Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160719


Dossier : IMM-5535-15

Référence : 2016 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

USMAN AHMED

NAILA USMAN

SAAD USMAN

HAJIRA USMAN

ABDULLAH USMAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Usman Ahmed, le demandeur principal, son épouse et ses trois plus jeunes enfants sont des citoyens du Pakistan. M. Ahmed déclare qu’il a été attaqué et battu à deux reprises en 2011 parce qu’il s’opposait aux groupes djihadistes, plus particulièrement au Lashkar-e-Toiba (LeT). Bien qu’il ait demandé l’aide des autorités locales dans la ville de Sialkot, ces dernières ont refusé de l’aider et lui ont dit que, pour assurer sa sécurité, il devait cesser de faire de la propagande contre le LeT. Après que M. Ahmed et sa famille ont été la cible de coups de feu en faisant leurs courses dans la ville de Gujranwala, ils se sont terrés chez un ami dans la ville de Lahore. Après avoir appris que des membres du LeT avaient laissé entendre qu’ils le tueraient lui et sa famille à la prochaine occasion qui se présenterait, M. Ahmed a obtenu des visas pour sa femme et ses trois plus jeunes enfants pour se rendre au Canada. Ils sont partis pour le Canada le 7 octobre 2011.

[2]  Après leur arrivée au Canada, M. Ahmed, sa femme et ses trois enfants ont demandé l’asile en tant que réfugiés au sens de la Convention ou en tant que personnes à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi). Toutefois, leur demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans sa décision datée du 13 novembre 2015, la SPR a conclu que M. Ahmed, sa femme et ses trois enfants avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Islamabad et que, par conséquent, ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Ils demandent maintenant à la Cour, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi, d’annuler la décision de la SPR et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire pour réexamen.

I.  Décision de la SPR

[3]  La SPR a conclu que la question déterminante dans cette affaire était celle de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour les demandeurs à Islamabad, la capitale du Pakistan.

[4]  Pour ce qui est de la question de savoir si M. Ahmed et sa famille feraient face à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque pour leur vie à Islamabad, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant qui établissait que le LeT contrôlait actuellement Islamabad ou participait à de nombreuses opérations terroristes dans cette ville. Qui plus est, aucun élément de preuve convaincant ne démontrait que le LeT se servait de son réseau de sympathisants pour retracer et éliminer ses opposants politiques à Islamabad. La SPR a noté que la preuve documentaire indique qu’Islamabad ne connaissait pas un niveau élevé de violence à caractère politique, terroriste ou sectaire.

[5]  La SPR a conclu que les activités anti-djihadistes de M. Ahmed étaient confinées à l’intérieur des limites de la ville de Sialkot. Il n’attirerait plus l’attention une fois à Islamabad parce que ses activités ne lui avaient pas permis d’atteindre une notoriété d’ampleur nationale. La déclaration de M. Ahmed selon laquelle le LeT pourrait le retracer par l’entremise de son enregistrement auprès de la police locale nécessaire à la location d’un appartement n’était pas, selon la SPR, étayée par la preuve. De plus, la SPR a conclu qu’il y avait d’importants dispositifs de sécurité mis en place à Islamabad, que ni le LeT ni aucun autre groupe terroriste apparenté n’avaient infiltré cet appareil ou n’en avaient pris possession et qu’il n’y avait pas d’attaques fréquentes ou systématiques contre les opposants au djihad à Islamabad.

[6]  Sur la question de savoir si la réinstallation était raisonnable, la SPR a tenu compte du fait que M. Ahmed était un riche homme d’affaires pakistanais avec les ressources financières, les connaissances, les compétences et l’expertise voulues pour facilement poursuivre ses activités commerciales à Islamabad. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il était objectivement raisonnable de la part de M. Ahmed et de sa famille de se réfugier à Islamabad.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[7]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève une question principale : la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI viable à Islamabad était-elle raisonnable ?

[8]  Je rejette l’argument des demandeurs selon lequel la décision de la SPR, étant donné que cette dernière a mal compris le critère à appliquer pour déterminer l’existence d’une PRI, devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. À mon avis, il est clair que la SPR a correctement identifié et raisonnablement appliqué le critère à deux volets relatif à la PRI énoncé dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (C.A.), 140 NR 138. Je suis d’accord avec le défendeur que l’application de ce critère devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[9]  Cela étant, l’appréciation de la preuve par la SPR appelle à la retenue (voir : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] ; Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1209, au paragraphe 34 ; Mojahed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 690, au paragraphe 14). La Cour ne devrait pas intervenir si la décision de la SPR est intelligible, transparente, justifiable et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses » Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

[10]  De plus, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve qui était devant la SPR, et il n’appartient pas non plus à la Cour de substituer sa propre opinion à celle de la SPR : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339. La décision de la SPR doit être considérée comme un tout et la Cour doit s’abstenir de procéder à une chasse au trésor, phrase par phrase (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458 ; voir aussi Ameni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 164, [2016] ACF no 142).

III.  La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI viable à Islamabad était-elle raisonnable ?

[11]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a appliqué le critère de la « certitude de persécution effective » plutôt que de fonder sa décision sur la question de savoir s’il y avait de bonnes raisons de croire qu’ils seraient personnellement ciblés par le LeT même à Islamabad, ce qui aurait mené à un contraignant fardeau de preuve dont il est pratiquement impossible de s’acquitter. Cependant, les mots que la SPR a utilisés dans sa décision et que les demandeurs contestent renvoient aux conclusions de faits tirées afin d’établir si les demandeurs avaient suffisamment étayé leurs allégations selon lesquelles ils seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque pour leur vie à Islamabad. La force des mots choisis par la SPR fait ressortir la distinction entre les régions du Pakistan où le LeT a une influence significative et étendue, imperturbée par l’État pakistanais, et Islamabad, ville qui connaît très peu de terrorisme et de violence à caractère politique ou sectaire. Cela ne constitue pas une mauvaise compréhension ou une application déraisonnable du critère applicable à la détermination d’une PRI.

[12]  Je suis d’accord avec le défendeur. La décision de la SPR doit être considérée dans son ensemble et non pas disséquée et analysée sous toutes ses coutures, comme le voudraient les demandeurs, dans le but de démontrer que la SPR a mal compris ou mal appliqué le critère relatif à la PRI. Comme l’a souligné la Cour dans Huerta Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 216, au paragraphe 11, 176 ACWS (3d) 205 : « il ne convient pas d’interpréter les mots hors contexte – il faut examiner l’ensemble de la décision. La question à poser est donc si, après avoir lu toute la décision, on se demande encore si la Commission a appliqué le bon critère [pour établir l’existence d’une PRI]. Si oui, l’affaire est alors susceptible de contrôle. Elle ne l’est pas s’il ne fait aucun doute que le bon critère a été appliqué. » En l’espèce, je n’ai aucun doute que le bon critère était non seulement correctement identifié, mais aussi raisonnablement appliqué par la SPR. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs doit être rejetée.

[13]  La prétention des demandeurs selon laquelle la SPR n’a pas fondé ses conclusions sur la preuve documentaire est sans fondement. La SPR a cité de longs extraits de la preuve documentaire au dossier tout au long de sa décision. Elle a reconnu l’ensemble de la preuve citée par les demandeurs au sujet de l’importance du LeT au Pakistan.

[14]  La preuve documentaire contenue dans le dossier certifié du tribunal révèle que le LeT est un important et sérieux groupe militant ou terroriste au Pakistan et que le gouvernement ne semble pas être en mesure de le contrôler. Toutefois, même si le groupe est encore actif dans la province d’origine des demandeurs, le Pendjab, aucun des éléments de preuve documentaire n’indiquent que le LeT est actif à Islamabad. Le témoignage de M. Ahmed et les documents déposés au soutien de sa demande révèlent que le LeT est surtout actif dans le recrutement de jeunes djihadistes pour combattre à l’étranger, plus particulièrement dans la lutter contre l’Inde afin de contrôler la région du Cachemire. Il est vrai qu’un rapport dans la preuve documentaire mentionne que de grandes caches d’armes ont été trouvées dans la ville d’Islamabad et qu’un autre rapport fournit des détails au sujet de la violence sectaire au sein de la capitale. Cependant, aucun élément de la preuve documentaire ne contredit ou ne mine les conclusions de la SPR selon lesquelles ni le LeT ni aucun autre groupe terroriste affilié n’avait infiltré l’appareil de sécurité mis en place à Islamabad ou n’en aurait pris possession et qu’il n’y avait pas d’attaques fréquentes ou systématiques contre les opposants au djihad à Islamabad.

[15]  La SPR a rejeté la déclaration de M. Ahmed selon laquelle le LeT pourrait le retracer par l’entremise du registre de la police, auprès de laquelle il faut s’inscrire pour louer un appartement à Islamabad. Cette conclusion de la SPR semble erronée parce qu’un rapport dans le dossier certifié du tribunal semble indiquer que l’enregistrement des locataires par leurs propriétaires à la police est une exigence au Pakistan en vertu de la Loi sur la location de 1965 (Tenancy Act, 1965). Toutefois, il ressort aussi du dossier que cette procédure n’est pas systématiquement appliquée, si ce n’est lorsque des mesures de sécurité accrues sont requises, comme durant le mois du ramadan. Même si cette mesure avait été appliquée dans le cas de M. Ahmed, il n’y a aucune preuve au dossier pour établir que la police à Islamabad serait susceptible de partager toute information relative à M. Ahmed avec le LeT. La conclusion de la SPR sur cette question peut avoir dévié, mais une telle erreur ne mine pas sérieusement la décision dans son ensemble.

IV.  Conclusion

[16]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SPR est intelligible, transparente, justifiable et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, les motifs donnés à l’appui de la décision permettent à la Cour de comprendre comment la SPR est arrivée à cette décision, qui appartient bel et bien aux issues possibles acceptables.

[17]  Aucune des parties n’a soulevé de question de portée générale, et aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5535-15

 

INTITULÉ :

USMAN AHMED, NAILA USMAN, SAAD USMAN, HAJIRA USMAN, ABDULLAH USMAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Boswell

 

DATE DES MOTIFS :

le 19 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Celeste Shankland

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Susan Gans

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet de Lisa Rosenblatt

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.