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TRÈS SECRET

Date : 20160721

Dossier : DES-2-16

Référence : 2016 CF 850

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

JOHN STUART NUTTALL et
AMANDA MARIE KORODY

défendeurs

ORDONNANCE PUBLIQUE ET MOTIFS

(EXPURGÉ – Ordonnance confidentielle et motifs rendus le 8 juin 2016)

[1]               La présente ordonnance répond à la demande des amici curiae pour que la Cour examine et tranche deux questions soulevées dans le contexte de la demande ci-dessus mentionnée en application de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 (modifiée par LC 2001, c 41, art. 43) [la Loi], malgré que cette demande ait été abandonnée.

I.                   Le contexte factuel

[2]               Le 2 juin 2015, à la suite d’un procès devant jury présidé par la juge Catherine Bruce à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, les défendeurs ont été reconnus coupables de deux chefs d’accusation liés au terrorisme découlant d’événements qui ont eu lieu en juillet 2013. Les verdicts de culpabilité n’ont pas été inscrits en attendant qu’une décision soit rendue relativement à la requête des défendeurs qui cherchent à obtenir une suspension d’instance pour des motifs de provocation policière et d’abus de procédure.

[3]               Les défendeurs ont demandé initialement la production de documents détenus par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) peu de temps après la conclusion de leur procès en juin 2015. Toutefois, en raison de la nature des renseignements demandés et de l’adoption récente de l’article 18.1 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C-23, modifié (Loi sur le SCRS), les défendeurs ont déposé une requête à la Cour aux termes de l’article 18.1 en vue d’obtenir l’information.

[4]               En décembre 2015, la Cour a rejeté la demande des défendeurs déposée en vertu de l’article 18.1 (Korody c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1398) en raison d’un manque de compétence. Elle s’est appuyée sur les principes pertinents en ce qui concerne l’application rétroactive et rétrospective de la législation et les indications fournies par le juge Mosley dans la décision Procureur général du Canada c. Almalki et al., 2015 CF 1278. Les deux décisions font l’objet d’appels.

[5]               Les défendeurs ont ensuite immédiatement présenté une demande à la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour obtenir la production et la divulgation des renseignements détenus par le SCRS.

II.                L’instance devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, de décembre 2015 à janvier 2016

[6]               La juge Bruce a examiné la demande des défendeurs en vue d’obtenir une ordonnance pour que le SCRS transmette à la Cour [traduction] « tous les dossiers en sa possession, qu’il s’agisse de dossiers écrits, photographiques, électroniques, filmés sur bande vidéo ou enregistrés par tout autre moyen que ce soit, et qui rendent compte des renseignements fournis au SCRS par une personne que l’on nommera Xx. X, ou fournis au SCRS avec la collaboration de Xx. X, et qui concernent M. Nuttall ou Mme Korody ». Le 6 janvier 2016 (2016 BCSC 28), la juge Bruce a conclu que les dossiers seraient vraisemblablement pertinents pour ce qui est des allégations de provocation policière et d’abus de procédure et a ordonné au SCRS de lui transmettre les dossiers pour qu’elle les examine, conformément à la procédure en deux étapes pour la production de dossiers en la possession de tiers établie dans l’arrêt R c. O’Connor, [1995] 4 RCS 411 [O’Connor].

[7]               Le 26 janvier 2016, la juge Bruce a conclu que les dossiers étaient pertinents (2016 BCSC 154). La juge Bruce a examiné les dossiers page par page dans le cadre de la seconde étape de la procédure établie dans l’arrêt O’Connor, à huis clos, mais en présence de l’avocat représentant le procureur général, au nom du SCRS, et a déterminé quelles parties de ces dossiers devaient être divulguées aux défendeurs.

III.             La présente instance devant la Cour : la demande déposée en vertu de l’article 38

[8]               Le 2 février 2016, l’avocat du procureur général, au nom du SCRS, a avisé le procureur général que l’ordonnance de la juge Bruce exigeait que le SCRS divulgue des renseignements qui selon lui sont de nature délicate ou potentiellement préjudiciables, dans le cadre de l’instance devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[9]               Le 16 février 2016, le procureur général a déposé un avis de demande à la Cour, en vertu du paragraphe 38.04(1) de la Loi, en vue d’obtenir une ordonnance en application du paragraphe 38.06(3) de la Loi, visant à confirmer l’interdiction de divulgation des renseignements auxquels fait référence l’avis donné le 2 février 2016. L’avis couvre les mêmes dossiers et renseignements dont la juge Bruce a ordonné la divulgation.

[10]           Deux avocats ayant une habilitation de sécurité et astreints au secret à perpétuité, en plus de détenir une expertise en droit criminel, ont été nommés pour agir à titre d’amici curiae afin d’aider la Cour à rendre une décision relativement à la demande déposée en vertu de l’article 38.

[11]           Le demandeur a déposé un affidavit public et un affidavit ex parte. L’avocat des défendeurs a également déposé un affidavit établissant la chronologie des événements jusqu’à la procédure qui se poursuit à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, relativement à leur demande en vue d’obtenir une suspension d’instance pour provocation policière et abus de procédure. L’affidavit déposé au nom des défendeurs contenait des pièces jointes, y compris la chronologie des événements et l’aperçu de la preuve du juge de première instance, document qui couvre la période allant du 23 février 2013 au 1er juillet 2013, et qui a été remis au jury à la conclusion du procès, des extraits des transcriptions des témoignages entendus à l’audience relative aux allégations de provocation policière et d’abus de procédure, et d’autres documents divulgués aux défendeurs.

[12]           La Cour a tenu plusieurs conférences de gestion de l’instance pour l’aider à statuer sur la demande. Une conférence a été convoquée immédiatement après réception de l’avis de demande déposé par le procureur général le 17 février 2016. Elle a été suivie de deux autres conférences qui ont eu lieu le 18 février 2016 et qui portaient sur la nomination des amici curiae et la mise au rôle de l’audience publique et de l’audience ex parte. Ces audiences étaient initialement prévues le 7 mars 2016 et le 8 mars 2016, respectivement, et devaient se poursuivre du 9 au 11 mars 2016, si nécessaire. Ces dates ont été modifiées à la demande des parties et les audiences ont été déplacées au 21 mars 2016 et au 24 mars 2016, pour se poursuivre les 29 mars, 7 avril et 8 avril 2016.

[13]           L’affidavit public du demandeur a été déposé le 24 février 2016 et l’affidavit ex parte le 3 mars 2016. Les défendeurs ont également déposé un affidavit confidentiel avec éléments de preuve à l’appui le 3 mars 2016.

[14]           Des conférences de gestion de l’instance ont également eu lieu les 2, 9 et 11 mars et les 13 et 21 avril 2016.

[15]           Une audience publique a eu lieu le 21 mars 2016 pour examiner les grandes questions relatives à l’importance de protéger les renseignements du type de ceux qui ont été recueillis en l’espèce. L’auteur de l’affidavit, un agent du renseignement expérimenté du SCRS, a fourni des renseignements contextuels utiles, même s’il ne détenait aucun renseignement au sujet de l’affaire qui nous occupe. L’avocat des défendeurs a participé à l’audience publique et a présenté des observations écrites et orales concernant les questions pertinentes et le droit applicable.

[16]           Une audience ex parte, à huis clos, a également eu lieu le 21 mars 2016 en présence de l’avocat des défendeurs et des amici et en l’absence de l’avocat représentant le procureur général du Canada, comme le prévoit l’alinéa 38.04(5)d).

[17]           Une audience ex parte, tenue à huis clos en l’absence de l’avocat des défendeurs, a débuté le 24 mars 2016 et s’est poursuivie les 6 et 7 avril 2016. L’auteur de l’affidavit ex parte, également un agent du renseignement expérimenté du SCRS, a témoigné qu’il avait consulté des renseignements classifiés avant de témoigner, y compris, sans s’y limiter, les renseignements pour lesquels l’avis en application de l’article 38 a été déposé. Le témoignage écrit et oral de l’auteur de l’affidavit ex parte a fourni des explications et un contexte additionnel concernant les renseignements pour lesquels l’avis en application de l’article 38 a été déposé, notamment en ce qui concerne les pratiques générales dans des circonstances similaires et le type de renseignements que consigne habituellement le SCRS. Entre autres, l’auteur de l’affidavit a expliqué les motifs justifiant que le SCRS et le procureur général demandent la protection de renseignements de nature délicate et l’importance de cette protection pour l’efficacité opérationnelle du SCRS, en plus de parler du contenu des dossiers faisant l’objet de l’avis déposé en application de l’article 38.

[18]           Le 7 avril 2016, à la conclusion du contre-interrogatoire à huis clos de l’auteur de l’affidavit ex parte, les amici curiae ont souligné quelques questions portant sur la compétence, à savoir notamment si la Cour disposait de tous les renseignements contextuels disponibles pour déterminer si les renseignements pour lesquels l’avis en application de l’article 38 a été déposé étaient préjudiciables à la sécurité nationale et si les « raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt qui justifient la non-divulgation ». La Cour a accepté que les amici et le procureur général lui fassent parvenir leurs observations concernant deux questions précises avant la première semaine de mai. Une fois les questions examinées et tranchées, l’audience pourrait reprendre et les dates des observations finales concernant la demande en application de l’article 38 pourraient être déterminées.

[19]           Le 13 avril 2016, la Cour a envoyé une communication pour informer la juge Bruce et les parties à l’instance devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique des progrès de la procédure aux termes de l’article 38 devant la Cour, étant donné que l’instance devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique devait reprendre à la mi-avril.

IV.             L’abandon de la demande déposée en vertu de l’article 38

[20]           Le 15 avril 2016, l’avocat des défendeurs a informé la Cour que ses clients avaient comparu devant la juge Bruce le 14 avril 2016. Il a indiqué qu’en raison du temps qui s’écoulerait avant qu’une décision ne soit rendue concernant la demande déposée en vertu de l’article 38 et qui retarderait le procès criminel en cours, ses clients lui avaient demandé d’abandonner leur demande pour obtenir la divulgation des renseignements détenus par le SCRS. Par conséquent, la juge Bruce a demandé que son ordonnance du 26 janvier 2016, laquelle ordonnait la divulgation aux défendeurs des dossiers et renseignements détenus par le SCRS, soit annulée. L’avocat des défendeurs a invité le procureur général à abandonner sa demande en application de l’article 38.

[21]           Le 20 avril 2016, le procureur général a déposé un avis d’abandon de sa demande présentée en vertu de l’article 38.

[22]           Le 19 avril 2016, les amici ont écrit à la Cour et au procureur général pour demander que la Cour tienne compte des observations des amici relativement aux questions soulevées à la conclusion de l’audience du 7 avril 2016, lesquelles sont en préparation, soulignant que malgré la décision de l’avocat des défendeurs de retirer leur requête en vue de la divulgation des renseignements détenus par le SCRS, qui rend théorique la demande déposée en vertu de l’article 38, la Cour devait statuer sur les questions soulevées.

[23]           Les questions en litige sont les suivantes :

  • La Cour fédérale a-t-elle compétence, relativement à une demande déposée en vertu de l’article 38, pour élargir la liste du matériel couvert par la demande  XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXX;?
  • La Cour fédérale a-t-elle compétence pour ordonner la divulgation aux amici de tout renseignement additionnel pertinent afin de fournir un contexte à la question en litige dans l’article 38.6?

[24]           Dans un échange de lettres, les amici ont affirmé que la Cour devait exercer sa compétence et se pencher sur les questions en litige, même si elles sont théoriques, et ont fait référence aux facteurs pertinents établis dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski].

[25]           Le procureur général conteste que les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski, en ce qui concerne les faits actuels, appuient l’exercice par la Cour de sa compétence.

[26]           Les amici curiae et le procureur général ont fourni plus de détails concernant leurs observations préliminaires dans des observations écrites additionnelles.

V.                Les observations des amici curiae

[27]           Les amici soulignent que dans le cadre de la procédure aux termes de l’article 38, ils ont soulevé les mêmes questions sur la compétence dans un effort en vue de fournir au procureur général l’occasion d’envisager la production de renseignements additionnels XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXX XXXX et d’éviter d’autres retards potentiels pouvant résulter de demandes de divulgation additionnelles à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, lesquelles pourraient, à leur tour, donner lieu au dépôt d’une autre demande en application de l’article 38.

[28]           Les amici ont répété les deux questions en particulier soulignées précédemment après le contre-interrogatoire de l’auteur de l’affidavit ex parte qui a révélé que XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX XX. Dans leurs observations préliminaires et leurs observations plus détaillées, les amici ont affirmé que bien que la demande soit maintenant théorique, la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire et trancher les deux questions en litige. Ils allèguent que les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski (l’existence d’un contexte réellement contradictoire, le souci d’économie des ressources judiciaires et la nécessité de ne pas empiéter sur la fonction législative) appuient l’idée que la Cour se doit d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de trancher les questions en litige.

[29]           Les amici soulignent que ces importantes questions, si elles étaient réglées, ajouteraient à la jurisprudence relative à l’application du processus bifurqué prévu à l’article 38 à la suite de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt R c. Ahmad, 2011 CSC 6, au paragraphe 44 [Ahmad], qui défend l’adoption d’une approche souple pour que le processus fonctionne, et que cela faciliterait le règlement rapide de futures poursuites dans des circonstances semblables.

[30]           Les amici affirment qu’un rapport contradictoire existe toujours, même s’il n’y a pas plus de litige actuel. Les amici reconnaissent qu’en tant qu’amis de la Cour, ils ne sont pas des adversaires au sens typique. Toutefois, dans le contexte d’une demande présentée en vertu de l’article 38, où les défendeurs sont privés d’une participation pleine et entière, le rôle des amici à titre d’amis de la Cour devrait être élargi, afin d’aider à la fois la Cour et de soulever des questions qui autrement n’auraient pas été soulevées, pour garantir un équilibre et assurer aux défendeurs un traitement équitable, et cela constitue un contexte contradictoire.

[31]           En ce qui concerne l’économie ou l’utilisation appropriée des ressources judiciaires, les amici avancent que la Cour devrait déterminer si l’utilisation actuelle des ressources judiciaires pour entendre un argument théorique est appropriée, et si l’utilisation des ressources judiciaires pour résoudre une incertitude de longue durée permettra une utilisation plus efficiente des ressources judiciaires dans le futur.

[32]           Les amici soulignent que des ressources judiciaires ont déjà été utilisées, comme l’ont été les ressources des amici, du procureur général et de l’avocat des défendeurs. En outre, les questions soulevées sont susceptibles de réapparaître dans d’autres instances. Les efforts menés jusqu’ici ne devraient pas avoir été inutiles.

[33]           Les amici ajoutent que ces questions pourraient ne jamais être soumises aux tribunaux si les retards occasionnés par leur règlement, dans le contexte d’autres demandes courantes présentées en vertu de l’article 38, amènent la partie demanderesse à abandonner sa demande sous-jacente visant la production et la divulgation de renseignements (comme c’est le cas en l’espèce). Les amici laissent entendre que la résistance du procureur général face à leurs observations précédentes, concernant la possibilité qu’il envisage de fournir volontairement les renseignements contextuels additionnels, a empêché les défendeurs d’obtenir la divulgation qu’ils souhaitaient.

[34]           Les amici ajoutent que la Cour n’a pas à se soucier d’empiéter sur la fonction législative en répondant à ces questions, que ces dernières relèvent de la compétence de la Cour.

VI.             Les observations du procureur général

[35]           Dans ses observations préliminaires et ses observations plus détaillées, le procureur général souligne que les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski n’appuient pas l’idée que la Cour doive exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher les questions, qui sont clairement théoriques.

[36]           Le procureur général conteste l’affirmation des amici selon laquelle l’auteur de l’affidavit ex parte XXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXX XXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX XXXXX XXXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX XXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX. Le procureur général a également souligné, à plusieurs occasions durant la procédure aux termes de l’article 38, que la Cour devrait se concentrer uniquement sur les renseignements faisant l’objet de la demande présentée en vertu de l’article 38.

[37]           Le procureur général s’appuie sur la décision Canada (Revenu national) c. McNally, 2015 CAF 248, dans laquelle la Cour d’appel fédérale souligne que le pouvoir discrétionnaire de trancher une question théorique doit être exercé avec prudence. Le procureur général affirme qu’il faut faire preuve de prudence en l’espèce.

[38]           En ce qui concerne l’application des facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski, le procureur général allègue que les questions soulevées par les amici curiae ne trouvent pas leur source dans le système contradictoire. Les amici ne sont pas parties à l’instance; ils sont simplement des amis de la Cour chargés d’aider la Cour à rendre une décision concernant la demande présentée en vertu de l’article 38. Le bon sens nous dicte que l’exception liée au caractère théorique d’une question ne peut s’appliquer que lorsqu’au moins une des parties souhaite aller de l’avant. L’ordonnance de la juge Bruce a été annulée et, par conséquent, il n’y a plus de requête de divulgation présentée par les défendeurs. La demande présentée en vertu de l’article 38 est abandonnée.

[39]           Le procureur général affirme que la Cour ne devrait pas se pencher sur les questions en litige parce qu’il est clair que ni le demandeur ni les défendeurs, par leurs actions, ne tiennent à ce que la Cour tranche ces questions. Le procureur général ajoute que les questions soulevées par les amici ne sont pas les mêmes que celles soulevées initialement dans la demande.

[40]           Le procureur général affirme également qu’il ne reste plus de parties au litige et que les amici ne peuvent être considérés comme étant une partie. Le procureur général reconnaît que dans d’autres circonstances, les amici pourraient être nommés pour fournir un contexte contradictoire; toutefois, cela ne serait approprié que si une des parties souhaitait que la Cour tranche les questions en litige. Dans les circonstances actuelles, aucune des parties réelles ne souhaite que la Cour continue d’accorder son attention à ces questions.

[41]           Le procureur général souligne que si la Cour devait trancher les questions en litige soulevées par les amici, en l’absence des parties à l’instance, la décision serait purement théorique. En outre, il n’y aurait aucun moyen pour que le procureur général ou les défendeurs interjettent appel, puisque l’on peut uniquement interjeter appel d’ordonnances.

[42]           Le procureur général affirme de plus qu’on ne doit pas utiliser des ressources judiciaires pour trancher des questions de compétence qui sont dorénavant théoriques et qu’il conviendrait mieux de trancher dans un contexte factuel particulier. Même si les amici ont sans doute préparé des arguments légaux concernant les questions soulevées, il faudrait que le procureur général prépare des arguments en réplique, il faudrait tenir une audience, et il faudrait utiliser des ressources judiciaires additionnelles.

[43]           En ce qui a trait à la possibilité d’économiser dans l’avenir des ressources judiciaires si la Cour tranchait ou clarifiait ces questions maintenant, le procureur général souligne que la décision de la Cour serait apparentée à une remarque incidente dont l’effet persuasif serait limité et qui ne permettrait par conséquent pas de clarifier les questions en litige pour les besoins de futures affaires.

[44]           En ce qui concerne le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Borowski, le procureur général affirme que si la Cour devait se pencher sur ces questions, qui ne concernent plus un différend réel, elle outrepasserait son rôle judiciaire et établirait une jurisprudence inutile.

[45]           Finalement, le procureur général affirme qu’étant donné le contenu des observations des deux parties, lesquelles comportent une référence à des renseignements et des déclarations présentés dans le cadre de la procédure ex parte à huis clos, il faudrait classifier ces observations de même que la présente ordonnance.

VII.          Est-ce que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour se pencher sur les questions soulevées par les amici?

[46]           En ce qui concerne la réplique du procureur général à la déclaration des amici XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXX XXX, il n’est pas du ressort de la Cour de trancher ces questions. Le témoignage de l’auteur de l’affidavit ex parte indique clairement que XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXX XXXXX XXXXX.

[47]           Pour déterminer si la Cour doit exercer sa compétence pour examiner et trancher les questions soulevées par les amici, bien que l’affaire soit théorique, nous avons appliqué les critères établis dans l’arrêt Borowski : est-ce qu’un rapport contradictoire continue d’exister; est-ce que des ressources judiciaires seraient utilisées; est-ce que la Cour doit se concentrer sur sa fonction juridictionnelle dans la structure politique? Certains facteurs pourraient ne pas être pertinents ou applicables. Comme il est souligné au paragraphe 42, « [l]’absence d’un facteur peut prévaloir malgré la présence de l’un ou des deux autres, ou inversement ».

A.                Est-ce qu’un rapport ou un débat contradictoire continue d’exister?

[48]           Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême du Canada souligne, au paragraphe 31 :

La première raison d’être de la politique ou de la pratique en question tient à ce que la capacité des tribunaux de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire. L’exigence du débat contradictoire est l’un des principes fondamentaux de notre système juridique et elle tend à garantir que les parties ayant un intérêt dans l’issue du litige en débattent complètement tous les aspects. Il semble que cette exigence puisse être remplie si, malgré la disparition du litige actuel, le débat contradictoire demeure.

[49]           L’argument avancé par le procureur général, selon lequel il n’y a pas de débat contradictoire parce que ni les défendeurs ni le procureur général ne sont parties à l’instance, puisque la demande présentée en vertu de l’article 38 a été abandonnée, et que les amici sont simplement des amis de la Cour, fait abstraction du fait que les défendeurs n’ont pas participé pleinement à la procédure aux termes de l’article 38 et ne connaissent pas les questions soulevées par les amici. Dans le cadre d’une procédure aux termes de l’article 38, les amici doivent soulever des questions qui autrement ne pourraient être portées à l’attention de la Cour.

[50]           Le rôle du procureur général dans une demande présentée en vertu de l’article 38 diffère de celui qu’il assume lorsqu’il est également le poursuivant. Dans une demande présentée en vertu de l’article 38, le procureur général cherche à s’assurer que les renseignements dont la divulgation porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale sont protégés, et que l’interdiction de divulgation résultant de l’avis donné au titre de l’article 38 est confirmée par la Cour. Les éléments de preuve et les observations présentés par le procureur général aident la Cour, conformément au critère établi dans la décision Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246 [Ribic], à déterminer si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt qui justifient la non-divulgation. Bien qu’il existe un certain rapport contradictoire entre le procureur général qui cherche à empêcher la divulgation et la partie qui demande la divulgation, ce rapport diffère du rapport contradictoire entre le procureur général et les défendeurs dans le cadre de la poursuite et de la procédure portant sur la provocation policière.

[51]           Comme il a été souligné dans l’arrêt Ahmad, où la Cour a déterminé que les renseignements que l’on cherchait à protéger par une demande déposée en vertu de l’article 38 devaient être divulgués, le procureur général doit décider s’il continue la poursuite ou s’il continue à protéger les renseignements et à empêcher que l’accusé en prenne connaissance. Cela montre l’importance primordiale du droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière.

[52]           Le procureur général souligne qu’elle n’a plus d’intérêt, tout comme les défendeurs, dans l’issue de l’exercice visant à trancher les questions soulevées par les amici. C’est vrai seulement parce que les défendeurs ont abandonné leur demande de divulgation et que le procureur général a abandonné sa demande au titre de l’article 38. Les défendeurs ne connaissent pas les questions soulevées par les amici. Cependant, s’ils les connaissaient, ils seraient très intéressés par ces questions et par leur règlement, malgré qu’elles n’auront aucun effet pratique sur la procédure en cours à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, puisque l’ordonnance de divulgation est annulée.

[53]           Le procureur général souligne que les questions soulevées par les amici ne sont pas les mêmes que celles soulevées dans la demande. C’est vrai seulement parce qu’il aurait été impossible aux défendeurs de prévoir que les renseignements visés par l’ordonnance de divulgation n’incluraient que les renseignements transmis par XXX X au SCRS et enregistrés par le SCRS XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXX XXXX

XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX.

[54]           Si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour se pencher sur les questions soulevées par les amici, la participation des amici et du procureur général permettrait de s’assurer que la Cour entende tous les points de vue et offrirait un débat contradictoire analogue. Toutefois, comme l’a souligné le procureur général, il serait exceptionnel d’aller de l’avant avec cette demande sans qu’au moins une des parties appuie l’examen des questions en litige et sans que cet examen puisse avoir quelque effet concret sur les parties.

B.                 Des ressources judiciaires doivent-elles être utilisées pour trancher les questions en litige maintenant?

[55]           La Cour, les amici, le procureur général et l’avocat des défendeurs ont consacré beaucoup de temps et d’efforts à cette demande.

[56]           Dans l’arrêt Borowski, au paragraphe 35, la Cour souligne :

L’économie des ressources judiciaires n’empêche pas non plus d’entendre des affaires devenues théoriques dans les cas où la décision de la cour aura des effets concrets sur les droits des parties même si elle ne résout pas le litige qui a donné naissance à l’action.

[57]           Comme il est souligné précédemment, les défendeurs pourraient être intéressés par les questions en litige et être en faveur de leur règlement s’ils étaient au courant de ces questions. Toutefois, en raison de l’annulation de l’ordonnance de divulgation et de l’abandon de la demande présentée en vertu de l’article 38, le fait que la Cour tranche ces questions n’aurait aucun effet concret sur les parties.

[58]           J’apprécie que les amici aient élaboré des arguments légaux à propos des questions soulevées. Si la Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire, leurs efforts auront été vains, du moins dans le contexte de l’affaire en l’espèce. Je suis d’accord que le règlement des questions en litige, ou l’ajout de principes additionnels dans la jurisprudence relative à l’article 38, pourrait profiter à de futures procédures et permettre d’économiser des ressources judiciaires à plus long terme. Toutefois, ce facteur à lui seul ne suffit pas pour que la Cour se penche sur ces questions maintenant. Comme le souligne le procureur général, en l’absence d’un débat entièrement contradictoire ou d’un litige actuel, la décision de la Cour pourrait ne pas offrir plus qu’une remarque incidente et n’avoir qu’une valeur persuasive minime.

[59]           J’ai tenu compte de l’argument des amici, selon lequel les questions soulevées pourraient échapper à un règlement par les tribunaux si, dans de futures affaires, des questions apparaissaient à propos de la portée d’une ordonnance de divulgation ou d’une ordonnance de production rendue par un tribunal et assujettie à une demande présentée au titre de l’article 38 et que le temps nécessaire pour entendre la preuve, examiner le matériel et trancher les questions menait à l’abandon de la demande de divulgation ou de production, comme c’est le cas en l’espèce. Les amici font état du risque que les droits de la partie demandant la divulgation ou la production, en l’espèce les droits des défendeurs qui allèguent une provocation policière et un abus de procédure, soient menacés.

[60]           Je suis préoccupée par ces questions et leur incidence sur les droits des personnes accusées et sur la bonne administration de la justice. Toutefois, je ne suis pas convaincue que les questions soulevées par les amici échapperont à un règlement dans le cadre de futures affaires. Je n’ai pas connaissance d’autres cas où une demande présentée en vertu de l’article 38 a été abandonnée en raison de l’annulation d’une ordonnance de divulgation. Les circonstances de la présente demande soulèvent plusieurs préoccupations, mais jusqu’ici, elles semblent uniques. Rien ne laisse croire que ce sera là une approche récurrente dans le cas des demandes au titre de l’article 38.

[61]           Comme on le souligne au paragraphe 36 de l’arrêt Borowski :

Le simple fait, cependant, que la même question puisse se présenter de nouveau, et même fréquemment, ne justifie pas à lui seul l’audition de l’appel s’il est devenu théorique. Il est préférable d’attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire, à moins qu’il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d’être résolu.

[62]           Même si des précisions concernant la compétence de la Cour pour ordonner la production à la Cour de renseignements additionnels pourraient aider d’éventuelles parties, dans l’éventualité où des circonstances similaires se reproduiraient, il est préférable d’attendre pour trancher cette question dans le contexte de faits précis d’une demande réelle.

C.                 Est-ce que le règlement de ces questions empiéterait sur la fonction législative du gouvernement?

[63]           Au paragraphe 40 de l’arrêt Borowski, la Cour suprême du Canada souligne :

La troisième raison d’être de la doctrine du caractère théorique tient à ce que la Cour doit prendre en considération sa fonction véritable dans l’élaboration du droit. La Cour doit se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique. On pourrait penser que prononcer des jugements sans qu’il y ait de litige pouvant affecter les droits des parties est un empiétement sur la fonction législative. [...] Au moment de décider d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire théorique, la Cour doit être consciente de la mesure dans laquelle elle pourrait s’écarter de son rôle traditionnel.

[64]           Je ne suis pas d’accord avec le procureur général que la Cour outrepasserait son rôle judiciaire ou empiéterait sur la fonction législative en examinant les questions soulevées par les amici et en rendant une décision. La loi sur divulgation par le ministère public et la production et la divulgation par des tiers est établie et a évolué au gré de la jurisprudence. Toutefois, il ne serait pas approprié de trancher ces questions en l’absence d’un réel contexte contradictoire ou d’un « litige actuel » et en l’absence d’effets concrets pour les parties.

[65]           Comme il a été souligné dans l’arrêt Borowski, aucun facteur ne l’emporte sur l’autre quand vient le temps de déterminer si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire. Dans les circonstances actuelles, il n’y a plus de parties à l’instance devant la Cour, même si les amici demeurent en place pour garantir la bonne administration de la justice en soulevant des questions que les défendeurs ne peuvent soulever puisqu’ils ne sont pas partie prenante, à part entière, dans la demande présentée au titre de l’article 38. Toute décision que la Cour pourrait rendre n’aurait aucune incidence sur les parties et pourrait n’avoir qu’un effet minime sur de futures demandes. Compte tenu de tous les facteurs pertinents et des circonstances, il ne serait pas approprié que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour examiner et trancher les questions soulevées par les amici. La Cour apprécie la contribution des amici, qui lui ont en tout temps offert une assistance précieuse et qui ont insisté pour que les droits des défendeurs ne soient pas oubliés, tout en respectant par le fait même leur rôle à titre d’amici.

VIII.       Autres observations

[66]           Les circonstances entourant la présente demande ont soulevé plusieurs questions qui ne peuvent être examinées dans le contexte de faits particuliers en raison de l’abandon de la demande présentée en vertu de l’article 38. Toutefois, dans l’intérêt de l’issue de requêtes présentées à l’avenir, en particulier celles apparaissant dans le contexte de poursuites criminelles, j’offrirais quelques observations.

[67]           En ce qui concerne la demande présentée en vertu de l’article 38, la Cour a été placée dans une position délicate, en partie en raison de l’approche privilégiée par le procureur général.

[68]           Bien qu’il semble que l’avocat représentant le procureur général, agissant au nom du SCRS, ait prévu qu’à un moment ou à un autre de la procédure pour provocation policière engagée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, on demanderait au SCRS de divulguer des renseignements considérés comme causant un préjudice à la sécurité nationale, il n’a donné avis au procureur général, conformément à ce que prévoit l’article 38, qu’après que la divulgation des renseignements aux défendeurs a été ordonnée par la juge Bruce.

[69]           Au moment où, en juillet 2015, les défendeurs ont présenté une requête à la Cour conformément à l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS, les documents déposés par les défendeurs (qui étaient alors demandeurs dans le cadre de cette instance) comprenaient les ordonnances pertinentes de la juge Bruce. Les ordonnances de la juge Bruce laissaient clairement entendre que si une demande au titre de l’article 38 devait être déposée, il serait préférable que le procureur général présente cette demande en même temps que la demande déposée par les défendeurs au titre de l’article 18.1, afin d’éviter tout retard additionnel. Cela n’a pas été le cas. Finalement, et ce pour d’autres motifs, la demande au titre de l’article 18.1 a été rejetée en décembre 2015. Cependant, il est clair que le procureur général était au courant, dès juillet 2015, de la demande de divulgation de renseignements détenus par le SCRS présentée par les défendeurs. Le procureur général aurait dû prévoir, et il l’a probablement fait, que les défendeurs renouvelleraient leur demande de divulgation des mêmes renseignements.

[70]           Les défendeurs ont poursuivi leur demande de divulgation des mêmes renseignements en décembre 2015. L’avocat représentant le procureur général aurait pu donner avis, au titre de l’article 38, à ce moment, mais il ne l’a pas fait. En lieu et place, le SCRS a informé la juge Bruce que les renseignements demandés étaient préjudiciables à la sécurité nationale, afin qu’elle se penche sur la question. Ce n’est que le 2 février 2016, et après que la juge Bruce a déterminé que les renseignements étaient pertinents et qu’ils devaient être divulgués aux défendeurs, que l’avocat représentant le procureur général, au nom du SCRS, a donné avis au procureur général que les renseignements portaient préjudice à la sécurité nationale et ne devaient pas être divulgués.

[71]           La juge Bruce a examiné, à huis clos, les renseignements détenus par le SCRS et déposés auprès d’elle, en présence de l’avocat représentant le procureur général, au nom du SCRS, en tenant compte uniquement des observations de l’avocat du procureur général touchant à la nature des renseignements et aux parties des renseignements qui concernaient l’ordonnance de la juge Bruce.

[72]           Devant la Cour, le matériel déjà jugé pertinent par la juge Bruce a fait l’objet de la demande déposée au titre de l’article 38. Règle générale, la première étape dans l’application du critère énoncé dans la décision Ribic consiste à déterminer si les renseignements sont pertinents aux questions en litige dans le cadre de l’instance sous-jacente. En l’espèce, cette détermination avait déjà été faite, dans le contexte des questions soumises à la juge Bruce et pour qu’elle comprenne les questions en litige dans la poursuite et dans l’instance pour provocation policière. Toutefois, la juge n’a pu profiter du témoignage de l’auteur de l’affidavit du SCRS, qui a témoigné lors de l’audience publique, ni du témoignage de l’auteur de l’affidavit ex parte qui a témoigné à huis clos et lors d’une audience ex parte devant la Cour. Les agents du renseignement expérimentés du SCRS ont expliqué quels étaient les renseignements généralement enregistrés, comment et pourquoi ils étaient enregistrés, et la nature des autres renseignements qui pourraient exister. L’auteur de l’affidavit ex parte a offert un long témoignage au sujet de XXXXX XXXXXX et des sources de renseignement en l’espèce, du type de renseignements habituellement recueillis par le SCRS, et de l’absence de certains de ces renseignements en l’espèce. La juge Bruce n’avait pas ce contexte. La juge Bruce n’a pas été informée que XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX. À la place, la juge Bruce ne disposait que des observations de l’avocat représentant le procureur général, au nom du SCRS, concernant les documents du SCRS. À mon avis, la juge Bruce ne disposait pas de renseignements complets ou équilibrés lui permettant de déterminer si l’ordonnance visant la production de documents par le SCRS avait été XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XX.

[73]           L’avocat du procureur général a souligné que la Cour devait se concentrer sur la demande présentée en vertu de l’article 38 et ne pas regarder au-delà des renseignements jugés pertinents par la juge Bruce (dans les mots de l’avocat, elle devait s’en tenir à son plan). Toutefois, une telle étroitesse de vue fait fi de la réalité que la Cour sait que XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XX XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX.

[74]           XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX. De la même façon, si les défendeurs avaient été XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXX XXXX, ils auraient pu étendre leur demande de divulgation pour demander davantage qu’une communication unidirectionnelle XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX.

[75]           La Cour a souligné sa préoccupation tout au long de la procédure XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXX. Comme il est fait mention ci-dessus, cette préoccupation a été satisfaite avec la réponse fournie par le procureur général de se concentrer uniquement sur les renseignements faisant l’objet de l’avis déposé au titre de l’article 38, soit les renseignements jugés pertinents par la juge Bruce.

[76]           La Cour a entendu l’auteur de l’affidavit ex parte qui a fourni un important contexte aux renseignements qui ont été produits et XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXX XXXXXX XXXXXX. La juge Bruce, qui a compétence pour ordonner la production et la divulgation, a conclu que certains renseignements étaient pertinents relativement aux allégations de provocation policière et d’abus de procédure avancées par les défendeurs XXXXXX XXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XX XXX XXXXXX  X XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXXX XXXXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX.

[77]           Dans le cadre d’autres demandes déposées en vertu de l’article 38, la Cour a ordonné la production devant la Cour de renseignements additionnels établissant un contexte, afin de l’aider à déterminer si les renseignements devaient être protégés d’une divulgation. Toutefois, il ne semble pas que la Cour ait ordonné la divulgation de renseignements additionnels lorsqu’une cour de première instance avait déjà déterminé quels renseignements étaient pertinents. Cela soulève la question de déterminer comment, XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXX, devraient être traitées les demandes de divulgation ultérieures et devant quel tribunal. Si la cour de première instance était l’unique tribune où il reste possible de déposer une demande de production et de divulgation, comment les renseignements nécessaires pourraient-ils être transmis à la partie XXXXXX XXXXXX XXX qui demande la divulgation, et fournir les motifs justifiant une autre demande de production ou divulgation, sans révéler les renseignements qui doivent être protégés en vertu d’une demande présentée au titre de l’article 38?

[78]           Si la Cour avait la compétence pour ordonner une production ou une divulgation additionnelle, les renseignements demeureraient protégés. Cependant, cela pourrait susciter les critiques, selon lesquelles la Cour n’est pas suffisamment au courant des questions en litige pour trancher la demande de production ou de divulgation. Si la cour de première instance était l’unique tribune pouvant ordonner la production ou la divulgation, cela pourrait donner lieu à un cycle permanent d’ordonnances de divulgation suivies de demandes présentées en vertu de l’article 38, avec les retards qui en découlent sur les procédures en cours. Les conséquences de demandes de divulgation additionnelles déposées à la cour de première instance et de demandes additionnelles déposées au titre de l’article 38 à la Cour fédérale ont été soulignées en l’espèce et la possibilité de retards a été signalée. Comme l’ont souligné les amici, le procureur général n’était pas réceptif à la suggestion d’envisager que certains renseignements soient divulgués aux défendeurs afin d’éviter la probabilité d’autres demandes de production et de divulgation, ou de déposer d’autres demandes en vertu de l’article 38 en prévision de la divulgation de renseignements additionnels, afin d’éviter les retards qui pourraient suivre.

[79]           Les critiques soulevées par le passé concernant le processus bifurqué de l’article 38 portaient notamment sur le délai inhérent nécessaire pour que la Cour tranche concernant la demande pendant que le procès est suspendu. Les retards sont probablement inévitables, sans égard à la bifurcation, compte tenu de la quantité de renseignements à protéger, de la nécessité de s’assurer que les renseignements sont gardés en lieu sûr et soigneusement protégés, du temps nécessaire à un examen rigoureux des renseignements et d’autres facteurs. Dans les circonstances actuelles, la Cour a agi le plus rapidement possible. Comme on l’a souligné précédemment, si le procureur général avait choisi de déposer plus tôt sa demande au titre de l’article 38, elle aurait probablement été réglée dans un délai qui aurait permis la poursuite de l’instance devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique selon l’échéancier prévu, même si l’issue de la demande déposée au titre de l’article 38 aurait entraîné des demandes additionnelles de production et de divulgation de la part des défendeurs. La juge Bruce avait envisagé, dans ses ordonnances précédentes, la possibilité de demandes de production additionnelles.

[80]           Comme on l’a souligné précédemment, le procureur général a déposé son avis de demande à la Cour le 16 février 2016. La Cour était consciente des répercussions d’un retard et a convoqué une conférence de gestion de l’instance immédiatement après avoir reçu l’avis du procureur général, puis s’est empressée de réserver une période de temps pour s’assurer que la demande puisse être tranchée dans un délai permettant de respecter l’instance en cours à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Une demande déposée en vertu de l’article 38 ne peut être tranchée sans éléments de preuve. En l’espèce, les dossiers à protéger ont été déposés quelques jours après l’avis de demande; les affidavits publics et l’affidavit ex parte ont été déposés une semaine et deux semaines plus tard. La Cour s’est pliée aux exigences des parties et des auteurs des affidavits pour la mise au rôle des audiences. À l’avenir, la Cour pourrait être plus encline à fixer des dates fermes pour le dépôt des documents et les audiences, afin de permettre de trancher les demandes en temps opportun, en particulier quand le matériel n’est pas volumineux, tout en tenant compte de la nécessité d’examiner entièrement les questions en litige.

[81]           Le temps nécessaire pour qu’une décision soit prise concernant la demande déposée en vertu de l’article 38 a clairement influé sur la décision des défendeurs d’abandonner leur requête pour obtenir les documents du SCRS. Même si c’est là la décision que devaient prendre les défendeurs, et ils sont représentés par un avocat compétent, la Cour est d’avis que si la demande avait pu être réglée plus rapidement, comme il aurait été possible de le faire, les défendeurs n’auraient pas été confrontés à la nécessité de demander un ajournement de l’instance devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique ou de renoncer à leur requête pour obtenir la divulgation des renseignements détenus par le SCRS, et qui auraient possiblement pu soutenir leurs allégations de provocation policière et d’abus de procédure. La Cour continuera de s’assurer qu’à l’avenir de telles demandes puissent être traitées le plus rapidement possible. Les étapes prévues au processus, dont certaines peuvent être influencées par les mesures que doit suivre le procureur général pour déposer une demande, fournir les documents et déposer les affidavits et autres éléments de preuve, ne doivent pas épuiser les ressources de la partie qui demande à obtenir les renseignements ou nuire à ses droits ou à la bonne administration de la justice.

[82]           L’issue de la présente procédure n’avait pas été prévue par la Cour. En rétrospective, elle aurait peut-être dû l’être. Peut-être que l’issue aurait été différente si la Cour avait exigé des délais précis pour le dépôt de tous les dossiers et affidavits et la mise au rôle des audiences, en plus de limiter les communications entre les amici et l’avocat des défendeurs. Si les défendeurs avaient été informés que des questions de compétence étaient soulevées, ils auraient possiblement pu indiquer à la Cour qu’ils préféraient (si telle avait été leur préférence) que la Cour concentre ses efforts à trancher la demande présentée en vertu de l’article 38, en fonction des éléments de preuve déposés jusque-là. Si cela s’était produit, la Cour aurait demandé, avant la mi-avril, les observations du procureur général et des amici concernant la question de déterminer si les renseignements à protéger parce qu’ils sont préjudiciables à la sécurité nationale devaient l’être. L’histoire ne peut être réécrite et les questions de compétence soulevées par les amici sont importantes et se devaient d’être soulevées. Il n’existe peut-être pas de réponse facile aux questions de compétence. La démarche empruntée pour l’examen de la demande en l’espèce a fait ressortir des préoccupations qui doivent être traitées ou résolues à l’avenir. Elle a permis de souligner que les droits de toutes les parties doivent être pris en considération.

[83]           La Cour demeure préoccupée que XXXXX XXXXX XXXXX XXXXX XXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX. La Cour reconnaît que les allégations de provocation policière et d’abus de procédure portent sur la conduite du service de police ayant mené l’enquête et que le SCRS est une tierce partie dans la présente affaire. XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX XXXXXX XXXXXX XXXXX.

[84]           Comme on l’a souligné précédemment, le rôle du procureur général relativement à la présente demande déposée en vertu de l’article 38 est d’empêcher la divulgation de renseignements qui pourraient porter préjudice à la sécurité nationale. Pour trancher une demande déposée en vertu de l’article 38, il faut trouver le juste milieu dans les intérêts de chacun. Le succès de la poursuite ne fait pas partie de ce juste milieu.

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT : Elle rejette l’idée d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher les questions de compétence vu l’abandon de la demande déposée en vertu de l’article 38.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-2-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

JOHN STUART NUTTALL ET AMANDA MARIE KORODY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 17 et 18 février 2016

Les 9, 11, 21, 22 et 24 mars 2016

Les 6, 7 et 21 avril 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DE LA VERSION CONFIDENTIELLE :

Le 8 juin 2016

DATE DE LA VERSION PUBLIQUE :

Le 21 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Pour le demandeur

M. André Séguin

Mme Catheryne Beaudette

 

Pour les défendeurs

Mme Marilyn E. Sandford

Mme Alison Latimer

 

AMICUS CURIAE

M. Patrick McCann

AMICUS CURIAE

M. François Dadour


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

M. André Séguin

Mme Catheryne Beaudette

 

Ritchie Sandford

Vancouver (Colombie-Britannique)

Farris, Vaughan, Wills & Murphy s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les défendeurs

Mme Marilyn E. Sandford

Mme Alison Latimer

 

Fasken Martineau

Ottawa (Ontario)

 

AMICUS CURIAE

M. Patrick McCann

Poupart, Dadour, Touma et Associés

Montréal (Québec)

 

AMICUS CURIAE

M. François Dadour

 

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