Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160707


Dossier : IMM-5357-15

Référence : 2016 CF 764

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

HENRY AMECHI OGBUCHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Historique

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision (la décision) par laquelle un agent des visas (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Accra, au Ghana, a rejeté la demande de visa de résident temporaire à titre d’étudiant.

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria âgé de 42 ans. Le 13 février 2015, il a été accepté par le Manitoba Institute of Trades and Technology (MITT) au programme de certificat d’études supérieures en commerce international. Le programme devait se dérouler du 10 septembre 2015 au 26 août 2016.

[3]               Le demandeur a présenté une demande de permis d’études le 14 juillet 2015. Dans sa demande, le demandeur a déclaré qu’il avait étudié l’économie et les statistiques à l’Université du Bénin, de 1995 à 1999, et qu’il travaillait pour des filiales de Chevron Nigeria Ltd. depuis 2004 comme agent de l’équipement et d’entrepôt, agent administratif et gestionnaire de projet principal, ainsi que comme analyste d’inventaire et d’approvisionnement. Il a également indiqué qu’il avait déjà présenté une autre demande de permis d’études, mais qu’elle avait été rejetée en raison d’une absence de preuve corroborant ses antécédents de voyage, son statut professionnel et sa situation financière.

[4]               L’agent a rejeté la demande de permis d’études du demandeur le 13 novembre 2015. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour. L’agent a souligné que : [traduction] « [en] prenant cette décision, j’ai tenu compte de plusieurs facteurs, dont la durée du séjour envisagé au Canada […] [et] l’objet de la visite ».

[5]               Dans les notes du SMGC qui accompagnent la lettre de refus, l’agent a justifié sa décision de la façon suivante :

[traduction]

Après avoir examiné la demande et les documents fournis à l’appui, le programme d’études au Canada ne semble correspondre ni à son parcours scolaire ni à ses antécédents professionnels. Après avoir examiné les renseignements fournis, je ne suis toujours pas convaincu que le demandeur soit un véritable étudiant qui a l’intention de compléter un programme d’études au Canada. Je ne suis pas non plus convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, en partie en raison de son parcours scolaire et de ses antécédents professionnels. La demande est rejetée.

II.                Analyse

[6]               La norme de contrôle applicable lors de l’examen d’une demande de permis d’études par un agent des visas est celle de la décision raisonnable (Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 C.F. 472, au paragraphe 9 ; Obot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 C.F. 208, au paragraphe 12). Tant et aussi longtemps que l’examen de l’agent est transparent, intelligible et justifiable, et qu’il appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour n’interviendra pas (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 C.S.C. 9, au paragraphe 47).

[7]               Le demandeur soutient qu’il a présenté des éléments de preuve corroborant : qu’il a une femme et trois enfants mineurs au Nigeria ; qu’il a un emploi rémunéré depuis plus de douze ans ; que son employeur s’attend à ce qu’il revienne travailler pour lui à la fin de ses études ; et il a d’importantes économies en espèces qui surpassent amplement ce qui est nécessaire pour financer ses études et subvenir aux besoins de sa famille. À la lumière de tout cela, le demandeur soutient que la conclusion de l’agent, selon laquelle la période de séjour qu’il a soumise et l’objet de sa visite militent contre l’obtention d’un permis, est arbitraire et n’est pas étayée par la preuve.

[8]               Le demandeur cite l’arrêt Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 C.F. 1493, au paragraphe 18, pour affirmer que « des décisions d’autres agents des visas ont été annulées parce que l’agent des visas n’avait pas suffisamment tenu compte des liens familiaux qui unissaient le demandeur à son pays d’origine ». Le demandeur cite également les décisions Zuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 C.F. 88, au paragraphe 31, où la Cour a conclu que la décision d’un agent des visas de refuser un permis d’études était déraisonnable, en raison, entre autres, de « l’omission de l’agente de tenir compte des liens du demandeur avec la Chine » ; et Oloruntoba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 C.F. 1414, où le juge Zinn a infirmé la décision d’un agent des visas qui avait omis de traiter des éléments de preuve clairs en faveur de la demanderesse.

[9]               Le défendeur soutient que le demandeur conteste le poids accordé à la preuve par l’agent et que [traduction] « le poids à attribuer aux facteurs [...] n’est pas soumis au contrôle judiciaire » (Baylon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 C.F. 938, au paragraphe 25). Le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de démontrer qu’il quitterait le Canada à la fin de la période d’études (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 C.F. 614, au paragraphe 41) et que celui-ci a omis de le faire. Enfin, le défendeur soutient qu’il n’y a rien de déraisonnable dans la conclusion de l’agent, selon laquelle le programme d’études du demandeur — le but de son séjour — était incompatible avec son parcours scolaire et ses antécédents professionnels. Par conséquent, la décision de l’agent des visas ne devrait pas être modifiée.

[10]           Je suis d’accord avec le demandeur que la décision n’était pas justifiée en l’espèce ; particulièrement en ce qui a trait au fait que l’agent n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle il a conclu que le programme d’études du demandeur au Canada était incompatible avec son parcours scolaire et ses antécédents professionnels.

[11]           Après tout, le demandeur cherche à obtenir un certificat d’études supérieures en commerce international. Il affirme qu’il a étudié l’économie et les statistiques à l’université, et qu’il a travaillé pendant plus de dix ans pour une grande multinationale dans le secteur du pétrole et du gaz, en partie comme analyste d’approvisionnement. Je ne vois pas, dans les motifs de l’agent, comment les antécédents scolaires et professionnels du demandeur peuvent être incompatibles avec un programme d’études d’un an en commerce international.

[12]           Il se peut que l’agent a été au courant de questions sous-jacentes soulevées par la demande. Cependant, la seule explication donnée pour le motif du refus, à savoir que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée en raison [traduction] « de son parcours scolaire et de ses antécédents professionnels », n’est d’aucune aide, car l’agent ne précise pas ce qui est réellement problématique à propos des études ou de l’emploi.

[13]           En d’autres termes, il aurait été parfaitement justifié que l’agent fonde son refus sur l’un des motifs, mais celui-ci devait indiquer, avec un minimum de clarté, ce qu’ils étaient. Les motifs d’un agent des visas n’ont pas à être parfaitement clairs, mais ils doivent « [permettre] à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 C.S.C. 62, au paragraphe 16). Lorsque, comme en l’espèce, les motifs sont insuffisants au point de rendre la décision injustifiée et inintelligible, et que, par conséquent, la conclusion n’appartient pas aux issues possibles acceptables, la décision doit être examinée et renvoyée pour nouvel examen.

[14]           Une dernière remarque : lors de l’audience, le défendeur a fait remarquer, pour la première fois, que plusieurs des documents contenus dans le dossier de demande et cités par le demandeur dans ses arguments, dont la présumée lettre de demande du demandeur et des lettres de références, n’étaient pas dans le dossier certifié du tribunal (DCT) et, par conséquent, n’étaient pas à la disposition de l’agent. Le défendeur a soutenu que la Cour ne pouvait donc pas tenir compte de ces documents dans sa décision.

[15]           Il ressort clairement de la jurisprudence qu’il incombe au demandeur de démontrer qu’un document était devant le décideur si celui-ci n’était pas dans le DCT :

 Lorsque le DCT ne contient pas un certain document et ne fait aucune mention de ce document, une simple affirmation de la part du demandeur à l’effet que le document en question aurait été envoyé ne suffit pas pour affirmer que celui-ci se soit acquitté de ce fardeau (Singh Khatra au para 6 ; Adewale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1190 (CanLII) au para 11).

(El Dor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 C.F. 1406, au paragraphe 32)

[16]           Si le demandeur ne peut réfuter cette présomption, les éléments de preuve contestés ne sauraient être considérés par cette Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Ajeigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 C.F. 534, au paragraphe 13 ; Adewale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 C.F. 1190, [Adewale], au paragraphe 10).

[17]           Bien qu’un examen des documents indique que le défendeur a raison, je n’ai pas à me prononcer sur le document controversé, car le caractère déraisonnable de la décision est clair, même sans que l’on tienne compte des documents contestés. Cela étant dit, il serait utile à la Cour qu’à l’avenir, les parties soulèvent toute question au sujet de documents contestés avant l’audience afin qu’elle puisse être valablement examinée. Dans la décision Adewale, par exemple, le juge Blanchard a finalement conclu qu’il ne pouvait pas tenir compte de la preuve contestée, mais seulement après que le ministère de la Justice a présenté une requête visant à la faire radier du dossier.

[18]           Il est particulièrement important que le défendeur soulève toute incohérence de la preuve en temps opportun lorsqu’un des arguments avancés est que l’agent en question a suffisamment tenu compte de la preuve dont il disposait. De même, dans les cas où un document contesté est essentiel à la position du demandeur, la question devrait d’abord être examinée en temps opportun pour éviter que le demandeur ne se retrouve dans la situation où il serait incapable de réfuter la présomption du DCT complet.

III.             Conclusion

[19]           Compte tenu de tout ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

4.      Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5357-15

 

INTITULÉ :

HENRY AMECHI OGBUCHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Diner

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

John Agwuncha

POUR LE DEMANDEUR

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Agwuncha

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.