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Date : 20160712


Dossier : IMM-5693-15

Référence : 2016 CF 794

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

MABEL SABULAO GACHO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration (l’agent) le 3 décembre 2015, dans laquelle la demande de résidence permanente de la demanderesse à titre de membre de la catégorie des aides familiaux résidants a été rejetée, car son mari, en tant que membre de la famille qui accompagne, a été jugé interdit de territoire au Canada aux termes des alinéas 34(1)b) et 34(1) f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) parce qu’il était membre d’une organisation qui a été l’instigatrice ou l’auteure d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force.

II.                Contexte

[2]               La demanderesse est citoyenne des Philippines. Son mari, Peter Jr. Calucer Gacho (M. Gacho), qui a été membre des Forces armées des Philippines de 1987 à 1998, s’est porté volontaire pour s’enrôler dans les Forces armées à l’âge de 18 ans et a commencé son entraînement le 1er mai 1987. Il a terminé son entraînement de base le 31 juillet 1987 et est devenu soldat des Forces armées des Philippines le lendemain.

[3]               M. Gacho a ensuite commencé son entraînement en suivant le cours d’orientation pour les rangers-éclaireurs dans les montagnes du Bulacan. Dans la nuit du 27 août 1987, M. Gacho et d’autres participants au cours ont reçu l’ordre de leur commandant, le capitaine Redemto Taiza, de monter à bord d’un camion qui les a emmenés au Camp Aguinaldo à Manila. M. Gacho soutient qu’il n’a jamais été informé de l’objectif du déploiement.

[4]               Le matin du 28 août 1987, alors qu’ils étaient à l’intérieur du camp, le capitaine Taiza a ordonné à M. Gacho et à ses condisciples de se tenir près d’un terrain de golf. Les participants au cours ont entendu des coups de feu au loin. Ils se sont alors aperçus qu’un combat avait lieu. Cependant, M. Gacho a affirmé que ni lui ni ses condisciples ne savaient qui était impliqué dans ce combat et qui était l’ennemi.

[5]               M. Gacho soutient qu’il ne pouvait pas s’enfuir même s’il craignait pour sa vie parce qu’il avait peur d’être traduit en justice devant la cour martiale et de faire l’objet de sanctions sévères pouvant aller jusqu’à la mise à mort s’il désobéissait aux ordres. En 1990, M. Gacho a été déclaré coupable et emprisonné pour sa participation à la tentative de coup d’État du 28 août 1987. Il a obtenu un pardon en 1996 et a ensuite été en mesure de terminer son service militaire. Il a été libéré du service militaire le 1er mars 1998.

[6]               La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en se fondant sur la décision d’interdiction de territoire rendue par l’agent des visas à l’étranger de Manila au lieu d’examiner lui-même de façon indépendante la question de savoir si M. Gacho est interdit de territoire au Canada.

[7]               La demanderesse soutient également que la décision de l’agent est déraisonnable, car il n’a pas tenu compte de la définition applicable du terme « membre » ni du moyen de défense fondé sur la contrainte et sur l’obéissance aux ordres d’un supérieur.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[8]               La question à trancher en l’espèce est de savoir si l’agent, en concluant comme il l’a fait et de la manière qu’il l’a fait, a commis une erreur susceptible de révision au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[9]               La question de savoir si une personne est « membre » d’une organisation visée par l’alinéa 34(1)f) de la Loi est une question mixte de fait et de droit. La norme applicable en l’espèce est donc celle de la décision raisonnable (Ismeal c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 198, au paragraphe 15; Karakachian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 948, au paragraphe 29, 364 FTR 1).

IV.             Analyse

A.                Importance accordée par l’agent à la décision rendue par l’agent des visas à l’étranger

[10]           Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) indiquent ce qui suit :

[traduction]
Pendant le traitement de la présente demande de résidence permanente, le bureau des visas de Manila a procédé à l’évaluation des personnes à charge à l’étranger de la demanderesse principale, qui comprenaient son époux et les autres personnes à sa charge. Un agent des visas a conclu que son époux était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi parce qu’il faisait partie d’une organisation visée à l’alinéa 34(1)b) de la Loi. Selon l’évaluation du Centre de traitement des données – Vegreville, la demanderesse principale est interdite de territoire aux termes de l’alinéa 42(1)a) de la Loi parce que son époux est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[11]           Il ressort clairement de ce qui précède que l’agent n’a pas évalué de façon indépendante l’interdiction de territoire de M. Gacho, car l’agent était d’avis que cette tâche ne faisait pas partie de ses fonctions.

[12]           La demanderesse s’appuie sur les décisions Yang c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 158, 324 FTR 22, et Burgin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 68 ACWS (3d) 723, pour soutenir que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en omettant d’effectuer une évaluation indépendante des éléments de preuve déposés contre M. Gacho. Cet argument doit à mon avis être rejeté, car ces décisions n’ont pas été rendues dans le contexte de demandes de résidence permanente au titre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR), qui utilise une méthode particulière pour évaluer les demandes.

[13]           Après avoir examiné les éléments de preuve présentés par le défendeur, qui comprenaient les chapitres IP 4 – Traitement des aides familiaux résidants au Canada, OP 14 – Traitement des demandes aux termes du programme des aides familiaux résidants et OP 24 – Traitement à l’étranger des membres de la famille de demandeurs de résidence permanente au Canada, je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable que l’agent se fonde sur les conclusions de l’agent des visas à l’étranger.

[14]           La section 5.1 du chapitre IP 4 indique ce qui suit :

Les bureaux des visas sont en outre responsables du traitement à l’étranger des demandes de résidence permanente des membres de la famille à l’étranger des aides familiaux résidants qui ont présenté une demande de résidence permanente au Canada.

[15]           La section 9.7 du chapitre OP 14 décrit le partage des tâches entre les agents des visas à l’étranger et les agents travaillant dans le Centre de traitement des données – Vegreville (CTDV) lorsqu’une demande de résidence permanente présentée à l’étranger est rejetée :

Le bureau des visas :

informe le CTD lorsqu’une décision défavorable est rendue concernant les membres de la famille qui accompagnent ou non le demandeur;

avise également le CTD si les membres de la famille n’ont pas subi le contrôle dans le délai alloué ou s’il a été impossible de les joindre (consulter la section 9.3 ci-dessus); et

dans le dossier AF2, à titre de décision définitive, inscrit « refus » pour les membres de la famille qui accompagnent le demandeur et « retrait » pour les membres de la famille qui ne l’accompagnent pas.

Le CTD :

informe le demandeur de l’état du traitement de la demande. Il est possible d’allouer un délai supplémentaire pour permettre à l’intéressé de répondre;

rejette la demande. Dans la lettre de refus envoyée au demandeur, il faut signaler le rejet de la demande du demandeur et de tout membre de sa famille, qu’ils demeurent au Canada ou à l’étranger.

[16]           La section 9.1 du chapitre OP 24 contient des renseignements plus détaillés sur le traitement des demandes de résidence permanente au titre du PAFR par le CTD et les bureaux des visas à l’étranger :

Les personnes qui viennent au Canada dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants (PAFR) peuvent demander la résidence permanente au Canada à partir du moment où elles respectent toutes les exigences applicables à la catégorie. Ces exigences comprennent la preuve que ces personnes ont travaillé à plein temps à titre d’aide familial résidant pendant une période cumulative de deux ans au cours des trois premières années suivant leur arrivée au Canada dans le cadre du programme.

[…]

Les aides familiaux résidants doivent soumettre leur demande de résidence permanente, incluant tout document à l’appui et les frais exigibles au CTD-V. (Les renseignements concernant les formulaires requis et les frais de traitement sont disponibles sur le site Internet de CIC à l’adresse www.cic.gc.ca.)

Le CTD-V est responsable du traitement et de l’évaluation de toutes les demandes de résidence permanente de la catégorie PAFR. Lorsque le CTD a établi la recevabilité de la demande dans cette catégorie, il communique avec le bureau des visas compétent pour le traitement de tout membre de la famille à l’étranger.

Le traitement simultané des membres de la famille habitant à l’étranger peut être demandé par le demandeur principal.

[17]           Comme cela est bien établi, de tels guides n’ont pas force de loi, et conséquemment, ils ne sont pas contraignants pour le ministre ou ses agents et ils ne limitent pas le pouvoir discrétionnaire d’un agent des visas (Lee c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1152, au paragraphe 29; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 [Legault]; Vaguedano Alvarez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 35). Toutefois, même si elles ne sont pas juridiquement contraignantes, les lignes directrices ministérielles peuvent être « très utiles » à la Cour pour déterminer si la décision d’un agent est raisonnable (Legault, au paragraphe 20; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 72).

[18]           À mon avis, les extraits ci-dessus démontrent l’intérêt du ministre en ce qui concerne le partage de l’examen des demandes de résidence permanente au titre du PAFR entre les agents des visas à l’étranger et les agents du CTD. Les agents des visas à l’étranger traitent à l’étranger les demandes de résidence permanente des membres de la famille à l’étranger des aides familiaux résidants qui ont présenté une demande de résidence permanente au Canada. Les agents du CTD traitent et évaluent eux-mêmes les demandes des aides familiaux résidants. Compte tenu du régime établi dans les guides, je suis d’avis que l’agent a raisonnablement conclu que son rôle ne consistait pas à réexaminer la conclusion de l’agent à l’étranger selon laquelle M. Gacho était interdit de territoire.

[19]           La demanderesse prétend également que la façon dont l’agent a traité l’interdiction de territoire de M. Gacho va à l’encontre de la décision rendue par la juge Elizabeth Heneghan le 31 août 2015. Dans cette décision, la juge Heneghan a refusé d’accueillir la demande d’autorisation de la décision d’interdiction de territoire rendue par l’agent à l’étranger parce que la demande était prématurée et a déclaré que [traduction] « la décision finale concernant M. Gacho dépend des derniers stades de traitement de la demande de la demanderesse principale » (Gacho et Gacho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), Ottawa, dossier no IMM-2627-14 (CF)). Cet argument doit à mon avis être rejeté, car l’enquête sur l’interdiction de territoire a été traitée de façon définitive dans la décision de l’agent. Je ne crois pas que la décision de la juge Heneghan signifie que l’agent était tenu d’effectuer une évaluation indépendante de l’interdiction de territoire au Canada de M. Gacho.

[20]           Autrement dit, il va de soi que la conclusion d’interdiction de territoire rendue par l’agent des visas à l’étranger n’est pas soustraite au contrôle judiciaire. Elle est susceptible de contrôle parce qu’elle fait partie intégrante de la décision finale de rejeter la demande de résidence permanente de la demanderesse.

B.                 Caractère raisonnable de la conclusion d’interdiction de territoire

[21]           À cet égard, j’estime que l’agent à l’étranger n’a commis aucune erreur susceptible de révision en déclarant M. Gacho interdit de territoire.

[22]           Bien que la Loi ne définisse pas le terme « membre », la Cour a conclu que ce terme doit être interprété largement dans le contexte du régime législatif (Krishnamoorthy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1342, au paragraphe 22, 400 FTR 267 [Krishnamoorthy]; voir aussi Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, aux paragraphes 27 à 29 [Poshteh]; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 25, 193 FTR 159 (CAF) [Chiau]).

[23]           À cet égard, notre Cour a conclu à maintes reprises que le terme « membre » n’exige pas une adhésion effective ou formelle, avec participation active. Être « membre » signifie simplement « appartenir » à un groupe (Chiau, au paragraphe 57; voir aussi Denton-James c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1548, au paragraphe 13; Ismeal c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 198, aux paragraphes 19 et 20).

[24]           En règle générale, les facteurs pertinents à prendre en compte pour décider si un demandeur est membre d’une organisation aux fins de l’article 34 de la Loi sont les intentions du demandeur, son niveau de participation et son engagement (Krishnamoorthy, au paragraphe 23). Dans l’arrêt Sinnaiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576, le juge O’Reilly a indiqué que « [p]our démontrer que l’intéressé «fait partie» d’une organisation, il faut à tout le moins qu’il y ait des éléments de preuve tendant à établir l’existence de «liens institutionnels» ou d’une «participation consciente» aux activités du groupe » (au paragraphe 6).

[25]           L’» appartenance » d’un étranger à une organisation qui a renversé un gouvernement est appréciée sur la base de « motifs raisonnables de croire » que les actes sont survenus, conformément à l’article 33 de la Loi. Cette norme « exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 RCS 100, au paragraphe 114).

[26]           En outre, puisque l’article 33 de la Loi prévoit que les faits qui donnent lieu à l’interdiction de territoire comprennent les faits qui « sont survenus, surviennent ou peuvent survenir », notre Cour a estimé que cela voulait dire qu’aucune contrainte temporelle ne s’applique à l’» appartenance ». Cela signifie qu’un agent doit seulement « savoir si l’intéressé est ou a été membre de l’organisation » (Al Yamani c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1457, au paragraphe 12, 304 FTR 222 [Yamani]). Les agents n’ont pas besoin d’établir une correspondance entre la participation active comme membre de l’intéressé et la période pendant laquelle l’organisation se livrait à des actes visant au renversement d’un gouvernement (Yamani, au paragraphe 12).

[27]           Après avoir examiné le dossier, de même que les motifs de l’agent des visas à l’étranger, je suis d’avis que l’agent à l’étranger à Manila a longuement évalué les faits et a raisonnablement conclu que M. Gacho était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Plus particulièrement, l’agent des visas à l’étranger a conclu ce qui suit :

1)      [traduction] il n’est pas pertinent de savoir si une personne est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé à l’alinéa 34(1)a), 34(1)b) ou 34(1)c) de la Loi. Ce qui importe, c’est que l’organisation soit visée par l’alinéa 34(1)a), 34(1)b) ou 34(1)c) de la Loi, et que la personne soit membre de cette organisation;

2)      des renseignements de source ouverte indiquent que le régiment dans lequel M. Gacho était enrôlé – le First Scout Ranger Regiment – a participé au coup d’État. Selon des articles de presse, le 28 août 1987, le colonel Gregorio Honasan a mené une attaque des soldats rebelles contre Malacanang, et les soldats rebelles se sont emparés d’une partie du Camp Aguilnaldo, y compris le quartier général du Département de la Défense nationale, et ont tué 53 personnes et blessé plus de 200 personnes;

3)      M. Gacho a confirmé pendant son entrevue avec l’agent à l’étranger qu’il était présent pendant le coup d’État et que des coups de feu ont été tirés et que des personnes sont décédées pendant la tentative de coup d’État;

4)      M. Gacho a également confirmé dans sa demande qu’il avait été affecté à une unité militaire qui a participé à la tentative de coup d’État contre le gouvernement en 1987, et que des membres de l’unité, ainsi que lui-même, ont été inculpés devant la cour martiale no 9 et ont été condamnés et emprisonnés pendant trois ans;

5)      la certification délivrée par le National Bureau of Investigation (NBI) datée du 13 mai 2010 et l’Avis de résolution délivrée par la National Amnesty Commission daté du 25 octobre 1995 indiquent que M. Gacho faisait partie du groupe Reform the Armed Forces Movement-Soldiers of the Filipino People-Young Officer’s Union (RAM-SFP-YOU);

6)      l’explication donnée par M. Gacho pour expliquer pourquoi il a été qualifié de membre du groupe RAM-SFP-YOU n’était pas plausible. Il a signé une lettre dans laquelle il expliquait qu’il n’appartenait pas au groupe RAM-SFP-YOU et que son appartenance à ces organisations a probablement été déduite parce qu’il faisait partie d’une unité des Forces armées dont le commandant était probablement membre de ces organisations. L’agent à l’étranger a rejeté cette explication en déclarant ce qui suit : [traduction] « Il n’en demeure pas moins que la certification du NBI indique que selon le dossier du NBI, vous êtes membre du groupe RAM-SFP-YOU. Même si vous déclarez que vous n’êtes pas membre des organisations susmentionnées, vous admettez que vous avez été enrôlé dans le First Scout Ranger Regiment de l’armée philippine et il existe des éléments de preuve en ce sens […] »;

7)      le fait que M. Gacho était seulement un stagiaire au moment du coup d’État n’exclut pas le fait qu’il soit membre puisqu’il a été appelé à participer à l’action alors qu’il était encore en entraînement et qu’il s’est lui-même qualifié de membre du groupe.

[28]           L’agent des visas à l’étranger a également conclu que même si M. Gacho a déclaré qu’il ne savait pas ce qui se passait pendant le coup d’État du 28 août 1987, [traduction] « il n’est pas déraisonnable de conclure que, compte tenu de la nature des fonctions spécialisées du régiment et de vos fonctions en tant que carabinier jouant un rôle actif, vous ne connaissiez pas le but et les objectifs de votre régiment ».

[29]           À mon avis, l’agent des visas à l’étranger a raisonnablement conclu que M. Gacho savait que le First Scout Ranger Regiment planifiait un coup d’État contre le gouvernement. Compte tenu des éléments de preuve solides contre M. Gacho, ainsi que de sa condamnation pour avoir participé au coup d’État, il était raisonnable que l’agent des visas à l’étranger privilégie la preuve documentaire décrivant M. Gacho comme un membre du groupe RAM-SFP-YOU plutôt que l’explication donnée par M. Gacho pour expliquer ses liens avec l’organisation. Je suis d’avis que la décision de l’agent des visas à l’étranger appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[30]           L’agent des visas à l’étranger a rigoureusement évalué l’appartenance de M. Gacho au First Scout Ranger Regiment, de même que son rôle dans l’organisation et sa connaissance du but et des objectifs du régiment. Comme je l’ai indiqué précédemment, ces facteurs doivent seulement être prouvés selon la norme « des motifs raisonnables de croire ». Le rôle de la Cour n’est pas de déterminer si M. Gacho était membre de  l’organisation à l’origine du coup d’État, mais plutôt de déterminer s’il existe une preuve du fait sur lequel l’agent pourrait raisonnablement s’appuyer pour conclure que M. Gacho était membre de l’organisation (Suresh (Re), (1997), 140 FTR 8, au paragraphe 18, 75 ACWS (3d) 887). À mon avis, le dossier renfermait suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à l’agent à l’étranger de tirer raisonnablement cette conclusion.

[31]           L’affirmation de la demanderesse selon laquelle les actes de M. Gacho doivent être excusés parce qu’il n’avait pas l’intention de les commettre et qu’il a agi sous l’effet de la contrainte doit également être rejetée.

[32]           À cet égard, l’agent des visas à l’étranger a analysé les intentions de M. Gacho et a noté qu’il n’a jamais mentionné pendant l’entrevue qu’il a suivi les ordres contre son gré le jour du coup d’État. M. Gacho a plutôt affirmé que les soldats doivent suivre les ordres de leurs commandants dans l’armée. L’agent des visas à l’étranger a déterminé que M. Gacho n’a pas quitté les lieux de la tentative de coup d’État et qu’il n’a pas indiqué qu’il avait été contraint de rester. Il a également affirmé pendant l’entrevue que son « rêve » était de s’enrôler dans l’armée. En outre, l’agent à l’étranger a noté que M. Gacho est retourné dans l’armée après avoir purgé sa peine d’emprisonnement et que son formulaire de demande indiquait qu’il a été membre du First Scout Ranger Regiment jusqu’en 1996.

[33]           En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel M. Gacho a agi sous la contrainte, l’agent à l’étranger a déclaré qu’il ne pouvait concevoir que l’argument [traduction] « s’applique à la présente espèce » puisque [traduction] « M. Gacho s’est volontairement enrôlé dans l’armée et a suivi les ordres de son plein gré [...]. Qui plus est, le demandeur n’a jamais mentionné qu’il avait été menacé pendant les événements ou qu’il avait été contraint de poser les actes qu’il a posés ce jour-là ou qu’il avait été contraint de rester. »

[34]           Il est bien établi que pour invoquer avec succès un moyen de défense fondé sur la contrainte, un accusé doit démontrer (i) qu’il a été forcé de commettre une infraction précise en réplique à des menaces de mort ou de lésions corporelles; (ii) qu’il croyait, pour des motifs raisonnables, que les menaces seraient mises à exécution; (iii) qu’il n’existait aucun moyen de se soustraire sans danger à la menace; (iv) qu’il existait un rapport de proportionnalité entre le préjudice dont l’accusé était menacé et celui qu’il infligeait; (v) qu’il n’a participé à aucun complot ni à aucune association le soumettant à la contrainte, et qu’il savait vraiment que les menaces et la contrainte l’incitant à commettre une infraction criminelle constituaient une conséquence possible de cette activité, de ce complot ou de cette association criminels (R. c. Ryan, 2013 CSC 3, [2013] 1 RCS 14, aux paragraphes 29 et 55).

[35]           À mon avis, les extraits des notes consignées dans le SMGC par l’agent des visas à l’étranger ci-dessus reproduites ne démontrent pas que M. Gacho a agi sous la contrainte ou qu’il aurait été exposé à une menace grave imminente s’il n’avait pas suivi les ordres de son commandant la journée du coup d’État. Il était donc raisonnablement loisible à l’agent à l’étranger de conclure que le moyen de défense fondé sur la contrainte ne s’appliquait pas au cas de M. Gacho.

[36]           Enfin, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle M. Gacho ne peut pas être jugé coupable de ses activités selon la doctrine des ordres d’un supérieur parce qu’il n’a participé en aucune façon à la planification ou à l’organisation du coup d’État doit également être rejetée.

[37]           En règle générale, le moyen de défense fondé sur l’obéissance aux ordres d’un supérieur peut être invoqué par le personnel militaire qui obéit aux ordres d’un supérieur pourvu que l’acte en cause « soit tellement choquant qu’il est manifestement illégal » (R. c. Finta, [1994] 1 RCS 701, au paragraphe 778, 112 DLR (4th) 513; voir aussi Yassin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 1029, 117 ACWS (3d) 605, au paragraphe 19).

[38]           Comme je l’ai expliqué précédemment, l’agent des visas à l’étranger n’avait pas besoin d’être convaincu que M. Gacho avait participé personnellement à la planification ou à l’organisation du coup d’État, ni, d’ailleurs, qu’il avait participé personnellement au coup d’État pour conclure qu’il était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Il était donc raisonnablement loisible à l’agent des visas à l’étranger de conclure que le moyen de défense fondé sur l’obéissance aux ordres d’un supérieur ne s’appliquait pas en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[39]           Comme la Cour l’a indiqué dans l’arrêt Yamani, le résultat peut sembler sévère parce que l’article 34 de la Loi ne semble pas laisser la porte ouverte à un changement de situation, tant en ce qui concerne l’organisation que l’intéressé, et, en l’espèce, ne prévoit aucun recours pour les soldats qui suivent les ordres de leurs supérieurs. Cependant, comme il est également indiqué dans l’arrêt Yamani, le législateur prévoit une approche globale permettant de décider des questions d’interdiction de territoire afin d’établir un équilibre entre les intérêts nationaux en garantissant la sécurité de la société canadienne et en interdisant de territoire les personnes qui constituent un danger pour la sécurité (Yamani, au paragraphe 14). Par conséquent, les personnes interdites de territoire aux termes de l’article 34 de la Loi peuvent demander une dispense au ministre conformément à l’article 42.1 de la Loi. Cet article indique que le ministre peut, sur demande d’un étranger, déclarer que les faits visés à l’article 34 n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui-ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national. Sur ce point, je suis d’accord avec les arguments du défendeur selon lesquels le moyen de défense fondé sur l’obéissance aux ordres d’un supérieur est une allégation qui peut être examinée dans le contexte de la dispense ministérielle aux termes de l’article 42.1 de la Loi.

[40]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5693-15

INTITULÉ :

MABEL SABULAO GACHO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MAI 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUILLET 2016

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

Pour la demanderesse

Edward Burnet

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sas & Ing, Immigration Law Centre

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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