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Date : 20160916


Dossier : IMM-5832-15

Référence : 2016 CF 1049

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

GIFT DANIEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               À son arrivée au Canada, en février 2015, Mme Daniel a présenté une demande d’asile au motif du traitement qui lui était infligé au Nigéria. Elle affirme avoir été forcée de subir une mutilation génitale féminine et elle prétend qu’elle a été vendue à un homme plus âgé qui la confinait dans sa maison sous la surveillance de gardes du corps. Elle affirme également avoir été victime de violence sexuelle, physique et psychologique. Elle a demandé la protection de la police, mais en vain. En février 2015, avec l’aide d’un passeur, elle s’est enfuie de la maison et du Nigéria. À son arrivée au Canada, elle était munie d’un passeport et de documents d’identité contrefaits.

[2]               En avril 2015, Mme Daniel a assisté à une audience sur sa demande d’asile et la Section de la protection des réfugiés (SPR) a déterminé qu’elle était un témoin crédible et elle a reconnu son identité personnelle. Mme Daniel a été acceptée en tant que réfugiée au sens de la Convention.

[3]               Le défendeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR), alléguant que la demanderesse n’avait pas établi son identité et que le statut de réfugié avait été accordé à une personne inconnue.

[4]               La SAR a rejeté la demande de réfugiée de Mme Daniel, concluant que celle-ci n’avait pas établi son identité.

[5]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Daniel soutient que l’évaluation de son identité par la SAR était déraisonnable. Elle maintient que la SAR aurait dû s’en remettre aux conclusions de la SPR concernant les questions d’identité et de crédibilité qui, selon elle, sont liées à un degré tel que l’on ne peut pas considérer l’une sans l’autre.

[6]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAR a rendu une décision raisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Questions en litige

[7]               La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

A.                Dans le cas présent, est-ce que la SAR doit s’en remettre aux conclusions de la SPR?

B.                 La décision de la SAR concernant l’identité est-elle raisonnable?

C.                 Est-ce que la SAR était tenue de se pencher sur la crédibilité de la demanderesse?

D.                Est-ce que les parties ont soumis des questions devant être certifiées?

III.             Analyse

A.                Dans le cas présent, est-ce que la SAR doit s’en remettre aux conclusions de la SPR?

[8]               La SPR a reconnu l’identité de Mme Daniel et a admis sa crédibilité. Mme Daniel soutient que la SAR devait s’en remettre à la conclusion de la SPR concernant son identité parce que, contrairement à la SPR, la SAR n’a pas procédé à une audience complète de tous les éléments de preuve de fond.

[9]               En ce qui concerne la question de l’identité, la SAR a examiné à la fois les éléments de preuve qui lui avaient été soumis et ceux qui avaient été présentés à la SPR. La SAR a tenu une audience et elle a entendu la preuve orale directement de Mme Daniel. La SAR s’est également appuyée sur les documents et les éléments de preuve fournis par  Mme Daniel, mais elle n’a pas examiné les documents que le défendeur avait présentés. La preuve offerte par Mme Daniel incluait son témoignage oral devant la SPR et devant la SAR, son formulaire Fondement de demande d’asile (FDA) et les documents de sa demande d’asile, ainsi que la preuve documentaire personnelle qu’elle avait soumise.

[10]           La SAR a conclu que Mme Daniel n’avait pas établi son identité et, comme son identité était déterminante pour sa demande d’asile, elle n’avait pas à se pencher sur sa crédibilité.

[11]           Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica), 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale confirme que dans un cas comme celui-ci, la SAR n’est nullement tenue de s’appuyer sur les conclusions de la SPR, en ce qui concerne la question d’identité. Il était loisible à la SAR d’évaluer la preuve offerte de manière indépendante et de tirer sa propre conclusion. Dans de telles circonstances, la SPR ne bénéficiait d’aucun avantage par rapport à la SAR.

[12]           En conséquence, je conclus que la SAR n’était pas tenue de s’en remettre à la conclusion de la SPR parce qu’elle a effectué une évaluation indépendante de la question de l’identité de la demanderesse.

B.                 La décision de la SAR concernant l’identité est-elle raisonnable?

[13]           La conclusion de la SAR concernant la question de l’identité est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 377; Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 969). Bref, il s’agit de déterminer si, en l’espèce, la décision repose sur « la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » et si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, au paragraphe 47).

[14]           Dans la présente instance, la SAR a tenu une audience orale et elle a noté que la question déterminante était de savoir si la demanderesse avait établi son identité selon la prépondérance des probabilités.

[15]           La SAR a évalué la preuve de manière indépendante et elle a tiré sa propre conclusion. Ce faisant, elle s’est appuyée sur les documents et le témoignage de la demanderesse, et non sur les documents présentés par le défendeur. La preuve offerte par la demanderesse incluait son témoignage oral devant la SPR et devant la SAR, son formulaire Fondement de demande d’asile (FDA) et les documents de sa demande d’asile, ainsi que la preuve documentaire personnelle qu’elle avait soumise, à savoir :

                     un permis de conduire expiré, un permis de conduire temporaire actuel et une copie de son permis de conduire permanent actuel;

                     deux constats de naissance émanant du gouvernement du Nigéria;

                     un affidavit notarié de sa mère;

                     une lettre de son frère;

                     des copies de courriels échangés entre son frère et son avocat;

                     un affidavit d’un interprète agréé de la Commission.

[16]           La SAR nourrissait des doutes quant à l’authenticité des trois permis de conduire de la demanderesse. La SAR a interrogé la demanderesse concernant la divergence dans sa signature sur son permis de conduire expiré et sur son permis de temporaire. La demanderesse a expliqué qu’elle avait oublié de signer le formulaire lorsqu’elle l’a obtenu. Elle a précisé qu’un ami, qui travaille au bureau des licences, a imité sa signature en son nom. La SAR a jugé que ce document contrefait avait été obtenu de manière irrégulière et, en conséquence, ne pouvait être considéré comme un document fiable pour établir l’identité de la demanderesse.

[17]           La SAR a également conclu que le témoignage de la demanderesse relativement à la manière dont elle avait soumis sa demande de permis de conduire n’était pas crédible. Dans son témoignage, la demanderesse a déclaré que son ami lui avait de nouveau apporté son aide. Cependant, selon la preuve documentaire objective, au moment des faits, pour obtenir un permis de conduire au Nigéria, la demanderesse aurait dû fournir ses données biométriques en personne, y compris sa photo, ses empreintes digitales et sa signature. La SAR n’a pas accepté le témoignage de la demanderesse voulant que son ami l’ait à nouveau aidée à remplir les formalités au bureau des licences et ait passé outre à ces exigences. En outre, même si cet ami a aidé la demanderesse, la SAR a jugé que le permis de conduire avait été obtenu de manière irrégulière et, en conséquence, ne constituait pas une preuve fiable de son identité.

[18]           La SAR a également relevé des incohérences entre le permis de conduire temporaire et le permis de conduire permanent. Les couleurs sur la version permanente étaient pâlies et les caractéristiques de sécurité étaient extrêmement atténuées et, dans certains cas, presque invisibles. L’emplacement de la signature sur les deux permis était également différent. La demanderesse n’a pas pu expliquer ces divergences.

[19]           La SAR a noté que la preuve documentaire mentionne que la fraude est largement répandue au Nigéria et que l’on peut se procurer de documents contrefaits tant au Nigéria qu’à l’extérieur du pays. N’importe quel document peut être falsifié et il est possible d’obtenir d’authentiques documents officiels, y compris des permis de conduire. La SAR a conclu que la demanderesse, qui était entrée au Canada au moyen d’un passeport et d’autres documents d’identification contrefaits, avait démontré qu’elle était en mesure d’obtenir des documents contrefaits et qu’elle était disposée à en utiliser.

[20]           En conséquence, la SAR a conclu que les permis de conduire n’étaient pas des documents sur lesquels on pouvait s’appuyer pour établir l’identité de la demanderesse. Elle a aussi conclu que le témoignage de la demanderesse concernant la manière dont elle avait obtenu ces permis de conduire n’était pas crédible. Elle a jugé que les permis de conduire n’étaient sans doute pas authentiques, ce qui a généralement miné la crédibilité de la demanderesse.

[21]           En raison de cette conclusion, la SAR a jugé que la valeur probante des autres documents déposés par la demanderesse était insuffisante pour surmonter son manque de crédibilité.

[22]           La demanderesse a déposé un premier constat de naissance émanant du gouvernement du Nigéria indiquant que son nom était Gife Daniel, et non pas Gift Daniel. Lorsqu’on le lui a fait remarquer, la demanderesse a déposé une version corrigée de son constat de naissance, accompagnée d’un affidavit de sa mère. La SAR a jugé que la version corrigée du constat de naissance ne pouvait pas expliquer pourquoi le soi-disant prénom de la demanderesse sur le premier constat de naissance était mal orthographié. En outre, la SAR a mentionné que la preuve documentaire montrait qu’il est facile d’obtenir de tels documents. Vu les autres problèmes de crédibilité de la demanderesse et le nombre élevé de documents contrefaits au Nigéria, la SAR a jugé que l’on ne pouvait accorder que peu de poids aux constats de naissance et à l’affidavit de la mère de la demanderesse.

[23]           La SAR a aussi examiné la lettre du frère de la demanderesse et la correspondance entre son frère et son avocat. La SAR a constaté qu’il n’existait aucun moyen de confirmer que l’auteur de la lettre ou des courriels échangés avec l’avocat de la demanderesse était bel et bien son frère. Cet élément de preuve ajoute très peu de poids à l’identité de la demanderesse. De plus, celui-ci n’a pas permis de dissiper les doutes quant à la crédibilité découlant de la présentation de permis de conduire non authentiques.

[24]           Enfin, la demanderesse a présenté un affidavit émanant d’un interprète agréé de la Commission qui, s’appuyant sur les capacités linguistiques de la demanderesse et sur l’apparence de ses marques tribales faciales, croyait que celle-ci n’était pas née au Nigéria ou alors qu’elle n’y avait pas vécu très longtemps. La SAR a accepté cet élément de preuve, mais elle a jugé qu’il n’établissait pas l’identité personnelle de la demanderesse et n’offrait aucune preuve de sa citoyenneté.

[25]           En conséquence, la SAR a conclu que la demanderesse n’était pas parvenue à fournir une preuve suffisamment fiable et crédible pour établir son identité. En conséquence, la SAR a annulé la conclusion de la SPR et y a substitué sa propre conclusion à l’effet que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[26]           Notre Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve d’identité dont était saisie la SAR. Lors du contrôle judiciaire, la demanderesse doit démontrer que la SAR a commis une erreur susceptible de révision dans son évaluation de ces éléments de preuve. À mon avis, la demanderesse ne l’a pas fait. La SAR n’a pas agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a rejeté les éléments de preuve et les explications de la demanderesse concernant la manière irrégulière dont elle avait obtenu les permis de conduire. En conséquence, la SAR n’a pas agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a conclu que l’identité de la demanderesse n’avait pas été établie.

C.                 Est-ce que la SAR était tenue de se pencher sur la crédibilité de la demanderesse?

[27]           La demanderesse soutient que les questions d’identité et de crédibilité sont liées à un degré tel en l’espèce que la SAR a commis une erreur en n’examinant pas sa crédibilité conjointement avec son identité.

[28]           Comme l’identité est une question préliminaire déterminante, aucune analyse plus poussée du bien-fondé d’une demande n’est requise lorsque l’identité du demandeur n’est pas établie : Diarra c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 123, aux paragraphes 22 et 32.

[29]           Dans Hodanu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 FC 474, la Cour a réitéré le fait qu’il incombe au demandeur de fournir des documents fiables pour établir son identité et que si l’identité du demandeur n’a pas été établie, il n’est pas nécessaire d’analyser plus à fond la preuve et la demande. La Cour déclare :

[17]      Selon l’article 106 de la LIPR, il incombe au demandeur de présenter des documents acceptables pour établir son identité. S’il n’est pas en mesure de le faire, la Commission doit prendre en compte le fait que le demandeur ne peut raisonnablement justifier l’absence de tels documents et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer  (Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 259, par. 6, Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 877, par. 14). Si l’identité du demandeur n’a pas été établie, il n’est pas nécessaire d’analyser plus à fond la preuve et la demande (Qiu, par. 14, Zheng, par. 15).

[30]           En l’espèce, dès que la SAR a conclu que l’identité de la demanderesse n’avait pas été établie, elle n’avait aucune obligation d’analyser la demande plus à fond.

D.                Est-ce que les parties ont soumis des questions devant être certifiées?

[31]           La demanderesse a demandé que la question suivante soit certifiée :

Dans le contexte de l’identité d’un demandeur, faut-il interpréter l’alinéa 111(2)b) de la LIPR de manière à ce que la SAR ne puisse annuler une décision de la SPR et y substituer sa propre décision sans entendre toute la preuve qui a été entendue par la SPR, y compris la preuve de fond?

[32]           La demanderesse s’appuie sur l’affaire R.K. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1304 pour alléguer que la SAR ne peut pas tenir une audience partielle de novo.

[33]           Le défendeur s’oppose à la certification de cette question et il soutient que cette question ne [traduction] « transcende pas les intérêts des parties au litige et n’aborde pas des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale », comme l’expliquent Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, et Kunkel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 347.

[34]           L’affaire R.K. se distingue de la présente instance. En ce qui concerne l’identité, la SAR a examiné tous les éléments de preuve, y compris ceux dont la SPR avait été saisie. En conséquence, il n’y a pas eu d’audience partielle sur la question de l’identité. La SAR n’avait pas à se pencher sur la question de la crédibilité, puisque la demanderesse n’avait pas résolu la question préliminaire fondamentale de l’identité.

[35]           J’estime que la SAR s’est acquittée du rôle qui lui est dévolu au paragraphe 111 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et conformément à l’orientation donnée dans Huruglica ci-dessus. Par conséquent, je refuse de certifier la question, puisque le sujet abordé s’applique uniquement au cas de la demanderesse.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5832-15

INTITULÉ :

GIFT DANIEL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 16 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

Pour la demanderesse

Nicole Rahaman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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