versée dans l’art.
Si la proposition est que vous allumez le moteur - à l’aide de l’ensemble d’une courbe d’allumage, c’est la teneur de la proposition. La personne versée dans l’art sait que ce n’est pas ce qui se produit et sait que ce n’est jamais ce qui arrive.
Car une personne versée dans l’art sait qu’il faut toujours utiliser une trame unique de valeur. Vous ne pouvez pas allumer toutes les valeurs de calage de l’allumage. C’est impossible.
La personne versée dans l’art sait que pour chaque cycle du moteur, il y a un seul point d’allumage. C’est ce qu’une personne versée dans l’art sait, mais lorsque vous examinez la courbe - le brevet, pardon.
(Transcription, 2 février 2016, à la page 229)
[254] Il est quelque peu ironique qu’AC doive, selon moi, s’en remettre à une personne versée dans l’art différente de celle qu’elle a définie à l’intention de la Cour pour faire valoir son argument. Quoi qu’il en soit, la personne versée dans l’art peut certainement aider à interpréter un brevet, mais elle ne peut y substituer des mots ou des concepts. Le brevet dit ce qu’il dit et, en l’espèce, il doit exister une pluralité, non une infinité, de courbes d’allumage ou une pluralité de courbes d’allumage de base à partir de laquelle une courbe d’allumage, composée de plus d’un point d’allumage, ressortira. De plus, c’est la courbe qui est sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement, ou c’est la courbe d’allumage de base qui est modifiée en fonction de cette température. Ce n’est que lorsque la courbe d’allumage a été sélectionnée, ou que la courbe d’allumage sélectionnée a été modifiée, en fonction de la température des gaz d’échappement, que le module de commande activera la source d’allumage. Incontestablement, le module de commande activera la source d’allumage selon la courbe d’allumage choisie en fonction de la température des gaz d’échappement en sélectionnant le point qui correspond au calage de l’allumage à un régime de moteur donné. La notion voulant que l’ensemble de la courbe d’allumage soit allumé n’a jamais fait partie du brevet 738. Cependant, le brevet 738 enseigne qu’un point d’allumage est sélectionné à partir d’une courbe d’allumage. De plus, comme le démontre le brevet 738, puisqu’une courbe d’allumage couvre une plage de températures, il est probable que plusieurs points d’allumage seront sélectionnés à partir de la même courbe étant donné que le régime du moteur varie sans que la température atteigne une plage différente. De quelle façon l’invention est mise en œuvre 17 ans plus tard, le cas échéant, est inconnue. En fait, aucune preuve tangible n’a été présentée en l’espèce démontrant qu’AC met effectivement en œuvre sa propre invention. Quoi qu’il en soit, il est inapproprié d’appliquer les capacités de calcul d’aujourd’hui au brevet 738. Je crains que l’argumentation selon laquelle la personne versée dans l’art [traduction] « sait quelles valeurs j’obtiens en fin de compte ». C’est ce qui compte pour la personne versée dans l’art » va à l’encontre de l’analogie de « l’homme atteint de calvitie » (au paragraphe 243 des présents motifs). Pour citer une fois de plus l’arrêt Free World Trust, « [l]a portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet. »
[255] Il demeure que la question à trancher est de déterminer si la théorie entourant le brevet 738 avancée par AC le rendrait antérieur ou évident compte tenu d’au moins deux documents relatifs à l’antériorité.
A. Antériorité
[256] BRP limite son argument sur l’antériorité à deux exemples d’antériorité : une demande de brevet japonaise publiée le 16 juin 1989 portant le numéro 562-310-959 [la demande 959] et le brevet américain 5946 908 [brevet américain 908].
[257] Si je comprends bien cet argument, la demande 959 serait antérieure aux trois revendications indépendantes qui donnent lieu aux revendications de sélection dépendantes 40, 33 et 47. BRP reconnaît que la demande 959 n’aborde pas l’élément essentiel qui fait partie de ces trois revendications, à savoir que le moteur visé par les revendications est un moteur de motoneige.
[258] BRP se fonde sur le brevet américain 908 pour soutenir que les revendications de modification (revendications 11et 16) sont antérieures lorsqu’elles ne sont pas limitées par une revendication dépendante spécifique aux motoneiges.
[259] Il semble n’y avoir aucun désaccord sur le critère de l’antériorité. L’arrêt faisant autorité, Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, [Sanofi-Synthelabo] exige (1) une divulgation antérieure, en d’autres termes « le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet » (au paragraphe 25) et (2) le caractère réalisable, « à savoir la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention » (au paragraphe 26), où la personne versée dans l’art serait « disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention » (au paragraphe 27).
[260] La demande japonaise 959 est un document assez difficile à interpréter, peut-être en raison de la traduction du japonais, et pour laquelle le demandeur du brevet est Suzuki Motor Company, la même entreprise avec laquelle l’inventeur, M. Greg Spaulding, aurait mis au point ce qu’il a considéré être son invention. Cette demande a été publiée dix ans avant la date de priorité de décembre 1999, soit le 16 juin 1989.
[261] La demande 959 concerne le rapport du calage de l’allumage (l’avance à l’allumage par rapport au point mort haut) ou, comme il est écrit dans la demande, la vitesse de décalage du moteur et la température des gaz d’échappement. Essentiellement, lorsque les tours par minute atteignent un niveau plus élevé, le calage de l’allumage sera avancé en fonction de la température des gaz d’échappement.
[traduction]
Selon cette configuration, le circuit de commande 16 commande le calage de l’allumage du moteur 2 afin de correspondre au calage de l’allumage standard A en fonction du régime du moteur N détecté par le tachymètre 12, comme illustré dans la figure 2. Dans la zone à haut régime se situant dans ou au-dessus du régime de moteur prescrit N, le calage de l’allumage est commandé selon l’état de la température des gaz d’échappement du moteur 2, détecté par le capteur de température des gaz d’échappement 14, en vue de correspondre aux calages A¹ ~ A³, dont le décalage est plus avancé par rapport au calage de l’allumage standard A.
(À la demande 959, à la page 4)
Il est clair, à mon avis, que la demande propose que ce soient les diverses combinaisons de calages de l’allumage et de régimes de moteur particuliers qui se déplacent en réponse à la température des gaz d’échappement détectée; c’est la courbe d’allumage, ou la configuration d’allumage, qui se déplace :
[traduction]
Donc dans une zone à haut régime se situant dans ou au-dessus du régime prescrit N, le calage de l’allumage est commandé selon l’état de la température des gaz d’échappement du moteur 2, détecté par le capteur de température des gaz d’échappement 14, en vue de correspondre aux calages A¹ ~ A³, dont le décalage est plus avancé par rapport au calage de l’allumage standard A. Autrement dit, lorsque le régime du moteur se situe au régime prescrit N ou au-dessus de celui-ci, l’allumage standard varie progressivement de Aº aux calages A¹ ~ A³, dont le décalage est plus avancé par rapport au calage de l’allumage standard A, selon le circuit d’allumage 18 qui amène la bougie d’allumage 6 à s’enflammer aux calages susmentionnés A¹ ~ A³, dont le décalage est plus avancé.
(À la demande 959, à la page 4)
Ce principe est illustré par la figure 2, qui fait partie de la demande.
Bien qu’assez rudimentaire, la figue 2 présente le déplacement de la courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement.
[262] Le brevet américain 908 concerne également l’utilisation de la température des gaz d’échappement. Il prévoit une « routine de commande » qui exige un signal de commande de base (la valeur de commande) provenant d’une carte; cette valeur de commande provenant d’une carte qui dépend de l’ouverture du papillon et du régime du moteur; la température des gaz d’échappement, calculée comme étant la différence entre la température désirée de la paroi du tuyau d’échappement et la température réelle de la paroi, est mesurée par un capteur; la logique exige qu’une carte de correction soit utilisée pour établir la valeur de correction qui corrigera ensuite la valeur extraite de la carte; le processeur, ou le module de commande, calcule le calage réel auquel la bougie d’allumage sera enflammée de manière à obtenir la température de paroi souhaitée (au brevet 908, à la colonne 8).
[263] Pour une raison qui demeure inconnue, BRP a soutenu que la demande 959 est antérieure aux revendications indépendantes, soit les revendications 34, 28 et 41. Peut-être bien, mais ces revendications ne sont pas celles en cause en l’espèce. Les revendications invoquées sont plutôt les revendications 40, 33 et 47 et elles prévoient toutes comme élément essentiel que le moteur soit celui d’une motoneige. Rien n’a été fait pour même avancer que les revendications en litige sont antérieures. Il semblerait que le véritable objectif poursuivi par cette allégation d’antériorité était de prétendre qu’elle constitue une base solide pour faire valoir le caractère évident. Quoi qu’il en soit, la demande 959 n’est pas antérieure à l’une des revendications invoquées.
[264] BRP prétend que le brevet américain 908 est antérieur au brevet 738, advenant que la Cour conclue que ce brevet décrit la modification d’une courbe d’allumage, celle-ci étant comprise comme étant le rapport entre le calage de l’allumage et le régime du moteur qui, dans le cas des revendications 11 et 16, serait modifié en fonction de la température détectée des gaz d’échappement.
[265] À mon avis, la démonstration de BRP n’est pas assez convaincante pour conclure à l’antériorité. Il existe une telle différence entre les deux brevets que je ne suis pas convaincu qu’il y a antériorité. Les revendications 11 et 16 nécessitent [traduction] « un capteur permettant de détecter une température des gaz d’échappement », la modification de la courbe d’allumage étant « fonction de la température des gaz d’échappement détectée ». Par ailleurs, le brevet 908 fait état de la différence de température entre la température souhaitée de la paroi du tuyau d’échappement et sa température réelle. Je préfère examiner cette question plus en profondeur selon le cadre relatif à l’évidence.
[266] Je ferais remarquer que pour tenter de contrer la thèse de BRP selon laquelle le brevet américain 908 est antérieur aux revendications de modification du brevet 738, AC a soutenu que [traduction] « le Dr Bower a affirmé qu’il ne croit pas que le brevet 908 divulgue la modification d’une courbe d’allumage » (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 150). Ceci n’est pas exact. Dans le passage auquel renvoie AC, le Dr Bower indique clairement qu’il [traduction] « ne croit pas que le brevet 908 et les produits de BRP modifient une courbe d’allumage. Mais, si je reprends l’interprétation prônée par AC, je conclus qu’en utilisant cette valeur de correction, ils modifient donc ce point d’allumage de base dans le processus d’établir la valeur d’allumage finale ». Le témoin est convaincu que BRP ne modifie pas une courbe d’allumage. Par conséquent, à son avis, il n’y a pas de contrefaçon. Cependant, si on présume qu’il y aurait contrefaçon, il faudrait que « courbe d’allumage » reçoive un sens différent selon lequel la courbe d’allumage de base, pour être modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement, devrait se composer d’un seul point d’allumage. Les revendications 11 et 16 entreraient dans le domaine du brevet 908 et des moteurs de BRP qui mettent en œuvre le brevet 908. Il est tout à fait possible que le Dr Bower ait raison. Tel est le fondement sur lequel l’argument sur l’invalidité doit être examiné.
B. Évidence
[267] À mon avis, l’analyse passant par le cadre de l’évidence est probablement plus appropriée dans une affaire dans laquelle nous devons présumer que les revendications devraient être examinées en recourant à une autre interprétation que celle retenue par la Cour dans son analyse portant sur la contrefaçon. En d’autres termes, que se passe-t-il lorsque l’on part d’une interprétation qui éviterait une conclusion de non-contrefaçon? Cette interprétation doit tenir pour acquis que la « courbe d’allumage » peut comporter un seul point d’allumage. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets dispose que l’objet qui définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas être évident :
28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication : |
28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to |
a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs; |
(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and |
b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs. |
(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere. |
[268] Il ne faut pas confondre l’antériorité et l’évidence. Dans l’arrêt Beloit Canada Ltd c. Valmet Oy, (1986) 7 CIPR 205 (CA), la Cour d’appel fédérale a expliqué la différence entre ces deux concepts à la page 210 :
(...) l’évidence est une attaque contre un brevet en raison de son absence de valeur inventive. Celui qui conteste la validité du brevet dit en fait « N’importe qui aurait pu faire cela ». Celui qui plaide l’antériorité, ou absence de nouveauté, présume pour sa part qu’une invention a effectivement eu lieu, mais il allègue qu’elle a été divulguée au public avant que soit présentée la demande de brevet. Le reproche est le suivant : « Votre invention est astucieuse, mais elle était déjà connue ».
[269] La Cour conclurait en l’espèce que l’application du cadre pour analyser l’évidence entraîne la conclusion que le brevet 738 est invalide pour ce motif, compte tenu de l’antériorité et des connaissances générales courantes. En effet, le brevet en litige constitue un instrument rudimentaire comparativement à certaines antériorités. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (2000), [2001] 1 C.F. 495 (CA) [Wellcome Foundation], la Cour d’appel fédérale a décrit le concept d’évidence de cette façon :
60 En matière d’évidence, il faut déterminer si la personne versée dans l’art mais dénuée d’inventivité serait, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment de l’invention, directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère difficile à satisfaire.
61 Le caractère évident est une question de fait, et notre Cour ne peut intervenir dans la décision du juge de première instance à cet égard à moins qu’il n’ait commis une erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve ou une erreur de droit. Il faut prendre garde au danger inhérent de l’analyse a posteriori consistant à considérer rétrospectivement une invention comme évidente alors qu’elle ne l’était pas au moment où elle a été faite.
Récemment, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a réitéré que l’examen du caractère évident repose en grande partie sur les faits. La Cour d’appel évite manifestement d’enfermer dans un carcan le critère de l’évidence. (Hospira UK Ltd and Genentech, Inc, [2016] EWCA Civ 780, aux paragraphes 9 à 17)
[270] L’arrêt Sanofi-Synthelabo a également brillamment saisi l’état du droit lorsqu’il examine l’allégation d’évidence en adoptant la démarche privilégiée par la Grande-Bretagne :
67 Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ 588, par.23 :
[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :
(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;
(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;
(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;
(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]
La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.
[271] La rigidité dont a fait preuve le juge de première instance dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo est à présent quelque peu atténuée. Comme nous l’avons vu, la personne versée dans l’art sera titulaire d’un diplôme en génie mécanique jumelé à quelques années d’expérience. Il est possible que des étalonneurs possédant une expérience considérable fassent partie de l’équipe constituant la personne versée dans l’art. Le brevet 738 concerne le moteur à deux temps qui utilise la température des gaz d’échappement pour commander le calage de l’allumage. Les parties s’entendent sur la plupart des éléments essentiels des revendications, qui font d’ailleurs partie des connaissances d’un ingénieur mécanique (un moteur à deux temps possède un cylindre, un piston, une source d’allumage, etc.).
[272] AC a contesté une partie de l’antériorité, sous la forme de brevets ou de demande de brevets, repérée par la personne versée dans l’art. Une partie du problème proviendrait bien entendu du fait qu’AC aurait défini la personne versée dans l’art comme étant une personne ayant de l’expérience plutôt qu’un ingénieur mécanique diplômé. Elle a soutenu de plus que les recherches effectuées étaient plus exhaustives qu’une simple recherche diligente. Je ne suis pas d’accord.
[273] La recherche a été réalisée dans un domaine restreint et est parfaitement raisonnable. Le brevet 738 concerne un moteur à deux temps dans lequel la température des gaz d’échappement est utilisée à des fins précises. Il ne se limite pas aux motoneiges et le brevet 738 précise clairement qu’il porte sur des moteurs utilisés [traduction] « pour mouvoir des véhicules comme des motoneiges, des motocyclettes, des motomarines et autres engins » (brevet, à la page 1). Certainement, une personne versée dans l’art, comme un ingénieur mécanique, qui est diligente repérerait l’antériorité traitant de la courbe d’allumage et de la température des gaz d’échappement, et ce, même si elles concernent des motocyclettes.
[274] De même, le simple fait que certaines antériorités concernaient des convertisseurs catalytiques ne disqualifierait pas une recherche qui, par ailleurs, traite de l’utilisation de la température des gaz d’échappement. Je retiens la preuve selon laquelle il était entendu que, tôt ou tard, et probablement plus tôt que tard, des règlements en matière d’émission s’appliqueraient aux motoneiges puisqu’ils existaient déjà à l’égard d’autres véhicules récréatifs, comme les motocyclettes et les motomarines étaient déjà couvertes aux États-Unis. Ainsi, examiner la technique relative à la réduction des émissions ne me paraît pas fort éloigné du sujet concerné. C’est même plutôt le contraire lorsque la personne versée dans l’art est présumée détenir un diplôme en génie mécanique.
[275] Par contre, je ne suis absolument pas convaincu que l’antériorité visant les moteurs à quatre temps, du fait qu’ils ont un fonctionnement différent, devrait faire l’objet d’une recherche diligente. Quoi qu’il en soit, cette antériorité n’est pas essentielle et aurait peu de poids en l’espèce. Il s’ensuit que l’antériorité établie par BRP n’est pas seulement pertinente pour l’invention invoquée, mais une recherche diligente axée sur l’objet de l’invention invoquée l’aurait repérée. Il vaut la peine de rappeler que les efforts sont déployés sur l’invention et la concurrence à l’égard des motoneiges et des véhicules récréatifs en général se situerait aux États‑Unis et au Japon. En effet, la demande 959 a été déposée par le demandeur de brevet Suzuki Motor Corporation, le fabricant de moteurs d’AC lors de la création de l’invention invoquée en l’espèce. Il est difficile de comprendre pourquoi une demande de brevet déposée par le fabricant de moteurs d’AC concernant les courbes d’allumage sélectionnées parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement pourrait ne pas être pertinente ou, au demeurant, nécessiterait plus qu’une recherche diligente alors qu’elle porte directement sur la question. De même, le brevet américain 908 est très rapidement ressorti alors qu’AC cherchait une logique qui éviterait celle du brevet 738. La personne versée dans l’art n’aurait pas eu à chercher très loin pour trouver un brevet déposé en janvier 1997 et publié le 7 septembre 1999, soit quelques mois avant la date de priorité invoquée par AC (le 1er décembre 1999). Le témoignage présenté par M. Strickland constitue, à mon avis, une réponse complète aux accusations d’excès de zèle. Une compagnie sérieuse souhaitant lancer un nouveau produit ferait exactement comme BRP l’a fait en identifiant la propriété intellectuelle pertinente et en cherchant à éviter de la contrefaire. Ainsi le ferait une personne versée dans l’art.
[276] En l’espèce, le concept inventif est, en fin de compte, assez simple si on ne tient pas compte de l’exigence d’avoir une courbe d’allumage composée de plus d’un point d’allumage, ce qui constituerait une caractéristique distinctive du brevet 738. Par conséquent, en ce qui concerne le moteur à deux temps, l’invention se limite à l’utilisation de la température des gaz d’échappement pour sélectionner le calage de l’allumage afin de garantir un fonctionnement optimal du moteur. Bien qu’AC ait suggéré que l’optimisation se limite à la performance du moteur au niveau de sa puissance et de son accélération, ce n’est évidemment pas le cas puisque l’exposé mentionne également d’éviter les dommages au moteur et de sélectionner la bonne courbe d’allumage peu après le démarrage. Il faut également rappeler que l’exposé énonce que [traduction] « [de] plus, la présente invention pourrait s’appliquer à des moteurs à deux temps utilisés en mode stationnaire si l’on souhaite».
[277] Ce point de vue, tiré du concept inventif, est cohérent avec le témoignage de l’inventeur, M. Greg Spaulding, et celui de l’expert engagé par AC, le Dr Checkel, qui a écrit au paragraphe 101 de la pièce P-2 :
[traduction]
Dans l’ensemble, le brevet 738 décrit l’utilisation de la détection ou de la mesure de la température des gaz d’échappement pour détecter les caractéristiques des conditions de fonctionnement du moteur et utiliser cette température comme un élément permettant de déterminer la courbe d’allumage à utiliser. La courbe d’allumage qui en résulte peut ainsi permettre d’obtenir des conditions optimales de fonctionnement du moteur ou, par exemple, permettre d’atténuer une condition de fonctionnement du moteur non souhaitée.
[278] Dans son témoignage principal, M. Spaulding a parlé du concept inventif sans même mentionner les courbes d’allumage. Voici de quelle façon il a expliqué son invention au début de son témoignage :
PAR M. EVANS :
Q. M. Spaulding, pourriez-vous nous expliquer, de façon générale, en quoi consiste votre invention?
R. Mon invention utilise la température des gaz d’échappement pour optimiser les réglages, le calage de l’allumage d’un moteur à deux temps.
Q. Et que voulez-vous dire par « optimiser »?
R. Pour sélectionner la – on utilise la température des gaz d’échappement pour sélectionner le calage de l’allumage optimal en fonction de cette température interne. Le meilleur étalonnage de la séquence pour une température interne donnée de l’échappement.
(Transcription, à la page 2616)
Un peu plus tard dans son témoignage, M. Spaulding a fait référence aux courbes d’allumage (aux pages 2671, 2707 et 2708).
[279] Au cours du contre-interrogatoire, il est devenu plus évident pourquoi, de l’avis de son inventeur, l’existence de courbes d’allumage ne caractérise pas son invention.
[traduction]
Q. Mais considérez-vous toujours que ces deux moteurs relèvent de votre invention?
R. Oui.
Q. Parce que votre invention, si je comprends bien, est un vaste concept consistant à modifier, corriger, sélectionner ou avoir une incidence d’une quelque autre façon sur le calage de l’allumage en se servant d’un capteur de température des gaz d’échappement comme outil. C’est bien cela?
R. Oui.
Q. Donc, tant que vous pouvez avoir un capteur de température des gaz d’échappement, une ECU et une valeur de calage de l’allumage, une courbe ou d’autres paramètres se rapportant au calage de l’allumage qui tiendra compte de la température des gaz d’échappement, il s’agit de votre invention?
R. Je crois que je comprends ce que vous dites.
Q. Qu’est-ce que vous comprenez?
R. Je comprends que peu importe la logique utilisée pour obtenir la température des gaz d’échappement, la technologie sélectionne – mesure la température des gaz d’échappement, utilise cette information pour sélectionner des courbes ou un calage de l’allumage notamment pour optimiser le moteur selon différentes conditions. En ce qui concerne le calage de l’allumage, c’est ce que je veux dire. Il y a d’autres sphères de commande.
Q. Et selon cette compréhension, diriez-vous, oui, c’est mon invention?
R. Oui.
Q. La correction de points d’allumage par rapport à la correction du calage de l’allumage?
R. Oui.
Q. La sélection de courbes de calages de l’allumage par rapport à la sélection de point de calage de l’allumage, toutes deux relèvent de votre invention selon vous?
R. Selon moi, oui.
(Transcription, aux pages 2781 et 2782)
Pour le témoin, ce qui compte en définitive est que le calage de l’allumage, la sélection du point d’allumage, se fasse en fonction de la température des gaz d’échappement. Comme nous l’avons déjà mentionné, bien que ce ne soit pas la bonne interprétation des revendications, on présume qu’il s’agit d’une interprétation possible du brevet pour les besoins de l’analyse de l’évidence.
[280] L’échange au cours du contre-interrogatoire s’est poursuivi et a confirmé que le témoin était non seulement préoccupé par le produit final, mais également qu’il est possible qu’il n’y ait pas d’éléments particulièrement nouveaux dans l’invention :
Q. Oui. Et ce que vous souhaitez accomplir est le résultat final, un point du calage de l’allumage final. C’est bien cela?
R. Oui.
Q. Et ai-je raison de dire que lorsque vous avez soumis votre idée à Suzuki en octobre 1998 ou en 1999, c’est ce que vous avez demandé, le vaste concept consistant à modifier, calculer, sélectionner ou de le faire autrement, mais de tenir compte de la température des gaz d’échappement et de modifier d’une certaine façon le calage de l’allumage?
R. Oui, c’est ce que j’ai demandé à Suzuki.
Q. Et vous avez laissé à Suzuki le choix de l’approche à utiliser pour obtenir ce résultat. C’est exact?
R. Par « approche », vous voulez dire la logique logicielle?
Q. La logique logicielle. Il appartiendrait à Suzuki d’établir comment sélectionner une courbe d’allumage?
R. Oui. C’est la logique du logiciel, oui.
Q. Donc modifier une courbe d’allumage, ce serait – ça proviendrait de Suzuki. C’est exact?
R. Je dois m’assurer que je vous comprends. La méthode utilisée pour modifier une courbe d’allumage?
Q. Bien, que ce soit la sélection d’une courbe d’allumage, la modification d’une courbe d’allumage ou la modification d’un point d’allumage, vous avez laissé à Suzuki, n’est-ce pas, le soin d’établir comment le faire?
R. Je – ces éléments étaient connus. Je veux dire, il y avait déjà des courbes, donc ce n’est pas comme si on ne savait pas qu’on modifierait une courbe ou un point dans la courbe. Vous voyez ce que je veux dire, j’imagine, je ne suis pas certain lorsque vous dites que j’ai laissé Suzuki déterminer ce qu’est une courbe ou un point.
Q. Non, je ne parle pas de ce que désigne une courbe. Donc vous dites que les courbes étaient connues avant. C’est bien cela?
R. Les courbes d’allumage.
Q. Les courbes d’allumages étaient connues?
R. Oui.
Q. Donc, avec votre système, vous souhaitiez pouvoir modifier le calage de l’allumage de la motoneige en fonction de la température des gaz d’échappement. C’est exact?
R. Oui.
Q. Et que cette modification pourrait être réalisée en sélectionnant des courbes qui, comme vous venez de le dire, étaient connues. C’est exact?
R. Que ce soit par la sélection?
Q. Oui. Ou par des calculs?
R. Oh, oui. C’est exact. Peu importe la méthode.
Q. La méthode, quelle qu’elle soit, pour y parvenir vous a été fournie par Suzuki. C’est bien cela?
R. Oui.
Q. Parce que ce qui vous intéressait réellement, en fin de compte, c’était le résultat final?
R. Oui.
(Transcription, aux pages 2783 à 2785)
[Non souligné dans l’original.]
[281] J’ai très peu de difficulté à conclure que l’antériorité a rendu le brevet 738, tel que compris par AC, évident pour la personne versée dans l’art. Comme cela a été mentionné à plusieurs au cours de l’instruction, ce qui a réellement été inventé en l’espèce reste assez flou. Toutefois, pour les besoins de l’analyse de l’évidence en l’espèce, on suppose que la Cour ignore la prévalence, en fait l’importance, de l’allumage du point d’allumage selon la courbe d’allumage (et de ses nombreux points d’allumage) qui est soit sélectionné (la courbe) en fonction de la température des gaz d’échappement, ou la courbe d’allumage finale selon laquelle le point d’allumage qui sera trouvé et allumé est modifié en fonction de la température des gaz d’échappement. En effet, en simplifiant son brevet, AC permet la contestation fondée sur l’évidence.
[282] La demande 959, soit la demande de Suzuki Motor qui a été déposée dix ans avant le brevet 738, concerne précisément la sélection des courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement. Cette sélection est réalisée en vue de commander le calage de l’allumage de façon optimale. Il n’y a guère de discordance entre la demande 959 et le concept inventif du brevet 738. Le fait que le brevet 738 soit muet quant à l’objectif visé par l’utilisation de la température des gaz d’échappement détectée en vue d’optimiser le fonctionnement du moteur et les résultats obtenus par cette détection rend impossible d’observer une différence significative entre la demande et le brevet. Autrement dit, le concept inventif très général, sans plus de précisions sur l’usage qui peut en être fait, permet de facilement lier la demande 959 au brevet en litige. Le concept inventif de la demande 959 consiste à utiliser la température des gaz d’échappement pour commander le calage de l’allumage de façon optimale. Tout comme le concept inventif du brevet 738.
[283] En réalité, le fait qu’il n’y ait aucune indication quant à la manière dont l’invention sera utilisée dans un moteur de motoneige rend cette caractéristique énoncée dans les trois revendications de sélection (les revendications 40, 33 et 47) excessivement faible. Si l’on sait comment utiliser l’invention pour une motocyclette, cela ne serait-il pas évident pour la personne versée dans l’art? Le brevet 738 est muet sur les caractéristiques dont il devrait être tenu compte en utilisant la température des gaz d’échappement pour régler le calage de l’allumage à différents régimes de moteur dans le cas d’une motoneige. Cela ne crée tout simplement pas de distinction entre l’antériorité et le brevet en litige.
[284] AC a soutenu que la demande 959 ne vise pas les moteurs à deux temps. Je ne suis pas d’accord. La demande renvoie à une autre demande, la demande japonaise de brevet numéro 562-70660 (la demande 660) qui n’a pas été examinée. Cette demande 660 concerne un moteur à deux temps et je retiens le témoignage du Dr Bower selon lequel l’objectif de la demande 959 est de faire valoir les améliorations apportées à la demande 660; il s’ensuit donc que la demande 959 concerne également les moteurs à deux temps. La demande 660 ne se retrouve pas ailleurs dans l’art antérieur, mais elle est plutôt directement mentionnée dans la demande 959. En effet, les demandes 959 et 660 doivent être lues ensemble. Ces demandes ont un thème commun : le calage de l’allumage est étalonné en fonction de la température des gaz d’échappement.
[285] De même, le brevet américain 908 est une réponse directe à la tentative d’AC de décrire son brevet comme prévoyant des équations qui tiendraient compte de plusieurs variables, avec la température des gaz d’échappement servant à ajuster le point d’allumage. La preuve produite au cours de l’instruction démontre qu’il y a deux possibilités. Soit le point d’allumage est ajusté pour tenir compte de la température des gaz d’échappement, soit la courbe d’allumage, consistant en plus d’un point d’allumage, est modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement et le point d’allumage sera extrait par le module de commande.
[286] À mon avis, en raison du brevet américain 908, il devient très difficile pour AC de faire valoir des arguments contre le critère de l’évidence. Les deux experts s’entendent sur le fait que le brevet décrit l’ajustement du calage de l’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement; cela est évident au vu du brevet 908. Le module de commande utilise une carte tridimensionnelle à partir de laquelle un calage de l’allumage de base est établi en fonction du régime du moteur et de la position du papillon. Si la température des gaz d’échappement détectée n’est pas celle qui correspond à la performance optimale du moteur, une valeur de correction en fonction de la température des gaz d’échappement (soit la différence entre la température détectée et la température souhaitée) est appliquée.
[287] Il est vrai que pour faire l’ajustement, le brevet américain 908 fait appel à la différence de température entre la température souhaitée des gaz d’échappement et celle mesurée. L’exposé du brevet 738 fait preuve de souplesse, mais exprime une préférence pour un contact direct avec la température des gaz d’échappement dans un souci de précision et de réduction du temps de réaction. Il est toutefois également possible de détecter la température à l’extérieur du système d’échappement : l’exposé permet même de détecter la température de l’eau sur une chemise d’eau entourant un tuyau d’échappement. À mon avis, le brevet américain 908 aborde de front l’utilisation de la température des gaz d’échappement afin d’obtenir un point d’allumage. Si la différence entre la mesure du gaz à l’extérieur du système d’échappement et la détermination de la température utilisée en soustrayant la température mesurée et la température souhaitée est importante pour le concept inventif, ce qui est très improbable, il ne fait pour moi aucun doute que de passer d’un concept plus complexe (soit de comparer la température souhaitée à la température réelle des gaz) à un concept simple (soit de mesurer directement la température des gaz d’échappement) serait évident pour la personne versée dans l’art. Il s’agit d’une étape évidente pour la personne versée dans l’art et ne nécessite tout simplement pas d’inventivité. Nul besoin d’une étape inventive: elle est évidente. En fait, il semblerait que le concept inventif du brevet 738 était bien connu si on exclut l’usage particulier des courbes d’allumage.
[288] Aux paragraphes 81 à 86 de son rapport sur l’invalidité (P-60), le Dr Checkel répète, pour ainsi dire, ce qui figue dans le brevet 738. La Cour n’a rien pu trouver sous le titre [traduction] « L’invention décrite dans le brevet » qui l’éclairerait, sachant que [traduction] « le brevet concerne la commande du calage de l’allumage » et « plus spécifiquement, une manière particulière d’utiliser la température des gaz d’échappement détectée en vue de régler le calage de l’allumage ». L’expert poursuit avec des généralités en déclarant que la stratégie décrite dans le brevet 738 consiste à sélectionner une courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement. Il s’en tient à répéter ce qui est exposé dans le brevet. La façon dont il interprète ces mots est tout sauf claire. Il se targue même vertueusement que le brevet ne mentionne rien concernant les conditions de fonctionnement et les circonstances dans lesquelles une courbe d’allumage pourrait être sélectionnée.
[289] Je suis convaincu par la preuve présentée par BRP que ses moteurs mettent en œuvre le brevet 908 dans la mesure où ils extraient une valeur à partir d’une cartographie de base sélectionnée selon un critère autre que la température détectée des gaz d’échappement. Quoi qu’il en soit, AC n’a pas contesté ce fait. La valeur est ensuite ajustée, notamment, par une valeur établie selon la température détectée des gaz d’échappement. Lorsqu’on débarrasse le brevet 738 du sens particulier de « courbe d’allumage » pour être compris comme pouvant également se rapporter à un point d’allumage, il devient clair que le concept inventif est le même que celui du brevet 908 : un point d’allumage est ajusté, notamment à l’aide de la détection de la température des gaz d’échappement.
[290] Lorsque la description du brevet 738 est examinée dans son ensemble, on est confronté à un brevet qui manque d’inventivité. La température des gaz d’échappement peut servir à modifier le calage de l’allumage. Le brevet 738 ne propose aucun élément qui le différencierait des autres brevets. Cette même idée, le concept inventif général, se retrouve dans l’art antérieur. Le brevet 738 ne renferme aucun attribut ni aucune caractéristique distinctifs qui le distingueraient de l’antériorité. De dire que l’invention facilitera l’optimisation du fonctionnement et de la performance d’un moteur à deux temps, sans préciser de quelle façon, ne satisfait pas la condition de l’exigence d’une caractéristique distinctive nécessaire à l’inventivité. De même, affirmer qu’on s’intéresse en l’espèce à un moteur de motoneige n’est d’aucune utilité si la différence que cela pourrait faire n’est pas décrite.
[291] Dans l’arrêt Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, la Cour suprême a conclu à l’insuffisance de la divulgation dans une affaire où le mémoire descriptif du brevet ne permettait pas d’identifier l’ingrédient actif précis dans le traitement de la dysfonction érectile (« DÉ ») :
66 Au vu de l’ensemble du mémoire descriptif, nul élément ne permet en l’espèce d’affirmer que l’utilisation du sildénafil pour traiter la DÉ constitue une invention distincte de l’utilisation de l’un ou l’autre des autres composés à cette même fin. Nulle caractéristique ou propriété susceptible de le distinguer des autres composés n’est attribuée au sildénafil. Même si on le tient pour un « composé particulièrement privilégié », rien ne le distingue des huit autres « composés particulièrement privilégiés ». L’utilisation du sildénafil et des autres composés dans le traitement de la DÉ forme une seule idée originale.
Par analogie, en l’espèce, il n’y a aucune indication dans le brevet concernant la différence pour une motoneige. L’exposé ne mentionne aucune caractéristique particulière relativement au moteur de motoneige. On peut soupçonner que l’étalonnage d’un moteur de motoneige tient compte différemment de la température des gaz d’échappement pour obtenir le point d’allumage optimal (ou la courbe d’allumage optimale) en raison des conditions dans lesquelles il fonctionne. Le brevet n’élabore toutefois pas plus en profondeur ce concept. Il mentionne simplement que l’invention vise un moteur à combustion à deux temps [traduction] « utilisé, par exemple, pour mouvoir divers véhicules comme des motoneiges, des motocyclettes, des motomarines et autres engins » (brevet 738, à la page 1, aux lignes 6 et 7; voir également à la page 3, aux lignes 2 à 4).
[292] Si le brevet en litige ne fournit aucun renseignement à propos des exigences particulières d’un moteur de motoneige, il appartiendrait à la personne versée dans l’art de faire les ajustements adéquats, ce qui, par définition, constitue un manque d’inventivité. Le brevet 738 ne résout pas le problème, le cas échéant, posé par un moteur de motoneige. Il mentionne simplement que trois revendications indépendantes s’appliquent à un moteur d’une motoneige, sans plus.
[293] AC a fait valoir, assez humblement à mon avis, que son invention se distingue, car elle revêt un caractère plus général que l’objectif plus précis trouvé dans l’antériorité. Cet argument aurait eu plus de force si le brevet apportait une certaine spécificité quant à la façon selon laquelle la notion générale de température des gaz d’échappement servant à ajuster le calage de l’allumage peut être utilisée dans différentes circonstances. Or, tel n’est pas le cas. Le brevet 738 n’évoque même rien de semblable. En outre, l’art antérieur s’intéressait déjà à l’utilisation de la température des gaz d’échappement pour faire fonctionner le moteur de façon optimale. Par exemple, l’abrégé du brevet 908 cherche à illustrer ce que renferme le brevet :
[traduction]
Plusieurs modes de réalisation de capteurs de température des gaz d’échappement qui coopèrent avec une régulation de l’échappement afin de maintenir une performance optimale du moteur en régulant la température des gaz d’échappement pour maintenir l’effet souhaité d’impulsion de contre-pression sur le système de gaz d’échappement.
En décrivant le système de commande, de plus amples précisions sont apportées, et il y est indiqué :
[traduction]
Comme il a été mentionné précédemment, l’ECU 75 commande la séquence d’allumage des bougies d’allumage 73. Cette séquence est sélectionnée de façon à fournir une performance optimale du moteur, ce qui comprend la séquence d’allumage des bougies d’allumage 73 afin de maintenir les signaux de transmission de l’impulsion de la contre-pression de l’échappement optimaux.
En plus de commander la séquence d’allumage des bougies d’allumage 73 par leur système d’allumage 74, l’ECU commande aussi la quantité de carburant transmise du carburateur 65 par un système de commande d’alimentation en carburant, représenté schématiquement au 85 dans la figure 1.
Certains signaux de fonctionnement du moteur sont également transmis à l’ECU 75 ainsi que d’autres conditions comme la pression de l’air ambiant et la température. Les commandes décrites comprennent un détecteur de position du papillon 86 qui coopère avec le papillon 66 pour fournir un signal indicatif de la demande de l’opérateur. On y retrouve également un capteur 87 associé au vilebrequin 57 de manière à fournir un signal d’impulsion indiquant non seulement un angle de vilebrequin mais aussi, en mesurant l’angle du vilebrequin relativement au temps, le régime du moteur. L’ECU 75 dispose d’une section de mémoire 88 qui comprend certains renseignements sur la cartographie, tel qu’illustrée à la figure 7, de façon à fournir les renseignements nécessaires à [sic] l’ECU 75 pour obtenir une commande optimale du moteur.
(Colonne 6, aux lignes 60 à 67 et colonne 7, aux lignes 1 à 15)
[294] Cela pourrait sembler évident, voire même banal, que l’objectif de l’invention était d’apporter des améliorations. À quand remonte la dernière fois où une invention a prétendu empirer l’état des choses? Quoi qu’il en soit, il est probable que cela ne corresponde pas à la définition d’« invention » énoncée dans la Loi sur les brevets qui dispose qu’une invention désigne « [t]oute réalisation, tout procédé, [...], ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». AC s’est fondée sur le témoignage de l’inventeur pour prétendre que son invention a pour objectif d’optimiser la performance du moteur à une température des gaz d’échappement donnée (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 167). Non seulement la Cour est-elle invitée à y voir plus dans le passage du témoignage servant à défendre sa position (transcription, à la page 2616, lignes 5 à 14), puisque le témoin n’a pas expliqué en quoi consistait l’optimisation, mais quelques minutes plus tard, ce même témoin a expliqué plus en profondeur ce que réalisait son invention :
[traduction]
R. Si vous mesurez la température des gaz d’échappement avec mon invention, oui, elle sélectionne les températures à l’aide des paramètres qui sont optimisés pour ces deux courbes.
Q. D’accord. Et, à votre connaissance, au moment de l’invention, qu’est-ce les autres tentaient de faire pour palier à ce phénomène?
R. Ils recouvriraient ou isoleraient les tuyaux.
Q. D’accord.
R. Ils essayeraient d’amener le système à une température plus élevée et peut-être de recouvrir les tuyaux, pour les garder au chaud avant un événement ou quelque chose d’autre.
Q. Quel est le but de cela?
R. De tenter de conserver la chaleur à l’intérieur du tuyau en espérant que certaines caractéristiques de performance seraient ainsi mieux pour eux lors de n’importe quel événement auquel ils participent ou pour l’usage qu’ils en font.
Q. En quoi votre idée est-elle différente?
R. Bien, ma technologie en matière de détecteur de tuyau mesurera les gaz d’échappement. Elle sélectionnera les valeurs qui sont optimales en fonction de la température. Lorsque la température augmente pendant le fonctionnement normal du moteur, disons lorsque la motoneige passe d’un papillon en charge partielle à une pleine charge, la température augmente, le capteur le détecte, il règle continuellement le calage pour diverses températures. Lorsque la température augmente, il élève ces valeurs automatiquement jusqu’aux réglages optimaux.
(Transcription, à la page 2625, lignes 16 à 28 et à la page 2626, aux lignes 1 à 14)
En fait, la description donnée correspond au concept inventif du brevet 908. Considérant que le brevet est muet sur l’utilisation qui peut être faite de la température des gaz d’échappement pour diverses fins possibles, je ne vois pas comment cette description peut être d’une quelconque utilité pour AC. Ces fins ne peuvent constituer un attribut ou une caractéristique distinctive sans un minimum de précision. Sans cela, l’argument est invraisemblable.
[295] AC n’a pas prétendu qu’il existait une différence significative entre les revendications de sélection et les revendications de modification dans le présent brevet en litige. Il s’agissait principalement d’une question de rédaction de revendications, ayant l’intention de rédiger une revendication plus limitée que les revendications de sélection (transcription, 1er février 2016, aux pages 100 à 101).
[296] La demande 959 ferait également partie de l’antériorité démontrant que le calage de l’allumage ajusté à l’aide de la température des gaz d’échappement existait dix ans avant 1999. Si la notion de courbe d’allumage, telle qu’elle doit être comprise, n’est pas réellement prise en compte, le brevet 738 contient peu d’éléments nouveaux. AC avance que la nouveauté du brevet 738 se situe au niveau de l’utilisation des courbes d’allumage (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 165), mais elle doit toutefois s’en distancier pour prétendre que BRP contrefait son brevet alors que BRP n’active pas la source d’allumage selon une courbe d’allumage, cette courbe d’allumage se composant de plusieurs points d’allumage. Lorsqu’on exclut cette caractéristique distinctive du brevet 738, il ne reste qu’un concept inventif, et une invention, qui ne sont pas différents de l’antériorité et notamment de la demande 959 et du brevet américain 908. Le brevet en litige se distingue peu de ces antériorités.
[297] D’autres antériorités ont été également soulevées par BRP. Elles tendent à démontrer que le calage de l’allumage établi en fonction de la température des gaz d’échappement était déjà bien connu.
[298] Dans le brevet américain 5 050 551 (le brevet 551), la température des gaz d’échappement permet de sélectionner une courbe d’allumage particulière à l’égard de l’activation de convertisseurs catalytiques. Selon la température détectée, le calage de l’allumage du moteur sera ajusté. Le brevet 551 est daté du 24 septembre 1991 et est donc antérieur de plusieurs années au brevet 738, et même alors, le rapport entre la température et le calage de l’allumage était bien connu. La même conclusion d’applique au brevet américain 5 642 705, daté du 1er juillet 1997. Ce brevet, publié en 1997, a pour objectif de maintenir la température des gaz d’échappement afin d’activer un convertisseur catalytique. Le module de commande applique une correction pour ajuster la quantité d’injection de carburant et un ajustement au calage de l’allumage (une avance) lorsque la température activée est inférieure à la température des gaz d’échappement visée pour activer le catalyseur.
[299] Je conclurais que l’objet décrit par les revendications était évident pour la personne versée dans l’art. Un concept inventif, défini uniquement par l’utilisation de la température des gaz d’échappement détectée pour déterminer le calage de l’allumage, afin d’optimiser le fonctionnement du moteur, était connu depuis plusieurs années par la personne versée dans l’art définie comme comprenant un ingénieur mécanique de trois ans d’expérience. De plus, l’objectif poursuivi pour un ensemble particulier de réglages, même si pertinent, n’est d’aucune utilité pour AC puisque cette dernière n’a jamais expliqué de quelle façon son invention porte sur différents objectifs, qu’ils soient d’améliorer l’accélération ou d’éviter des dommages au moteur. Autrement dit, l’invention ne divulgue pas de quelle façon la température peut être utilisée selon différents objectifs. Les différents objectifs reliés à l’utilisation de la température des gaz d’échappement pour établir le calage de l’allumage sont mentionnés de façon générale : accélération, moteur chaud ou froid, effets de la combustion obtenus en variant les calages de l’allumage, conditions de fonctionnement pouvant nécessiter différents calages, types de carburant ou température indiquant des problèmes pouvant être évités grâce à des calages de l’allumage appropriés. Les questions sont soulevées sans être expliquées et encore moins résolues. Au bout du compte, elles n’apportent rien au concept inventif, car il est impossible de déterminer de quelle façon l’invention, c’est-à-dire l’utilisation de la température des gaz d’échappement pour établir le calage de l’allumage, peut avoir un impact.
[300] BRP ne peut mettre en œuvre le brevet 908 et contrefaire le brevet 738 sans que le brevet 738 contienne les mêmes éléments que le brevet 908. AC n’était pas convaincante dans sa tentative de débattre du brevet 908. La demande 959, qui est la demande japonaise de Suzuki, le fabricant de moteurs d’AC, représente également une difficulté importante pour cette dernière, qui n’a jamais été en mesure de la surmonter.
[301] La Cour a néanmoins examiné attentivement l’argument avancé par AC en matière d’invalidité. Tout bien pesé, elle doit trancher en faveur de BRP puisque la preuve présentée par son expert était plus convaincante, car elle tient compte du texte des brevets et des demandes examinés.
[302] Dans son rapport (P-60), le Dr Checkel a décrit les caractéristiques du brevet 738 comme ne faisant pas partie des connaissances générales courantes : [traduction] « a) la sélection d’une courbe d’allumage parmi une pluralité de ces cartographies en s’appuyant sur l’utilisation de la température des gaz d’échappement détectée; b) la modification d’une courbe d’allumage à l’aide des gaz d’échappement détectés; c) l’application de ces éléments et méthodes à une motoneige ». Il est très difficile de savoir si ces caractéristiques, définies par l’expert d’AC, peuvent se rapporter à un point d’allumage formant la courbe d’allumage, plus particulièrement pour [traduction] « a) la sélection d’une courbe d’allumage parmi une pluralité de ces cartographies ». AC n’a jamais réglé le conflit existant entre le libellé des revendications au sujet de la « courbe d’allumage » et du point d’allumage. Elle ignore, pour ainsi dire, la notion de courbe lorsqu’elle invoque la contrefaçon, mais la mentionne de nouveau pour contrer l’invalidité de son brevet. Elle est dans une position délicate, qui joue en faveur de la « défense Gillette » de BRP. Pour contrer l’invalidité de son brevet, AC est forcée de plaider que son brevet est différent de l’antériorité en ce que cette différence consiste en l’utilisation qui est faite de la courbe d’allumage. Toutefois, en se faisant, cela permet à BRP de se soustraire à son brevet. Cela peut très bien expliquer la réticence du Dr Checkel d’examiner en détail les courbes d’allumage. Je constate de plus que le témoin introduit une certaine flexibilité dans les sous‑paragraphes a) et b) de son paragraphe 136 qui ne se retrouve pas dans le libellé des revendications. En effet, on n’y retrouve pas « [l’]utilisation de la température des gaz d’échappement détectée », ce qui fait une différence. Les revendications traitent de la sélection [ou de la modification] de la courbe d’allumage utilisée par le module de commande en fonction de la température des gaz d’échappement détectée, et pas uniquement utilisée dans la sélection ou la modification d’une courbe.
[303] La courbe d’allumage n’est pas sélectionnée en s’appuyant sur l’utilisation de la température d’une manière ou d’une autre : elle est sélectionnée en fonction de la température. Les revendications sont claires : la température des gaz d’échappement une fois qu’elle est détectée dirige le module de commande vers une courbe d’allumage. Le module de commande active la source d’allumage à un point précis selon la courbe d’allumage, qui doit comporter au moins deux points d’allumage. Cela est bien entendu conforme au mémoire descriptif qui énonce que [traduction] « [l]a courbe d’allumage sélectionnée est ensuite utilisée pour commander l’avance à l’allumage en fonction du régime de fonctionnement du moteur. » (à la page 4, aux lignes 24 et 25). [Non souligné dans l’original.]
[304] Le Dr Checkel a conclu que ces éléments ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes. J’ai toutefois été convaincu que la demande 959 déposée par Suzuki divulgue la sélection d’une courbe d’allumage sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage : cette sélection n’utilise pas seulement la température des gaz d’échappement, mais est fonction de cette dernière. M. Spaulding a confirmé dans son témoignage que les courbes d’allumage étaient connues à l’époque et qu’il s’intéressait à la sélection et à la modification de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement (transcription, aux pages 2783 et 2784, aux lignes 9 à 28 et 1 à 28). La possibilité de sélectionner une courbe d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement avait déjà été divulguée dix ans plus tôt.
[305] Je retiens le témoignage du Dr Bower selon lequel le brevet 908 est pertinent si AC va prétendre que ses revendications 11 et 16, soit les revendications de modification, ne sont pas invalides pour cause d’évidence. Le Dr Checkel a reconnu que le brevet 908 décrit l’ajustement du calage de l’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement (transcription, aux pages 3077 et 3078, aux lignes 26 à 28 et 1 et 2). Une interprétation large des revendications sur lesquelles AC s’appuie pour plaider la contrefaçon de la part de BRP fait intervenir le brevet 908. La preuve non contestée vu l’absence de preuve présentée par AC mène à la conclusion que le brevet 908 a divulgué la modification en fonction de la température des gaz d’échappement. Il n’y avait rien de nouveau à ajuster le calage de l’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement.
[306] En faisant valoir ses revendications de façon si large, AC s’est exposée à des arguments sur l’invalidité. Il est bien connu qu’une formulation étroite des revendications offre une protection contre l’invalidité. Il est bien entendu nécessaire de protéger l’invention, puisque « [t]out chacun peut alors utiliser l’invention dans les limites de ce champ laissé inoccupé » (Burton Parsons, au paragraphe 134 des présents motifs du jugement).
[307] Considérant la logique utilisée par les moteurs de BRP, AC devait abandonner la caractéristique principale de ses revendications, soit l’extraction de points d’allumage à partir de courbes d’allumage, pour faire valoir la contrefaçon. Toutefois, en abandonnant cette caractéristique, AC abandonnait également ce qui distinguait son brevet 738 de l’antériorité. L’optimisation du fonctionnement d’un moteur à deux temps par l’utilisation de la température des gaz d’échappement détectée pour ajuster une courbe d’allumage n’est pas nouveau.
[308] Comme il a déjà été mentionné, le manque de précision entourant les distinctions que pourrait apporter l’application du concept inventif à un moteur d’une motoneige rend cette caractéristique distinctive non pertinente lorsqu’on analyse le critère de l’évidence. Même si l’application de l’invention faisait partie du concept inventif, il n’y a aucune preuve convaincante soutenant que son application aux motoneiges nécessiterait une étape inventive de la part de la personne versée dans l’art. Il n’y a pas de preuve, encore moins de preuve convaincante, que l’adaptation de l’invention à un moteur de motoneige nécessiterait des étapes qui exigeraient une certaine inventivité.
[309] Il s’ensuit que peu importe l’interprétation donnée aux revendications, l’objet défini par ces revendications aurait été évident. Cette invention manque d’inventivité et cela constituerait en conséquence un moyen de défense complet à l’égard de l’allégation de contrefaçon.
XI. Portée excessive
[310] BRP a fait valoir in extremis que les revendications en litige ont toutes une portée excessive. Autrement dit, les cinq revendications, ainsi que bien entendu les revendications indépendantes 34, 41 et 28, ont une portée plus large que l’invention divulguée dans le mémoire descriptif.
[311] Comme la Cour fédérale d’appel l’a déclaré dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CAF 209, 158 ACWS (3d) 987, au paragraphe 115, « [i]l est maintenant établi en droit qu’un brevet qui revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué peut être jugé invalide en raison de sa portée plus excessive ». Pour avoir gain de cause, il faut démontrer que les revendications du brevet 738 ont une portée plus large que l’invention divulguée.
[312] Cet argument, comme je le comprends, est assez technique. Il se fonde sur ce que l’avocat a nommé la [traduction] « différenciation des revendications ». On retrouve dans ce brevet plusieurs revendications indépendantes qui sont ensuite précisées et limitées par des revendications dépendantes; ces revendications dépendantes évoquent spécifiquement la notion selon laquelle le moteur visé par ces revendications indépendantes [traduction] « comprend un tuyau d’échappement destiné à transporter le gaz d’échappement et le capteur est disposé dans le tuyau d’échappement ». On retrouve ce genre de précisions à l’égard des revendications indépendantes 1, 6, 21, 28, 34 et 41 et des revendications dépendantes 4, 9, 24,31, 37 et 44. Les revendications de sélection 33, 40 et 47 invoquées en l’espèce sont associées aux revendications indépendantes 28, 34 et 41, qui, comme d’autres revendications dépendantes, renvoient spécifiquement aux tuyaux d’échappement. Ainsi, les revendications indépendantes 28, 34 et 41 sont toutes suivies par des revendications dépendantes qui mentionnent spécifiquement un tuyau d’échappement dans lequel est disposé un capteur. Ces revendications dépendantes des revendications indépendantes 28, 34 et 41 sont différentes des revendications dépendantes invoquées en l’espèce, où tout ce qui demeure sont les revendications indépendantes dans lesquelles le moteur est un moteur de motoneige, sans qu’il y ait de référence directe aux tuyaux d’échappement. D’autres revendications ne possèdent pas ces précisions dans des revendications dépendantes, y compris les revendications de modification 11 et 16.
[313] L’argument sur la différenciation de revendication se décrit comme suit. L’invention, afin d’être opérationnelle, nécessite un moteur possédant un tuyau d’échappement. Une revendication qui ne comprendrait pas de tuyaux d’échappement aurait une plus grande portée que l’invention divulguée, en n’exigeant pas spécifiquement la présence de tuyaux d’échappement. BRP fait valoir que certaines des revendications dépendantes comprennent des tuyaux d’échappement, ce qui démontre que les autres revendications ont une portée excessive puisqu’elles n’y font pas référence. BRP fonde son argument sur l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 79.
[314] Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour a conclu que si deux revendications sont identiques sauf pour une caractéristique, cela doit être parce que cette caractéristique est un élément essentiel de la revendication. Dans cet arrêt, la différence entre les deux revendications était que, dans l’une, le mot « intermittente » était utilisé et dans l’autre, il s’agissait du mot « continu ». Cela faisait une grande différence, car dans l’un des cas, la chemise devait tourner continuellement et dans l’autre revendication, elle effectuait un mouvement de rotation intermittent. Comme la Cour l’a mentionné, « [l]es revendications établissent clairement une distinction entre deux modes de fonctionnement ».
[315] Avec égard, le problème principal que pose l’argument de BRP est qu’il ne donne pas aux revendications invoquées une interprétation téléologique prenant pleinement en compte le mémoire descriptif. Il omet de reconnaître que le mémoire descriptif mentionne l’utilisation d’un tuyau d’échappement dans lequel sera disposé un capteur comme des modes de réalisation possibles et non pas comme un élément essentiel et que, quoi qu’il en soit, la figure 1 comprend un tuyau d’échappement.
[316] L’invention nécessite que le gaz produit par la combustion du mélange d’air et de carburant soit expulsé du cylindre. La température de ce gaz d’échappement doit être mesurée. D’ailleurs, le sommaire de l’invention prévoit que « [s]elon un autre aspect de la présente invention, la température des gaz d’échappement est établie à l’aide d’un capteur qui est en contact avec les gaz d’échappement, par exemple dans un tuyau d’échappement ». La même formulation est utilisée à la page 3, ligne 7, du brevet. De toute évidence, l’élément essentiel de l’invention est que la température des gaz d’échappement soit mesurée une fois qu’ils sont expulsés du cylindre et cette température peut être mesurée ailleurs que dans le tuyau d’échappement. On retrouve ce même point de vue à la page 3 du brevet 738, où l’inventeur ajoute aux lignes 7 à 10 que [traduction] « la présente invention ne se limite pas à un système d’échappement particulier; et diverses combinaisons de tuyaux d’échappement et de collecteurs peuvent être utilisées pour les moteurs comportant plus d’un cylindre ». En outre, BRP compare les revendications invoquées à ce qu’elle juge être nécessaire pour jouir d’un usage précis de l’invention, plutôt que d’effectuer une comparaison entre l’invention et les revendications. Autrement dit, l’invention a une portée plus large que ce que soutient BRP aux fins de son argument sur la portée excessive.
[317] La Cour a trouvé des indications sur la méthode d’interprétation à utiliser, comme elle devrait l’être, dans le passage souvent cité de l’arrêt Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd, [Consolboard], aux pages 520 et 521 :
Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation [[1950] R.C.S. 36]), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [[1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ».
[Souligné dans l’original.]
J’en conclus que le type d’interprétation excessivement technique utilisée, soit en comparant certains mots ne se retrouvant que dans certaines revendications, n’est pas appropriée, compte tenu particulièrement que l’interprétation de BRP se fonde en fait uniquement sur un avantage possible découlant de l’invention. Elle ne devrait pas être adoptée puisqu’elle s’écarte de l’interprétation téléologique attendue dans une des affaires de cette nature et de l’interprétation appropriée à donner à ces revendications.
[318] Il me semble que le passage suivant extrait de l’arrêt Burton Parson précité, à la page 563, s’applique à la cause à l’étude :
À mon avis, on ne peut faire échec aux droits des titulaires de brevets par de telles considérations. Même si la Cour doit interpréter un brevet comme tout autre document juridique, cette interprétation doit se faire en tenant compte du fait que le destinataire est un homme de l’art, et en tenant compte également du savoir que cet homme est censé posséder.
En fait, dans l’arrêt Whirlpool, la différenciation de revendications n’exclut pas l’interprétation téléologique de revendications. La différenciation est plutôt une façon de déduire la véritable signification des revendications. À mon avis, l’interprétation adéquate des revendications du brevet 738 ne peut être mécanique, comme le propose BRP. L’interprétation téléologique entraîne une conclusion différente.
[319] Strictement parlant, la divulgation n’exige pas la présence de tuyaux d’échappement pour mesurer la température des gaz. Le moyen utilisé pour détecter la température, que ce soit par contact direct ou indirect du capteur avec les gaz d’échappement, représente seulement un aspect de l’invention, comme les citations suivantes le démontrent :
[traduction]
Selon un autre aspect de la présente invention, la température des gaz d’échappement est établie à l’aide d’un capteur qui est en contact avec les gaz d’échappement, par exemple dans un tuyau d’échappement.
(à la page 2, aux lignes 7 à 9)
Les gaz d’échappement résultant de la combustion du mélange d’air et de carburant sont expulsés du cylindre au moyen, par exemple, d’un tuyau d’échappement. La présente invention ne se limite pas à un système d’échappement, et diverses combinaisons de tuyaux d’échappement et de collecteurs peuvent être utilisées avec des moteurs comportant plus d’un cylindre.
(à la page 3, aux lignes 6 à 9)
Il est préféré que le capteur 24 soit en contact direct avec les gaz d’échappement à des fins d’exactitude et de diminution du temps de réaction, par exemple en étant disposé dans le tuyau d’échappement 26. Il est toutefois également possible de détecter la température sur la partie extérieure du système d’échappement ou de détecter la température de l’eau dans une chemise d’eau entourant un tuyau d’échappement.
(à la page 4, aux lignes 4 à 8)
L’élément essentiel est la capacité de mesurer la température des gaz d’échappement. L’endroit choisi pour la mesurer est une question de préférence. Cela pourrait avoir lieu dans le tuyau d’échappement, ou ailleurs. Comme le précise l’exposé :
[traduction]
Dans le cas d’un capteur directement en contact avec les gaz d’échappement dans le tuyau d’échappement ou avec d’autres parties du système d’échappement, le capteur devrait être en mesure de résister à cet environnement, et des mesures appropriées devraient être prises pour étanchéifier le système d’échappement au point où le capteur s’étend dans le système d’échappement. Un exemple de capteur approprié destiné à être utilisé en contact direct avec les gaz d’échappement est un thermistor. Il est souhaitable que le capteur soit situé dans le système d’échappement à une position suffisamment éloignée du moteur pour éviter des hausses et des baisses brutales de température (pointes de température). Toutefois, si le capteur est situé trop loin du moteur, la réactivité du système en est altérée, c’est-à-dire que le délai de détection des hausses et des baisses de température sera trop long. La position exacte du capteur est établie en fonction des caractéristiques spécifiques du système d’échappement impliqué. (à la page 4, aux lignes 7 à 19)
[320] Le mémoire descriptif mentionne l’existence d’un système d’échappement, qui doit donc être sous-entendu. Non seulement l’exposé fait mention d’un système d’échappement, mais la personne versée dans l’art en aurait reconnu la nécessité. De plus, la figure 1 du brevet 738 présente un dessin approximatif d’un moteur à deux temps. Le même dessin se retrouve sur la première page du brevet, sous le titre « Moteur à deux temps avec séquence d’allumage contrôlée par la température des gaz d’échappement ». Le tuyau d’échappement 26 est mis en évidence dans ces deux figures.
[321] L’objectif des revendications de méthode 31, 37 et 44 ainsi que des revendications de moteur 4, 9 et 24 n’est pas tant de mentionner l’existence de tuyaux d’échappement que de spécifier que pour ces revendications, les capteurs doivent être installés dans le tuyau d’échappement et nulle part ailleurs. Contrairement aux allégations de BRP, les revendications n’élargissent pas l’invention telle qu’elle est divulguée dans le mémoire descriptif, mais plutôt la limitent. Les revendications invoquées n’indiquent tout simplement pas de préférence relativement à l’endroit où la température des gaz d’échappement doit être mesurée. Par contre, d’autres revendications le font. Comme la Cour suprême l’a mentionné dans l’arrêt Whirlpool après avoir fait sien le passage de Consolboard, précité, « [n]on seulement l’” interprétation téléologique ” est‑elle compatible avec ces principes bien établis, mais encore elle favorise l’atteinte de l’objectif visé par le juge Dickson, à savoir une interprétation des revendications de brevet qui “ soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ” » (au paragraphe 49). L’interprétation avancée par BRP ne semblerait pas raisonnable et juste vis-à-vis du breveté en voyant une différenciation entre des revendications alors qu’il n’en existe pas lorsqu’on les interprète de façon théologique.
[322] Cette interprétation s’impose encore plus lorsque les revendications 4, 9, 24, 31, 37 et 44 sont lues conjointement avec la revendication les précédant. Les six revendications sont construites sur la même forme : le moteur (ou la méthode) est le moteur (ou la méthode) de la revendication précédente. Prenons par exemple la revendication indépendante 28 :
• La revendication 28 propose simplement de [traduction] « détecter la température des gaz d’échappement expulsés du cylindre ».
• La revendication 30 ajoute une précision en exigeant que [traduction] « la température des gaz d’échappement [soit] détectée à l’aide d’un capteur qui est en contact avec les gaz d’échappement ».
• La revendication 31 commence à partir de la méthode 30 qui détecte la température des gaz par contact avec les gaz d’échappement et ajoute simplement que [traduction] « dans lequel le moteur comprend également un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement et le capteur est disposé dans le tuyau d’échappement ».
La revendication 30 mentionne que [traduction] « [l]a température des gaz d’échappement est détectée à l’aide d’un capteur mis en contact avec les gaz d’échappement ». Lues ensemble, la revendication indépendante 28 représente la méthode de fonctionnement d’un moteur à deux temps, qui nécessite la détection de la température des gaz expulsés du cylindre. Les revendications dépendantes 30 et 31 établissent que dans la revendication de méthode 28, le capteur est en contact avec les gaz d’échappement et lorsqu’il y a un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement, le capteur est disposé dans ce tuyau. Comme il a été précédemment mentionné, le mémoire descriptif n’exige pas que le capteur soit placé dans le tuyau d’échappement, mais indique plutôt qu’il est préférable d’avoir un contact direct avec les gaz d’échappement pour obtenir une meilleure précision et un meilleur temps de réaction [traduction] « par exemple en étant disposé dans le tuyau d’échappement ». Ces revendications mettent en œuvre cette préférence.
[323] En fait, les revendications dépendantes qui font état des tuyaux d’échappement découlent des revendications indépendantes 28, 34 et 41, soit les mêmes revendications indépendantes desquelles découlent les revendications invoquées 33, 40 et 47. Une interprétation téléologique des revendications ne peut mener qu’à une seule conclusion. La logique est la suivante :
a) la revendication indépendante établit les paramètres essentiels, un de ceux-ci étant la détection des gaz d’échappement expulsés du cylindre;
b) une revendication dépendante met en place l’une des préférences découlant de l’exposé, soit celle d’avoir le capteur mis en contact avec les gaz d’échappement;
c) une autre revendication dépendante énonce que le capteur est en contact avec les gaz d’échappement de sorte qu’il devrait être disposé dans le tuyau d’échappement.
En l’espèce, la seule revendication invoquée est, en effet, la revendication indépendante dans laquelle le moteur se limite à un moteur de motoneige et non à d’autres moteurs à deux temps utilisés pour les motocyclettes, les motomarines et même pour les [traduction] « moteurs à deux temps utilisés en mode stationnaire » (à la page 3, à la ligne 5). Cette revendication dépendante, associée à la revendication indépendante, n’exprime pas de préférence particulière relativement à l’endroit choisi pour mesurer la température des gaz d’échappement.
[324] Comme cela a déjà été relevé, cette invention ne se limite pas à l’optimisation de la puissance et de l’accélération, mais elle peut résoudre un certain nombre de problèmes qui pourraient endommager un moteur à deux temps. L’invention revendiquée dans les revendications indépendantes 28, 34 et 41 ne fait pas valoir plus que ce qui est divulgué. Elles revendiquaient ce qui est divulgué. En ayant des revendications dépendantes dans lesquelles est revendiquée la méthode préférée de détection de la température des gaz d’échappement, AC se contraint à ne pas élargir la portée de l’invention. Comme l’ouvrage sur les brevets Hughes &Woodly on Patents le mentionne au paragraphe 29 :
[traduction]
La revendication doit divulguer l’invention, mais il n’est pas nécessaire qu’elle divulgue les avantages. Cependant, la revendication ne doit pas avoir une portée plus large que l’invention divulguée. Si les revendications comprennent l’essence de l’invention, elles ne peuvent avoir une portée plus large que celle de l’invention. La revendication excessive doit concerner un élément essentiel de l’invention. Si la revendication ne comprend pas d’élément essentiel à l’invention divulguée, elle est invalide. Si la revendication omet un élément non essentiel, elle ne sera pas jugée invalide.
[325] Les revendications invoquées ne vont pas au-delà de l’invention décrite dans le mémoire descriptif. Elles revendiquent toutes la détection de la température des gaz d’échappement qui sont expulsés du cylindre. Cette température détectée sert à sélectionner une courbe d’allumage à partir de laquelle un point d’allumage sera extrait ou à modifier une courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage de base. Les revendications concernant la façon dont la température sera mesurée, soit avec le capteur installé dans le tuyau d’échappement et mis en contact avec les gaz, n’introduisent pas d’élément essentiel à l’invention décrite dans l’exposé. L’analogie avec l’arrêt Whirlpool, précité, n’est pas pertinente.
[326] L’interprétation téléologique des revendications doit comprendre une juste appréciation de ce en quoi consiste l’invention et de la description figurant dans le mémoire descriptif (voir l’arrêt Burton Parsons, précité, aux pages 565 et 566). BRP a failli à cette tâche. Son argument sur la portée excessive se fondant sur « le principe de la différenciation des revendications » échoue.
XII. Inventeur
[327] La difficulté à déterminer l’identité de l’inventeur réside en l’espèce dans le peu, et peut-être le manque, de preuve relative à la contribution à l’invention revendiquée par l’inventeur. Il n’est pas contesté qu’une contribution mineure suffit, mais cette contribution doit faire preuve d’ingéniosité et ne pas se limiter simplement à une vérification (Drexan Energy Systems inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2014 CF 887, au paragraphe 26 [Drexan Energy]). La question est plutôt de trouver une preuve suffisante pour convaincre la Cour que la contribution de M. Spaulding est telle qu’il est l’inventeur ou l’un des inventeurs de l’invention.
[328] Puisque la notion de paternité de l’invention n’est pas définie dans la Loi sur les brevets, les critères à satisfaire pour être reconnu comme l’inventeur découleront des articles de la Loi (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 [Wellcome CSC]). En tenant compte à la fois de la définition du terme « invention » et du paragraphe 34(1) (qui est maintenant le paragraphe 27(3)), la Cour a réitéré qu’une bonne idée ne fait pas un inventeur :
97 Aux termes du par. 34(1), il faut à tout le moins qu’au moment du dépôt de la demande de brevet, le mémoire descriptif « décri[ve] d’une façon exacte et complète l’invention [...] qui permett[e] à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention [...] [d’]utiliser l’objet de l’invention ». Il ne suffit donc pas d’avoir une bonne idée (ou, pour reprendre l’expression utilisée dans l’arrêt Christiani, précité, p. 454, [traduction] « de dire qu’une idée nous est venue à l’esprit »); cette idée lumineuse doit prendre « une forme définie et pratique » (ibid.). Il va sans dire que, dans l’intervalle qui sépare la conception et la brevetabilité, l’inventeur peut avoir recours aux services d’autres personnes qui peuvent être très compétentes, mais ces autres personnes ne seront des coïnventeurs que si elles ont participé à la conception de l’invention plutôt qu’à sa vérification. Comme le juge Jenkins le fait remarquer dans l’affaire May & Baker Ltd. c. Ciba Ltd. (1948), 65 R.P.C. 255 (Ch. D.), p. 281, la [traduction] « découverte des qualités utiles », que doit avoir une invention, [traduction] « doit être faite par l’inventeur, par opposition à la simple vérification par ce dernier de prédictions antérieures ».
[Non souligné dans l’original.]
La Cour suprême a déjà affirmé dans l’arrêt Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536, « [qu’u]ne idée désincarnée n’est pas brevetable en soi. Elle le sera toutefois s’il existe une méthode pratique de l’appliquer. L’appelante a montré en l’espèce une méthode pratique d’application » (à la page 554).
[329] La Cour doit donc examiner la preuve pour évaluer si la contribution de M. Spaulding à l’invention lui permet d’être reconnu comme un inventeur. Simplement supposer un problème ne constituera pas une contribution suffisante pour être considéré comme un inventeur. Dans l’arrêt de la Cour fédérale Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (2000), 10 CPR (4th) 65, le juge Sexton a voulu clarifier qui est un inventeur en droit canadien :
[30] L’article 2 de la Loi sur les brevets définit une invention de la manière suivante :
« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.
Pour être considéré comme l’inventeur d’une invention, il faut remplir deux conditions : il faut être la personne qui a eu une idée nouvelle ou qui a découvert une nouvelle chose qui constitue l’invention; et ii) il faut être la personne qui donne à l’idée conçue ou à la découverte sa forme pratique.
[...]
32 Il ressort nettement de tout ce qui précède que, pour qu’une personne soit considérée comme un inventeur, l’invention qu’on cherche à protéger par un brevet doit avoir pris naissance dans l’esprit de l’inventeur. Comme l’explique Robert B. Frost, dans son ouvrage intitulé Letters Patent for Inventions, [traduction] « une personne ne sera pas considérée comme le véritable et premier inventeur si elle n’a pas elle-même réalisé l’invention, ou si l’idée de cette invention ne vient pas, à l’origine, de son esprit [...] » De même, comme l’indique le président Maclean dans l’affaire Gerrard Wire Tying Machines Co. of Canada v. Cary Manufacturing Co., un véritable inventeur « ne doit pas avoir emprunté l’idée à quelqu’un d’autre ». Quant à M. Fox, il indique que :
[traduction] [p]our pouvoir être l’inventeur, celui qui demande un brevet doit avoir inventé la chose lui-même, et non à la suite de la suggestion faite par un autre ou à la suite d’une lecture. Si cette chose était déjà utilisée par le public ou si elle lui était accessible, si le demandeur lui-même n’a pas réalisé l’invention ou si elle n’a pas pris naissance dans son esprit, il ne peut être considéré en droit comme l’inventeur.
Enfin, dans l’ouvrage intitulé Hughes and Woodley on Patents, les auteurs expliquent que [traduction] « le fait de soumettre un problème à un autre pour trouver une solution n’est pas un acte d’invention ». Il ressort donc qu’en droit, un inventeur est la (ou les) personne(s) dont l’idée ou la découverte donne naissance à l’invention qui fait l’objet de la demande de brevet. Ainsi, il devrait être également évident qu’une personne qui n’a pas eu l’idée ou n’a pas découvert la chose n’est pas un inventeur.
[Souligné dans l’original, renvoi omis]
[330] Considérant les conclusions tirées à propos de la contrefaçon et de la validité, il n’est pas nécessaire d’en arriver à une conclusion claire sur la paternité de l’invention. Toutefois, après avoir examiné le témoignage de l’inventeur déclaré, M. Spaulding, la Cour aurait eu tendance à trancher selon la prépondérance des probabilités que celui-ci n’est pas l’inventeur au dossier présenté à la Cour. S’il y avait eu une contribution, on se serait attendu à ce qu’il livre un témoignage clair et convaincant à cet effet. En quoi consistait-elle précisément et quand a-t-elle eu lieu? Tel n’était pas le cas. Une déclaration concise aurait été suffisante. Un document émanant d’AC aurait corroboré les affirmations. Cette preuve, ou quelque chose s’approchant d’une preuve sur la contribution spécifique de M. Spaulding, aurait été suffisante.
[331] M. Spaulding a répété à de nombreuses reprises pendant son témoignage que ce qu’il revendiquait était son invention. Dès le début de son témoignage, il a déclaré :
[traduction]
Q. M. Spaulding, pourriez-vous nous expliquer, de façon générale, en quoi consiste votre invention?
R. Mon invention utilise la température des gaz d’échappement pour optimiser les réglages, le calage de l’allumage d’un moteur à deux temps.
Q. Et que voulez-vous dire par « optimiser »?
R. Pour sélectionner la – on utilise la température des gaz d’échappement pour sélectionner le calage de l’allumage optimal en fonction de cette température interne. Le meilleur étalonnage de la séquence pour une température interne donnée de l’échappement.
(Transcription, à la page 2616)
[332] L’inventeur a ensuite témoigné sur la façon dont s’est déroulée la création de l’invention. Il ressort essentiellement de la preuve que M. Spaulding posait des questions au fabricant de moteurs d’AC, la compagnie Suzuki Motor Corporation. Selon la preuve, il recevait des suggestions sur la manière de résoudre les problèmes. La solution offerte ne satisfaisait pas M. Spaulding. Et c’est ce que j’ai appelé un « point tournant » pendant son témoignage, lorsque l’invention semble se dégager :
[traduction]
Q. Donc, vous avez dit que vous n’étiez pas satisfait du stade de création auquel vous étiez rendu lorsque cela a été installé dans – dans l’ECU. Quelle était donc la prochaine étape de création?
R. L’étape suivante était de m’éloigner, j’ai commencé à m’éloigner des idées relatives à des limiteurs de régime pour m’approcher d’un système à deux cartes sélectionnées par un interrupteur ou un bouton mais où le, on va l’appeler l’interrupteur chaud/froid, où le réglage froid sélectionnerait une courbe de calage qui ne limitait pas le régime, mais la courbe de calage pourrait être adaptée dans la mesure des valeurs de calage de l’allumage et à ce titre, elle pourrait être adaptée à une courbe de puissance comme celle-là, semblable à une courbe de puissance de 400 degrés lorsque le tuyau est froid.
Ensuite lorsque... au fur et à mesure que la température augmente dans le système, et l’opérateur commuterait ensuite le... positionnerait l’interrupteur sur la courbe normale, qui sélectionnerait une courbe de calage optimisée pour le réglage d’une température interne supérieure, un tuyau. Cela a donc évolué vers cette stratégie plutôt que vers limiter le régime.
(Transcription, à la page 2653)
Sa pensée ayant évolué sans qu’il ne semble le dire à personne ou qu’il crée un document qui serait mis à disposition, le témoin a mentionné qu’il n’a pas avisé Suzuki, à qui les questions étaient adressées, de peur de créer de la confusion chez ses interlocuteurs :
[traduction]
R. C’est la courbe de tuyau à chaud. Puis, sous le titre 7, « Calage de l’allumage à la limite de tours-moteur », il s’agit de la courbe de tuyau à froid. Donc si vous tournez l’interrupteur sur froid, vous auriez sélectionné ce qu’ils appellent toujours un calage de l’allumage à la limite de tours-moteur
Q. Pourquoi est-ce appelé un calage à la limite de tours-moteur?
R. Bien, vous savez, comme nous avons d’une certaine façon parlé de la progression, cela a commencé avec un limiteur de régime et s’est terminé par l’installation de données de limiteur de régime sur les modèles 1998. J’ai, disons, évolué vers un différent – plutôt vers un système à deux cartographies comme le modèle 1999 avait et qui ne limitait pas le régime. Mais parfois avec Suzuki – je ne voulais pas que le changement de titre du procédé crée de la confusion chez eux. J’ai donc juste laissé tomber, pour eux... je les ai laissés appeler ce procédé un système de limiteur de régime, mais ma pensée avait, disons, changé. Mais, c’était juste plus simple et plus sage pour les communications, si je ne demandais pas à ce que ce soit changé. J’avais peur de...
Q. Donc vous n’avez pas modifié le titre et le mémoire descriptif est demeuré le même, mais vous dites qu’il avait une fonction différente?
R. Oui, j’ai conservé le titre. Vous savez, je pensais que c’était plus facile pour eux de l’appeler ainsi, c’est pour cette seule raison que j’ai conservé le titre.
Q. Donc, en examinant la cartographie relative au calage de l’allumage à la limite de tours-moteur, pouvez-vous simplement –si vous pouviez expliquer de quelle façon est-ce différent de la cartographie relative au calage de l’allumage à la limite de tours-moteur que nous avons vu dans la description de l’année modèle 1998, qui est à la pièce P-55?
R. Bien, selon le modèle 1998, si vous appuyez sur le bouton, s’il y a un bouton, donc si vous appuyez dessus et que vous avez sélectionné la courbe de calage de l’allumage à la limite de tours-moteur, c’est ce que cela ferait, cela limiterait le régime. Lorsque vous relâchez le bouton, alors vous accéléreriez, soit la course, selon le cas.
Cela diffère dans la mesure où l’intégralité de la courbe est différente, et fonctionne à froid – si le commutateur est sur froid et que la course commence, le système fonctionne sur sa courbe en cas de tuyau froid jusqu’à ce qu’elle atteigne une certaine température, auquel cas elle change pour la courbe à chaud. C’est donc différent en ce sens que l’idée antérieure, l’idée de la limite de tours-moteur, limitait simplement le régime. Le réchauffage du tuyau avait une certaine valeur, mais la version de 1999 avec le commutateur chaud et froid pouvait adapter une courbe de calage de l’allumage davantage selon les caractéristiques de puissance d’un tuyau qui était plus froid.
(Transcription, aux pages 2656 et 2657)
[333] Le document examiné par le témoin (pièce P-56) est la fiche technique définitive pour les moteurs livrés par Suzuki, et non par AC ou par M. Spaulding lui-même. Le témoin explique ensuite que sous les titres 6 (calage de l’allumage) et 7 (calage de l’allumage à la limite de tours-moteur) de la fiche technique, il s’agit en fait, des courbes.
[334] La preuve sur la contribution laisse à désirer. Le témoin a une idée, mais n’en a rien dit à son fabricant de moteurs, de peur de le rendre confus. Nous savons maintenant que la demande japonaise 959 a été présentée par la compagnie Suzuki Motor Corporation, le fabricant de moteurs auquel faisait appel AC et avec qui M. Spaulding a souligné avoir mis au point des moteurs, dix ans après cette demande. La demande 959 sélectionne des courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement détectée. C’est le fabricant de moteurs qui a élaboré et rendu publique la demande japonaise 959. C’est le même fabricant de moteurs qui a répondu aux questions sur la façon de résoudre les problèmes rencontrés par AC. Il semblerait, selon l’inventeur, que le fabricant n’aurait pas réalisé que la fiche technique définitive du moteur, qu’il a réalisée, comportait des courbes d’allumage. M. Spaulding a confirmé qu’il ne possède pas de preuve corroborante, sous forme de documents ou de témoignages, selon laquelle il a contribué à l’invention (transcription, aux pages 2704 et 2705). Même les notes qu’il a prises pendant l’élaboration de l’invention portent principalement sur les essais pratiques. M. Spaulding ajustait en fait l’étalonnage (transcription, aux pages 2790 et 2791), tâche pour laquelle il est extrêmement qualifié. C’est dans la fiche technique définitive remise par Suzuki que « son » système, sa « technologie », apparaît sous la forme de courbes d’allumage, à la pièce P-56. L’échange suivant, au cours du contre-interrogatoire, est éclairant :
[traduction]
Q. Est-il juste de dire qu’il n’y a rien dans ces notes qui démontre que vous avez présenté votre idée concernant un capteur de température des gaz d’échappement à Suzuki Motor Corporation?
R. Que rien ne figure dans ces notes relativement à la présentation à Suzuki?
Q. Que vous avez fait valoir votre idée à Suzuki?
R. C’est exact. Elles ne l’indiquent pas.
Q. Et est-il juste de dire que ce cahier de notes ne contient rien relativement à la logique de commande de l’ECU que vous avez utilisée pour le modèle ZR 440?
R. Oui, c’est exact. La logique vous dites?
Q. La logique de commande. Rien sur la programmation de l’ordinateur. C’est exact?
R. Exact.
(Transcription, aux pages 2191 à 2792)
La pièce P-56, la fiche technique définitive, divulgue deux courbes d’allumage, présentée sous [traduction] « 6. Calage de l’allumage » et [traduction] « 7. Calage de l’allumage à la limite de tours-moteur ». L’inventeur soutient maintenant qu’il s’agit en fait de courbes d’allumage à sélectionner en fonction de la température des gaz d’échappement. Cela n’est pas du tout évident au vu du document. Il est également loin d’être clair en quoi consistait la contribution de M. Spaulding, à part poser des questions. Il n’y a rien dans la preuve pour soutenir cette allégation, y compris ce que l’inventeur aurait indiqué à Suzuki, à l’exception des déclarations du témoin selon lesquelles un des étalonnages est destiné au « tuyau chaud » et l’autre au « tuyau froid ». De quelle façon Suzuki a-t-elle appris l’existence du nouveau système, un système qui possède des caractéristiques assez similaires à sa demande 959, qui datait déjà de dix ans? La preuve ne démontre pas où l’idée a d’abord été formée et de quelle façon elle s’est matérialisée grâce à la contribution de M. Spaulding. Cela ressemble beaucoup plus à une idée venant à l’esprit (Wellcome CSC, précité, au paragraphe 97) qu’à une réelle invention.
[335] Il ne fait aucun doute que M. Spaulding est un excellent étalonneur et que l’étalonnage joue un rôle dans la mise au point d’un moteur. Mais sa contribution pourrait consister en l’étalonnage et la manière de maximiser l’utilisation de tuyaux calibrés. Lorsque la Cour a demandé à l’inventeur de confirmer que l’objet du brevet 738 était son idée et non celle de Suzuki, ce dernier a répondu ce qui suit :
[traduction]
LE TÉMOIN : Depuis le tout début, quand j’étais là, je me suis fait expliquer que nos rapports avec Suzuki étaient de travailler – d’abord que nous concevions un moteur, que Suzuki fabriquerait par la suite pour nous. Arctic Cat serait alors responsable de la mise au point de ce moteur. La mise au point du système d’échappement est une partie de la conception. C’est quelque chose que Suzuki n’a pas fait. Elle n’a pas conçu de tuyaux, de tuyaux calibrés. Elle n’avait pas l’expérience pour le faire. Ce groupe-là n’avait pas fait ça, le groupe motoneige avec lequel nous avons travaillé pendant de nombreuses années.
Absolument, c’étaient des personnes très intelligentes et de bons fournisseurs de moteurs, mais sans avoir fait le développement et les essais et travaillé comme ça sur un tuyau calibré d’un moteur à deux temps, ce n’est pas possible – une personne ne pouvait pas comprendre, saisir ce qui se passe à l’intérieur d’un tuyau et de quelle façon il réagit à un moteur à deux temps, et ils ne possédaient simplement pas cette expérience.
(Transcription, à la page 2705)
Comme le témoin l’a lui-même expliqué, l’étalonnage ne constitue pas l’invention :
[traduction]
LE TÉMOIN : Oui, par « mon système », je voulais dire la mesure de la température des gaz d’échappement par un capteur afin de sélectionner des courbes de calage de l’allumage qui sont optimales pour le fonctionnement du moteur à ces températures internes de tuyau.
(Transcription, à la page 2671)
Nous sommes loin d’une contribution explicite à l’invention revendiquée.
[336] Pour que l’invention fonctionne, un étalonnage sera nécessaire, mais l’étalonnage ne constitue pas l’invention, des mots mêmes de l’inventeur. Mais où est la preuve d’un élément autre que l’étalonnage? Serait-ce de trouver les bons calages de l’allumage pour des tuyaux chauds et froids? Comme le juge O’Keefe l’a fait observer dans la décision Drexan Energy, précitée, une vérification n’est pas suffisante.
[337] Le contre-interrogatoire de M. Spaulding a démontré que le moyen utilisé pour obtenir les résultats ne l’intéressait pas particulièrement, pourvu que son idée générale, soit le vaste concept d’utiliser la température des gaz d’échappement pour commander le calage de l’allumage, était réalisée.
[traduction]
Q. Mais considérez-vous toujours que ces deux moteurs relèvent de votre invention?
R. Oui.
Q. Parce que votre invention, si je comprends bien, est un vaste concept consistant à modifier, corriger, sélectionner ou avoir une incidence d’une quelque autre façon sur le calage de l’allumage en se servant d’un capteur de température des gaz d’échappement comme outil. C’est bien cela?
R. Oui.
Q. Donc, tant que vous pouvez avoir un capteur de température des gaz d’échappement, une ECU et une valeur de calage de l’allumage, une courbe ou d’autres paramètres se rapportant au calage de l’allumage qui tiendra compte de la température des gaz d’échappement, il s’agit de votre invention?
R. Je crois que je comprends ce que vous dites.
Q. Qu’est-ce que vous comprenez?
R. Je comprends que peu importe la logique utilisée pour obtenir la température des gaz d’échappement, la technologie sélectionne – mesure la température des gaz d’échappement, utilise cette information pour sélectionner des courbes ou un calage de l’allumage notamment pour optimiser le moteur selon différentes conditions. En ce qui concerne le calage de l’allumage, c’est ce que je veux dire. Il y a d’autres sphères de commande.
Q. Et selon cette compréhension, diriez-vous, oui, c’est mon invention?
R. Oui.
Q. La correction de points d’allumage par rapport à la correction du calage de l’allumage?
R. Oui.
Q. La sélection de courbes de calages de l’allumage par rapport à la sélection de point de calage de l’allumage, toutes deux relèvent de votre invention selon vous?
R. Selon moi, oui.
Q. Le calcul du point de calage de l’allumage final relèverait toujours de votre invention?
R. Oui.
(Transcription, aux pages 2481 à 2782)
Ce passage, déjà mentionné dans la section concernant l’invalidité des présents motifs, illustre que non seulement le témoin exclut la nécessité qu’il y ait une courbe d’allumage selon la définition prévue au brevet 738, mais il limite son invention à la température déterminant le calage de l’allumage. L’invention n’a pas mis en œuvre cette idée, qui ne peut être nouvelle quoi qu’il en soit.
[338] M. Spaulding a souligné que les figures 4 à 8 du brevet 738 représentent sa « technologie en matière de détecteur de tuyau », mais elles sont simplement des représentations graphiques rudimentaires des cartographies d’allumage pour différentes plages de température de la température des gaz d’échappement. Il n’y a jamais eu d’explication sur ce que pourrait être cette technologie. Lorsqu’il a été interrogé sur ce qu’il entendait par « ma technologie », M Spaulding. a répondu ceci :
[traduction]
LE TÉMOIN : Ce que je veux dire est que d’utiliser la température des gaz d’échappement pour sélectionner des courbes afin d’améliorer la performance d’un moteur à deux temps en sélectionnant plusieurs courbes de calage, et pas – ma technologie ne consiste pas à concevoir un capteur ou à développer le logiciel requis. J’imagine que je vois cette technologie comme des outils permettant de mesurer la température et de sélectionner les courbes d’allumage pour modifier la performance d’un moteur à deux temps. Je ne sais pas si –
(Transcription, aux pages 2706 à 2707)
[339] Selon la force probante de la preuve, la capacité de sélectionner les courbes n’a pas été élaborée par M. Spaulding. Il soutient que son idée était d’utiliser la température des gaz d’échappement pour effectuer une sélection entre les différentes courbes de calage de l’allumage, mais il n’a jamais expliqué de quelle façon cela se réalisait. En fait, les figures 2 et 3 du brevet 738, qui représentent deux illustrations de diagrammes, n’ont pas été réalisées par AC, mais provenaient de Suzuki. Ces diagrammes montrent des exemples de la façon dont différentes courbes (courbes normales, de retenue et d’informations) peuvent être appelées. La question n’est pas tant de traiter des figures 2 et 3, mais plutôt de noter que le seul renvoi aux diagrammes et à la logique de commande émanait de Suzuki. Les deux diagrammes ont été envoyés par Suzuki à M. Spaulding par télécopieur le 31 août 1999, seulement quelques mois avant la date d’antériorité des deux brevets d’AC du 1er décembre 1999 pour le brevet américain 09/452 657 et du 10 mai 2000 pour le brevet américain 09/568 449.
[340] La description que l’inventeur a donnée de son invention, de son système ou de sa technologie se résume toujours à la même chose. Elle est très semblable à ce qui est divulgué dans la demande 959. La demande de Suzuki mentionne à deux reprises que [traduction] « [d]e plus, lorsque le régime du moteur atteint ou dépasse un régime prévu, le module de commande du calage de l’allumage du moteur commande le calage de l’allumage plutôt du côté du décalage que du calage de l’allumage susmentionné, en réponse à l’état de la température du système d’échappement du moteur détecté par le capteur d’état de la température du système d’échappement susmentionné ». Le calage de l’allumage se produit en réponse à la température des gaz d’échappement détectée. Si la Cour en était à l’étape de devoir trancher si M. Spaulding est bien l’inventeur, il lui serait difficile d’en arriver à la conclusion, selon la prépondérance des probabilités et vu la preuve présentée, que ce dernier avait plus qu’une idée (Wellcome, précité). En fait, la preuve selon laquelle l’idée proviendrait de l’inventeur déclaré n’est absolument pas convaincante. La Cour peut seulement agir en fonction de la preuve présentée par les parties et l’évaluer. Dans ce dossier, il semble que la contribution consistait plutôt à poser des questions pour que Suzuki trouve des solutions. Mais, même en supposant que l’idée d’avoir des calages de l’allumage correspond aux plages de température des gaz d’échappement, la preuve n’est pas suffisante pour démontrer que M. Spaulding a mis en œuvre cette idée.
[341] Le témoignage de M. Spaulding concernant sa contribution à l’invention, autre que sur l’idée ayant évolué vers des calages de l’allumage sélectionnés en fonction de la température des gaz d’échappement, était vague. Il semble avoir posé des questions et soulevé des problèmes que d’autres devaient résoudre. S’il a fourni des solutions, il n’a pas mentionné en quoi elles consistaient. On n’a pas la preuve suffisante pour conclure qu’il a contribué à l’invention au-delà de l’idée générale, une idée que Suzuki a versé dans le domaine public.
[342] L’ouvrage Hughes and Woodley on Patents, à la page 130, résume ainsi cette idée :
[traduction]
La question de définir qui est l’« inventeur » a suscité moins de débats que la question de savoir s’il y a bel et bien une invention; l’inventeur est la personne de qui l’idée de l’invention émane, la personne à l’origine de la conception donnant lieu à l’invention. Il ne s’agit pas de la personne qui pose le postulat du problème, qui pose les gestes mécaniques ou qui réalise les essais pour s’assurer que l’invention fonctionnera. Un inventeur n’est pas celui qui fait connaître le travail de la véritable personne qui a conçu l’objet. Un inventeur est la personne qui conçoit tout procédé, technique, moyen de fabrication ainsi que toute machine — ou tout perfectionnement dans l’un ou l’autre de ces cas — présentant un caractère de nouveauté et d’utilité, et comprend la personne qui contribue au concept inventif, mais n’inclut pas celles dont l’activité est orientée vers la vérification plutôt que le concept inventif orignal.
[343] En l’espèce, la preuve tend vers l’absence de contribution vu le manque de preuve sur la nature de cette contribution. Au fond, l’inventeur aurait dû être en mesure d’expliquer clairement en quoi consistait sa contribution. Au lieu de cela, on dispose de la pièce P-56, un document provenant du fabricant de moteurs qui n’est pas présenté comme étant l’invention, mais qui l’est pourtant selon le témoin. Le témoignage ne révèle pas par ailleurs ce qui aurait été transmis à Suzuki, sans créer de confusion, et qui pourrait constituer l’invention. En effet, personne de chez Suzuki n’a témoigné en l’espèce. Comme je l’ai déjà fait observer, Suzuki avait déjà envisagé de déplacer les courbes d’allumage en réaction aux modifications de la température des gaz d’échappement quelque dix ans plus tôt en vue de trouver le calage de l’allumage optimal. En l’espèce, AC n’a présenté aucune preuve convaincante de la nature de la contribution de l’« inventeur » dans ce dossier.
[344] La position d’AC sur la paternité de l’invention est de prétendre que l’inventeur a travaillé avec les fournisseurs (Suzuki pour le moteur et Kokusan pour le module de commande) pour mettre en œuvre l’invention. AC n’a cependant pas indiqué en quoi pouvait consister cette contribution nécessaire; elle a seulement déclaré qu’il y en avait une. Comme pour plusieurs autres aspects de cette affaire, on manque de précision. L’absence de preuve concernant la contribution de la personne qui prétend être l’inventeur est très problématique. Non seulement il n’y a aucune preuve documentaire à l’appui d’une contribution autre qu’une idée générale, mais l’inventeur lui-même limite sa propre contribution à avoir eu l’idée d’utiliser la température des gaz d’échappement pour effectuer une sélection entre différentes courbes d’allumage, une idée qui pouvait difficilement avoir étonné le fabricant de moteurs Suzuki, qui avait rendu publique sa propre demande 959 dix ans plus tôt.
XIII. Conclusion
[345] La difficulté à laquelle ont fait face les demanderesses en l’espèce était de savoir, au tout début, comment définir la prétendue invention. Elles ont en fait évité de la définir de façon claire et précise, et ce, malgré que le fardeau de la preuve leur incombait. Si, comme la Cour l’a conclu, l’interprétation des cinq revendications invoquées mène à la conclusion que la notion de « courbes d’allumage » est un élément central de l’invention et des revendications, il est impossible de conclure que les moteurs de BRP contrefont une ou l’autre des revendications. BRP met simplement en œuvre une logique de commande qui nécessite qu’une pluralité de courbes d’allumage, chacune de celles-ci étant composée de plus d’un point d’allumage, soit sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement (revendications 40(34), 33(28) et 47(41), ce qu’on appelle les revendications de sélection). Les demanderesses rencontrent la même difficulté en faisant valoir les « revendications de modification » (revendications 11 et 16). Dans ce cas, une pluralité de courbes d’allumage de base est prévue. Il s’agira de la courbe de base sélectionnée qui sera modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement. Une fois de plus, la courbe d’allumage se compose de plus d’un point d’allumage, et ce sera à partir de la courbe d’allumage que le point d’allumage correspondant à un régime particulier du moteur sera allumé. Le moteur de BRP ne fonctionne pas ainsi. Il n’y a pas de contrefaçon.
[346] Si, par ailleurs, on tente d’examiner l’invention de façon plus générale, comme consistant simplement en l’utilisation de la température des gaz d’échappement pour optimiser le calage de l’allumage d’un moteur à deux temps, les demanderesses sont confrontées à la demande 959 et au brevet américain 958. Il est difficile de trouver en quoi consiste la nouveauté du brevet 738. Ce brevet est entaché par l’évidence. Il n’y a pas de preuve d’inventivité dans l’adaptation faite pour la motoneige.
[347] Comme la Cour l’a demandé à de nombreuses reprises tout au long de l’instruction : en quoi consiste l’invention? Le témoignage du soi-disant inventeur n’a pas élucidé la question. En l’espèce, il n’a pas été prouvé selon la prépondérance des probabilités que s’il y avait une invention, « l’inventeur » y a contribué autrement qu’en posant des questions au fabricant de moteurs pour qu’il s’efforce de trouver des réponses. Je n’avais toutefois pas à trancher cette question de façon formelle.
[348] En conséquence, l’action d’Arctic Cat doit être rejetée. Dans la mesure où il faut trancher la demande reconventionnelle concernant la validité des revendications invoquées si la conclusion de la Cour sur la contrefaçon est erronée, la Cour conclut que les revendications invoquées sont invalides. Par conséquent, BRP a droit à la réparation demandée.
XIV. Dommages-intérêts
[349] Considérant la conclusion sur les questions de contrefaçon et d’invalidité du brevet 738, il n’est pas nécessaire, à proprement parler, d’aborder la question des dommages-intérêts qui auraient été ordonnés si le brevet avait été jugé contrefait et valide. Il s’agit d’une affaire où la disjonction aurait dû être examinée plus soigneusement. Toutefois, compte tenu de la preuve qui a été présentée à la Cour, je crois utile de faire quelques observations.
[350] C’est évidemment aux demanderesses qu’incombe le fardeau de convaincre la Cour du montant des dommages subis par le breveté. L’octroi des dommages-intérêts est régi par les paragraphes 55(1) et 55(2) de la Loi sur les brevets. Ils sont libellés comme suit :
55 (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet. |
55 (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement. |
(2) Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible. |
(2) A person is liable to pay reasonable compensation to a patentee and to all persons claiming under the patentee for any damage sustained by the patentee or by any of those persons by reason of any act on the part of that person, after the application for the patent became open to public inspection under section 10 and before the grant of the patent, that would have constituted an infringement of the patent if the patent had been granted on the day the application became open to public inspection under that section. |
[351] En l’espèce, le paragraphe 55(2) ne s’applique pas. L’unique tâche de la Cour était d’évaluer les dommages subis par le breveté. En dépit de ce que semble suggérer le paragraphe 55(1), il est impossible dans la plupart des cas de déterminer un montant avec une exactitude mathématique. Cela est vrai dans la plupart des cas et c’est certainement vrai en l’espèce. Le paragraphe fréquemment cité de la décision J.R. Short Milling Co. (Canada) Ltd. c. Continental Soya Co. and George Weston Bread and Cakes, Ltd. (1943-44), 3 Fox’s Patent Cases 18, à la page 29, résume la situation à laquelle sont confrontés les juges de première instance :
[traduction]
Dans pratiquement tous les dossiers rapportés, les juges mentionnent les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans de telles circonstances [sic] et de l’impossibilité de calculer un montant avec une quelconque exactitude mathématique. Lord Shaw déclare que ce calcul sera possible « dans une large mesure en faisant appel à une vive imagination et à une détermination approximative ». Les mots de Lord Shaw sont simplement une autre façon d’affirmer que l’exactitude était impossible et qu’il faut faire preuve d’imagination, que ce soit ou non à l’avantage du demandeur. Cela ne signifie pas de faire preuve de générosité, puisque les dommages-intérêts ont pour objet d’indemniser le demandeur et non de constituer une pénalité ou une sanction à l’encontre du défendeur.
Une cour tend en conséquence à ordonner le paiement de dommages-intérêts qui seront considérés comme justes compte tenu des circonstances d’un cas particulier. Elle y parvient du mieux possible au cas par cas.
[352] Les demanderesses ont choisi de demander des dommages-intérêts par voie de l’établissement d’une redevance raisonnable pour l’utilisation de leur invention. Comme c’est souvent le cas lorsque le demandeur n’est pas en mesure de démontrer la perte de ventes qu’il a subie en raison de la contrefaçon, les redevances serviront à compenser la perte qui aurait été subie (Jay-Lor International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, 59 CPR (4th) 228) [Jay-Lor International]).
[353] Le fardeau de la preuve repose sur les épaules du demandeur puisque le breveté doit démontrer par une preuve concluante le taux de redevance à appliquer. La difficulté dans une affaire comme celle-ci est bien entendu qu’il est difficile d’évaluer la valeur commerciale de l’invention. De plus, la Cour doit s’efforcer d’indemniser l’invention invoquée uniquement pour des dommages qui peuvent être attribués à l’invention. Il incombe donc aux demanderesses de présenter une preuve qui séparera des profits réalisés par le contrefacteur les dommages subis en raison de la contrefaçon de l’invention. Lorsque l’invention n’est qu’une composante individuelle d’un produit constitué de multiples composantes, les dommages-intérêts sous forme de redevance doivent être octroyés en vue d’indemniser la contrefaçon de cette composante individuelle visée par l’invention. En effet, la redevance reconnaît que les ventes réalisées par le contrefacteur constituent une transaction illégale qui impose d’être indemnisée. Toutefois, seule la contrefaçon doit être indemnisée.
[354] Ce n’est pas tâche facile dans un cas où l’invention consiste simplement et uniquement à utiliser la température des gaz d’échappement d’un moteur, par l’intermédiaire d’une courbe d’allumage, pour régler le calage de l’allumage d’un moteur. Le brevet 738 mentionne l’optimisation de la performance du moteur, mais n’indique pas de quelle façon cette optimisation peut être réalisée, en quoi elle consiste ou quelle technologie est nécessaire pour exploiter l’« invention ». L’inventeur du brevet 738, M. Greg Spaulding, a expliqué sa technologie. Comme je l’ai déjà indiqué, et en toute déférence, le brevet 738 ne porte pas sur la technologie. Le dictionnaire Oxford Canadian Dictionary définit le mot technologie comme étant [traduction] « l’étude ou l’utilisation des arts mécaniques et des sciences appliquées ». Il s’agit uniquement de son application aux tâches pratiques dans le secteur industriel. Le brevet 738 n’est pas une technologie. Il se fonde sur l’idée que la température des gaz d’échappement renseignerait une personne expérimentée à propos du moteur, qui pourra ainsi être amélioré ou ses anomalies réparées. En fin de compte, ce qui doit être fait au sujet des dommages est d’évaluer quel montant, dans une négociation hypothétique, conduirait à un accord sur une redevance appropriée. Quelle valeur une telle invention peut-elle procurer?
[355] La Cour a entendu deux experts, qui en sont venus à des résultats très différents. Il n’y a aucun doute que les deux experts, M. Andrew Carter et le Dr Keith Ugone, sont des experts dans le domaine de l’évaluation des dommages et leur expertise n’a pas été contestée.
[356] Leur tâche a été rendue extrêmement difficile, peut-être même impossible, en raison du caractère intangible de l’invention et du manque de précision de la preuve présentée. C’est l’application de l’idée générale qu’il puisse y avoir une corrélation entre la température des gaz d’échappement et le calage de l’allumage qui est utile. Cette corrélation ne peut néanmoins être utile que si elle peut résoudre des problèmes, et le brevet est muet quant à la manière dont cette corrélation peut être utilisée. Comme la Cour suprême l’a mentionné dans l’arrêt Free World Trust, précité, « l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à la description d’un moyen particulier d’y parvenir ». Comment évaluer la valeur de l’ idée générale alors que le véritable avantage proviendra de la compréhension de ce qu’indique la température des gaz d’échappement et comment cette information peut être utilisée sous forme d’ajustements du calage de l’allumage sont deux tâches différentes, compte tenu notamment des nombreux usages qui peuvent être faits de la température des gaz d’échappement selon le brevet. On peut dire que l’invention est nécessaire, mais ce n’est certainement pas suffisant pour avoir les moyens de l’exploiter. M. Spaulding, l’inventeur, a confirmé pendant le procès qu’AC mettait en œuvre son invention. Il n’a toutefois jamais indiqué à la Cour à quelles fins l’invention était exploitée.
A. Monsieur A. Carter pour les demanderesses
[357] M. Carter a abordé la question de l’évaluation des dommages-intérêts en élaborant quatre méthodes permettant d’obtenir une redevance appropriée. Pour une raison qui demeure floue, M. Carter a répété à quelques reprises dans son rapport d’expert qu’il croyait qu’AC avait perdu des ventes, ainsi que des ventes dérivées, en raison de la contrefaçon présumée de BRP. La pertinence de ce point face à l’exercice entrepris par la Cour n’est pas claire. Il est tout aussi difficile de savoir quelle preuve pourrait soutenir une telle prétention considérant le fait que l’invention semble être restée relativement inconnue sur le marché. Ni AC ni BRP ne semblent avoir déployé d’effort pour mettre en valeur les avantages conférés par l’invention. Il a mentionné de même les ventes dérivées (aux pages 89, 32 et 33 de son rapport, pièce P-61), alors qu’elles ne sont pertinentes que s’il y a eu perte de ventes en raison de la contrefaçon, ce qu’il admet ne pas avoir fait valoir puisqu’elles ne peuvent être évaluées. Par conséquent, ces commentaires doivent être ignorés et ils n’ont aucune valeur probante.
[358] De même, ont fait cruellement défaut en l’espèce les explications concernant la manière dont le brevet a été mis en œuvre et par conséquent, la valeur à attribuer à l’invention, que ce soit par AC ou par BRP. L’avantage de la valeur associée non seulement à l’invention, mais à son exploitation en regard de ses nombreuses applications possibles, comme le décrit le mémoire descriptif, n’a pas été porté à la connaissance de la Cour.
[359] J’accepte aisément la qualification de la redevance comme étant le résultat de la recherche d’une entente entre parties consentantes, comme le décrit la décision Jay-Lor International, précitée. On peut y lire :
125 Un taux de redevance raisonnable a été décrit comme « un taux que le contrefacteur aurait payé si, au lieu de contrefaire le brevet, [le contrefacteur] avait été autorisé à exploiter le brevet... La question est de savoir quel taux découlerait des négociations entre un concédant consentant et un porteur de brevet consentant. » (AlliedSignal, précitée, à la page 176).
126 Cette notion repose sur l’hypothèse selon laquelle la personne qui souhaite employer une technologie brevetée en aurait normalement demandé l’autorisation et aurait été disposée à verser une redevance pour cet emploi. Le breveté, s’il est disposé à accorder une licence sur son invention, négocierait alors les conditions de la licence, notamment le montant des redevances, avec le licencié envisagé. Cette hypothèse est manifestement artificielle dans la mesure où l’auteur de la contrefaçon, en l’espèce, n’a pas choisi de demander l’autorisation du breveté lorsqu’il a commencé à exploiter la technologie brevetée dans son propre dispositif. Il faut faire des suppositions sur la façon dont les parties auraient pu négocier. Cependant, l’attribution d’une licence est une pratique très courante dans le domaine de la propriété intellectuelle et est devenue un champ d’études universitaires. […]
[360] En l’espèce, M. Carter propose quatre méthodes différentes pour obtenir un taux de redevance approprié. Sans l’aide de l’expert au procès, il aurait été difficile, à la seule vue de son rapport, de comprendre de quelle façon il en était arrivé à ses conclusions. On pourrait affirmer que le rapport n’était pas tout à fait conforme aux exigences prévues par le Code de déontologie régissant les témoins experts adopté en vertu de l’article 52.2 des Règles des Cours fédérales, qui dispose que le rapport doit comprendre« les motifs de chacune des opinions exprimées ». La façon dont le rapport est rédigé n’a certainement pas facilité sa compréhension.
[361] Quoi qu’il en soit, voici un résumé des quatre méthodes.
(1) L’expert a comparé deux moteurs fabriqués par BRP. Un des moteurs, le 800 P-TEC, ne met pas en œuvre l’invention. Ce moteur a été comparé au 800 E-TEC qui met l’invention en application. Ce moteur est à injection directe et n’utilise pas de carburateur.
[362] L’expert a voulu calculer la marge bénéficiaire réalisée entre les deux motoneiges. Cette méthode ne vise pas à effectuer une comparaison sur la simple base de l’invention mise en œuvre, mais plutôt de comparer les deux motoneiges contrairement à, par exemple, la comparaison des deux ECU dans lesquelles se trouve la fonctionnalité qui est protégée par le brevet, ou les deux moteurs. En effet, l’expert compare les marges sur coût direct obtenues par BRP pour les motoneiges P-TEC et E-TEC, la différence entre les deux comprenant, vraisemblablement, un pourcentage de la contribution pour rendre compte du nouveau moteur doté de l’invention. Il n’est pas contesté que les moteurs E-TEC de BRP mettent en application l’utilisation de la température des gaz d’échappement pour ajuster le calage de l’allumage.
[363] L’expert poursuit en examinant plusieurs de ce qu’on appelle des [traduction] « analyses comparatives de motoneiges » réalisées par BRP de 2007 à 2013. L’expert a sélectionné des facteurs identifiés par les répondants comme ayant une certaine importance dans le choix d’un modèle précis. L’expert a retenu trois facteurs parmi une assez longue liste de facteurs, soit la puissance du moteur, la fiabilité de la motoneige et son accélération. Il semble que l’expert a estimé que ces trois facteurs sont des substituts aux caractéristiques liées à l’invention en litige en l’espèce. Il a ensuite additionné le pourcentage de répondants ayant identifié ces facteurs, puis divisé ce résultat par la somme de tous les pourcentages associés à l’ensemble des facteurs mentionnés (qui dépasse de loin les 100 %). Selon l’avis de l’expert, ce calcul pondère l’importance relative des facteurs. Il décrit le pourcentage obtenu comme étant le rapport représentant l’importance de la fiabilité, de la puissance de moteurs et de l’accélération par rapport à l’ensemble des facteurs. Ces ratios annuels sont les suivants : [CAVIARDÉ]
[364] L’expert poursuit en multipliant les deux pourcentages se trouvant à chacune des extrémités de la fourchette ([CAVIARDÉ] et [CAVIARDÉ]) par ce qu’on appelle la [traduction] « fourchette de profits » des motoneiges en entier 800 P-TEK et 800 E-TEC pour les années modèles 2012, 2013 et 2014, afin d’obtenir ce qu’on appelle un [traduction] « indicateur de redevance » découlant de l’augmentation de la rentabilité de BRP, qui est passée de [CAVIARDÉ] $ à [CAVIARDÉ] $ [[CAVIARDÉ] % (représentant le ratio de l’importance relative des facteurs en 2013) x [CAVIARDÉ] $ (représentant les bénéfices réalisés pour le modèle de motoneige 800 E-TEC par rapport aux motoneiges 800 P-TEK pour 2012) et [CAVIARDÉ] % (représentant le ratio de l’importance relative des facteurs en 2012) x [CAVIARDÉ] $ (représentant les profits réalisés pour 2014).
[365] Une telle approche soulève évidemment plusieurs problèmes. D’abord, le brevet concerne une fonctionnalité dans une unité de commande de moteur et l’expert compare la rentabilité des motoneiges dans leur ensemble. De plus, en plus d’une absence de fondement conceptuel, qui constitue un défaut important en soi, cette approche a supposé que la fiabilité, la puissance du moteur et l’accélération constituent l’invention, alors qu’en fait, il est plus que probable que bien d’autres éléments en dehors de l’invention ont une incidence sur ces facteurs tels que la fiabilité et la puissance du moteur. Autrement dit, cette approche surestime, à première vue, l’invention dans l’évaluation des redevances.
[366] En fait, l’invention elle-même ne précise pas comment elle doit être exploitée pour améliorer la fiabilité ou la performance du moteur; elle indique simplement que la température des gaz d’échappement peut être utilisée pour ajuster le calage de l’allumage en vue d’optimiser la performance et d’éviter des problèmes de moteur. Les pourcentages eux-mêmes peuvent faire l’objet de critiques importantes, dans la mesure où le pourcentage [CAVIARDÉ] % est tiré d’une enquête qui est particulièrement différente des autres enquêtes réalisées. Les facteurs énumérés y sont beaucoup plus restreints et, à première vue, le pourcentage associé à chacun de ces facteurs est sensiblement plus élevé que tout ce qui a été pris en considération ailleurs. Le sondage choisi pour retenir ce [CAVIARDÉ] % est de toute évidence sensiblement atypique.
[367] On peut également constater un élément de double comptabilisation dans ces enquêtes, alors que ce sont les pourcentages d’acheteurs qui considéreraient l’accélération et la puissance du moteur comme des facteurs pertinents qui sont additionnés. Ces deux facteurs sont de proches cousins et s’appuyer sur ces chiffres sans davantage d’éléments peut avoir pour effet de surévaluer les facteurs que l’expert juge pertinents à l’invention examinée. La marge bénéficiaire est, bien entendu, très sensible aux pourcentages dans ce modèle. La double comptabilisation affecte grandement la marge bénéficiaire et la méthodologie choisie ne cherche pas à remédier au problème.
[368] Pour des raisons compréhensibles, l’expert n’a pas essayé de défendre cette approche. Il a reconnu facilement qu’il peut y avoir [traduction] « aussi dans les études de BRP, d’autres éléments d’une motoneige non brevetés ou non mis en cause qui contribuent à ces catégories ». Nous ne savons même pas pourquoi cette approche a été proposée au départ. Autrement dit, de nombreuses pages ont été consacrées à la création d’un argument sans valeur.
(2) La deuxième méthode avancée par M. Carter était, en fait, une variation sur le thème résumé en (1). Cette fois-ci, plutôt que de multiplier les marges sur coûts directs découlant de la différence obtenue entre la marge sur coûts directs de la motoneige E-TEC de celle du modèle P-TEC, pour un montant total de [CAVIARDÉ] $ en 2012 et de [CAVIARDÉ] $ en 2014, l’expert a multiplié ces chiffres par une part de marché de 20 %, qui représenterait la part de marché du titulaire de brevet. Il obtient ainsi un montant de [CAVIARDÉ] $ (20 % de [CAVIARDÉ] $) et [CAVIARDÉ] $ (20 % de [CAVIARDÉ] $).
[369] De toute évidence, cette méthode comporte les mêmes lacunes que la méthode présentée en (1) puisqu’elle suppose que la différence de rentabilité entre les motoneiges E-TEC et P-TEC est due à l’invention. Cette méthode compare les marges sur coûts directs et semble postuler qu’elles représentent la différence entre les deux motoneiges issue de l’invention. De toute évidence, tel ne peut être le cas, ou, à tout le moins, rien dans la preuve ou dans la démonstration faite par l’expert n’étaye cette hypothèse. En effet, si la différence provenait uniquement de l’invention mise en cause, il serait difficile d’expliquer comment cette différence peut augmenter de [CAVIARDÉ] $ à [CAVIARDÉ] $ en trois ans (ce qui représente une croissance de [CAVIARDÉ] % sur trois ans). La contribution à la rentabilité associée à l’invention devrait être relativement stable selon le modèle présenté par l’expert. Manifestement, les marges sur coûts directs sont composées d’éléments autres que l’invention mise en cause.
[370] Une fois de plus, l’expert n’a pas défendu ardemment, ou autrement, cette méthode, créant ainsi un autre argument sans valeur. Loin de la défendre, il a fait, valablement à mon avis, les mêmes concessions qu’il avait déjà faites pour la première méthode.
(3) M. Carter a comparé le profit supplémentaire que BRP prévoyait pour son nouveau moteur 600 E-TEC en le comparant à celui du moteur à injection semi-directe « 600 ». L’expert a déclaré que BRP prévoyait augmenter le prix de vente au détail de ses motoneiges de [CAVIARDÉ] $ par motoneige, en raison de son moteur à injection directe. Considérant qu’en 2002, BRP prévoyait des coûts de production supplémentaires de [CAVIARDÉ] $ pour le moteur E-TEC, M. Carter a projeté un profit additionnel se situant entre [CAVIARDÉ] $ et [CAVIARDÉ] $ qui serait engendré par le passage à la technologie E-TEC, dont faisait partie l’invention.
[371] Cette méthode a l’avantage d’essayer de ramener l’analyse à la fonctionnalité, en s’écartant des contributions entre les motoneiges en entier pour se concentrer sur le moteur. Pour une raison qui demeure obscure, l’expert diviserait ensuite les profits à parts égales entre AC et BRP, en indiquant simplement que ce serait pour être conservateur. Au cours du procès, M. Carter a fait valoir qu’il était d’avis que le pourcentage devrait être supérieur à 50 %, mais qu’il recommanderait d’utiliser 50 %. Je n’ai rien pu trouver qui justifierait pourquoi une redevance de 50 % des profits tirés du nouveau moteur serait adéquate pour une fonctionnalité située dans le module de commande de moteur et pourquoi cette redevance serait acceptable pour BRP. Quoi qu’il en soit, la redevance qui devrait être payée par BRP selon cette méthode se situerait entre [CAVIARDÉ] $ et [CAVIARDÉ] $ CAD par motoneige vendue par BRP.
[372] Il y a un manque total d’information et d’analyse relativement à ce qui devrait être inclus dans la rentabilité d’un moteur à injection directe proposé par BRP. Cette méthode comporte certaines des mêmes lacunes générales que les deux autres. Malgré tout, le fait qu’elle tient compte de la rentabilité ajoutée du moteur plutôt que de la motoneige dans son ensemble constitue probablement une amélioration. Admettant que le profit à réaliser de [CAVIARDÉ] $ proviendrait du nouveau moteur à injection directe, il est loin d’être clair que l’invention pourrait être considérée comme expliquant à elle seule le profit. Ce qui est vendu est un nouveau moteur à injection directe. L’invention serait un pur accessoire. Bien qu’il est vrai sans aucun doute que l’invention avait une valeur pour BRP, qui a rapidement constaté qu’elle pourrait être intéressante pour ses nouveaux moteurs à injection directe, il est évident qu’en raison de l’absence totale d’informations à ce sujet dans le brevet, un travail important aurait été nécessaire pour transformer l’idée que la température des gaz d’échappement pourrait servir à ajuster le calage de l’allumage en une fin utile, dans un produit qui répondrait aux problèmes de performance et de fiabilité. La question qui est restée sans réponse est de savoir à quelles fins l’invention était-elle exploitée et quelle valeur peut alors lui être attribuée. À sa défense, l’expert utilisait simplement les chiffres fournis par BRP qui se trouvent dans le présent dossier. D’autre part, aucun effort n’a été déployé pour être plus circonspect ou pour fournir une analyse, même préliminaire, de la contribution relative de l’invention aux profits comparativement aux profits réalisés par le moteur E-TEC. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’expert ne croyait manifestement pas à sa propre méthode compte tenu du manque d’analyse. Il ne s’est certainement pas arrêté sur la méthodologie, puisque seulement une demi-page d’un rapport de 89 pages lui était dédiée. J’aurais pensé que la méthodologie méritait mieux puisqu’elle aurait pu se révéler un fondement valable pour l’évaluation des dommages-intérêts au moyen d’une redevance convenue à la suite de négociations.
(4) La méthode privilégie présentée par l’expert est de comparer les motoneiges d’AC fabriquées selon l’année modèle 2005, pour lesquelles le moteur ne reprenait pas l’invention, à l’année modèle 2006 où l’invention est reprise.
[373] Selon la déclaration de l’expert, les modèles d’AC examinés (les modèles Firecat F6 EFI et EFI X en 2005 et les modèles Firecat F6 EFI et EFI R en 2006) ont généré des marges sur coûts directs qui découleraient de l’invention. L’expert mentionne dans son rapport que [traduction] « par conséquent, la principale différence constatée dans la rentabilité additionnelle entre ces deux années peut être imputée à la technologie brevetée » (à la page 39 du rapport de M. Carter). Malheureusement, cette conclusion se fonde sur une comparaison plutôt rudimentaire des modèles, sans même essayer d’évaluer l’exploitation réservée à l’invention et la valeur générée par l’invention elle-même.
[374] Cette méthode tient à peu de choses. Rien n’indique comment AC a appliqué l’invention dans son modèle 2006, tout ce que nous savons est que ce modèle l’appliquait. Cette affirmation est déduite de la présence d’un capteur de température des gaz d’échappement sur le modèle 2006. Il convient de souligner que cette méthode faisait appel aux motoneiges fabriquées par AC. Je ne vois aucune raison justifiant l’absence d’une analyse plus approfondie sur l’exploitation faite de l’invention et sur sa valeur relative. Après tout, l’expert s’appuyait sur les motoneiges des demanderesses. Les demanderesses n’ont jamais présenté d’éléments de preuve sur l’exploitation réelle de leur invention qui aurait aidé leur propre expert s’il devait se fonder sur la rentabilité des motoneiges d’AC pour établir une redevance appropriée. Il est décevant que la promesse énoncée au début du chapitre du rapport sur la comparaison des motoneiges de la série F d’AC n’ait pas porté ses fruits. Le rapport mentionne que [traduction] « [e]n termes économiques simples, la détermination d’une redevance raisonnable implique l’évaluation de bien(s) intangible(s) et la détermination du prix que serait prêt à payer l’utilisateur pour ce bien » (à la page 30). La Cour partage cet avis. Mais cette démonstration n’a pas été faite. C’est la valeur du bien intangible qui doit être évaluée, et cela n’a pas été fait. Seule la valeur du bien peut faire l’objet d’une redevance. Sans une certaine compréhension de l’exploitation de l’invention, l’évaluation de la valeur de cette invention ne peut être qu’insuffisante et ne donner que des résultats sommaires. Considérant qu’AC utilise ses propres motoneiges aux fins de cette méthode, je ne vois aucune raison justifiant l’absence de l’exploitation de l’invention de la preuve.
[375] Plutôt que de présenter une analyse nuancée étayée par la preuve à propos de l’utilisation réellement faite du bien intangible et des efforts déployés à la promotion de son utilisation pour que le consommateur puisse attribuer une valeur aux éléments nouveaux et utiles, on nous a présenté au plus une comparaison des marges sur coûts directs des motoneiges dans leur ensemble. Si les marges sur coûts directs des motoneiges doivent être l’unique point de référence pour l’établissement d’une assiette de redevance, on se serait attendu à une analyse approfondie et il aurait été préférable que les marges sur coûts directs soient soutenues pour constituer des indicateurs solides de la valeur pouvant être attribuée à l’invention. Après tout, dans sa troisième méthode, l’expert a reconnu que le moteur de BRP a généré un apport de [CAVIARDÉ] $.
[376] En l’espèce, il me semble que cette approche comporte certaines des lacunes établies pour les autres méthodes. Lorsqu’on examine attentivement la figure 16 présentée dans le rapport de l’expert, qui compare les marges sur coûts directs entre les motoneiges, tout en gardant à l’esprit que seule la contrefaçon du brevet doit être indemnisée et non les facteurs autres que ceux provenant de l’invention contribuant à la rentabilité, il est difficile de comprendre comment on peut parvenir à ces marges sur coûts directs. Par exemple, lorsqu’on compare le modèle 2005 F6-EFI R au modèle F6 EFI de la même année, on peut constater une différence de [CAVIARDÉ] $ au niveau de la marge sur coûts directs par motoneige en faveur du modèle « R » (R signifiant la fonction de marche arrière de la motoneige). En conséquence, on s’attendrait à ce que lorsqu’on examine la même comparaison entre le modèle F6-EFI R et le modèle F6 EFI pour l’année 2006, année pendant laquelle l’invention a été mise en œuvre d’une manière ou d’une autre d’après nos informations, le modèle EFI R devrait apporter une marge sur coûts directs supérieure de [CAVIARDÉ] $ par rapport à celle du modèle EFI. Ce n’est pas ce que la preuve révélerait. La différence entre les deux marges sur coûts directs a diminué de 56 %, passant à [CAVIARDÉ] $. Alors qu’il est indiqué que la différence entre les marges sur coûts directs pour le modèle F6 EFI pour les années 2005 et 2006 est de [CAVIARDÉ] $, la différence pour ces deux années pour le modèle F6 EFI R est moindre, soit seulement de [CAVIARDÉ] $. Pourquoi existe-t-il une telle différence entre les marges sur coûts directs pour ce qui est supposément la même caractéristique?
[377] De plus, la figure 15 nous apprend que le prix de vente du modèle EFI de 2006 a simplement augmenté de 250 $ par rapport au modèle de 2005. Il en est de même pour l’autre motoneige qui fait l’objet d’une comparaison pour les années 2005 et 2006, le modèle F6 Firecat EFI Snow Pro. Malgré cette légère augmentation de 250 $, la moyenne des prix de vente par unité pour les trois modèles examinés a augmenté en moyenne de [CAVIARDÉ] $, alors que la vente d’unités de ces trois modèles a diminué de 16 % d’une année à l’autre. De plus, le prix de vente moyen est lui-même considérablement plus élevé que le prix de vente au détail suggéré. Ainsi, il est indiqué que le prix suggéré de vente au détail pour le modèle EFI 2006 est de [CAVIARDÉ] $, après une augmentation de 250 $ par rapport au modèle 2005, alors que le prix de vente moyen est de [CAVIARDÉ] $. Une des explications possibles est que le prix de vente comprend d’autres éléments, comme des améliorations (par exemple un démarreur électrique ou un pare-brise haut) sous forme d’équipements livrables en option, des vêtements et des accessoires. Ces améliorations augmentent possiblement de centaines de dollars les marges sur coûts directs, mais elles ne devraient pas être prises en compte pour calculer les marges sur coûts directs attribuables à l’invention. Quoi qu’il en soit, aucune explication n’a été apportée relativement à ces différences. En fait, l’invention n’a même pas été mise en marché.
[378] Il est clair que les marges sur coûts directs ne peuvent être un indicateur fiable. C’est encore plus vrai lorsqu’on observe la forte variabilité des marges entre différentes couleurs de la même motoneige. Selon les pièces 7.3 et 7.4 du rapport de M. Carter, deux motoneiges F6 EFI de 2005 présentent une différence de [CAVIARDÉ] $ dans leur marge sur coûts directs alors que leur seule différence est la couleur ([CAVIARDÉ] $ pour la noire et [CAVIARDÉ] $ pour la verte). Ce qui est encore plus surprenant que cette différence fondée sur la couleur est le fait que les mêmes motoneiges F6 EFI, mais pour l’année 2006, ont une marge sur coûts directs ayant passé de [CAVIARDÉ] $ à [CAVIARDÉ] $ pour la motoneige noire, soit une augmentation de 26 %, alors que la motoneige verte a eu une marge sur coûts directs de [CAVIARDÉ] $ en 2006, représentant une augmentation d’à peine 4 %. Par conséquent, en 2006, la rentabilité de la motoneige noire est devenue meilleure que celle de la motoneige verte. Aucune explication n’a été offerte quant à savoir pourquoi la marge sur coûts directs serait différente selon les couleurs de motoneige au cours d’une même année, et varierait considérablement d’une année à l’autre. Il reste que la mesure des marges sur coûts directs n’est tout simplement pas fiable. Sans analyse expliquant cette variation plutôt considérable, les marges sur coûts directs ne peuvent être d’un grand secours, le cas échéant, pour obtenir des indicateurs de la valeur de l’invention. Ajoutons que d’autres caractéristiques d’une motoneige comme les amortisseurs, qui sont considérés comme une caractéristique importante (témoignage de M. Guy), utilisés sur les modèles EFI et EFI R de 2006 sont des amortisseurs arborant une marque contrairement à ceux du modèle EFI 2005 qui sont sans marque (amortisseurs à gaz Arctic Cat à piston flottant interne).
[379] Il n’y a aucune preuve dans ce dossier qu’il a été tenu compte des changements dans la demande des consommateurs, des efforts de commercialisation ou des rabais offerts. Le dossier n’indique même pas comment et dans quel but l’invention a été exploitée.
[380] En fin de compte, la Cour dispose de l’opinion d’un expert qui se fonde exclusivement sur certaines marges sur coûts indirects pour ses propres motoneiges servant à évaluer la redevance qu’un concurrent serait disposé à payer pour l’utilisation d’un produit intangible. Pour être utiles, les marges sur coûts directs utilisées doivent elles-mêmes être inattaquables, si rien de plus précis n’est offert. En l’espèce, l’expert a choisi de s’appuyer sur la différence de coûts directs entre les modèles 2005 et 2006 de la motoneige F6 EFI R ([CAVIARDÉ] $) et de la diviser en deux (pour demeurer conservateur selon ses dires) pour obtenir une redevance de [CAVIARDÉ] $ par motoneige. Il aurait pu choisir la différence de coûts directs entre les modèles 2005 et 2006 de la motoneige F6 EFI ([CAVIARDÉ] $) ou la différence entre les modèles de la motoneige EFI Sno Pro ([CAVIARDÉ] $). Une moyenne pondérée des modèles F6 examinés aurait entraîné une différence de [CAVIARDÉ] $. Toutefois, ces coûts directs selon le modèle démontrent uniquement que ceux-ci sont sensibles à une multitude de facteurs. Les éléments constituant les marges sur coûts directs choisies demeurent par contre inconnus. Quelle part de [CAVIARDÉ] $/motoneige peut être raisonnablement attribuée à l’invention?
[381] Les fondements théoriques de cette approche sont inconnus et le choix d’un montant plutôt que d’un autre n’est justifié par aucune explication et encore moins par des éléments de preuve. Dans le contexte de 125 000 motoneiges mises en cause, cela représente une différence importante : à [CAVIARDÉ] $/motoneige, les dommages-intérêt atteignent [CAVIARDÉ] $; si la moyenne pondérée de [CAVIARDÉ] $ est plutôt utilisée, les dommages-intérêts seront de [CAVIARDÉ] $ et si la différence des marges sur coûts directs du modèle le plus onéreux est appliquée ([CAVIARDÉ] $/motoneige), les dommages-intérêts dépassent [CAVIARDÉ] $. Aucun effort n’a été déployé pour évaluer la contribution du bien intangible vis-à-vis du nouveau moteur ni pour déterminer dans quelle mesure le nouveau moteur contribuait à l’augmentation de la rentabilité des nouvelles motoneiges. Pourtant, on aurait pu penser que cette évaluation était possible puisque les demanderesses utilisaient leurs propres motoneiges.
[382] Le but d’énumérer ces difficultés n’est pas tant d’être tatillon, mais plutôt de démontrer que l’approche privilégiée par l’expert à ses propres défauts, tout comme les autres méthodes qu’il a présentées sans toutefois les soutenir. Il est très difficile de savoir ce qu’englobent ces marges sur coûts directs par unité, outre l’invention. Comme cela a déjà été relevé, l’invention en elle-même est considérablement limitée et, à mon avis, il faut faire preuve d’un grand acte de foi pour retenir l’une ou l’autre des méthodologies offertes par l’expert. Comme je l’ai déjà mentionné, il incombe à AC de démontrer de façon convaincante que les redevances proposées indemniseront uniquement la contrefaçon du brevet et qu’il serait inapproprié de viser à indemniser d’autres éléments faisant partie de la rentabilité de la motoneige.
[383] Dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, la Cour suprême a déclaré :
101. Il est bien établi que l’inventeur a seulement droit à la remise de la portion des profits réalisés par le contrefacteur, qui a un lien de causalité avec l’invention : Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Celanese International Corp. c. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Pat. Ct.), par. 37. Cela est conforme à la règle générale qui s’applique en matière de réparation non punitive : « il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement » (Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co [1991] 3 R.C.S. 534, p. 556, la juge McLachlin (plus tard Juge en chef), cité et approuvé, au nom de la Cour, par le juge Binnie dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142, par. 93).
Bien que ce principe ait été énoncé dans le contexte de restitution des profits, le principe reste le même pour les autres méthodes d’évaluation des dommages subis. Certes, la condamnation à des dommages-intérêts doit éviter de mener à un enrichissement injustifié.
[384] Il s’ensuit que les montants de redevance présentés par AC imposent une très grande prudence. À mon avis, ils découlent tous de méthodologies qui sont si rudimentaires et lacunaires qu’elles ont peu d’utilité pour la Cour. La méthode privilégiée de M. Carter est, pour ainsi dire, de comparer des marges sur coûts directs lacunaires de deux motoneiges fabriquées par AC en 2005 et 2006. L’expert ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la redevance se limite à une indemnisation de l’invention. En effet, nous ne savons pas comment l’invention est exploitée. Cette information aurait dû être disponible puisqu’il comparait les moteurs fabriqués par AC. L’expert suppose que de comparer des motoneiges, et plus précisément les motoneiges de ses clients plutôt que de comparer par exemple une pièce plus petite, ou la plus petite pièce d’une motoneige pouvant être vendue, peut donner des résultats fiables. Afin de dissiper les craintes selon lesquelles comparer la rentabilité d’une motoneige peut entraîner une surévaluation, l’expert a essayé de comparer, au sein de la famille de motoneiges d’AC, deux motoneiges qui sont à son avis semblables. Ce faisant et pour les motifs déjà exprimés, j’en suis venu à la conclusion qu’il n’a pas réussi à convaincre la Cour quant à l’une ou l’autre des méthodologies.
[385] Nous sommes plutôt en présence d’un expert qui a conclu qu’en [traduction] « utilisant ces indicateurs quantitatifs de redevance (ce qui comprend les quatre méthodes précédemment décrites) et en gardant à l’esprit les facteurs qualitatifs énoncés dans la décision AlliedSignal Inc. c. du Pont Canada Inc., (1998) 78 CPR (3d) 129, et (1999) 86 CPR (3d) 324 [AlliedSignal], je suis d’avis que les parties se seraient entendues sur une redevance de [CAVIARDÉ] $ CAD par motoneige contrefaisante de BRP. Cette redevance serait cohérente avec la fourchette la plus basse de la majorité des indicateurs quantitatifs susmentionnés ». Avec égard, la Cour s’attend à plus et à mieux. D’élaborer quatre méthodes, dont trois d’entre elles sont écartées d’emblée par l’expert, en vue de favoriser une comparaison entre des motoneiges fabriquées par AC est loin de faire la démonstration que l’invention vaut le type de redevance qui est obtenue à partir d’une preuve très succincte, qui, elle-même présente des lacunes et des défauts. Il incombait aux demanderesses de faire cette démonstration et elles ne s’en sont pas acquittées.
[386] Cela ne veut toutefois pas dire qu’aucune redevance ne serait payable. La Cour était plutôt à la recherche d’une méthodologie qui aboutirait à une redevance correspondant à l’invention.
B. Dr Ugone pour la défenderesse
[387] Malheureusement, la preuve offerte par l’expert engagé par BRP présente également des lacunes et est d’une utilité limitée. Les preuves des deux experts sont entachées d’artificialité. Alors que M. Carter, pour AC, a obtenu une redevance de [CAVIARDÉ] $/ motoneige, le Dr Ugone, pour BRP, est arrivé à un taux oscillant entre 4,60 $ à 7,50 $ par motoneige à l’aide des trois méthodes :
• Répartition en fonction du coût différentiel
• Répartition selon les intrants et les coûts relatifs
• Répartition en fonction de l’utilisation de la fonctionnalité mise en cause
[388] Le Dr Ugone fait valoir que les profits anticipés du contrefacteur doivent constituer le point de départ de l’analyse. Selon sa preuve, BRP prévoyait un profit de [CAVIARDÉ] $/motoneige en raison d’un nouveau moteur en novembre 2004 destiné au moteur 600 E-TEC. Considérant que le moteur n’est pas l’objet de l’invention, il faut répartir les profits associés à l’invention intégrée au nouveau moteur à injection directe de sorte que seuls les profits découlant de l’invention pourront faire l’objet d’une redevance. Je suis d’accord avec cette méthode. Le Dr Ugone a mentionné trois méthodes pouvant réaliser cette répartition, méthodes auxquelles il a donné des noms accrocheurs.
(1) Répartition en fonction du coût différentiel
[389] Le Dr Ugone utilise ici les coûts associés à deux moteurs de BRP, soit les moteurs 600 HO SDI et 600 HO-E-TEC, le premier étant un moteur à injection semi-directe et le second étant un moteur à injection directe mettant en œuvre l’invention. Le coût total de chaque moteur étant connu ([CAVIARDÉ] $ pour le moteur SDI et [CAVIARDÉ] $ pour le moteur E-TEC), de même que les coûts du module de commande du moteur (ECM) et des capteurs pour le calage de l’allumage ([CAVIARDÉ] $ pour le moteur SDI et [CAVIARDÉ] $ pour le moteur E-TEC), l’expert a simplement calculé le rapport du coût de l’ECM sur le coût total du moteur pour les deux motoneiges. Le pourcentage ainsi obtenu de [CAVIARDÉ] % ([CAVIARDÉ]) pour le moteur SDI est ensuite soustrait du pourcentage obtenu pour le moteur E-TEC, [CAVIARDÉ] % ([CAVIARDÉ]). L’expert déclare simplement que le pourcentage du coût différentiel peut servir à répartir l’augmentation du profit associé à l’invention. Il n’explique cependant pas la méthode pour ce faire.
[390] Le coût relatif de l’ECM est plus élevé pour le moteur à injection directe que pour le moteur à injection semi-directe. Cette différence n’est toutefois pas expliquée et le fonctionnement du « modèle » selon différentes circonstances est inconnu. Sans fondement théorique pour soutenir ce modèle, les chiffres obtenus semblent tout simplement être des chiffres pratiques pour les besoins de cette cause. On ne sait pas dans ce dossier quelle portion des coûts supplémentaires de l’ECM peut être attribuée à l’invention ni quelles autres économies ont été réalisées sur le coût du moteur pour que l’augmentation du coût de l’ECM soit de [CAVIARDÉ] $/motoneige, mais que le coût du moteur en lui-même augmente d’un simple [CAVIARDÉ] $/motoneige.
[391] Le [CAVIARDÉ] % ([CAVIARDÉ] %-[CAVIARDÉ] %) a été désigné par l’expert comme un pourcentage du coût « différentiel » de l’ECM mis en cause. Le Dr Ugone multiplierait ensuite simplement [CAVIARDÉ] % par le profit anticipé pour obtenir un profit dit être associé à l’ECM de 5,47 $/motoneige ([CAVIARDÉ] % de [CAVIARDÉ] $), ce qui devient une hausse du profit direct associé à l’ECM. De quelle façon le pourcentage « y » peut être déduit du pourcentage « x » pour obtenir un résultat utile demeure un mystère, malgré les questions posées par la Cour. Le modèle semble dire ceci : une fois le coût relatif de l’ECM (qui comprend l’invention) établi par rapport au coût du moteur mis en cause ([CAVIARDÉ] %) et que le coût relatif d’un ECM (sans l’invention) est comparé au coût de l’ancien moteur ([CAVIARDÉ] %), cette comparaison donne une idée du coût de l’invention. Comment cette comparaison en arrive à ce résultat est inconnu.
[392] L’expert n’a jamais été en mesure d’expliquer le concept sous-jacent au modèle. Ce modèle est attirant de par sa simplicité, mais est-il réellement si simple? L’équation suppose seulement ceci :
Le coût de l’ECM mis en cause par rapport au coût du moteur
- Le coût de l’ECM du moteur SDI par rapport au coût du moteur
Pourcentage du coût différentiel
Cette équation soulève la question : le pourcentage du coût différentiel de quoi? Et que dit la soustraction des coûts relatifs de l’ECM à propos du coût de la fonctionnalité à l’intérieur de l’ECM? De toute évidence, l’équation coût de l’ECM/le coût du moteur donne le coût relatif de l’ECM. Mais que dire de la fonctionnalité mise en cause? S’il y a une répartition en fonction des coûts différentiels, il faudrait examiner le coût différentiel de la fonctionnalité mise en cause, puisqu’elle contribue à générer des profits.
[393] Si l’analyse est dirigée par les coûts différentiels, pourquoi ne pas évaluer directement le pourcentage d’augmentation entre le coût de l’ECM du moteur SDI ([CAVIARDÉ] $) et celui de l’ECM du moteur E-TEC ([CAVIARDÉ] $), qui représente [CAVIARDÉ] %, générant ainsi une marge de profit de [CAVIARDÉ] $/motoneige. Une augmentation du coût de l’ECM de [CAVIARDÉ] % permet de générer un profit de [CAVIARDÉ] $ pour un moteur dans son ensemble, le coût de l’intégralité du moteur étant relativement stable ([CAVIARDÉ] $ comparé à [CAVIARDÉ] $, soit une augmentation de [CAVIARDÉ] %). Ce résultat porte le profit direct à [CAVIARDÉ] $/motoneige et non 5,47 $/motoneige. Cette approche ne repose probablement pas plus sur un principe théorique que celle offerte par l’expert, pourtant les deux approches pourraient probablement être considérées comme étant établies sur une répartition en fonction du coût différentiel, mais avec des résultats radicalement différents. Cette méthode suppose que l’augmentation du coût de l’ECM est uniquement due à la nouvelle fonctionnalité. S’il avait été établi que l’augmentation de [CAVIARDÉ] %, ou un pourcentage inférieur compte tenu du fait que l’ECM comprend des caractéristiques pertinentes à un moteur à injection directe, mais non reliées à la fonctionnalité qui constitue l’invention, cela aurait pu constituer un certain fondement. J’aurais conclu que la méthode présentée par l’expert ne permet pas d’évaluer raisonnablement une redevance et constituer le fondement d’une négociation fictive.
(2) Répartition selon les intrants et les coûts relatifs
[394] La deuxième méthode offerte par le Dr Ugone vise également à estimer un profit direct en fonction du coût associé au nouvel ECM pour le moteur E-TEC qui met en œuvre l’invention. Après avoir établi à [CAVIARDÉ] $ le coût de l’ECM et des capteurs (comparativement à [CAVIARDÉ] $ pour le moteur SDI), ce qui représente [CAVIARDÉ] % du coût total du moteur ([CAVIARDÉ] $), l’expert a attribué [CAVIARDÉ] % du profit anticipé du moteur E-TEC à l’ECM. Puisque l’ECM représente [CAVIARDÉ] % du coût du moteur, [CAVIARDÉ] % des profits associés au nouveau moteur sont attribués à l’ECM. En conséquence, le profit alloué à l’ECM est de [CAVIARDÉ] $ par motoneige ([CAVIARDÉ] % de [CAVIARDÉ] $).
[395] Le modèle ne s’arrête pas là pour autant. L’expert continue en identifiant 14 intrants gérés par l’ECM, dont seulement trois seraient impliqués dans le système de gestion du moteur du nouveau moteur mis en cause. Il multiplie ensuite le profit alloué à l’ECM ([CAVIARDÉ]$) par [CAVIARDÉ] ([CAVIARDÉ] %) pour obtenir une hausse du profit direct attribuable à l’invention de 6,77 $/motoneige.
[396] Cette méthode, telle qu’appliquée par l’expert, présente certains problèmes. D’abord, elle n’explique pas pourquoi le coût de l’ECM générerait un profit directement proportionnel à la rentabilité du moteur dans son ensemble. Ensuite, aucun effort n’est déployé pour comprendre l’importance réelle de l’ECM sur la rentabilité du nouveau moteur à injection directe.
[397] De plus, alors que cette analyse a pour but d’identifier les bénéfices marginaux qui seraient issus des intrants de l’ECM pertinents à l’invention, l’expert choisit de reconnaître que trois des quatorze intrants sont utiles à l’exploitation de l’invention. Au cours du contre-interrogatoire, le Dr Ugone a toutefois reconnu que plusieurs de ces 14 intrants faisaient également partie de l’ECM du 600 HO SDI. Cela suggère que le coût de ces intrants est déjà pris en compte dans l’ECM du moteur à injection semi-directe (le coût de l’ECM étant [CAVIARDÉ] $). Si les profits supplémentaires anticipés issus du moteur E-TEC ([CAVIARDÉ] $) doivent provenir de l’ECM, qui représente [CAVIARDÉ] % du coût total du moteur, il est difficile de savoir, et l’expert ne donne aucune explication à cet égard, pourquoi on tient compte de 14 intrants alors que les mêmes intrants se retrouvent dans les anciens ECM. Autrement dit, si [CAVIARDÉ] $ constitue le profit additionnel découlant du nouveau moteur à injection directe et s’il est juste de considérer que seuls [CAVIARDÉ] % du profit total issu du moteur provient de l’ECM, alors seulement les intrants qui contribueront à cette rentabilité additionnelle du moteur à injection directe devraient être comptabilisés.
[398] Comme l’expert l’a lui-même reconnu dans son rapport, en supposant qu’il y ait une proportionnalité directe entre l’augmentation du coût et l’augmentation de la rentabilité, le montant de [CAVIARDÉ] $/motoneige représente la hausse de profit découlant de l’introduction du nouvel ECM du moteur à injection directe dans le modèle E-TEC qui devrait générer un profit de [CAVIARDÉ] $. Pour être cohérente, ce type d’analyse différentielle devrait être poursuivi. La méthodologie semble toutefois lacunaire à cet égard.
[399] En choisissant 3 des 14 intrants, le Dr Ugone ne distingue pas les intrants dans le nouveau moteur SDI dont il a déjà été tenu compte, et qui justifient vraisemblablement la rentabilité de cet ancien ECM, des nouveaux intrants nécessaires à la nouvelle injection directe. De ces intrants nécessaires pour le nouveau moteur, seraient extraits ceux qui sont spécifiques à l’invention. Si, par exemple, seulement sept nouveaux intrants sont nécessaires au moteur à injection directe, ce ne sont pas 3/14 de tous les intrants qui seraient pertinents au coût relatif et à la répartition en fonction des intrants, mais plutôt, 3/7.
[400] Autrement dit, ce qui doit être réparti à cette étape sont les intrants de l’ECM qui se rapportent à l’invention et non ceux qui ont déjà été pris en compte dans le moteur SDI. Mathématiquement, cela suggère que bien que le numérateur demeurerait 3 (puisqu’il s’agit des intrants liés à l’invention), le dénominateur serait inférieur à 14 puisque le calcul de la rentabilité du moteur SDI tient déjà compte de plusieurs de ces mêmes intrants. Je répète, [CAVIARDÉ] $/unité représente les bénéfices marginaux ou additionnels anticipés par BRP pour son nouveau moteur. Seul ce qui contribue à ces bénéfices marginaux devrait être utilisé; s’il est vrai que les bénéfices marginaux de [CAVIARDÉ] $ ne découlent pas entièrement de l’invention, il semblerait raisonnable qu’une analyse marginale tente de distinguer seulement les intrants de l’ECM qui se rapportent à l’invention à l’exclusion des intrants provenant de l’ancien moteur SDI.
[401] En examinant la liste de 14 intrants, force est de constater que plusieurs d’entre eux ne sont probablement pas spécifiques au moteur à injection directe : (1) capteur de la pression d’air, (2) capteur de la température de l’air, (3) capteur de la température du liquide de refroidissement, (4) tension de batterie (5) bouton démarreur/RER, (6) niveau d’huile, (7) système de sécurité encodé numériquement. Le dossier ne comporte pas de preuve de ce que ces intrants commandent et il serait imprudent de tirer une conclusion dans un sens ou dans l’autre. En fait, il est possible que les autres intrants n’aient rien à voir avec le nouveau moteur à injection directe. À l’inverse, il est possible que certains intrants, bien qu’ils fassent déjà partie de l’ECM des moteurs SDI, dussent être ajustés, voire même améliorés. Le dossier est tout simplement muet à ce sujet. De même, chaque intrant reçoit le même poids dans ce modèle, bien qu’il soit probable que certains d’entre eux soient plus importants que d’autres.
[402] Le point est que des calculs rudimentaires sont souvent très sensibles aux changements. En l’espèce, si au lieu de 14 intrants, le nombre d’intrants pertinents au nouveau moteur à injection directe est plutôt de 7, l’augmentation du bénéfice direct attribuable à l’invention double à 13,56 $/motoneige. Ce montant est évidemment révisé à la hausse s’il est tenu compte de l’importance relative des unités de l’ECM dans l’atteinte du profit de [CAVIARDÉ] $ anticipé par BRP. Selon le modèle du Dr Ugone, la rentabilité de l’ECM est directement proportionnelle à son coût, sans indication quant à la réelle importance de l’ECM dans le fonctionnement du moteur. Certaines précisions auraient été utiles.
[403] Même sans preuve plus détaillée, le second modèle du Dr Ugone pourrait probablement avoir été d’une certaine utilité pour maîtriser la détermination approximative nécessaire à l’évaluation des dommages-intérêts. Je constate que la troisième méthode de M. Carter utilise le même fondement logique, à savoir que l’augmentation de la rentabilité du nouveau moteur constituerait l’assiette d’une redevance. M. Carter prendrait la moitié du nouveau profit généré par le moteur et l’allouerait à AC. Pour être d’une plus grande utilité, il aurait été nécessaire de posséder plus d’éléments de preuve de meilleure qualité pour pouvoir évaluer la valeur réelle de l’ECM par rapport au profit anticipé découlant du moteur dans sa totalité, ainsi qu’une meilleure compréhension des intrants faisant maintenant partie de l’ECM et qui contribuent également au moteur à injection directe sans être par ailleurs liés au moteur mis en œuvre. Une autre approche aurait pu consister à prendre le montant le plus approprié comme point de départ de la négociation fictive. Le montant aurait été ajusté en tenant compte des 13 facteurs.
(3) Répartition en fonction de l’utilisation de la fonctionnalité mise en cause
[404] Cette troisième méthode semble s’appuyer sur l’idée que plus une invention est utilisée, plus sa valeur est grande.
[405] Plusieurs difficultés se posent avec l’application qui est faite de cette méthodologie. Les calculs qui ont été effectués, et qui n’ont jamais été modifiés, se fondaient sur une preuve qui a été jugée inadmissible. BRP a essayé de déposer en preuve des rapports tenant compte des essais réalisés sur l’exploitation de l’invention. Faute de preuve recevable concernant les essais réalisés, les résultats n’ont aucune valeur probante (décision du 22 janvier 2016).
[406] Il est néanmoins probablement pertinent de commenter le concept avancé par l’expert. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’idée générale est assez simple. Pour le mettre en application, le Dr Ugone a reçu des informations selon lesquelles l’invention ne serait exploitée qu’à l’égard des moteurs E-TEC, pour lesquels la position du papillon se situe à au moins 70 % de sa capacité. C’est un choix fait par BRP. Selon la preuve qui a été jugée inadmissible, cette situation pourrait se présenter de 2,7 % à 4,4 % du temps pour les moteurs E-TEC. Selon la preuve admissible déposée devant la Cour, malgré sa valeur probante limitée, le papillon serait généralement ouvert à 70 % de sa capacité entre 3 % et 5 % du temps, cette proportion pouvant toutefois s’élever à 10 %. Ces faibles pourcentages s’expliquent du fait qu’un positionnement du papillon à 70 % de sa capacité engendre de très hautes vitesses, que la plupart des motoneigistes ne peuvent maintenir. Il faut faire preuve d’une grande prudence face à ces chiffres, puisqu’ils sont formulés à partir de l’expérience personnelle de l’ingénieur de BRP (M. Schuehmacher). De se fonder sur une preuve aussi mince pour déterminer une assiette de redevance nous placerait dans une position précaire.
[407] De ce que nous comprenons, lorsque le moteur fonctionne avec une ouverture de 70 % du papillon, il est possible qu’il souffre de courts ratés (des « hoquets ») pouvant être perçus par le motoneigiste. On aurait pu penser qu’une négociation sur une redevance aurait eu lieu puisque l’invention pourrait atténuer ce phénomène. Il n’est question nulle part des améliorations de performance pouvant découler de la mise en œuvre du brevet 738 dans cette partie de la preuve de l’expert. Comme si la seule exploitation qui peut être tirée de l’invention était de réparer les ratés du moteur. Dans son argumentation, BRP a fait valoir que le dossier d’AC sur les dommages-intérêts [traduction] « dépend de la capacité à lier son invention à ce qu’on appelle le “problème de ratés de moteur de BRP” » (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 164). Cette position est surprenante puisque rien dans les méthodes présentées par M. Carter ne dépend uniquement du lien entre l’invention et les ratés du moteur. En fait, deux de ses méthodes renvoient directement à des enquêtes dans lesquelles les facteurs qui ont été considérés comme pertinents pour l’invention sont la fiabilité, la puissance et l’accélération. De même, les deux premières méthodes présentées par le Dr Ugone sont fondées sur les coûts et sur une répartition en fonction des coûts et des intrants, sans que l’on ait soutenu que l’unique exploitation de l’utilisation par BRP se limitait à la fiabilité du moteur.
[408] Le Dr Ugone applique directement ces pourcentages au profit anticipé par moteur de [CAVIARDÉ] $, les portant à une fourchette de 4,62 $ ([CAVIARDÉ] %x [CAVIARDÉ] $) à 7,52 $ par motoneige. Si, comme M. Schuehmacher l’a fait valoir, on prend les pourcentages de 3 % à 5 % plutôt que ceux de 2,7 % à 4,4 %, la fourchette passe de 5,13 $ à 8,55 $ par motoneige.
[409] La principale difficulté posée par cette méthodologie rudimentaire, outre le fait de se fonder sur des chiffres qui ne résultent pas d’expériences appropriées et vérifiées dans le cadre de procédures judiciaires, est que si la fonctionnalité était utilisée 100 % du temps, BRP devrait accepter de payer une redevance de [CAVIARDÉ] $ pour une fonctionnalité qui n’apporte qu’une contribution à la rentabilité du nouveau moteur. Autrement dit, il est très difficile de savoir quels sont les fondements théoriques justifiant d’établir une sorte de rapport entre l’utilisation et les profits. Ce modèle ne tient pas compte de la gravité du problème que BRP tentait de résoudre ni de la fréquence à laquelle le problème surviendrait lorsque l’ouverture du papillon est à au moins 70 % de sa capacité. 100 % du temps pour résoudre un petit désagrément aboutirait à une redevance de [CAVIARDÉ] $? De plus, cette limitation semble survenir uniquement sur les moteurs E-TEC, à l’exclusion des deux autres moteurs mis en cause (transcription, à la page 909). Néanmoins, l’expert appliquerait la méthodologie à tous les moteurs mis en cause.
[410] Il est difficile de voir l’utilité de cette [traduction] « répartition en fonction de l’utilisation de la fonctionnalité mise en cause ». Elle suppose seulement que l’invention sera exploitée uniquement lorsque la position du papillon est à 70 % de sa capacité, ce qui survient seulement pendant une faible proportion du temps d’utilisation de la motoneige. En quoi est-ce que cela peut être représentatif de la valeur associée à l’exploitation de l’invention? Qu’en serait-il si le papillon était ouvert à 70 % de sa capacité toutes les fois où la motoneige est utilisée, même si ce n’est que pour une courte période de temps? Qu’est-ce que cela indiquerait? Si tel était le cas, quelle répercussion cela aurait-il sur la rentabilité du moteur dans son ensemble? Et qu’en serait-il si toutes les fois où la motoneige se déplace à grande vitesse avec une ouverture du papillon à plus de 70 % de sa capacité, elle souffrait de ratés?
[411] Le modèle utilise comme variable la période de temps pendant laquelle le papillon reste ouvert au-delà de 70 % de sa capacité. Rien d’autre. Ce que ce modèle démontre demeure un mystère si on essaye d’évaluer le profit tiré de l’invention à partir duquel une redevance raisonnable est établie. Mais le modèle n’essaye pas de tenir compte de la fréquence à laquelle ces problèmes surviendraient pendant la durée pendant laquelle le papillon est ouvert à 70 % n’eût été de l’invention. La fréquence des hoquets serait un meilleur indicateur de la gravité du problème, et par conséquent de la valeur de l’invention, que le pourcentage de temps pendant lequel un papillon serait ouvert à 70 % de sa capacité.
[412] La méthode ne tient pas compte de l’importance relative que le problème rencontré peut avoir. Les « hoquets » sont la manifestation que le moteur rencontre certains problèmes. La preuve démontre que ces problèmes sont perceptibles. La preuve démontre également que la durabilité, la fiabilité et la qualité sont des facteurs importants pour les clients qui influencent les ventes. Qui veut faire l’expérience d’un « moteur qui a des ratés » en pleine campagne, par un jour froid d’hiver? Quelles conséquences auraient ces ratés sur la marque? À mon avis, cette méthode est tellement lacunaire et rudimentaire qu’elle ne peut être d’une grande utilité.
[413] Le Dr Ugone s’est appuyé considérablement sur ce qu’il a appelé la triangulation : ses trois méthodes engendrent des redevances se situant dans le bas de la fourchette, mais elles sont conformes aux résultats obtenus, ce qui valide selon lui sa position. M. Carter en a, dans une certaine mesure, fait de même avec ses quatre méthodes. Toutefois, cette triangulation peut avoir une valeur probante seulement si les trois (ou quatre) méthodes comportent elles-mêmes un certain degré de fiabilité. À mon avis, deux des méthodes telles que présentées souffrent de lacunes importantes, au point d’être de peu d’utilité pour la Cour dans son évaluation des dommages qu’aurait subi AC. Seule l’approche de la « répartition en fonction des intrants et des coûts relatifs », après certains ajustements, pourrait être utile dans une négociation fictive, car elle prend comme point de départ la rentabilité ajoutée sur le nouveau moteur de l’invention. Bien que ce modèle manque de précisions, il a l’avantage de porter l’analyse au niveau de la fonctionnalité qui constitue l’invention, la difficulté étant d’établir quelle part de la nouvelle rentabilité résulte de l’invention.
[414] Dans une affaire tranchée plus tôt cette année, la Cour d’appel de l’Ontario a fait référence au juge de première instance qui a conclu que [traduction] « aucune des approches des experts n’était “inattaquable” et, en conséquence, que leurs résultats respectifs “[ne] pouvaient être retenus sans modifications” » (au paragraphe 303). Reconnaissant que « pour ce qui est de choisir un point milieu entre les deux (à la suggestion de Livent), il se trouvait “en peine d’adopter une approche théorique afin de privilégier un ensemble de chiffres plutôt qu’un autre”, il a en fait divisé la différence (au paragraphe 303). » (Livent Inc (Special Receiver and Manager of) c. Deloitte & Touche, 2016 ONCA 11, au paragraphe 386, 393 DLR (4th) 1 [Livent Inc]; autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada accueillie). Il aurait pu être tentant d’adopter cette solution en l’espèce. La Cour d’appel de l’Ontario n’a pas critiqué cette approche, tant que tous les efforts sont déployés pour tenir compte de la preuve. Ayant conclu que la preuve présentée par l’expert était erronée, le juge de première instance n’avait pas à évaluer les dommages à zéro. Dans l’arrêt Livent Inc, la Cour d’appel a écrit :
[traduction]
387 Deloitte affirme que le juge de première instance ne pouvait décider d’utiliser une approche sans fondements théoriques pour fixer le montant des dommages-intérêts en choisissant tout simplement le point milieu entre les montants suggérés par les experts.
388 Je ne retiens pas cet argument. Comme le juge de première instance l’a mentionné, « [l’]évaluation des dommages-intérêts est la plupart du temps un marché de dupes » (au paragraphe 274) et les juges de première instance sont tenus de faire de leur mieux avec la preuve dont ils disposent, soit en devant pratiquement mettre de côté l’analyse de la preuve, soit en y allant d’une hypothèse : voir par exemple Murano c. Bank of Montreal (1995), 20 B.L.R. (2D) 61 (Ont. Gen. Div.), aux pages 120 à 123, infirmé en partie sur d’autres motifs (1998), 41 O.R. (3d) 222 (C.A.).
[415] Il me semble qu’évaluer les dommages-intérêts à zéro est une option qui ne devrait être retenue que dans les affaires les plus graves eu égard à la contrefaçon d’un brevet valide. Dans son article « Monetary Relief - Damages », publié dans l’ouvrage Intellectual Property Disputes, publié sous la direction de Ronald E. Dimock, Carswell, feuilles mobiles, à la page 17-4.1, François Grenier suggère que le demandeur qui ne présente pas de preuve concluante sur une assiette de redevance pourrait recevoir des dommages-intérêts nominaux seulement. Cette solution ne devrait pas être adoptée facilement. En l’espèce, j’aurais conclu qu’il n’y a pas absence complète de preuve, mais plutôt absence de preuve satisfaisante. Comme dans l’arrêt Livent Inc, j’aurais cherché une solution.
[416] Un des problèmes de choisir un point milieu entre les chiffres présentés par les experts est que cette méthode n’incite pas les experts à évaluer raisonnablement les dommages-intérêts. Elle incite à pousser les évaluations vers les extrêmes plutôt que d’encourager à aider la Cour. La détermination approximative mentionnée par Lord Shaw dans la décision Watson, Laidlaw & Co. Ltd. c. Pott, Cassels & Williamson, [1914] 31 RPC 104, ne devrait pas, selon moi, servir à surcompenser ou priver le breveté. S’il est approprié d’avoir recours à une détermination approximative, je doute que ce soit le cas si cette détermination est remplacée par une détermination agissant comme un coup de massue. En l’espèce, pour la même invention, un expert parvient à une redevance de [CAVIARDÉ] $/motoneige alors que l’autre obtient une fourchette de profits directs se situant entre 4,60 $ et 8,55 $ par motoneige. Diviser en deux le résultat de la différence n’est guère satisfaisant.
[417] Au cours du procès, j’ai indiqué que je n’avais aucun doute sur la compétence des experts qui ont témoigné devant la Cour. À mon avis, le problème vient de l’évaluation de la valeur de l’invention. Cette invention, qui est extrêmement intangible, devient un peu plus concrète lorsqu’il est établi ce que la température des gaz d’échappement indique et comment cette information peut servir à améliorer la performance du moteur ou à atténuer des problèmes rencontrés pendant le fonctionnement du moteur. Le brevet en litige et ses revendications n’enseignent pas de moyen précis pour obtenir le résultat souhaité. Cela rend donc l’évaluation de la valeur d’une telle invention particulièrement périlleuse, comme l’a d’ailleurs démontré la preuve en l’espèce.
[418] AC n’a pas non plus demandé à ce que BRP rende compte de ses propres profits. De toute évidence, les demanderesses ont choisi de suivre la voie de la redevance parce qu’elles n’étaient pas en mesure d’évaluer leurs propres dommages, leurs pertes de profits. Il y a une raison simple à cela : il est impossible d’évaluer les pertes de ventes en raison de l’invention. Quelle demande est attribuable à une invention aussi intangible? Dans sa publication Annoted Patent Act (loi annotée sur les brevets), Stratton décrit comment les dommages-intérêts sont habituellement établis : [TRADUCTION] « Généralement, les dommages-intérêts sont évalués en tenant compte des ventes que le breveté aurait réalisées, n’eût été la contrefaçon. Les dommages-intérêts sont accordés en fonction de la perte de profits attribuable à ces ventes perdues. » (à la page 1-292). En fait, M. Carter semble préférer une approche qui serait finalement hybride. Ainsi, il calculerait d’abord la hausse du profit qu’AC réaliserait sur ses propres motoneiges en comparant les marges sur coûts directs. Il appliquerait ensuite cette augmentation de rentabilité des motoneiges d’AC ([CAVIARDÉ] $/motoneige) non pas sur ses pertes de ventes, mais plutôt sur l’ensemble des ventes de motoneiges mises en cause réalisées par BRP. Il réduirait ensuite de 50 % l’augmentation de la rentabilité des motoneiges pour obtenir une redevance de [CAVIARDÉ] $ pour l’invention, qui constitue une simple fonctionnalité du moteur. Cette approche est intrinsèquement viciée. Les demanderesses dénaturent la méthode en matière de redevance en tentant de récupérer leurs pertes de profits allégués sur leurs motoneiges ([CAVIARDÉ] $/motoneige) en appliquant cette perte de profits aux ventes réalisées par BRP (125 000 motoneiges). Si les dommages-intérêts correspondent aux pertes de profits qu’AC aurait dû réaliser sur les ventes perdues, la proposition d’AC consiste, d’une certaine façon, à prétendre qu’elle aurait dû réaliser 62 500 ventes pour lesquelles elle aurait tiré un profit de [CAVIARDÉ] $/motoneige. Une image vaut mille mots et celle donnée par le calcul est très claire :
[CAVIARDÉ] x 125 000 = [CAVIARDÉ] x 125 000/2)
Il n’est même pas suggéré qu’AC aurait pu ajouter à ses ventes 62 500 motoneiges grâce à une fonctionnalité.
[419] BRP allègue que son nouveau moteur, et non la nouvelle motoneige, génère des bénéfices marginaux de [CAVIARDÉ] $. À raison de [CAVIARDÉ] $/motoneige, BRP verserait, à titre de redevance pour une fonctionnalité, [CAVIARDÉ] % du profit généré sur son nouveau moteur. Si un partage à 50/50 des profits qu’AC aurait réalisés sur ses motoneiges s’appliquait aux 125 000 motoneiges vendues par BRP était un taux de redevance approprié, il faudra une meilleure justification que simplement affirmer que cela « serait pour être conservateur », notamment le pourcentage des nouveaux profits découlant de la fonctionnalité.
[420] Un des avocats au dossier a informé la Cour qu’il n’existe pas au Canada de jurisprudence semblable à celle qui a été élaborée au cours des dernières années aux États-Unis. La question vise la répartition à établir pour parvenir à une redevance raisonnable, lorsque le produit mis en cause se compose d’éléments brevetés et non brevetés. Il est par conséquent difficile de comparer l’ensemble du produit alors que les bénéfices de l’invention ne s’appliquent qu’à certains éléments.
[421] Bien que la notion ne soit pas nouvelle, il semble que l’utilisation de la technique de la plus petite pièce vendable mettant en œuvre le brevet a commencé à gagner en popularité aux États-Unis. En 1884, dans l’arrêt Garretson c. Clark, 111 U.S. 120 (1884), la Cour suprême des États-Unis a dû se pencher sur l’analyse de la répartition :
[traduction]
Lorsqu’un brevet consiste en une amélioration plutôt qu’en une machine ou un dispositif entièrement nouveau, le breveté doit démontrer en quoi ces améliorations ont ajouté à l’utilité de la machine ou du dispositif. Le breveté doit distinguer nettement ses résultats de ceux obtenus des autres composantes, de sorte que les bénéfices qui en sont tirés puissent être constatés et appréciés de façon claire.
[...]
Le breveté [...]
doit, en tout état de cause, présenter une preuve tendant à séparer ou à répartir les profits du défendeur et les dommages subis par le breveté entre les caractéristiques brevetées et celles non brevetées. Cette preuve doit être fiable et concrète et non relever de l’hypothèse ou de la spéculation. Il doit également démontrer par une preuve tout aussi fiable et probante que les profits et les dommages doivent être calculés sur l’ensemble de la machine, au motif que la valeur totale de la machine dans son ensemble, en tant que produit commercialisable, est à juste titre et légalement attribuable à la caractéristique brevetée.
La jurisprudence fédérale américaine récente plaide, dans une certaine mesure, en faveur de l’utilisation de la plus petite pièce contrefaite vendable en relation étroite avec l’invention revendiquée. Cette méthode aurait manifestement été utile en l’espèce, contrairement à l’examen des marges sur coûts directs entre les motoneiges (VirnetX Inc c. Cisco Systems, Inc et al, cours d’appel des États-Unis, circuit fédéral, 767 F.3d 1308 (2014)).
[422] Élaborer sur l’approche américaine et la jurisprudence récente n’entre pas dans le cadre des présents motifs. Il suffit de dire qu’en l’espèce, en ce qui concerne le brevet 738, la comparaison des marges sur coûts directs entre les motoneiges dans leur ensemble de différentes années n’était pas fiable. Comparer des moteurs et la rentabilité ajoutée grâce à l’invention était une amélioration. L’analyse aurait pu être plus éclairante si elle s’était concentrée sur l’ECM (ou sur l’ECU), pour lequel il aurait été possible d’offrir des renseignements plus précis sur son utilisation effective. Autrement dit, si l’analyse avait porté davantage sur la plus petite pièce mettant en œuvre le brevet, cela aurait permis d’obtenir les éclaircissements nécessaires sur les véritables dommages subis par AC.
[423] C’est pourquoi la méthode de « répartition en fonction des intrants et des coûts relatifs » proposée par le Dr Ugone présente un certain attrait sur laquelle appuyer une négociation. Lorsque le profit par pièce d’un moteur mettant en œuvre l’invention est établi, il n’est pas déraisonnable d’y appliquer le pourcentage du coût du moteur associé à la plus petite pièce contrefaite, soit l’ECM. Il s’agit alors d’évaluer quelles caractéristiques de l’ECM tirent bénéfice de l’invention. La proposition du Dr Ugone selon laquelle seuls 3/14 des intrants sont concernés n’est pas acceptable. Cependant un ratio différent, reflétant mieux le fait que les intrants faisaient déjà partie de l’ECM avant d’être amélioré pour intégrer de nouveaux intrants, aurait pu fournir la détermination approximative pour parvenir à un profit direct adéquat permettant d’établir un taux de redevance. Cette méthode aurait également pu être améliorée en accordant une valeur différente aux divers intrants.
[424] Finalement, je tiens à ajouter un commentaire sur les 13 facteurs établis dans la décision AlliedSignal. Dans le cadre de la négociation hypothétique, les experts ont tenu compte, avec divers degrés de rigueur, des 13 facteurs. Ils ont chacun passé en revue la liste des 13 facteurs établis dans la décision AlliedSignal, les ont évalués un par un pour ensuite crier victoire. (J’ai joint en annexe des présents motifs de jugement un tableau résumant les résultats de l’évaluation des 13 facteurs effectuée par les experts). À chaque fois, leur victoire n’aurait pas eu d’impact sur le taux de redevance calculé. Certains de ces facteurs ont été examinés attentivement, alors que d’autres ont reçu très peu d’attention.
[425] Après avoir déterminé ce qu’il considérait être une fourchette appropriée de redevances à l’aide des profits directs tirés de l’invention, le Dr Ugone a examiné les 13 facteurs. Selon moi, les 13 facteurs déterminés dans la décision AlliedSignal ne sont pas plus une formule magique que les 15 facteurs mentionnés dans l’arrêt Georgia Pacific (Ericsson Inc. c. D-Link Systems, Inc., cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral, 4 décembre 2014). Il ne s’agit pas seulement d’une liste à vérifier, mais plutôt des facteurs appropriés pour une cause donnée qui devraient être utilisés, analysés et appliqués. En l’espèce, le Dr Ugone s’est dit d’abord d’avis que les facteurs devraient être utilisés pour se déplacer dans la fourchette de redevances qu’il avait déjà établie grâce à ses méthodes. Ce n’est seulement que lorsque l’on a insisté qu’il a admis que la Cour pouvait s’appuyer sur ces facteurs pour s’écarter effectivement de cette fourchette.
[426] L’utilisation des facteurs par M. Carter était plus alambiquée. Ses quatre approches quantitatives ne sont pas clairement décrites et certaines informations étaient présentées comme faisant partie de l’examen d’un facteur établi dans la décision AlliedSignal. Une de ces quatre approches a été décrite de manière exhaustive dans la discussion sur le facteur numéro 7, [traduction] « Indemnisation des coûts de recherche et développement ». Un temps excessivement long a été passé à discuter d’approches que l’expert ne soutenait pas. Finalement, l’approche qu’il privilégiait est présentée de manière superficielle (tenant sur deux pages d’un rapport comptant 89 pages), une approche privilégiée qui aboutit à une redevance de [CAVIARDÉ] $/motoneige. Il reste très difficile de savoir quel a été l’impact, le cas échéant, des facteurs énoncés dans la décision AlliedSignal, en dehors de vouloir confirmer le taux de redevance élevé. Il semble qu’ils ont également permis d’exclure l’approche présentée en cinq lignes sous le facteur numéro 12 ([traduction] « déplacement de l’entreprise »), qui aurait entraîné une fourchette de redevances de [CAVIARDÉ] $ à [CAVIARDÉ] $. Aucune explication n’a été donnée pour justifier le fait qu’une redevance de [CAVIARDÉ] $/motoneige devrait être écartée en faveur d’une redevance de [CAVIARDÉ] $/motoneige.
[427] La Cour aurait eu à conclure que les experts n’examinaient pas avec suffisamment d’attention les facteurs établis dans la décision AlliedSignal et leur impact sur le taux de redevance. Passer simplement en revue la liste de facteurs et établir une cote pour chacun d’entre eux n’aide pas une cour lorsque l’on conclut que le taux de redevance demeure inchangé. Il me semble que ces facteurs méritent mieux. Si une redevance doit être établie à l’aide d’une négociation hypothétique impliquant les facteurs appropriés et pertinents établis dans la décision AlliedSignal, il serait important qu’une analyse minutieuse soit présentée pour aider la Cour. En l’espèce, ni les prétendues méthodes quantitatives ni l’examen des facteurs d’AlliedSignal n’ont servi à évaluer la valeur de l’invention. Nous ne savons toujours pas comment elle a été exploitée, que ce soit par AC ou par BRP, alors que cette information aurait permis d’évaluer quels bénéfices pourraient en être tirés.
[428] Enfin, au vu de la conclusion sur la contrefaçon et la validité de l’invention, il n’y a pas lieu d’ordonner une condamnation à des dommages-intérêts. Il est toutefois clair qu’une redevance de [CAVIARDÉ] $/motoneige aurait été manifestement déraisonnable considérant la preuve au dossier. Au cours du procès, M. Carter a nié qu’il s’appuyait sur la solution de négociation Nash. (The Bargaining Problem, de John F Nash, Econometrica, vol. 18, numéro 2, avril 1950) Le 50 % n’était tout simplement pas expliqué. Diviser la différence entre ce pourcentage et la fourchette de redevance à laquelle est parvenue BRP, aurait été inéquitable sans preuve à l’appui. Il serait toutefois aussi inéquitable d’évaluer les dommages à zéro. Une approche plus appropriée aurait était celle sans finesse, mais réalisable, de la répartition en fonction des intrants et des coûts relatifs, à laquelle des ajustements auraient été apportés. Selon toute vraisemblance, une redevance plus élevée que celle proposée par BRP aurait été appropriée.
XV. Objections
[429] Tout au long de l’instruction, les parties ont soulevé plusieurs objections. La plupart de celles-ci ont été tranchées lors de l’audience, après que les arguments des parties aient été entendus. Les demanderesses ont toutefois déposé des observations, écrites et appuyées par un dossier de requête, concernant quatre objections distinctes. La défenderesse a déposé son propre dossier de requête en réponse. Les objections ont été longuement débattues et, après avoir entendu les observations des parties, la Cour a avisé les parties qu’elle prenait cette question en délibéré. Voici mes motifs concernant ces objections.
[430] Arctic Cat a contesté certains éléments du rapport d’expert présenté par le Dr Bower, l’expert engagé par BRP, et plus précisément, le rapport d’expert du 28 août 2015 (rapport du Dr Bower).
[431] Les quatre objections se décrivent ainsi :
a) les opinions qui ne se fondent pas sur des faits doivent être rejetées;
b) BRP, par l’intermédiaire des rapports de son expert, scindait en fait sa preuve;
c) le Code de déontologie régissant les témoins experts, annexé aux Règles adoptées en 2010 (DORS/2010-176) pour régir le témoignage des témoins experts dispose que le rapport d’expert « comprend les ouvrages ou les documents expressément invoqués à l’appui des opinions ». Les demanderesses font valoir que le Dr Bower ne s’est pas conformé à cette disposition et que, par conséquent, une partie de son rapport est inadmissible en preuve;
d) L’expert a présenté la preuve factuelle de manière inappropriée.
La Cour se penchera sur ces objections tour à tour, ainsi que sur les deux interventions effectuées par les avocats d’AC selon lesquelles les deux paragraphes, bien qu’inadmissibles en preuve, n’auraient aucune valeur probante.
A. Objections sur l’admissibilité de la preuve
(1) Absence de fondement factuel
[432] Cette objection vise les paragraphes 142 à 146 du rapport du Dr Bower. Il s’agit du rapport qui a été déposé par le Dr Bower en réponse à celui du Dr Checkel, l’expert engagé par AC, visant à démontrer que BRP a contrefait certaines revendications du brevet 738. Il constitue la réponse du Dr Bower au rapport sur la contrefaçon. Aux paragraphes 142 à 146, le Dr Bower cherchait à quantifier la fréquence à laquelle la fonction de correction d’allumage dynamique de la motoneige de BRP est utilisée. Afin de collecter des données, le Dr Bower a demandé à BRP de lui fournir l’historique de fonctionnement de ses moteurs E-TEC, qui constitue la majeure partie des moteurs mis en cause en l’espèce.
[433] Les paragraphes à l’étude présentent l’analyse des données qui auraient été recueillies suite à des essais menés par BRP. AC s’oppose à l’admissibilité en preuve de ces paragraphes figurant dans le rapport du Dr Bower, car les faits qui donnent lieu à l’analyse réalisée par l’expert n’ont pas été prouvés : il n’y a aucun fondement des faits établis permettant à l’expert de donner son opinion.
[434] BRP affirme que ces paragraphes sont admissibles au motif que l’un de ses témoins, M. Schuehmacher, a témoigné concernant les données en question qui se sont retrouvées dans un rapport. Le témoin n’a pas effectué lui-même les essais ou l’expérimentation ni compilé les données. Il a connaissance du rapport et, à ce titre, sa preuve constitue du ouï-dire. En revanche, BRP fait valoir que le contre-interrogatoire de M. Schuehmacher mené par AC constitue une renonciation à l’objection sur le ouï-dire soulevée à l’encontre de BRP. À titre subsidiaire, BRP souhaiterait que la Cour réexamine sa décision selon laquelle le document censé contenir les résultats des essais menés par les pilotes d’essai de BRP est inadmissible.
[435] La Cour n’est pas disposée à revenir sur sa décision du 21 septembre 2015 (transcription, aux pages 1030 et suivantes). Par l’intermédiaire de son témoin M. Schuehmacher, BRP tentait de produire en preuve les résultats d’essais menés par une personne autre que le témoin. Il s’agit là de ouï-dire. Le juge Stratas a récemment rappelé, au paragraphe 20 de l’arrêt Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, le principe général fondamental selon lequel les faits doivent être prouvés au moyen d’éléments de preuve admissibles. S’il est indubitablement vrai que les« documents simplement versés dans un dossier de demande ne sont pas admissibles » (au paragraphe 20), il est également vrai que ces documents doivent être prouvés s’ils doivent constituer une garantie de la véracité de leur contenu. Sauf quelques exceptions comme la connaissance d’office ou un texte législatif disposant d’un moyen particulier de produire des éléments de preuve, les documents doivent être prouvés de la façon usuelle.
[436] BRP a tenté d’invoquer l’exception à la règle du ouï-dire en ce qui concerne les pièces commerciales. Puisque BRP ne pouvait pas satisfaire les exigences de la Loi sur la preuve au Canada, il semblerait qu’elle s’appuie sur la common law. Elle allègue que M. Schuehmacher avait connaissance du document, savait comment il avait été élaboré et qu’il constituait [traduction] « un échantillon fiable de différentes conditions de neige ». Avec égard, cet argument rate la cible et devient une tentative d’en faire une preuve « autocorroborante ». Il est allégué, sans fondement à l’appui, que ce document est fiable, simplement parce que le témoin affirme qu’il en est ainsi. En l’espèce, le témoin a demandé à obtenir l’historique de fonctionnement du moteur E-TEC mis en cause, lorsque le Dr Bower lui a demandé de le faire. Il ne s’agit pas d’un dossier qui a été créé dans le cours normal des activités d’une entreprise, mais plutôt d’un rapport qui a été réalisé aux fins d’un litige, suite à la demande d’un témoin expert. Si des entrées ont été créées au moment des essais, celles-ci n’ont pas été déposées en preuve (transcription, aux pages 1155 et 1156). Dans l’ouvrage The Law of Evidence in Canada (Sopinka, Lederman & Bryant, LexisNexis, 3e édition), les auteurs décrivent ainsi l’exception de common law à la règle du ouï-dire :
[traduction]
§6.185 En common law, les déclarations faites par une personne à qu’il a été demandé de réaliser une action et de la consigner dans un dossier dans le cours normal des activités du déclarant ou de sa profession sont admissibles en preuve, pour autant qu’elles ont été faites au moment où les faits relatés se sont produits et que cette personne n’avait aucune raison ni aucun intérêt à déformer ceux-ci.
Je ne vois pas comment le document examiné ici pourrait satisfaire ces exigences. La raison d’être de l’exception est simplement absente : la garantie circonstancielle de la véracité du document provient de la routine constante à saisir des informations. Porter des informations dans une pièce commerciale est une chose, mais c’en est toute une autre de créer un rapport, rédigé un certain temps après l’essai demandé dans le contexte précis d’un litige, un document qui est destiné aider la défenderesse. Cela ne signifie pas que le rapport est inexact; nous n’en savons rien. Cela signifie plutôt que la nature même d’une telle pièce n’a pas la même fiabilité qu’une pièce créée et conservée, par exemple, dans le cours systématique et mécanique des activités d’une entreprise.
[437] En l’espèce, les paragraphes du rapport du Dr Bower ne peuvent être admissibles en raison de l’absence d’éléments de preuve établissant le fondement de son opinion. Ce fondement est absent, car les pièces soi-disant présentées pour rendre compte de certaines expérimentations constituent du ouï-dire inadmissible. Le fait que M. Schuehmacher a témoigné que selon son expérience, les motoneiges sont conduites de 3 % à 5 % du temps avec le papillon ouvert à au moins 70 % de sa capacité ne justifie pas la manipulation de données qui ne se trouvent pas dans ce que le Dr Bower a présenté à la Cour.
[438] BRP fait également valoir que le contre-interrogatoire de M. Schuehmacher a constitué une renonciation à l’objection. Tel n’était pas le cas. La Cour a décidé d’autoriser que le document soit utilisé non pas pour la véracité de son contenu, mais plutôt pour aider à évaluer la crédibilité du témoin qui a témoigné que les corrections de calage ne se produiraient que lorsque le papillon a une ouverture d’au moins 70 % de sa capacité, ce qui, selon lui, ne surviendrait pas plus de 3 % à 5 % du temps. Le contre-interrogatoire s’est déroulé dans les limites fixées par la Cour, à savoir, établir la crédibilité du témoin, qui est un ingénieur et non un pilote d’essai, relativement à ses affirmations concernant ces chiffres. Il n’y a jamais eu de renonciation qui permettrait à présent à BRP d’invoquer le document comme preuve de la véracité de son contenu.
[439] Il s’ensuit que M. Schuehmacher n’a pas pu fournir de fondement valide pour utiliser le document comme preuve de la véracité de son contenu. Par conséquent, les paragraphes 142 à 146 doivent être exclus au motif que le rapport est inadmissible. Le témoignage de M. Schuehmacher n’est cependant pas contesté sur ce motif et demeure admissible. Le poids à lui accorder reste, bien entendu, à débattre.
B. Scission de la preuve
[440] AC fait également valoir que certains paragraphes du rapport du Dr Bower sur la contrefaçon constituent une scission inappropriée de la preuve principale de BRP concernant la validité. Cette objection vise les paragraphes 10, 93 et 103 ainsi que les annexes 2 et 4.
[441] Le paragraphe 10 fait partie du résumé présenté par le Dr Bower relativement à ses opinions. Les paragraphes 93 et 103, ainsi que les annexes qui y sont précisées, concernent la prétention de l’expert selon laquelle les moteurs mis en cause E-TEC 440 HO et 600 RS de BRP sont programmés [traduction] « de la même manière que les unités de commandes de moteur décrites dans les brevets américains 705 et 908 ». L’argument invoqué est le suivant. Si la Cour devait conclure que les moteurs mis en cause fonctionnent en fonction d’une modification d’une courbe d’allumage (revendications 11 et 16 du brevet 738), elle devrait nécessairement conclure que les brevets américains 705 et 908 divulguaient une courbe d’allumage sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes et que la courbe d’allumage de base est modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée. Autrement dit, puisque les moteurs mis en cause mettent en œuvre les brevets américains, la conclusion selon laquelle ces moteurs contrefont le brevet 738 nécessiterait que le brevet 738 mette en œuvre l’antériorité des brevets américains 705 et 908. Comme ces brevets américains 705 et 908 constituent des antériorités, il s’ensuivrait que le brevet en litige ne serait pas valide.
[442] L’argument principal de BRP est qu’elle a programmé ses unités de commande de moteur en suivant la description figurant dans les brevets américains 705 et 908, mais ces brevets enseignent les modifications d’un point d’allumage, plutôt que d’avoir différentes courbes d’allumage différentes ou d’apporter des modifications à la courbe d’allumage de base. En ce sens, l’utilisation par BRP d’une logique différente constitue son moyen de défense à l’encontre de l’allégation selon laquelle elle contrefait le brevet en litige.
[443] Face au dilemme d’avoir à plaider devant la Cour soit l’invalidité, soit l’absence de contrefaçon, BRP a choisi de plaider les deux. Il ne peut y avoir de contrefaçon si les deux brevets américains enseignent une logique différente de celle du brevet en litige et si la Cour est convaincue que BRP met en œuvre cet enseignement. À l’inverse, si la Cour demeure convaincue que BRP met en œuvre cet enseignement, mais que la logique enseignée par les deux brevets américains est en fait la logique sous-tendant le brevet en litige, le brevet 738, alors la Cour est invitée à conclure à l’invalidité du brevet en litige. Se référant aux mêmes deux brevets américains, BRP fait valoir que soit elle ne contrefait pas le brevet en litige, soit que ce brevet est invalide.
[444] AC affirme que BRP avait produit sa preuve d’expert dans sa preuve principale en soutenant que le brevet en litige est invalide et que, par conséquent, elle ne pouvait attendre que son expert présente sa preuve en réponse à l’argument concernant la contrefaçon qui a été soulevé plus tard, le 28 août. Selon AC, BRP scinde sa preuve et va ainsi à l’encontre de la règle reconnue dans l’arrêt R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466. On peut lire à la page 473 :
[15] D’abord, on peut remarquer que la règle applicable en matière de présentation d’une contre‑preuve dans les affaires criminelles découle au départ des règles de droit et de pratique qui régissent la procédure suivie dans les procès civils et criminels, et elle demeure généralement compatible avec celles‑ci. La règle générale porte que le ministère public, ou le demandeur dans les affaires civiles, ne sera pas autorisé à scinder sa preuve. Le ministère public ou le demandeur doit produire et inclure dans sa preuve tous les éléments clairement pertinents dont il dispose ou qu’il a l’intention d’invoquer, pour établir sa preuve relativement à toutes les questions soulevées dans les débats; dans une affaire criminelle, l’acte d’accusation et tous les renseignements: voir R. v. Bruno (1975), 27 C.C.C. (2d) 318 (C.A. Ont.), le juge Mackinnon, à la p. 320, et pour une affaire civile voir: Allcock Laight & Westwood Ltd. v. Patten, Bernard and Dynamic Displays Ltd., [1967] 1 O.R. 18 (C.A. Ont.), le juge d’appel Schroeder, aux pp. 21 et 22. Cette règle empêche les surprises injustes, les préjudices et la confusion qui pourraient résulter si le ministère public ou le demandeur était autorisé à scinder sa preuve, c’est‑à‑dire, à présenter une partie de ses éléments de preuve‑‑autant qu’il l’estime nécessaire au départ‑‑pour ensuite terminer la présentation de sa preuve et, après la fin de l’argumentation de la défense, ajouter d’autres éléments de preuve à l’appui de la position présentée au début. La raison d’être de cette règle est que le défendeur ou l’accusé a le droit à la fin de la présentation de la preuve du ministère public de disposer de la preuve complète du ministère public de manière à savoir, dès le début, ce à quoi il doit répondre.
[445] La difficulté dans des affaires comme celle en l’espèce est que le procès est divisé en plusieurs étapes, dans lesquelles le fardeau de la preuve passe d’une partie à l’autre. Ceci étant tout d’abord une action en contrefaçon, AC avait le fardeau initial de convaincre la Cour que son brevet a été contrefait. Évidemment, si aucune contrefaçon n’est démontrée, l’action d’AC ne sera pas accueillie et il ne sera pas nécessaire d’aller plus loin. Cependant, même si le brevet était contrefait, la défenderesse peut tout de même avoir gain de cause si elle convainc la Cour que le brevet, ou les revendications invoquées par les demanderesses, sont invalides, pour quelque raison que ce soit. Le fardeau repose ensuite sur les épaules de la défenderesse, qui devient demanderesse reconventionnelle, de faire valoir l’invalidité du brevet.
[446] En l’espèce, je ne vois pas comment on pourrait affirmer que BRP scinde sa preuve. AC soutient que BRP aurait dû présenter la preuve qui se trouve aux paragraphes 93 et 103 du rapport du Dr Bower en réponse au rapport sur la question de la contrefaçon déposé le 28 août 2015 dans sa preuve principale sur l’invalidité présentée le 15 juin 2015.
[447] Toutefois, il a été reconnu depuis plus de cent ans que le moyen de défense à une allégation de contrefaçon selon lequel le produit prétendu contrefacteur repose sur les enseignements d’une antériorité, comme les deux brevets américains en l’espèce ou la demande 959, est valable. En d’autres termes, l’invalidité est un moyen de défense à une action en contrefaçon. Le paragraphe souvent cité de la décision de la chambre des Lords dans l’arrêt Gillette Safety Razor Co. v. Anglo-American Trading Co, (1913), 30 RPC 465, vaut certainement d’être reproduite une fois de plus :
[traduction]
Le moyen de défense suivant lequel la contrefaçon présumée n’est pas nouvelle au moment où les lettres patentes ont été délivrées au demandeur est valide en droit et on pourrait parfois raccourcir considérablement les procès en matière de brevets et en diminuer les coûts si le défendeur présentait sa cause de cette façon, s’épargnant ainsi la peine de démontrer à quelle enseigne le demandeur loge : celle de l’invalidité ou celle de la non-contrefaçon.
(à la page 488)
[448] La chambre des Lords a décrit, quelques lignes avant ce passage célèbre, la question en litige soulevée dans cette affaire, qui est assez semblable à celle qui se pose en l’espèce :
[traduction]
Si les revendications de ce brevet avaient une portée suffisamment large pour l’inclure, le brevet serait défectueux, car ce qui s’y retrouverait ne se distinguerait pas de façon brevetable de ce qui était déjà en possession du public. Un tel brevet serait défectueux faute de nouveauté. Si les revendications n’avaient pas une portée suffisamment large pour y inclure le rasoir de la défenderesse, le breveté ne pourrait pas se plaindre qu’il en soit fait usage par le public. Autrement dit, les défenderesses doivent avoir gain de cause que ce soit au sujet de l’invalidité du brevet ou de l’absence de contrefaçon.
[449] Si le moyen de défense selon lequel les revendications invoquées ne sont pas nouvelles (ou faisaient l’objet d’une antériorité) est valable, comment présenter des éléments de preuve à cet effet en réponse à l’allégation de contrefaçon pourrait-il scinder une preuve? À mon avis, l’argument de BRP selon lequel sa défense plaide l’invalidité comme un motif de non-contrefaçon et, qu’en conséquence, c’est à bon droit que son rapport d’expert sur l’invalidité analyse de façon exhaustive les brevets 705 et 908. Non seulement la preuve n’est pas scindée, mais AC ne peut vraisemblablement faire valoir qu’elle a été prise par surprise. Mon examen des paragraphes 93 et 103 me conforte dans mon opinion qu’ils ne contiennent aucun élément de surprise.
[450] Ces paragraphes font simplement valoir l’argument suivant : à supposer qu’il est démontré que les quatre moteurs mis en cause sont dotés d’un ECU programmé de la même manière que ce qui est enseigné par les brevets américains 705 et 908, le syllogisme voudrait qu’une conclusion de contrefaçon à l’encontre des moteurs mis en cause emporte la même conclusion pour les brevets américains 705 et 908. Si les quatre moteurs, qui sont programmés selon les brevets américains 705 et 908, contrefont le brevet en litige, cela signifierait nécessairement que ces brevets américains 705 et 908 contreviendraient eux-mêmes au brevet 738 au motif d’enseigner la même chose. Ces brevets américains sont toutefois antérieurs au brevet 738. Dans ce scénario, les brevets américains 705 et 908 doivent constituer des antériorités, afin d’invalider le brevet 738.
[451] BRP ne scinde pas sa preuve. Elle fait valoir sa preuve selon laquelle si les quatre moteurs incriminés contrefont le brevet, alors elle bénéficie d’une défense complète en démontrant qu’elle pratique les brevets américains 705 et 908.
[452] Je constate que les brevets américains 705 et 908 ne sont pas opposés à AC au stade de la réponse aux allégations de contrefaçon, ils sont plutôt discutés dans le rapport de BRP sur la validité du 15 juin 2015.
[453] Il est probablement également vrai que la défense Gillette [traduction] « permet apparemment d’épargner des frais, mais que peu d’avocats ont le courage de la faire valoir comme seule défense. Il faut être absolument certain que ce moyen de défense est à toute épreuve avant de mettre tous ses œufs dans le même panier. » (Intellectual Property Law, David Vaver, Irwin Law, 2nd ED, à la page 396).
[454] Heureusement, la Cour n’a qu’à déterminer si le brevet 738 a été contrefait et s’il est valide. En invoquant comme moyen de défense que la présumée contrefaçon n’est pas nouvelle, BRP n’a pas scindé sa preuve lorsque le Dr Bower a présenté diverses affirmations aux paragraphes 93 et 103 de son rapport sur les allégations de contrefaçon.
C. Défaut de se conformer au Code de déontologie des témoins experts
[455] AC conteste les paragraphes 175 et 176 du rapport du Dr Bower sur la contrefaçon. Ceux-ci portent sur la comparabilité technologique de deux contrats de licence, le contrat de Clean Futures LLC – Controlled Carson LLC et le contrat de Hirel Technologies Inc. Dans les deux cas, le Dr Bower conclut que les technologies, appelées système de [traduction] « gestion électronique du moteur », sont comparables à la technologie revendiquée dans le brevet en litige.
[456] L’argument s’appuie sur le paragraphe 3h) du Code de déontologie régissant les témoins experts, un texte réglementaire mentionné à l’article 52.2 des Règles des cours fédérales. Ce paragraphe se lit ainsi :
3. Le rapport d’expert, déposé sous forme d’un affidavit ou d’une déclaration visé à la règle 52.2 des Règles des Cours fédérales, comprend : |
3. An expert’s report submitted as an affidavit or statement referred to in rule 52.2 of the Federal Courts Rules shall include |
… |
… |
h) les ouvrages ou les documents expressément invoqués à l’appui des opinions; |
(h) any literature or other materials specifically relied on in support of the opinions; |
[457] De ce que je comprends, on allègue que le rapport du Dr Bower contrevient à cette disposition car il n’a pas joint les contrats de licence en question à son rapport. Ces allégations seraient portées malgré le fait que les documents sont mentionnés à l’annexe 1 du rapport du Dr Bower (documents 32 et 33) et qu’ils sont joints au rapport du Dr Ugone, un autre expert engagé par BRP qui a témoigné sur la question des dommages-intérêts. Les deux rapports ont été signifiés le même jour.
[458] Je ne suis pas enclin à accueillir l’objection, et ce, pour au moins trois motifs :
1. En vertu des Règles des cours fédérales, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer la réparation appropriée pour une violation du Code de déontologie, ce qui peut comprendre l’exclusion des paragraphes visés (paragraphe 52.2(2) des Règles). Le rapport lui-même renvoie aux contrats qui sont joints au rapport d’un autre expert. L’exclusion des paragraphes 175 et 176 ne serait pas proportionnelle au défaut de se conformer au Code, advenant qu’il y ait eu un tel défaut;
2. Je n’ai pas été convaincu que les demanderesses ont subi un quelconque préjudice. Contrairement à une affaire comme Stevens c. Plachta, 2006 BCCA 479 (Stevens), où il n’y avait aucune annexe, en l’espèce, les contrats étaient disponibles. D’ailleurs, dans la décision Stevens, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que le juge de première instance aurait pu recevoir l’annexe et ainsi éviter une longue remise. En l’espèce, les contrats étaient connus et disponibles. Nul besoin de même envisager un ajournement, qui aurait été la réparation la plus appropriée si une réparation s’était avérée nécessaire;
3. Je suis tout sauf convaincu que les demanderesses donnent au paragraphe 3h) l’interprétation appropriée qu’il mérite. Lus dans leur contexte et conjointement avec sa version française, qui a la même valeur légale (voir R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, et R. c. S.A.C., 2008 CSC 47, [2008] 2 R.C.S. 675), j’aurais pensé que les mots « literature » [en anglais] et « ouvrage » n’étaient pas utilisés en vain. L’Oxford Canadian Dictionnary définit le mot anglais « LITERATURE » comme étant [traduction] « le document imprimé sur un sujet particulier ». Le Petit Robert de la Langue française offre une définition identique du mot « ouvrage » : « texte scientifique, technique ou littéraire […] Consulter tous les ouvrages oubliés sur une question […] Ouvrage de référence ». Comme l’a souligné encore récemment l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 203, « [i]l existe une règle d’interprétation des lois bilingues selon laquelle il faut retenir le sens commun à la version anglaise et à la version française ». En l’espèce, les auteurs du Code ont choisi des mots très précis pour désigner ce qui devrait y être inclus. Il ne s’agit pas de n’importe quel document auquel renvoie un expert qui y sont inclus, mais plutôt les « ouvrages », la « literature » [en anglais]. Ceci, à mon sens, sous-entend les genres de sources qui aident à illustrer les propos tenus par l’expert, ce qui appuie sa thèse.
[459] L’emploi des mots « expressément invoquées à l’appui des opinions » et « specifically relied on in support of the opinion » me conforte davantage dans mon opinion. L’expert ne se fonde pas réellement sur ces contrats puisqu’il exprime une opinion sur ces actes. De même, en français « invoquer » a le sens de « to call for », « to invoque ». Comme on peut le constater, le paragraphe 3h) traite des sources invoquées à l’appui de l’opinion, non les actes mêmes sur lesquels une opinion est exprimée. Il s’agit là de la différence entre ce qui fait l’objet de l’opinion et le document invoqué pour appuyer cette opinion. Cette conclusion est conforme aux commentaires formulés dans l’ouvrage The Law of Evidence in Canada, où on peut lire sous le titre [traduction] « Utilisation des documents faisant autorité » :
[traduction]
§12.200 L’utilisation de traités est propre aux expertises. À l’appui d’une théorie, un expert est autorisé à faire référence à des traités faisant autorité et autres documents semblables, et toute partie de ces textes que le témoin invoque est admissible en preuve.
[460] Je reconnais bien entendu que ce paragraphe du Code comporte des termes plus génériques : « ou les documents expressément […] » et « or other materials specifically […] ». À mon avis, ces mots doivent être interprétés comme tenant compte de la catégorie limitée dont font partie les « ouvrages » et la « literature » [en anglais], mais également nuancés par les termes « expressément invoqués à l’appui des opinions » (« specifically relied on in support of the opinions » en anglais). Non seulement les mots « ouvrages » et « literature » [en anglais] doivent recevoir un sens, plutôt que d’être regroupés dans « autres documents », comme si le mot « ouvrage » n’avait pas de sens particulier, mais le paragraphe 3h) porte sur ce qui appuie l’opinion, et non sur son objet.
[461] Par conséquent, les paragraphes 175 et 176 sont admissibles.
D. Preuve factuelle inappropriée
[462] AC prétend que les paragraphes 48, 66, 135 et 163 ainsi que la troisième et la quatrième phrases du paragraphe 167 du rapport du Dr Bower sur la contrefaçon fournissent des éléments de preuve factuelle.
[463] On ne sait avec certitude sur quel fondement s’appuie AC pour prétendre que l’expert ne pouvait fournir ces éléments de preuve factuelle. Aucune source n’a été soumise à l’appui de cette prétention. Quoi qu’il en soit, BRP a présenté un argument convaincant voulant que les points abordés dans ces paragraphes soient tous appuyés par une preuve, testimoniale ou documentaire, présentée au cours de l’instruction.
[464] Si les demanderesses font valoir que la preuve factuelle est mince, elles pourraient certainement plaider que l’opinion de l’expert ne devrait pas recevoir une grande valeur probante (R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852).
E. Opinion exprimée au-delà de l’expertise convenue
[465] Les demanderesses soutiennent que le Dr Bower est allé au-delà de l’expertise qui était établie dans le mandat d’expert. Cette prétention se rapporte au paragraphe 145 du rapport du Dr Bower sur la contrefaçon. Sans nécessairement s’opposer à l’admissibilité du paragraphe 145 pour ce motif, AC a affirmé que peu de valeur probante devait être accordée à cet élément de preuve. Vu ma conclusion voulant que les paragraphes 145 et 146 du rapport du Dr Bower ne puissent être admissibles, il n’est pas nécessaire de se pencher sur cette objection.
[466] Le même type d’argument est soulevé concernant le paragraphe 161, au sujet duquel AC affirme que l’opinion exprimée par le Dr Bower ne devrait recevoir aucune valeur probante puisque l’évaluation de la preuve relève du juge des faits.
[467] Au paragraphe 161, le Dr Bower est d’avis que [traduction] « aucune preuve n’établit que la technologie du brevet 738 contribue à améliorer la qualité, la durabilité et la fiabilité de la motoneige ou de son moteur et je ne vois aucune raison qui pourrait justifier une telle contribution ». Comme l’avocat de BRP l’a souligné, le Dr Bower réagissait aux affirmations de l’expert en dommages engagé par AC en l’espèce. Le Dr Bower aurait mieux fait de s’abstenir de déclarer qu’il n’y a aucune preuve, de tels commentaires sont réservés aux avocats.
[468] On s’attend de l’expert qu’il témoigne sur les faits et qu’il exprime son opinion sur des sujets autres que juridiques, pour lesquels il ne possède pas de compétences particulières. Je soupçonne toutefois qu’il n’employait pas le mot « preuve » dans son sens légal; l’observation selon laquelle rien ne justifie de revendiquer une contribution à l’amélioration de la qualité, de la durabilité et de la fiabilité des motoneiges peut être valablement avancée. Il s’agit certainement du type de preuve qui peut être présentée par un expert (contrairement à l’opinion d’un expert sur ce qui constitue de la preuve en droit) possédant les qualifications du Dr Bower. Titulaire d’un doctorat en génie mécanique, associé à une vaste expérience non seulement dans le domaine de la combustion interne, mais également dans l’étalonnage de moteurs, les modules de commande du moteur et les systèmes de gestion du moteur, comme cela est mentionné, je ne vois pas comment on pourrait empêcher le Dr Bower d’exprimer une telle opinion, ou que son opinion n’ait pas de valeur probante.
XVI. Post-scriptum
[469] Avant de publier les présents motifs du jugement, la Cour a demandé l’avis des avocats quant à de possibles parties à caviarder en leur communiquant une ébauche des motifs. Les deux parties ont fait plusieurs suggestions.
[470] Essentiellement, elles ont toutes deux suggéré des suppressions dans la partie XIV qui traite de dommages-intérêts. Je suis d’avis qu’une cour devrait chercher à minimiser les suppressions lorsqu’un procès public a eu lieu.
[471] Toutefois, en l’espèce, la partie du jugement abordant la question des dommages-intérêts est évidemment incidente au vu des conclusions tirées sur la contrefaçon et la validité. Par conséquent, j’ai conclu, non sans hésitation, que la plupart des caviardages proposés devraient être conservés dans la partie XIV. D’autres suggestions de caviardage ailleurs dans les motifs du jugement n’ont pas été retenues puisque les passages font partie intégrante des motifs à l’appui de la décision rendue par la Cour.
[472] Un ensemble de motifs confidentiels sera gardé sous scellés au greffe de la Cour.
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
1. L’action en contrefaçon d’Arctic Cat Inc. et d’Arctic Cat Sales Inc. est rejetée;
2. La défenderesse, Bombardier Produits Récréatifs Inc., a droit à ses dépens; Les parties sont invitées à soumettre des observations écrites, d’une longueur maximale de cinq pages chacune, sur l’adjudication des dépens, qui devront être déposées au greffe de la Cour dans les vingt (20) jours du prononcé du présent jugement;
3. Si la Cour avait conclu que les revendications invoquées étaient contrefaites (revendications 11, 16, 33, 40 et 47 du brevet canadien numéro 2 322 738), la défenderesse, Bombardier Produits Récréatifs Inc., aurait eu droit à la réparation demandée en vertu de sa demande reconventionnelle, à savoir une déclaration selon laquelle les revendications invoquées du brevet 738 sont, et ont toujours été, invalides et nulles;
4. La Cour déclare que Bombardier Produits Récréatifs Inc. ne contrefait aucune des revendications invoquées et valides du brevet canadien numéro 2 322 738;
5. En ce qui concerne la demande reconventionnelle, les parties sont invitées à soumettre des observations écrites, d’une longueur maximale de cinq pages chacune, sur l’adjudication des dépens de la présente demande reconventionnelle, qui devront être déposées au greffe de la Cour dans les vingt (20) jours du prononcé du présent jugement;
6. Dans sa demande reconventionnelle, Bombardier Produits Récréatifs Inc. a demandé des intérêts avant et après jugement. Au vu du manque de précision de cette demande, les parties sont invitées à soumettre des observations écrites, d’une longueur maximale de deux pages chacune, sur la question des intérêts avant et après jugement, qui devront être déposées au greffe de la Cour dans les vingt (20) jours du prononcé du présent jugement.
« Yvan Roy »
Juge
[traduction]
Revendications :
1. Un moteur à deux temps, comprenant :
un cylindre;
un papillon;
un piston amovible situé dans le cylindre, destiné à comprimer un mélange air-carburant qui sera allumé dans le cylindre, les gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant étant expulsés du cylindre;
une source d’allumage située dans le cylindre;
un module de commande destiné à activer la source d’allumage à un point particulier pendant le mouvement de compression du piston; le module de commande activant la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle le point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon au moins un des régimes de fonctionnement du moteur et la position du papillon; cette courbe d’allumage étant sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes;
un capteur permettant de détecter une température des gaz d’échappement provenant du cylindre, la courbe d’allumage particulière utilisée par le module de commande étant sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée.
2. Le moteur selon la revendication 1, dans lequel la source d’allumage est une bougie d’allumage et le module de commande est un système d’allumage à décharge de condensateur.
3. Le moteur selon la revendication 1, dans lequel le capteur est mis en contact avec les gaz d’échappement.
4. Le moteur selon la revendication 3, dans lequel le moteur comprend également un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement et le capteur est disposé dans le tuyau d’échappement.
5. Le moteur selon la revendication 1, dans lequel des courbes d’allumage individuelles sont prévues pour des plages de température des gaz d’échappement qui couvrent environ 50oC.
6. Un procédé de fonctionnement d’un moteur à deux temps, comprenant :
le déplacement d’un piston dans un cylindre afin de comprimer un mélange air-carburant dans le cylindre;
l’activation d’une source d’allumage dans le cylindre pendant le mouvement de compression;
l’expulsion du cylindre des gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air‑carburant;
la commande de l’activation de la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon au moins un des régimes de fonctionnement et la position du papillon du moteur;
la détection de la température des gaz d’échappement expulsés du cylindre;
la sélection de la courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement détectée.
7. Le procédé selon la revendication 6, dans lequel la source d’allumage est une bougie d’allumage et un système d’allumage à décharge de condensateur commande l’activation de la bougie d’allumage.
8. Le procédé selon la revendication 6, dans lequel la température des gaz d’échappement est détectée à l’aide d’un capteur mis en contact avec les gaz d’échappement.
9. Le procédé selon la revendication 8, dans lequel le moteur comprend également un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement et le détecteur est disposé dans le tuyau d’échappement.
10. Le procédé selon la revendication 6, dans lequel des courbes d’allumage individuelles sont prévues pour des plages de température des gaz d’échappement qui couvrent environ 50 °C.
11. Un moteur à deux temps, comprenant :
un cylindre;
un piston qui peut se déplacer dans le cylindre, servant à comprimer un mélange air-carburant qui sera allumé dans le cylindre, les gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant étant expulsés du cylindre;
une source d’allumage située dans le cylindre;
un contrôleur destiné à activer la source d’allumage à un point précis pendant le mouvement de compression du piston; le contrôleur activant la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage varie pendant le mouvement de compression selon le régime de fonctionnement du moteur, la courbe d’allumage étant sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes;
un capteur permettant de détecter une température des gaz d’échappement provenant du cylindre, la courbe d’allumage de base utilisée par le module de commande étant modifiée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée.
12. Un moteur à deux temps, comprenant :
un cylindre;
un piston qui peut se déplacer dans le cylindre, servant à comprimer un mélange air-carburant qui sera allumé dans le cylindre, les gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant étant expulsés du cylindre;
une source d’allumage située dans le cylindre;
un module de commande permettant d’activer la source d’allumage à un point précis pendant le mouvement de compression du piston; le module de commande activant la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle le point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur, la courbe d’allumage étant sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes;
un capteur destiné à détecter la température des gaz d’échappement du cylindre, la pluralité de courbes d’allumage comprenant une première courbe d’allumage qui est sélectionnée lorsque la température des gaz d’échappement détectée est en corrélation avec une condition de fonctionnement non souhaitée.
13. Le moteur selon la revendication 12, dans lequel la température corrélée à une condition de fonctionnement du moteur non souhaitée indique le type de carburant utilisé pour faire fonctionner le moteur.
14. Le moteur selon la revendication 12, dans lequel la température corrélée à une condition de fonctionnement du moteur non souhaitée révèle un problème de performance du moteur.
15. Le moteur selon la revendication 14, dans lequel le problème de performance du moteur est sélectionné dans le groupe constitué par une mauvaise carburation ou un débit de combustible inadéquat.
16. Un procédé de fonctionnement d’un moteur à deux temps, comprenant :
le déplacement d’un piston dans un cylindre afin de comprimer un mélange air-carburant dans le cylindre;
l’activation d’une source d’allumage dans le cylindre pendant le mouvement de compression;
l’expulsion du cylindre des gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant;
la commande de l’activation de la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur choisi parmi une pluralité de courbes d’allumage de base;
la détection de la température des gaz d’échappement expulsés du cylindre;
la modification de la courbe d’allumage sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage en fonction de la température des gaz d’échappement détectée.
17. Un procédé de fonctionnement d’un moteur à deux temps, comprenant :
le déplacement d’un piston dans un cylindre afin de comprimer un mélange air-carburant dans le cylindre;
l’activation d’une source d’allumage dans le cylindre pendant le mouvement de compression;
l’expulsion du cylindre des gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant;
la commande de l’activation de la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur;
la détection de la température des gaz d’échappement expulsés du cylindre;
le choix d’une première courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage lorsque la température des gaz d’échappement détectée est corrélée à un fonctionnement non souhaité du moteur.
18. Le procédé selon la revendication 17, dans lequel la température corrélée à une condition de fonctionnement du moteur non souhaitée indique le type de carburant utilisé pour faire fonctionner le moteur.
19. Le procédé selon la revendication 17, dans lequel la température corrélée à une condition de fonctionnement du moteur non souhaitée révèle un problème de performance du moteur.
20. Le procédé selon la revendication 19, dans lequel le problème de performance du moteur est sélectionné dans le groupe constitué par une mauvaise carburation ou un débit de combustible inadéquat.
21. Un moteur à deux temps, comprenant :
un cylindre;
un piston qui peut se déplacer dans le cylindre, servant à comprimer un mélange air-carburant qui sera allumé dans le cylindre, les gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant étant expulsés du cylindre;
une source d’allumage située dans le cylindre;
un module de commande permettant d’activer la source d’allumage à un point précis pendant le mouvement de compression du piston, de module de commande activant la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur, la courbe d’allumage étant sélectionnée parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes, les différentes courbes d’allumage ayant un rapport différent entre le point d’allumage et le régime du moteur;
un capteur permettant de détecter une température des gaz d’échappement provenant du cylindre, la courbe d’allumage particulière utilisée par le module de commande étant sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée.
22. Le moteur selon la revendication 21, dans lequel la source d’allumage est une bougie d’allumage et le module de commande est un système d’allumage à décharge de condensateur.
23. Le moteur selon la revendication 21, dans lequel le capteur est mis en contact avec les gaz d’échappement.
24. Le moteur selon la revendication 23, dans lequel le moteur comprend également un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement et le capteur est disposé dans le tuyau d’échappement.
25. Le moteur selon la revendication 21, dans lequel des courbes d’allumage individuelles sont prévues pour des plages de température des gaz d’échappement qui couvrent environ 50oC.
26. Le moteur selon la revendication 25, dans lequel la pluralité de courbes d’allumage différentes comprend une courbe par défaut qui est utilisée si une panne du capteur est établie.
27. Le moteur selon la revendication 26, dans lequel le moteur est un moteur de motoneige.
28. Un procédé de fonctionnement d’un moteur à deux temps, comprenant :
le déplacement d’un piston dans un cylindre afin de comprimer un mélange air-carburant dans le cylindre;
l’activation d’une source d’allumage dans le cylindre pendant le mouvement de compression;
l’expulsion du cylindre des gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant;
la commande de l’activation de la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur;
la détection de la température des gaz d’échappement expulsés du cylindre;
le choix de la courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes en fonction de la température des gaz d’échappement détectée, les différentes courbes d’allumage ayant un rapport différent entre le point d’allumage et le régime du moteur;
29. Le procédé selon la revendication 28, dans lequel la source d’allumage est une bougie d’allumage et un système d’allumage à décharge de condensateur commande l’activation de la bougie d’allumage.
30. Le procédé selon la revendication 28, dans lequel la température des gaz d’échappement est détectée à l’aide d’un capteur mis en contact avec les gaz d’échappement.
31. Le procédé selon la revendication 30, dans lequel le moteur comprend également un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement et le capteur est disposé dans le tuyau d’échappement.
32. Le procédé selon la revendication 28, dans lequel la température des gaz d’échappement est détectée à l’aide d’un capteur de température et la pluralité des différentes courbes d’allumage comprend une courbe par défaut qui est sélectionnée lorsqu’une panne du capteur de température est établie.
33. Le procédé selon la revendication 28, dans lequel le moteur est un moteur de motoneige.
34. Un moteur à deux temps, comprenant :
un cylindre;
un papillon;
un piston qui peut se déplacer dans le cylindre, servant à comprimer un mélange air-carburant qui sera allumé dans le cylindre, les gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant étant expulsés du cylindre;
une source d’allumage située dans le cylindre;
un module de commande permettant d’activer la source d’allumage à un point précis pendant le mouvement de compression du piston; le module de commande activant la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un calage de l’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur et la position du papillon, la courbe de l’allumage étant sélectionnée parmi une pluralité de rapports différents entre le point d’allumage et le régime du moteur;
un capteur permettant de détecter une température des gaz d’échappement provenant du cylindre, la courbe d’allumage particulière utilisée par le module de commande étant sélectionnée en fonction de la température des gaz d’échappement détectée.
35. Le moteur selon la revendication 34, dans lequel la source d’allumage est une bougie d’allumage et le module de commande est un système d’allumage à décharge de condensateur.
36. Le moteur selon la revendication 34, dans lequel le capteur est mis en contact avec les gaz d’échappement.
37. Le moteur selon la revendication 36, dans lequel le moteur comprend également un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement et le capteur est disposé dans le tuyau d’échappement.
38. Le moteur selon la revendication 34, dans lequel des courbes d’allumage individuelles sont prévues pour des plages de température des gaz d’échappement qui couvrent environ 50oC.
39. Le moteur selon la revendication 34, dans lequel la pluralité de courbes d’allumage différentes comprend une courbe par défaut qui est utilisée si une panne du capteur est établie.
40. Le moteur selon la revendication 34, dans lequel le moteur est un moteur de motoneige.
41. Un procédé de fonctionnement d’un moteur à deux temps, comportant les étapes consistant à :
déplacer un piston dans un cylindre afin de comprimer un mélange air-carburant dans le cylindre;
activer une source d’allumage dans le cylindre pendant le mouvement de compression;
expulser du cylindre les gaz d’échappement issus de la combustion du mélange air-carburant;
commander l’activation de la source d’allumage selon une courbe d’allumage dans laquelle un point d’allumage pendant le mouvement de compression varie selon le régime de fonctionnement du moteur et la position du papillon du moteur;
détecter une température des gaz d’échappement expulsés du cylindre;
choisir la courbe d’allumage parmi une pluralité de courbes d’allumage différentes en fonction de la température des gaz d’échappement détectée, les différentes courbes d’allumage ayant un rapport différent entre le point d’allumage et le régime du moteur;
42. Le procédé selon la revendication 41, dans lequel la source d’allumage est une bougie d’allumage et un système d’allumage à décharge de condensateur commande l’activation de la bougie d’allumage.
43. Le procédé selon la revendication 41, dans lequel la température des gaz d’échappement est détectée à l’aide d’un capteur mis en contact avec les gaz d’échappement.
44. Le procédé selon la revendication 43, dans lequel le moteur comprend également un tuyau d’échappement destiné à l’évacuation des gaz d’échappement et le capteur est disposé dans le tuyau d’échappement.
45. Le procédé selon la revendication 41, dans lequel des courbes d’allumage individuelles sont prévues pour des plages de température des gaz d’échappement qui couvrent environ 50oC.
46. Le procédé selon la revendication 41, dans lequel la température des gaz d’échappement est détectée à l’aide d’un capteur de température et la pluralité des différentes courbes d’allumage comprend une courbe par défaut qui est sélectionnée lorsqu’une panne du capteur de température est établie.
47. Le procédé selon la revendication 41, dans lequel le moteur est un moteur de motoneige.
[blank/en blanc] |
AC M. Carter |
[blank/en blanc] |
BRP M. Ugone |
1. |
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2. |
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3. |
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5. |
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13. |
*Pour chaque facteur, les experts ont indiqué quelle partie serait privilégiée dans une négociation fictive. BRP a utilisé les termes de pression à la hausse et pression à la baisse sur le taux de redevance, tandis qu’AC s’est directement mise d’accord avec l’une ou l’autre des parties.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1353-13 |
INTITULÉ : |
ARCTIC CAT INC c. BOMBARDIER PRODUITS RÉCRÉATIFS INC. |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LES 14, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29 ET 30 SEPTEMBRE 2015, LES 1er, 2, 5, 6, 7 ET 8 OCTOBRE 2015, LES 25, 26, 27 ET 28 JANVIER 2016 ET LES 1er ET 2 FÉVRIER 2016. |
JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS ET JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS : |
LE JUGE ROY |
DATE DES MOTIFS : |
Le 16 septembre 2016 |
COMPARUTIONS :
Ronald Dimock Michael Crinson Ryan Evans Bentley Gaikis Naomi Metcalfe
|
Pour la demanderesse |
Marek Nitoslawski David Turgeon Joanie Lapalme Michael Shortt
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Dimock Stratton LLP Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse |
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Montréal (Québec) |
POUR LA DÉFENDERESSE |