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Date : 20160907


Dossier : IMM-648-16

Référence : 2016 CF 1011

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MUHAMMAD TAHIR BHATTI

ASMA TAHIR

HAFSA TAHIR

MUHAMMAD AMMAR TAHIR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Tahir et sa famille sont des citoyens du Pakistan qui vivaient à Karachi. M. Tahir était un homme d’affaires prospère. Il a été enlevé en 2015 par des individus qu’il soupçonnait d’être affiliés aux talibans. Il a été détenu pendant quatre jours, puis libéré après le paiement d’une rançon par son beau-père. Après sa libération, M. Tahir a signalé l’enlèvement à la police.

[2]               Immédiatement après le signalement, M. Tahir a reçu un coup de fil sur le téléphone cellulaire de sa conjointe. On lui a dit que ses ravisseurs savaient qu’il avait communiqué avec la police, puis on l’a menacé de mort. Il croit également que ces individus observaient sa fille à l’école. En possession d’un visa valide, la famille Tahir a fui vers les États-Unis au mois d’août 2015. Mme Tahir a un frère au Canada. La famille est arrivée au Canada en octobre 2015 et elle a présenté une demande d’asile.

[3]               En janvier 2016, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande en concluant que les membres de la famille Tahir ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Même si la SPR a reconnu que les allégations de M. Tahir étaient crédibles, elle a conclu : 1) qu’il n’existait aucun lien entre les craintes avancées et les motifs prévus à l’article 96 de la Convention; 2) que les risques auxquels sa famille faisait face étaient généralisés, aux fins du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR; 3) que la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée; 4) et qu’il existait des possibilités de refuge intérieur (PRI) à Lahore, à Faisalabad ou à Islamabad.

[4]               La famille Tahir me demande d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour réexamen par un tribunal différemment constitué. Ils soutiennent que les conclusions de la SPR relatives au risque généralisé, à la protection de l’État et aux possibilités de refuge intérieur étaient déraisonnables.

[5]               Dans ses observations orales, le défendeur a reconnu que les conclusions de la SPR relatives à la protection de l’État et au risque généralisé posaient problème, mais a fait valoir que la conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur s’est avérée déterminante pour l’issue de la demande. Le défendeur soutient que la décision relative aux possibilités de refuge intérieur était raisonnable.

[6]               La seule question que je dois trancher est donc de savoir si la SPR a bel et bien commis une erreur en concluant qu’il existait des possibilités de refuge intérieur viables pour la famille Tahir à Lahore, à Faisalabad ou à Islamabad. On appliquera la norme de contrôle de la décision raisonnable (Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, aux paragraphes 21 à 22; et Frederick c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 649, au paragraphe 14).

[7]               Après avoir entendu les observations orales, j’ai demandé aux parties de présenter d’autres observations écrites concernant l’application du critère à deux volets par la SPR. J’ai examiné et pris en considération les observations écrites supplémentaires des parties.

II.                Analyse

A.                La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existant des possibilités de refuge intérieur viables pour la famille Tahir à Lahore, à Faisalabad ou à Islamabad?

[8]               La juge Catherine Kane a récemment résumé les règles du droit applicables aux possibilités de refuge intérieur dans Pidhorna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 FC 1, aux paragraphes 39 et 40 :

En matière de PRI, le critère est bien établi. Le demandeur a la lourde charge de démontrer que la PRI qu’on lui propose est déraisonnable (Ranganathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2001] 2 CF 164, [2000] ACF no 2118 [CAF]).

Le critère à deux volets applicable en matière de PRI a été établi par le jugement Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 (QL) (CAF) [Thirunavukkarasu]. Le test est le suivant : 1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur; 2) la situation dans la partie du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier.

[9]               Au sein de son exposé du premier volet du critère de la possibilité de refuge intérieur, la SPR a noté à juste titre que la famille Tahir était tenue d’établir qu’il y a une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée, exposée à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de peines ou de traitements cruels et inusités dans son pays. Cependant, plus loin dans sa décision, la SPR précise que : [traduction] « Pour ce qui est du premier volet du critère, je constate que vous n’avez pas démontré qu’il est probable que les personnes que vous craignez vous cherchent et vous trouvent dans l’une de ces villes. » Un peu plus loin, la SPR énonce : [traduction]

Vous n’avez pas non plus démontré que, puisque vous avez défié leur autorité, il serait plus probable qu’improbable qu’ils utilisent leurs ressources pour vous pourchasser dans l’ensemble du pays. Nous ne cherchons pas à savoir s’il s’agit d’une possibilité sérieuse. Nous cherchons plutôt à savoir s’il est probable, si vous déménagez à plusieurs centaines de kilomètres de Karachi, qu’ils soient intéressés et aient la capacité de vous trouver, puis de faire ce que vous craignez qu’il vous fasse. [Non en caractères gras dans l’original.]

[10]           Le défendeur soutient que la décision démontre que le décideur connaît le critère qu’il convient d’appliquer pour les possibilités de refuge intérieur et que, là où la « probabilité » a été énoncée comme étant la norme, il s’intéressait aux constatations factuelles et non pas aux risques. Le défendeur soutient qu’une lecture de la décision dans son ensemble démontre que le critère a été correctement appliqué. Je ne suis pas de cet avis.

[11]           Je reconnais que, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, les phrases et les mots énoncés par un décideur ne doivent pas être considérés isolément, mais qu’ils doivent être lus dans le contexte de l’ensemble de la décision (Huerta Morales c. Canada (Citoyenneté et Immigration]), 2009 CF 216, au paragraphe 11).

[12]           La SPR a correctement déterminé et exposé le premier volet du critère au début de son analyse relative à la possibilité de refuge intérieur. Ce n’est pas cet énoncé, mais plutôt ceux qui suivent qui soulèvent des doutes quant à savoir si le bon critère a été appliqué. À cet égard, je qualifierais l’exposé relatif au critère, au début de l’analyse des possibilités de refuge intérieur, de « paragraphe passe-partout ». Il ne me semble donc pas tout particulièrement convaincant relativement à la norme que la SPR doit respecter dans le cadre de son analyse, tout particulièrement en tenant compte du fait que des énoncés apparemment contradictoires sont énoncés dans la même analyse (Caprio c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 383, au paragraphe 14, mentionné dans Ghose c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 343, au paragraphe 22).

[13]           En l’espèce, la SPR semble avoir demandé à la famille Tahir de démontrer [traduction] s’il est probable, si elle déménage à plusieurs centaines de kilomètres, que [les agents de persécution] soient intéressés et aient la capacité de la trouver puis de lui faire ce qu’elle craint qu’on lui fasse. Je suis d’avis que la situation s’apparente à celles de Ghose et Caprio. Elle soulève un doute quant à savoir si le bon critère a bel et bien été appliqué par la SPR. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision qui justifie l’intervention de cette Cour.

III.             Conclusion

[14]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande. L’affaire est renvoyée pour réexamen à un tribunal constitué différemment. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-648-16

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD TAHIR BHATTI, ASMA TAHIR HAFSA TAHIR MUHAMMAD AMMAR TAHIR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Ashley Fisch

 

Pour les demandeurs

 

Christopher Ezrin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker Weinstock Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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