Date : 20160725
Dossier : IMM-5633-15
Référence : 2016 CF 871
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2016
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE : |
MENGISTU BIFTU ADERA |
MEKIDES GIRMA WARGA |
HEMAN MENGISTU BIFTU |
ELDAAH MENGISTU BIFTU |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. INTRODUCTION
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le 23 novembre 2015 (la décision), dans laquelle la SAR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs contre la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et a confirmé que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention selon la définition donnée par l’article 96 de la Loi ni des personnes à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi.
II. CONTEXTE
A. Faits
[2] Mengistu Biftu Adera (le demandeur principal), son épouse, Mekides Girma Warga, et leurs deux enfants mineurs, Heman Mengistu Biftu et Eldaah Mengistu Biftu, sont tous citoyens de l’Éthiopie.
[3] Le demandeur principal affirme être membre du Parti Bleu (Blue Party) depuis 2013 et avoir été choisi comme observateur électoral pour l’élection nationale du 24 mai 2015. Il affirme avoir été arrêté et détenu par les autorités éthiopiennes le 20 mai 2015 pendant cinq jours en raison de ses opinions et activités politiques. Au cours de cette période, il déclare qu’il a été battu et interrogé au sujet de ses voyages en Europe et qu’on lui a demandé de nommer les contacts du parti d’opposition. Le demandeur principal a payé sa caution et il a été libéré le 25 mai 2015 sous certaines conditions, notamment qu’il ne quitte pas Addis-Abeba et qu’il ne participe pas à des activités d’opposition politique.
[4] Les demandeurs étaient munis de visas de voyage au Canada qui n’avaient pas été utilisés et qui avaient été délivrés en novembre 2014. Ils s’en sont servis pour fuir l’Éthiopie. L’épouse du demandeur principal, une employée de Turkish Airways, a soudoyé un agent de sécurité de l’aéroport par l’intermédiaire d’un collègue de travail afin qu’ils puissent quitter l’aéroport d’Addis-Abeba le 3 juin 2015.
[5] Le demandeur principal et son épouse disent craindre d’être emprisonnés et torturés s’ils étaient renvoyés en Éthiopie en raison de l’opinion politique et de l’adhésion à un parti politique du demandeur principal.
B. Décision de la SPR
[6] Les demandes d’asile des demandeurs ont été entendues par la SPR le 17 août 2015. Ayant conclu que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible au sujet de son activité politique revendiquée, la SPR a rejeté les demandes d’asile dans des motifs écrits datés du 10 septembre 2015. Les demandeurs ont interjeté appel de la décision auprès de la SAR.
III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[7] Lors de l’appel, les demandeurs ont présenté des documents supplémentaires à titre de nouveaux éléments de preuve conformément au paragraphe 110(4) de la Loi : un affidavit préparé par Mekides Girma Warga, l’épouse du demandeur principal, et deux photographies. L’affidavit daté du 3 octobre 2015 indiquait que des voisins de la famille avaient signalé que la maison et les meubles de la famille avaient été saisis par le gouvernement. Des photos corroborant cette information, qui avaient été envoyées par la sœur de Mekides Girma Warga, étaient également incluses. Si les documents ont été acceptés comme nouveaux éléments de preuve, la SAR leur a accordé peu de poids et n’a pas estimé qu’ils établissaient que le gouvernement était toujours intéressé à persécuter le demandeur principal pour plusieurs raisons, notamment que l’affidavit n’indiquait pas quand le gouvernement avait saisi les biens et qu’il ne contenait pas de déclaration sur les allégations de biens saisis. En outre, les photos ne comportaient aucun timbre dateur ou élément permettant de fournir une indication quant à l’adresse de la maison qui figurait sur les photos. La SAR a conclu que les documents n’étayaient pas une allégation selon laquelle des meubles avaient été retirés du domicile des demandeurs, et encore moins que ces meubles avaient été saisis par les autorités éthiopiennes.
[8] La SAR a souligné que d’après les éléments de preuve documentaire, il y a environ deux douzaines de partis politiques en Éthiopie pour un pays dont la base électorale est de 30 millions de personnes. Bien que les autorités éthiopiennes aient parfois harcelé ou persécuté les dirigeants du parti d’opposition, la SAR a conclu que si les membres ordinaires ou même tous les fonctionnaires d’un parti d’opposition étaient persécutés par l’État, les éléments de preuve documentaire en feraient mention.
[9] La SAR a fait remarquer que les éléments de preuve concernant le traitement des membres du Parti Bleu étaient quelque peu contradictoires. Si la direction du parti a indiqué que 60 à 90 de ses membres avaient été arrêtés par les autorités et relâchés après plusieurs heures sans être accusés, d’autres sources restent muettes sur ce point.
[10] La SAR a examiné les questions posées au demandeur principal par la SPR, notant que son témoignage concernant le Parti Bleu et ses candidats ne correspondait pas à celui d’un agent politique ou même d’un membre actif d’un parti politique. La SAR, tout comme la SPR, n’a pas trouvé l’explication du demandeur principal au sujet de son manque de connaissances – qu’il avait voyagé en dehors de l’Éthiopie avant l’élection de 2015 – raisonnable.
[11] La SAR était d’accord avec le fait que le demandeur principal n’était qu’un simple membre du Parti Bleu et qu’il n’avait pas le profil d’un militant politique qui serait visé par les autorités pour quelque raison que ce soit. Le dossier a démontré que la SPR avait examiné tous les éléments de preuve, y compris ceux relatifs à la détention présumée du demandeur principal du 20 au 25 mai 2015, et qu’elle avait clairement exprimé sa conclusion selon laquelle il n’était pas crédible au sujet de ses activités politiques.
[12] De plus, dans l’enregistrement audio de l’audience de la SPR, la SAR a constaté que le demandeur principal était un témoin difficile et évasif, que le tribunal avait souvent dû l’inciter à répondre et qu’il avait fourni des réponses embellies et confuses.
[13] Les demandes d’asile des autres demandeurs ont été jugées entièrement dépendantes de celles du demandeur principal et, par conséquent, ont également été rejetées.
IV. QUESTIONS EN LITIGE
[14] Les demandeurs avancent que ce qui suit est en litige dans la présente instance :
• La SAR a-t-elle commis des erreurs de droit susceptibles d’être révisées en confirmant la décision de la SPR et en rejetant l’appel?
V. NORME DE CONTRÔLE
[15] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.
[16] Les demandeurs n’ont avancé qu’une seule question à trancher dans cette affaire, à savoir celle qui consiste à déterminer si la SAR a commis une erreur susceptible de révision dans sa décision de confirmer celle de la SPR. Les deux parties sont d’accord et je suis d’accord pour dire que la norme de contrôle à appliquer dans l’examen des conclusions de la SAR et l’évaluation par la SAR des éléments de preuve est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35; Siddiqui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028, au paragraphe 42 [Siddiqui].
[17] Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient» à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[18] Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :
Définition de « réfugie « |
Convention Refugee |
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques: |
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, |
(a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; |
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or |
(b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country. |
Personne à protéger |
Person in need of protection |
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée: |
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally |
(a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; |
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or |
(b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant: |
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if |
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, |
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, |
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, |
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, |
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, |
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and |
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir |
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
Fonctionnement |
Procedure |
110 (3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission. |
110 (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board. |
… |
… |
Audience |
Hearing |
(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois : |
(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3) |
a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; |
(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal; |
b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; |
(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and |
c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. |
(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim. |
… |
… |
Décision |
Decision |
111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés. |
111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions: (a) confirm the determination of the Refugee Protection Division; (b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or (c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate. |
VII. ARGUMENTS
A. Demandeurs
[19] Les demandeurs affirment que la décision était fondée sur des conclusions de fait qui étaient contraires aux éléments de preuve présentés à la SAR. Par exemple, la décision précise à tort que, malgré le [traduction] « harcèlement et la persécution des dirigeants politiques de plusieurs partis d’opposition, les partis d’opposition ont remporté de nombreux sièges à l’Assemblée ». Les demandeurs soulignent que les éléments de preuve disponibles à l’audience de la SPR, y compris les documents publiés par la Fondation internationale pour les systèmes électoraux et la Mission d’observation électorale de l’Union européenne, indiquent que le parti au pouvoir (le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien) et ses partis alliés ont remporté 547 sièges. Aucun de ces partis alliés ne peut être considéré comme un « parti d’opposition ».
[20] De plus, la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur principal n’avait pas le profil politique pour être persécuté dans le futur n’est pas liée à la crédibilité de sa détention en mai 2015; la SPR n’a tiré aucune conclusion selon laquelle il n’aurait pas été détenu comme il l’avait prétendu. C’était une erreur pour la SAR que de faire un tel sous-entendu. Elle a commis une autre erreur en faisant fi des éléments de preuve indépendants qui corroborent la détention du demandeur principal. Les demandeurs ont soumis deux articles de magazine qui indiquent que les membres des partis d’opposition sont devenus des victimes, y compris des personnes qui avaient été désignées pour devenir des observateurs électoraux. Il n’était pas loisible à la SAR de faire fi de cette preuve. En outre, les demandeurs soutiennent que, contrairement aux conclusions de la SAR, les éléments de preuve documentaire sont remplis d’exemples de détentions et de persécutions de membres ordinaires de partis d’opposition tels que le Parti Bleu, y compris ceux qui sont perçus comme des membres ordinaires. Dans une précédente affaire aux circonstances similaires, la Cour fédérale a conclu que la Commission avait commis une erreur en faisant fi des éléments de preuve documentaire qui contredisaient sa conclusion selon laquelle le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté parce que sa faible notoriété ne risquait pas d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes : Dessie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1497, au paragraphe 5 [Dessie].
[21] En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs à la SAR, ils font remarquer que la SAR n’a donné aucune raison de rejeter la fiabilité du témoignage sous serment de l’épouse du demandeur principal. Si la SAR avait des préoccupations au sujet de la crédibilité de la preuve contenue dans l’affidavit, elle aurait dû tenir une audience.
[22] Il n’était pas loisible à la SAR de tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité en se fondant sur le comportement du demandeur principal alors que la SPR n’avait tiré aucune conclusion de ce genre. C’est la SPR qui a eu l’avantage d’observer le témoignage du demandeur principal. De plus, un témoignage problématique ne manque pas nécessairement de crédibilité. En l’absence d’une réelle conclusion défavorable en matière de crédibilité, le fait que la SAR a qualifié le demandeur principal de témoin difficile et évasif jette un doute sur la fiabilité de sa preuve.
B. Défendeur
[23] Le défendeur reconnaît que la SAR a commis une erreur en constatant que les partis d’opposition ont remporté de nombreux sièges aux élections de 2015 en Éthiopie et en faisant observer que la lettre soumise par les demandeurs et rédigée par la police manquait de crédibilité, car elle était datée selon le calendrier grégorien et non selon le calendrier éthiopien. Cependant, il est soutenu que ces erreurs n’ont aucune incidence sur l’appréciation de la crédibilité générale du demandeur principal et ne contredisent pas la décision dans son ensemble : Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.F.), au paragraphe 22; Shi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 199, aux paragraphes 12 et 13.
[24] Le défendeur soutient que, contrairement aux affirmations des demandeurs selon lesquelles aucun commentaire n’a été fait dans la décision de la SPR sur la qualité du témoignage oral du demandeur principal dans le cadre de son évaluation de sa crédibilité, la SPR s’est en fait prononcée sur sa cohérence, ses hésitations, ses incohérences, et elle a fait remarquer qu’il était apparu agité lorsqu’il a été interrogé. La SAR a examiné les éléments de preuve et la qualité du témoignage des demandeurs à la lumière de la conclusion de la SPR sur la crédibilité.
[25] En ce qui concerne la détention alléguée du demandeur principal, le défendeur affirme que l’examen indépendant par la SAR de la preuve et des motifs de la SPR ainsi que sa propre décision sur la question minent toute allégation selon laquelle la SPR n’a pas tiré de conclusions de crédibilité claires à cet égard. La SPR a clairement exprimé son scepticisme à l’égard du récit du demandeur principal, y compris ses allégations d’arrestation et de détention. Après avoir conclu qu’il n’était pas suffisamment crédible pour qu’un profil d’activiste politique susceptible d’être ciblé puisse être établi, la SPR n’a cru à aucune allégation découlant de son profil politique revendiqué, y compris toute arrestation et toute détention.
[26] Si le demandeur principal avait été aussi actif au sein du Parti Bleu qu’il le prétendait, il aurait dû être en mesure de donner des réponses plus précises sur les objectifs du parti. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en l’espèce, car il y avait des lacunes inexplicables dans les connaissances du demandeur principal au sujet du paysage politique éthiopien.
[27] Bien que ni la SPR ni la SAR n’aient expressément mentionné les articles de magazine soumis par les demandeurs, étant donné qu’ils n’étaient pas suffisants pour appuyer une décision favorable relativement à la demande en l’absence de crédibilité, il était raisonnable qu’ils ne se voient accorder aucun poids. Aucun des deux tribunaux n’est tenu de se référer à tous les éléments de preuve inscrits au dossier et tous deux sont présumés avoir examiné tous les éléments de preuve dont ils ont été saisis : McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, paragraphes 71 et 72.
[28] La SAR a reconnu que les éléments de preuve documentaire généraux concernant le traitement des membres du Parti Bleu brossaient un tableau contradictoire, mais a conclu que cela n’établissait pas que l’adhésion à elle seule était suffisante pour justifier une crainte bien fondée de persécution en Éthiopie. Le demandeur principal n’avait pas de profil (dirigeant, militant, manifestant, organisateur) susceptible de le mettre en danger. L’examen par la SAR de tous les éléments de preuve n’était pas déraisonnable : Johal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1760, aux paragraphes 10 et 11.
[29] Le défendeur soutient que les demandeurs sont essentiellement en désaccord avec le poids que la SAR a accordé à certains éléments de preuve par rapport à d’autres. Cela ne justifie pas l’intervention de la Cour.
[30] Le défendeur affirme que la décision Dessie précitée invoquée par les demandeurs peut être distinguée de la situation actuelle, car la SAR en l’espèce n’a pas reconnu la véracité du récit du demandeur principal et n’a pas accepté qu’il avait été arrêté et détenu. Dans la mesure où les demandeurs peuvent tenter de se fonder sur cette affaire pour invoquer les conclusions de fait de la Cour, chaque affaire renvoie à ses faits et à son dossier particulier.
[31] Le défendeur soutient qu’aucune question défendable ne découle du traitement par la SAR des nouveaux éléments de preuve des demandeurs ou du fait qu’elle n’a pas tenu d’audience. La SAR a expliqué de façon claire et exhaustive pourquoi elle a accordé peu de poids aux nouveaux éléments de preuve des demandeurs; elle n’a tout simplement pas trouvé que les documents étaient suffisamment crédibles et dignes de foi pour démontrer que le gouvernement attache toujours un intérêt à poursuivre le demandeur principal pour les motifs allégués dans la demande. De plus, étant donné que la SAR n’avait pas de préoccupations au sujet de la crédibilité de la preuve elle-même, il n’était pas nécessaire de tenir une audience en vertu du paragraphe110(6) de la Loi.
VIII. ANALYSE
[32] La SAR a admis que le demandeur principal était un membre en bonne et due forme du Parti Bleu mais, pour diverses raisons, a déterminé qu’il [traduction] « n’a pas le profil d’une personne susceptible d’être persécutée par l’État ». La décision est fondée sur le fait que, bien que les dirigeants du Parti Bleu puissent être harcelés et parfois persécutés, [traduction] « les risques pour que les membres des partis politiques de l’opposition fassent l’objet de persécutions sont moindres », notamment le demandeur principal. Les demandeurs invoquent divers motifs de contrôle.
A. L’incident lié à l’arrestation et à la détention
[33] Au paragraphe 30 de la décision, la SAR conclut ce qui suit : [traduction]
Les motifs de la SPR sont transparents en ce qui a trait à la conclusion que l’appelant principal était un membre en bonne et due forme du Parti Bleu et qu’il n’était qu’un membre en bonne et due forme du parti que depuis février 2013. Il n’avait pas le profil de quelqu’un qui serait visé et, par conséquent, les incidents présumés d’arrestation et de détention par les autorités pendant cinq jours ne sont pas crédibles.
[34] Les demandeurs affirment maintenant que la SPR n’a pas conclu que la détention du demandeur principal en mai 2015 n’était pas crédible. Cette question est importante étant donné qu’elle pourrait avoir une incidence sur l’évaluation du profil et des risques prospectifs.
[35] Mon examen de la décision de la SPR révèle ce qui suit aux paragraphes 11 à 15 et au paragraphe 17 : [traduction]
[11] En bref, le demandeur ne savait pas combien de candidats du Parti Bleu s’étaient présentés lors des récentes élections, et il ne savait pas non plus combien avaient été élus. Il était incapable de nommer les candidats du parti, à l’exception du seul candidat de sa propre province. Il était certain que le candidat de sa propre province avait été élu alors que les résultats des élections indiquent qu’aucun candidat du Parti Bleu n’a été élu. Il n’a pas réussi à indiquer le nom complet des autres partis d’opposition qui contestaient les élections, mais s’est rappelé avoir vu leurs affiches et d’autres supports publicitaires. Les explications fournies par le demandeur quant aux raisons pour lesquelles il ne connaissait pas les résultats des élections étaient qu’il avait quitté le pays pendant de longues périodes avant les élections, mais à une exception près, il ne se rappelait plus dans quels pays il était allé ou quand il était sorti du pays.
[12] Le demandeur principal a été invité à dire comment une personne soi-disant aussi politiquement active que lui pouvait être aussi (sic) mal informée du résultat des élections de 2015 en Éthiopie. Il est incapable de fournir une explication. Le tribunal a conclu que le demandeur n’est pas un membre actif du Parti Bleu. Le tribunal tire une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur.
[13] Le tribunal conclut qu’il est probable, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était membre du Parti Semayawi (Parti Bleu), mais qu’il était un membre ordinaire et qu’il n’était pas aussi politiquement actif en Éthiopie qu’il le prétendait. Par conséquent, le demandeur n’avait pas le profil d’un militant politique qui serait la cible des autorités. Le tribunal conclut que le demandeur ne serait pas exposé à un risque, selon la prépondérance des probabilités, en raison de ses opinions et activités politiques s’il devait retourner en Éthiopie.
[14] Le demandeur principal a fourni une lettre du Parti Semeyawi (sic) attestant de son adhésion et de sa participation au parti, ainsi que du fait [traduction] « qu’il avait fait du porte-à-porte et avait dit aux gens de soutenir le Parti Bleu et, récemment, de voter pour ce parti ». Il existait une incohérence entre le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et la preuve documentaire d’une part, ce qui tend à démontrer l’existence d’un militant actif et engagé, et le témoignage oral qui révèle une lacune inexplicable dans la connaissance du paysage politique éthiopien par le demandeur principal de l’autre. Le tribunal n’a pas pu accorder de poids à la lettre du parti Semeyawi (sic).
[15] Le demandeur principal a fourni une lettre de convocation émise par la commission de police d’Addis-Abeba. La lettre ordonne au demandeur de se présenter à un poste de police pour y être interrogé. La lettre ne précise pas s’il est un suspect ou un témoin, et rien n’indique qu’il est recherché par la police en raison de ses opinions ou de ses activités politiques. Compte tenu des doutes que le tribunal avait sur la question de savoir si le demandeur était un membre actif du Parti Bleu, le tribunal a fait preuve de prudence en accordant du poids à la lettre de convocation de la police. Il est bien établi que la crédibilité générale d’un demandeur peut avoir une incidence sur le poids accordé à la preuve documentaire. Étant donné les nombreuses failles dans la crédibilité du demandeur, le tribunal n’a pas pu accorder beaucoup de poids à ce rapport.
[…]
[17] Le tribunal conclut que le demandeur principal n’est pas crédible lorsqu’il affirme être recherché par les autorités éthiopiennes en raison de ses opinions politiques. Étant donné les multiples constatations de manque de crédibilité, le tribunal conclut qu’il est plus probable qu’improbable que les demandeurs ne soient pas exposés à un risque de torture ou à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[Notes de bas de page omises]
[36] Cette question a été soulevée devant la SAR qui l’a traitée comme suit : [traduction]
[29] Les appelants ont fait valoir que la SPR a commis une erreur en ne tirant pas de conclusion claire quant à la crédibilité au sujet du principal événement qui a donné lieu aux craintes de persécution des appelants, à savoir la détention de l’appelant principal du 20 au 25 mai 2015. Je ne suis pas convaincu. Le dossier montre que la SPR a examiné toute la preuve concernant cet incident et qu’elle a conclu que l’appelant principal n’était pas crédible à propos de ses activités politiques. La SPR n’a pas l’obligation de citer chaque incident allégué.
[37] Le demandeur principal fait valoir ce qui suit : [traduction]
La conclusion de la SPR sur le manque de profil politique a trait à ses craintes de persécution future, et non à sa détention en mai 2015. Sa détention en 2015 ne résultait pas de ses activités politiques présumées ou de son profil, mais de ses déplacements en dehors de l’Éthiopie et de son appartenance au Parti Bleu.
[38] Le paragraphe 13 de la décision de la SPR traite clairement des allégations du demandeur principal selon lesquelles il aurait été pris pour cible par le passé et serait exposé à un risque futur. En ce qui concerne ses allégations d’expériences antérieures, la SPR déclare ce qui suit : [traduction]
Le tribunal conclut qu’il est probable, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était membre du Parti Semayawi (Parti Bleu), mais qu’il était un membre ordinaire et qu’il n’était pas aussi politiquement actif en Éthiopie qu’il le prétendait. Par conséquent, le demandeur n’avait pas le profil d’un militant politique qui serait la cible des autorités.
[39] La seule allégation selon laquelle le demandeur aurait été pris pour cible visait un incident de détention, de sorte que la SPR indique que le profil du demandeur principal n’était pas de nature à rendre cet incident crédible. De plus, le paragraphe 16 de la décision de la SPR traite spécifiquement du rapport médical et des blessures particulières qui auraient résulté de l’incident de détention. Il est clair, à mon avis, que la SPR et la SAR ont examiné l’incident de détention et qu’elles n’y ont pas cru. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion ou dans l’évaluation effectuée par la SAR de la situation passée et de ce qu’elle laisse présager en termes de risque futur.
B. Erreurs flagrantes
[40] Il est clair que la SAR a commis deux erreurs (ce que le défendeur concède) lorsqu’elle a déclaré que [traduction] « malgré le harcèlement et la persécution des dirigeants politiques de plusieurs partis d’opposition, les partis d’opposition ont remporté de nombreux sièges à l’Assemblée » (paragraphe 28) et lorsqu’elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 33 au sujet de la lettre de convocation la police : [traduction]
[...] La SAR note également que la lettre de convocation de la police était datée selon le calendrier grégorien et non selon le calendrier éthiopien. Les documents gouvernementaux sont datés selon le calendrier éthiopien et non pas selon le calendrier grégorien. Étant donné que la SPR avait déjà accordé peu de poids au rapport de police, l’observation de la SAR ne change en rien le poids qui peut être attribué à cette lettre.
[41] Les demandeurs font valoir que ces deux erreurs révèlent que la SAR a commis une erreur en tirant des inférences négatives d’une conclusion de fait erronée qui est contraire aux éléments de preuve.
[42] Toutes les erreurs ne rendent pas une décision déraisonnable et il n’est pas nécessaire que les décisions soient parfaites. Voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 18.
[43] Les conclusions de fait erronées doivent avoir une incidence déterminante sur la décision faisant l’objet du présent contrôle. Voir Oberlander c. Canada (Procureur général), 2015 CF 46, au paragraphe 230; Zhan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 822, au paragraphe 50.
[44] L’erreur concernant les sièges remportés lors de l’élection de 2015 s’inscrivait dans la discussion sur les risques encourus par les dirigeants politiques. Ainsi, la SAR sous-estime peut-être le poids et l’efficacité du harcèlement des dirigeants politiques, mais cela n’a aucune incidence sur l’évaluation des risques auxquels sont confrontés les simples membres en bonne et due forme. La SPR n’a pas commis cette erreur.
[45] L’erreur à propos du calendrier n’est pas non plus importante parce que, comme l’indique clairement le paragraphe 33 de la décision, il s’agit simplement d’une « observation » qui ne change en rien le poids à attribuer à la lettre de convocation de la police : [traduction]
[33] Les appelants ont soutenu que la SPR n’avait pas accordé beaucoup de poids à la lettre de la police. La SPR a fourni des raisons convaincantes dans son analyse concernant la lettre de la police et après avoir examiné cette lettre, la SAR a souscrit à la décision de la SPR de lui attribuer peu de poids. La lettre n’indique pas pour quelle raison on lui a demandé de se présenter à la police. De même, la SPR a attribué peu de poids au rapport médical parce qu’il ne précise pas comment l’appelant a subi les blessures. La SAR note également que la lettre de convocation de la police était datée selon le calendrier grégorien et non selon le calendrier éthiopien. Les documents gouvernementaux sont datés selon le calendrier éthiopien et non pas selon le calendrier grégorien. Étant donné que la SPR avait déjà accordé peu de poids au rapport de police, l’observation de la SAR ne change en rien le poids qui peut être attribué à cette lettre.
C. Articles de magazine
[46] Les demandeurs affirment aussi que la SPR et la SAR ont commis une erreur en faisant fi des éléments de preuve indépendants prenant la forme de deux articles de magazine : [traduction]
15. La SAR a également commis une erreur en faisant fi des éléments de preuve indépendants, à savoir deux articles de magazine, qui corroborent la détention du demandeur. Ces éléments de preuve n’ont jamais été mentionnés dans les motifs de la SPR et ils n’ont également pas été pris en compte par la SAR. Le premier article indique que les membres des partis d’opposition sont devenus des victimes et il mentionne plusieurs noms, notamment celui de « Mengistu Biftu, d’Addis Ketema ». Le second article précise ce qui suit : [traduction] « À cette époque, nous n’avions aucune information sur l’évolution de la situation et nous avons publié que Mengistu Biftu, qui avait été nommé observateur électoral pour le district d’Addis Ketema, à Addis-Abeba, avait été arrêté. M. Mengistu Biftu, qui avait été arrêté, avait souffert en prison et avait été libéré sous caution, est entré au Canada avec sa famille et nous avons appris qu’il avait demandé l’asile politique. » L’ignorance totale de cet élément de preuve indépendant qui corroborait la détention du demandeur constitue une erreur de droit. Il était peut-être loisible à la SAR de conclure que ces éléments de preuve ne sont pas convaincants ou crédibles, et de donner les raisons d’une telle conclusion, mais il ne lui était pas loisible d’ignorer complètement les éléments de preuve qui contredisent une conclusion déterminante de la SAR.
[47] Il est vrai que ni la SPR ni la SAR ne mentionnent précisément l’un ou l’autre des articles du magazine « Lisane Hizb Reporter (sic) », à savoir :
[...] Mengistu Biftu, qui avait été nommé observateur électoral pour le district d’Addis Ketema, à Addis-Abeba, avait été arrêté. M. Mengistu Biftu, qui avait été arrêté, avait souffert en prison et avait été libéré sous caution, est entré au Canada avec sa famille et nous avons appris qu’il avait demandé l’asile politique.
Notre journaliste, qui avait reçu des renseignements de nos sources au Canada, a appelé M. Mengistu et il n’est pas prêt à donner une entrevue.
Notre comité de rédaction sait très bien pourquoi les gens ne veulent pas donner d’entrevue et a décidé de publier cette information telle quelle.
Chers lecteurs, à l’avenir, nous ferons des tentatives répétées pour obtenir une entrevue avec lui et nous promettons de vous faire part de cette entrevue, s’il consent à en accorder une.
[Erreurs dans l’original.]
[48] Dans la présente demande, les demandeurs affirment avec vigueur que la détention du demandeur principal en 2015 [traduction] « ne résultait pas de ses activités politiques présumées ou de son profil, mais de ses déplacements en dehors de l’Éthiopie et de son appartenance au Parti Bleu ». Cela contredit les articles de magazine au sujet des personnes qui ont participé aux élections de 2015 en tant qu’observateurs et candidats. En d’autres termes, les articles de magazine reposent sur le rôle du demandeur en tant que militant politique. Lorsqu’elle a examiné la lettre du parti Semayawi, la SPR a souligné ce qui suit, au paragraphe 14 de sa décision : [traduction]
[...] Il existait une incohérence entre le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et la preuve documentaire d’une part, ce qui tend à démontrer l’existence d’un militant actif et engagé, et le témoignage oral qui révèle une lacune inexplicable dans la connaissance du paysage politique éthiopien par le demandeur principal de l’autre.
Les deux articles de magazine mentionnés plus haut font partie de cette preuve documentaire. Je pense que les commentaires généraux de la SPR sur l’incohérence entre l’activisme dont il est question dans les documents et les connaissances orales ne nécessitent pas que les articles de magazine soient mentionnés. Le fait que ces articles soient en contradiction avec la position que les demandeurs défendent maintenant devant la Cour sur les motifs de la détention alléguée du demandeur principal jettent davantage le doute sur leur fiabilité et leur poids en tant qu’éléments de preuve. Les articles de magazine font partie de la preuve d’activisme politique qui a été jugée contradictoire avec le témoignage oral du demandeur principal.
D. Preuve de préjudice aux membres ordinaires
[49] Les demandeurs affirment que les conclusions de la SAR selon lesquelles seuls les [traduction] « membres en bonne et due forme » du Parti Bleu sont en danger en Éthiopie ne tiennent pas compte des éléments de preuve indiquant que les membres ordinaires sont exposés à un risque, et que ces éléments de preuve auraient dû être examinés conformément aux principes de la décision Cepada-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 parce qu’ils contredisent les conclusions de la SPR et de la SAR. Les demandeurs me renvoient à la documentation suivante à cet égard :
a) la réponse à la demande d’information (RDI) du 14 janvier 2010;
b) le rapport mondial 2015 de Human Rights Watch – Éthiopie;
c) Amnistie Internationale, Ethiopia: Onslaught on human rights ahead of elections, 22 mai 2015;
d) Amnistie Internationale, Éthiopie. Des meurtres suspects et des violations des droits humains doivent donner lieu à des enquêtes.
[50] Dans cette documentation, il est question de la violence exercée contre les « membres du parti d’opposition » et les « partisans des partis politiques d’opposition », mais il ressort clairement de tout le contexte qu’il ne s’agit pas que des membres en bonne et due forme, et que la question du profil demeure un aspect important de ce que révèle cette documentation sur la violence contre les partis d’opposition. Ces éléments de preuve ne sont pas en contradiction avec les conclusions générales de la SAR et de la SPR selon lesquelles la documentation ne laisse pas entendre que le demandeur principal est exposé à un risque en tant que simple membre en bonne et due forme qui n’a aucun autre profil.
E. Connaissances des demandeurs au sujet du Parti Bleu
[51] Les demandeurs affirment que la SAR a tiré une inférence déraisonnable au paragraphe 24 de sa décision : [traduction]
La SPR a interrogé l’appelant principal au sujet des objectifs et de la vision du Parti Bleu et l’appelant a témoigné qu’il appuyait le Parti Bleu parce qu’il défendait la justice et la démocratie. Il ne s’agit que d’une simple déclaration générique plutôt insignifiante. D’après les preuves documentaires, l’énoncé de vision du Parti Bleu est rédigé comme suit :
[v]oir une Éthiopie où tous les droits démocratiques sont respectés, où la bonne gouvernance et la primauté du droit garantissent que les souhaits du peuple sont réalisés, où règne une prospérité économique et sociale qui fait la fierté de ses citoyens, une Éthiopie qui fait sa part au regard des bonnes relations entre les peuples du monde.
[52] Les demandeurs font valoir que l’énoncé de vision du Parti Bleu cité par la SAR constitue en soi une simple déclaration générique dépourvue de fond et qu’il est déraisonnable de tirer une conclusion négative du témoignage du demandeur principal sur les objectifs et la vision du Parti Bleu alors qu’il est compatible avec la déclaration de vision du parti et n’est pas plus générique que cette dernière.
[53] Le paragraphe 24 de la décision ne saurait être interprété en faisant fi du contexte. Le demandeur principal prétendait être un membre actif du Parti Bleu, mais il en savait très peu au sujet de ce dernier. Il a été invité à préciser les [traduction] « objectifs et la vision du Parti Bleu », mais il s’est contenté de dire qu’il l’appuyait parce qu’il [traduction] « défendait la justice et la démocratie ». Cette réponse ne laissait guère entendre qu’il était bien renseigné sur le parti et elle n’a pas étayé ses affirmations selon lesquelles il était un membre actif du parti. L’interprétation de la conclusion de la SAR sur ce point devrait s’arrêter là.
F. Nouveaux éléments de preuve
[54] Les demandeurs se plaignent du traitement par la SAR de leurs nouveaux éléments de preuve comme suit : [traduction]
21. Il est en outre soutenu que la SAR a commis des erreurs de droit susceptibles d’être révisées en n’accordant aucune valeur aux nouveaux éléments de preuve des demandeurs. La SAR a déclaré :
« Toutefois, la SAR accorde peu de poids à l’affidavit et aux photos pour les motifs suivants :
• L’affidavit ne précise pas quand le gouvernement a saisi les biens[;]
• Il n’y a aucune déclaration sous serment du voisin au sujet des allégations selon lesquelles les biens des appelants ont été saisis par quelqu’un, encore moins par les autorités;
• Les deux photographies représentent une grille métallique et elles ne comportent ni adresse ni élément permettant de fournir une indication quant au lieu. Les photos ne permettent pas d’établir où se trouve cette grille;
• Les photos ne comportent aucun timbre dateur et il est donc impossible de dire quand ces photos ont été prises;
• Ces images ne soutiennent pas l’allégation selon laquelle du mobilier a été enlevé de la maison;
• Les photos montrent une grille métallique sur laquelle trois bouts de papier ordinaire sont affichés. Un mot est écrit dans la langue amharique sur chaque bout de papier, le tout se traduisant par « saisis ». Il n’y a aucun sceau gouvernemental ni aucune autre indication quant à la personne qui a placé ces bouts de papier. Ces photos ne prouvent pas que ce sont les autorités qui ont placé ces bouts de papier. »
22. Le demandeur a soumis un affidavit assermenté de la demanderesse, attestant qu’elle avait été informée par son voisin le 3 octobre 2015 que leur maison avait été scellée par le gouvernement et que leurs meubles et leurs biens avaient été emportés. Elle a écrit que les photos de sa résidence lui avaient été envoyées par sa sœur Rakeb par DHL, photos qu’elle avait reçues le 13 octobre 2015 et qui avaient été jointes à l’affidavit. Une affiche avait été placée sur la grille de leur propriété. Sur cette affiche, on pouvait lire le mot « scellée » en langue amharique. Elle a joint une copie de l’enveloppe de DHL qui contenait les photos.
23. La SAR n’a pas expliqué pourquoi elle avait conclu que le témoignage sous serment du demandeur n’était pas crédible. Les motifs qu’elle a invoqués pour n’avoir accordé que peu de poids au témoignage ne justifient pas le fait qu’elle n’a pas cru aux renseignements contenus dans l’affidavit. Si la SAR avait des préoccupations au sujet de la crédibilité de la preuve contenue dans l’affidavit, elle aurait dû tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR. La SAR a déclaré que les appelants n’ont pas sollicité une audience devant la SAR, mais dans leurs observations écrites ils ont écrit : [traduction] « Il est soutenu qu’en cas de questions sur la crédibilité des nouveaux éléments de preuve, la SAR doit tenir une audience conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR, étant donné que les éléments de preuve sont essentiels à la décision et que, s’ils sont acceptés, ils justifieraient que l’appel soit accueilli. »
[Notes de bas de page omises]
[55] Il ressort de mon examen des éléments de preuve et de la décision que la SAR a expliqué de façon claire et exhaustive pourquoi elle a écarté ces éléments de preuve, ce que la Cour ne peut pas remettre en question parce qu’il s’agit d’une question d’appréciation. Voir Khosa, précité, au paragraphe 61; Solopova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, au paragraphe 33.
[56] De plus, conformément aux principes énoncés dans Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, aux paragraphes 26 et 27, la SAR était en droit de considérer cette preuve comme une question d’appréciation plutôt qu’une question de crédibilité :
[26] Si le juge des faits décide que la preuve est crédible, une évaluation doit ensuite être faite pour déterminer le poids à lui accorder. Il n’y a pas seulement la preuve qui a satisfait au critère de fiabilité dont le poids puisse être évalué. Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à la première question n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. Par exemple, la preuve des tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.
[27] La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.
[57] De plus, le paragraphe 110(3) de la Loi indique que la SAR doit généralement procéder sans tenir d’audience. Une exception est énoncée au paragraphe 110(6) lorsqu’il y a de nouveaux éléments de preuve. Toutefois, la SAR n’a pas l’obligation de tenir une audience simplement parce qu’elle admet de nouveaux éléments de preuve; les critères énoncés au paragraphe 110(6) doivent être respectés, et même là, elle peut quand même décider de ne pas tenir d’audience : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 71. En vertu du paragraphe 110(6), la SAR peut tenir une audience lorsque les nouveaux éléments de preuve soulèvent de sérieux doutes quant à la crédibilité, ils jouent un rôle crucial dans la décision à rendre et, s’ils sont acceptés, ils justifieraient l’accueil ou le rejet de la demande d’asile. Ce ne sont pas les éléments de preuve qui préoccupaient la SAR, mais plutôt le poids à leur accorder. Par conséquent, les critères énoncés au paragraphe 110(6) n’ont pas été respectés et la SAR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience : Ajaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 674, aux paragraphes 19 à 21; Siddiqui, précité, paragraphes 102 à 114.
G. Comportement
[58] Les demandeurs affirment que la SAR a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en se fondant sur le comportement du demandeur principal alors que la SPR n’avait tiré aucune conclusion de ce genre et que la SPR avait eu l’avantage de voir le demandeur principal témoigner.
[59] Les motifs de la SAR ne font aucune mention du « comportement ». La SAR a écouté l’enregistrement audio et avait toute la latitude voulue pour formuler de telles observations.
H. Conclusions
[60] Je ne trouve aucune erreur susceptible de révision dans la décision qui exigerait qu’elle soit renvoyée pour réexamen.
[61] Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
1. La demande est rejetée.
2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.
« James Russell »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-5633-15
|
INTITULÉ DE LA CAUSE : |
MENGISTU BIFTU ADERA, MEKIDES GIRMA WARGA, HEMAN MENGISTU BIFTU, ELDAAH MENGISTU BIFTU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 28 juin 2016
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE RUSSELL
|
DATE DES MOTIFS : |
Le 25 juillet 2016
|
COMPARUTIONS :
Paul Vandervennen |
Pour les demandeurs
|
Amina Riaz |
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Paul Vandervennen Avocat Toronto (Ontario)
|
Pour les demandeurs
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|