Dossier : T-705-13
Référence : 2016 CF 1066
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 21 septembre 2016
En présence de monsieur le juge Locke
ENTRE :
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MEDIATUBE CORP. ET NORTHVU INC.
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demanderesses/ |
et
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BELL CANADA
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défenderesse/ |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
Cette ordonnance est rendue dans le contexte de l’instruction d’une action en contrefaçon de brevet. La défenderesse :
a) sollicite une ordonnance en vertu de l’article 289 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, enjoignant aux demanderesses, conformément à l’article 288, d’apporter des corrections aux réponses à diverses questions posées lors des interrogatoires préalables de la défenderesse, et contenues dans leur extrait des dépositions;
b) s’oppose à la proposition des demanderesses de produire un extrait des refus de la défenderesse de répondre à différentes questions lors des interrogatoires préalables menés par ces dernières;
c) cherche à limiter la force probante de tous documents consignés en preuve par les demanderesses, à l’appui des extraits des interrogatoires préalables, en application de l’article 288.
[2]
La plupart des prétentions des parties et la plupart des présents motifs portent sur le point a) relatif aux extraits pertinents, en vertu de l’article 289. Les deux autres questions sont abordées brièvement à la fin des présents motifs.
I.
Extraits pertinents
[3]
L’article 288 des Règles permet à une partie de présenter en preuve à l’instruction des dépositions recueillies à l’interrogatoire préalable d’une partie adverse. L’article 289 des Règles porte que la Cour peut ordonner d’inclure tout autre extrait de ces dépositions qui ne devrait pas être omis. Les articles 288 et 289 sont rédigés comme suit :
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Je suis d’accord avec les demanderesses que je devrais, dans la présente requête, être principalement guidé par la jurisprudence de la Cour fédérale, bien que des questions similaires aient été abordées par d’autres tribunaux.
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Le juge Michael Phelan a procédé à une importante analyse de l’article 289 dans l’affaire Weatherford Canada Ltd v Corlac Inc, 2009 FC 449 [Weatherford]. Même si le juge Phelan n’avait pas à trancher une question portant sur des extraits d’un interrogatoire préalable ayant été corrigés, il a mentionné que le principe fondamental de l’article 289 est de veiller à ce que les extraits des réponses aux questions reflètent de façon juste les vraies réponses fournies.
[6]
Un autre énoncé de l’objectif de l’article 289 se trouve dans l’affaire Canada (Citizenship and Immigration) v Odynsky, [1999] FCJ no 1389 (QL), au paragraphe 6, (C.F. 1re inst.), en citant la décision Oro Del Norte, SA v Canada, [1991] FCJ no 986 (QL) (C.F. 1re inst.) :
[traduction]
[…] afin de s’assurer que les dépositions, provenant d’un extrait d’un interrogatoire préalable, qui sont présentées en preuve à l’instruction sont placées dans un contexte approprié permettant ainsi qu’elles soient consultées et lues de manière juste, sans qu’il ne soit porté atteinte à une autre partie dans le cas où seulement une partie du contenu pertinent à une compréhension juste de la preuve est consignée.
[7]
Revenant à l’analyse du juge Phelan dans l’affaire Weatherford, il a ensuite décrit dans un sens étroit le droit d’une partie à forcer la partie adverse à intégrer à sa preuve certaines dépositions recueillies lors d’interrogatoires préalables :
2 […] le juge Pelletier (alors juge) dans l’affaire Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c. Fast, 2002 C.F. 1re inst. 542, a brièvement résumé la manière d’aborder la question – « si le témoignage [supplémentaire] indiquait soit que [le témoin] n’avait pas compris la question en cause, ou que le texte qu’on voulait faire intégrer était trompeur, au sens où il suggérait qu’à ce moment-là [le témoin] disait une chose, alors qu’en fait il en disait une autre ».
3 Le juge Gibson, dans l’affaire Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (2002), 17 CPR (4th) 74, a donné à l’article un sens légèrement plus large et il a fait référence à la contextualisation. Je ne retiens de cette décision que le fait que les questions et les réponses doivent être examinées en contexte. Par exemple, une réponse affirmative simple à la question « L’avez-vous fait? » manque de contexte ou de matière.
4 Toutefois, je ne comprends pas les propos du juge Gibson comme signifiant que d’autres questions et d’autres réponses sur le même sujet devaient être ajoutées même s’il l’on comprend déjà à quoi renvoie la question en cause.
[8]
En fonction de ces passages, je devrais permettre des extraits pertinents seulement lorsque (i) le témoin n’a pas bien compris un élément de la question qui lui a été posée, (ii) le passage consigné par les demanderesses dénature les propos du témoin, ou (iii) le passage consigné par les demanderesses manque de contexte ou de matière.
[9]
Si j’appliquais ces critères de manière stricte, je pourrais être porté à rejeter la requête de la défenderesse. Les extraits corrigés ne répondent pas parfaitement à ces critères : le témoin n’a pas mal compris une question lui ayant été posée, les passages produits par les demanderesses ne dénaturent pas les propos du témoin ou ne manquent pas de contexte ou de matière nécessaire.
[10]
Cependant, comme précité, le juge Phelan ne traitait pas de la question des dépositions recueillies lors d’interrogatoires préalables, qui avaient été corrigées.
[11]
Des dépositions, recueillies lors d’interrogatoires préalables, corrigées étaient en cause dans les affaires Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc., 2012 CF 559 [Astrazeneca], et Marchand v Public General Hospital Society of Chatham, [2000] OJ no 4428 (QL), 51 OR (3d) 97 (Ont CA) [Marchand], qui est citée dans Astrazeneca. Ces deux décisions cherchaient à établir si les extraits corrigés étaient admissibles en preuve, plutôt que si elles pouvaient être produites. Toutefois, dans les deux cas, la Cour, en plus de conclure que les extraits corrigés étaient admissibles, a également conclu qu’ils devaient être traités comme des extraits (voir Astrazeneca, au paragraphe 23, Marchand, au paragraphe 85).
[12]
Je suis sensible à l’argument des demanderesses selon lequel la défenderesse peut présenter sa propre preuve allant à l’encontre des réponses, recueillies lors des interrogatoires préalables, qu’elle avait d’abord fournies, et que, par conséquent, il n’est pas nécessaire de contraindre les demanderesses à ajouter les extraits corrigés à leur preuve. Toutefois, je suis d’avis qu’il s’agirait d’une injustice plus importante si la preuve formée des extraits des réponses de la défenderesse ne comprenait pas les corrections et, par conséquent, dénaturerait les réponses que la défenderesse a en fin de compte fournies. Afin de s’assurer que les extraits produits en preuve reflètent de façon juste les réponses fournies (comme le prévoit la décision Weatherford, au paragraphe 2), les extraits corrigés doivent être consignés. Si la défenderesse a le droit d’apporter des corrections à ses réponses (ce dont il est convenu), alors cela comprend certainement le droit d’annuler ces premières réponses.
[13]
En l’espèce, je ne crains aucun danger voulant que la défenderesse tente de présenter des éléments de preuve au moyen des interrogatoires préalables et d’éviter d’avoir à présenter sa propre preuve. La défenderesse a mentionné à maintes reprises lors de l’instruction qu’elle appellera des témoins à témoigner à l’égard des extraits corrigés, et je m’attends à ce qu’elle le fasse. Ces témoins pourront alors être contre-interrogés.
[14]
Plus important encore, même avec les extraits corrigés admis en preuve, je demeure tenu, à titre de juge qui préside, d’examiner le poids à accorder à cette preuve à la lumière de l’ensemble de la preuve, des prétentions des parties concernant des questions comme le moment des corrections et les premières réponses fournies.
[15]
Je ne suis pas porté à écarter les références des extraits corrigés aux documents intitulés « How it Works » (Comment faire?)
, fournis par la défenderesse. Bien qu’il soit clair que l’on ne peut accorder beaucoup de poids à ces documents, à moins qu’un témoin qui peut être contre‑interrogé les aborde, il en est fait mention dans certains des extraits corrigés et ils peuvent servir à comprendre ces derniers.
II.
Production des refus
[16]
Je suis d’accord avec la défenderesse qu’un refus de répondre n’est pas une réponse pouvant être produite. Toutefois, dans la mesure où certains des refus allégués ne sont pas des refus purs et simples, et qu’ils fournissent de fait une forme de réponse, l’extrait peut être produit.
[17]
Je ne suis pas d’accord avec les demanderesses qui prétendent que les refus peuvent être produits en raison de leur pertinence relative aux dépens. Si la défenderesse a indûment refusé de répondre à certaines questions posées lors des interrogatoires préalables, le recours approprié était une requête visant à enjoindre à la défenderesse de répondre. Une ordonnance sur une telle requête traiterait des dépens, selon le cas. En l’absence d’une telle ordonnance, la défenderesse n’était pas tenue de répondre. Je ne vois pas comment des dépens pourraient être imposés à une partie qui refuse à juste titre de répondre à une question posée lors d’un interrogatoire préalable, à moins que le refus n’ait ensuite donné lieu à une réponse. Dans le cas d’un refus qui a ensuite donné lieu à une réponse, le refus initial peut être pertinent à l’égard des dépens et peut être produit.
III.
Documents soumis à l’appui des extraits
[18]
Les parties semblent s’entendre à cet égard.
[19]
La défenderesse s’inquiète de la proposition des demanderesses d’accompagner leurs extraits de certains documents, qui, vraisemblablement, sont liés aux extraits consignés. La défenderesse ne s’y oppose pas, mais elle soutient que de tels documents ne peuvent que servir à clarifier les réponses recueillies lors des interrogatoires préalables auxquels ils se rapportent, et qu’ils ne peuvent être invoqués quant à la véracité de leur contenu.
[20]
Les demanderesses conviennent que c’est le cas dans la mesure où le contenu des documents en cause est du ouï-dire irrecevable.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
Pour toutes les réponses données par la défenderesse lors des interrogatoires préalables que les demanderesses ont consignées en preuve, ces dernières doivent également consigner dans leurs extraits toutes les corrections fournies par la défenderesse.
Les refus de la défenderesse de répondre à certaines questions lors des interrogatoires préalables ne peuvent être consignés en preuve, à moins que certains refus aient été ensuite remplacés par une réponse.
Les documents consignés dans les extraits des demanderesses ne constituent pas, dès lors, une preuve de la véracité de leur contenu.
« George R. Locke »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-705-13
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INTITULÉ :
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MEDIATUBE CORP. ET NORTHVU INC. c. BELL CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 19 septembre 2016
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE LOCKE
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DATE DES MOTIFS :
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Le 21 septembre 2016
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COMPARUTIONS :
Robert H.C. MacFarlane
Joshua W. Spicer
Amrita V. Singh
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POUR LA DEMANDERESSE
MEDIATUBE CORP.
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Steven G. Mason
Fiona Legere
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L.
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
MEDIATUBE CORP.
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Dimock Stratton LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
NORTHVU INC.
|
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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