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Date : 20160315


Dossier : T-1774-15

Référence : 2016 CF 317

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 mars 2016

En présence de Kevin R. Aalto, protonotaire

ENTRE :

EMAD IBRAHIM AL OMANI, LINA HOUSNE HAMZA NAHAS, ET SULTAN EMAD AL OMANI (MINEUR), LULWA EMAD IBRAHIM AL OMANI (MINEUR),

HAYA EMAD IBRAHIM AL OMANI

(MINEUR), REPRÉSENTÉS PAR LEURS TUTEURS À L’INSTANCE, EMAD IBRAHIM AL OMANI ET LINA HOUSNE HAMZA NAHAS

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La présente requête a été déposée par les défendeurs en vertu de la règle 369 des Règles des Cours fédérales (la règle 369). La requête vise à obtenir une ordonnance radiant la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de la modifier, parce qu’elle ne révèle aucun motif d’action valable, est scandaleuse, frivole et vexatoire, est dépourvue de faits importants, comporte des lacunes et contient des actes de procédure qui ne sont ni pertinents ni déterminants. Pour appuyer leur requête, les défendeurs ont déposé un dossier de requête ainsi qu’un recueil de jurisprudence en deux volumes faisant référence à quelque 44 affaires et dispositions législatives.
En réponse, les demandeurs ont déposé un volumineux dossier de requête, auquel les défendeurs ont répondu en présentant des observations écrites. L’avocat des demandeurs a demandé, dans ses observations écrites, la tenue d’une audience.

[2]               Dans leurs observations écrites, les défendeurs ont commencé par faire la déclaration suivante :

[traduction]

La Cour a confirmé que les requêtes visant à radier une déclaration sont habituellement tranchées par écrit, en vertu de la règle 369 des Règles des Cours fédérales. La tenue d’une audience n’est pas nécessaire. [Non souligné dans l’original.]

[3]               En ce qui concerne cette proposition, les défendeurs s’appuient sur la décision datée du 27 avril 2015 que l’honorable juge Russell Zinn a rendue dans l’affaire Cabral et al. c. MCI et al., dossier de la Cour nº T­2425­14, et en particulier sur les paragraphes 21 à 23, qui sont libellés comme suit :

[traduction]

[21]      Les demandeurs, en réponse à la requête déposée par la Couronne, ont indiqué par écrit, puis dans leur mémoire, qu’ils souhaitaient que la requête de la Couronne fasse l’objet d’une audience en personne plutôt que d’être instruite aux termes de la règle 369. Dans leur mémoire, ils soutiennent que cette règle est inconstitutionnelle et inopérante.

[22]      Je suis d’accord avec les défendeurs sur le fait que les requêtes comme celle déposée par les défendeurs sont habituellement tranchées par écrit. En règle générale, aucune audience n’est nécessaire, et la présente affaire ne fait pas exception.

[23]      Je partage également l’opinion des défendeurs sur le fait que les demandeurs n’ont invoqué aucune jurisprudence pour étayer leur affirmation selon laquelle la règle 369 était inconstitutionnelle, enfreignait l’article 7 de la Charte et exigeait le consentement des parties. En l’absence de tout fondement, la suggestion des demandeurs selon laquelle la règle 369 est inconstitutionnelle est mieux décrite au moyen de l’expression utilisée par le juge Stratas dans l’arrêt Paradis Honey à titre « d’idées préconçues, de visions idéologiques ou d’avis isolé ».

[4]               Il convient de noter que dans l’arrêt Cabral, les demandeurs contestaient la constitutionnalité de la règle 369 du fait qu’elle allait à l’encontre de leurs droits de se faire entendre par la Cour. Le juge Zinn avait rejeté cet argument et, compte tenu des faits relatifs à cette affaire, avait déterminé qu’une audience n’était pas nécessaire pour traiter les aspects importants de la requête. La requête avait été jugée en fonction des observations écrites en vertu de la règle 369.

[5]               Dans la présente affaire, qui comporte des ressemblances avec l’arrêt Cabral, les défendeurs souhaitent transformer la décision en vertu de la règle 369 rendue dans l’arrêt Cabral en une norme de la Cour selon laquelle les requêtes visant une radiation devraient, normalement, être jugées comme les requêtes déposées en vertu de la règle 369. À mon avis, les défendeurs amplifient les conséquences des observations du juge Zinn à l’égard des requêtes déposées en vertu de la règle 369. Le paragraphe 22 de la décision du juge Zinn ne renferme rien qui puisse soutenir la proposition selon laquelle les « requêtes visant à radier une déclaration sont habituellement tranchées par écrit » ou qui indique que la règle 369 constitue une procédure normalisée en ce qui concerne les requêtes visant à radier une déclaration. Selon mon interprétation des commentaires du juge Zinn, tout ce qui est insinué, c’est que lorsqu’une requête en vertu de la règle 369 est déposée, elle est habituellement jugée par écrit, sous réserve du pouvoir discrétionnaire global dont dispose la Cour pour déterminer si elle souhaite juger la requête par écrit ou accorder une audience. La procédure adoptée est également sous réserve d’une demande de la partie défenderesse quant à la tenue d’une audience en personne. À mon avis, la règle 369 ne remplace pas une plaidoirie lorsque celle­ci est nécessaire. La règle 369 est libellée comme suit :

Procédure de requête écrite

Motions in writing

369 (1) Le requérant peut, dans l’avis de requête, demander que la décision à l’égard de la requête soit prise uniquement sur la base de ses prétentions écrites.

369 (1) A party may, in a notice of motion, request that the motion be decided on the basis of written representations.

Demande d’audience

Request for oral hearing

(2) L’intimé signifie et dépose son dossier de réponse dans les 10 jours suivant la signification visée à la règle 364 et, s’il demande l’audition de la requête, inclut une mention à cet effet, accompagnée des raisons justifiant l’audition, dans ses prétentions écrites ou son mémoire des faits et du droit.

(2) A respondent to a motion brought in accordance with subsection (1) shall serve and file a respondent's record within 10 days after being served under rule 364 and, if the respondent objects to disposition of the motion in writing, indicate in its written representations or memorandum of fact and law the reasons why the motion should not be disposed of in writing.

Réponse du requérant

Reply

(3) Le requérant peut signifier et déposer des prétentions écrites en réponse au dossier de réponse dans les quatre jours après en avoir reçu signification.

(3) A moving party may serve and file written representations in reply within four days after being served with a respondent's record under subsection (2).

Décision

Disposition of motion

(4) Dès le dépôt de la réponse visée au paragraphe (3) ou dès l’expiration du délai prévu à cette fin, la Cour peut statuer sur la requête par écrit ou fixer les date, heure et lieu de l’audition de la requête.

(4) On the filing of a reply under subsection (3) or on the expiration of the period allowed for a reply, the Court may dispose of a motion in writing or fix a time and place for an oral hearing of the motion.

[6]               La règle 369(2) exige que l’intimé dans une requête en vertu de la règle 369 s’oppose à ce que la requête soit jugée par écrit. Lorsqu’un intimé s’oppose à ce que la requête soit jugée par écrit, il doit indiquer « [l]es raisons justifiant l’audition ».

[7]               Les requêtes visant la radiation de déclarations comptent parmi les requêtes interlocutoires les plus complexes dont la Cour est saisie. Il est possible que certaines déclarations n’aient manifestement aucune chance d’être accueillies ou, au contraire, qu’elles présentent clairement un motif d’action leur permettant d’être raisonnablement jugées par l’intermédiaire d’une requête en vertu de la règle 369. Cependant, selon la procédure normale, la complexité des motifs d’action et l’examen de la jurisprudence s’appliquant aux faits plaidés devraient servir à déterminer si une plaidoirie est nécessaire en ce qui concerne une requête déposée en vertu de la règle 369. Une requête ne doit pas nécessairement être jugée par écrit seulement sous prétexte qu’elle a été déposée en vertu de la règle 369.

[8]               L’un des facteurs à prendre en compte consiste à déterminer si la partie défenderesse s’oppose à la tenue d’une audience conformément à la règle 369 et demande la tenue d’une audience en personne. La Cour peut établir que des observations orales seraient utiles. Dans l’arrêt Cabral, le juge Zinn a établi que même si la partie défenderesse avait demandé la tenue d’une audience en personne, dans les circonstances de cette affaire, une audience en personne n’était pas nécessaire puisque les questions pouvaient être tranchées d’une manière significative sans la tenue d’une audience en personne.

[9]               Cependant, le point de vue de la partie défenderesse ne détermine pas nécessairement si une audience en personne doit avoir lieu. Une partie défenderesse peut consentir à ce qu’une requête soit jugée par écrit, mais il revient à la Cour de déterminer si des observations orales lui seraient utiles.

[10]           Un autre facteur à prendre en considération, c’est qu’en raison de leur complexité, les motifs d’action nécessitent souvent une plaidoirie de l’avocat des parties pour que soient bien compris les points de vue de ces dernières ainsi que la nature des déclarations faisant l’objet d’une demande de radiation. La règle 369 ne remplace pas une plaidoirie, et il n’est pas rare que celle­ci joue un rôle clé dans l’issue d’une cause. Par exemple, l’honorable juge Marshall Rothstein (qui a récemment pris sa retraite de la Cour suprême du Canada) s’est exprimé au sujet de la plaidoirie et, dans un discours intitulé « Conseils concernant la plaidoirie », a observé ce qui suit :

[traduction]  

Permettez­moi tout d’abord de faire quelques observations préliminaires : on peut supposer sans se tromper que les juges de la Cour d’appel auront lu votre mémoire avant la tenue de l’audience d’appel. Toutefois, le temps qu’ils auront consacré à lire le mémoire n’équivaudra pas à celui que vous avez mis à le rédiger. Sauf si l’affaire est anormalement simple, les juges n’auront qu’une impression des arguments de chacune des parties. Ils se présenteront dans la salle d’audience après avoir eu une brève discussion. Ils auront probablement un penchant pour l’une ou l’autre des parties, mais sans plus. Par contre, ils veulent s’assurer que lorsqu’ils quitteront la salle d’audience, ils sauront exactement, dans la mesure du possible, quelle partie aura gain de cause et les motifs de cette décision. Par conséquent, la plaidoirie importe grandement.

Personnellement, je suis plus auditif que visuel. Vous êtes nombreux à mieux vous exprimer à l’oral qu’à l’écrit. La lecture de votre mémoire ne permettra pas de relever certaines subtilités qui, si elles sont pertinentes, devraient ressortir dans une plaidoirie ou dans les réponses aux questions. La semaine dernière, je me suis rendu à Calgary et à Edmonton. Sur les trois causes que j’ai entendues à Calgary, deux ont fait l’objet d’une décision allant à l’encontre du penchant du jury reposant sur les mémoires, et ce fut presque le cas également pour la troisième cause.

Par conséquent, malgré toute l’importance conférée à un mémoire, il ne faut pas sous­estimer le poids d’une plaidoirie.

[Oral Advocacy in Courts of Appeal, Advocates’ Society Courthouse Series 2001, le jeudi 22 février 2001,

monsieur le juge Marshall Rothstein, Cour d’appel fédérale]

[11]           Bien que ces observations aient été formulées alors que le juge Rothstein siégeait à la Cour d’appel fédérale, elles s’appliquent également aux tribunaux de tous les niveaux. Il ne faut pas sous­estimer l’importance d’une plaidoirie, comme le démontre la littérature exhaustive disponible à ce sujet. Par exemple, il suffit de consulter les articles et ouvrages publiés sur le site de la Société des plaideurs, à l’adresse www.advocates.ca, et en particulier : Ethos, Pathos and Logos, The Best of the Advocates’ Society Journal 1982­2004, David E. Spiro et David Stockwood, éd., Irwin Law, 2005; Pratte, G., exposé « On the Teaching and Learning of Advocacy: Some personal and informal remarks », présenté dans le cadre de Task Force on Advocacy – Policy Forum, Toronto (Ontario), 17 février 2004; Olah, John, The Art and Science of Advocacy, Carswell, 1990; Sopinka, John and Gelowitz, Mark, The Conduct of an Appeal, 3rd éd. LexisNexis Canada Inc., 2012.

[12]           Dans l’arrêt Cabral, le juge Zinn a fait observer que la requête visant la radiation pouvait être facilement jugée par l’intermédiaire d’une requête en vertu de la règle 369 sans qu’une plaidoirie ne soit nécessaire. La requête a été rejetée, à l’exception de la radiation de deux paragraphes et d’une partie nommée. Dans cette affaire, les défendeurs n’avaient pas satisfait à l’exigence élevée nécessaire pour que la déclaration soit radiée.

[13]           Ce qui diffère en l’espèce, c’est que, encore une fois comme dans l’arrêt Cabral, un certain nombre de motifs d’action sont invoqués, notamment en ce qui concerne le méfait public, l’abus et l’excès de pouvoir, l’abus de procédure, la négligence et la violation de diverses obligations constitutionnelles. En outre, les demandeurs affirment que la déclaration en l’espèce ressemble à celle visée dans l’arrêt Cabral et que bon nombre des motifs sont les mêmes dans les deux affaires.

[14]           Pour ce qui est des particularités en l’espèce, en ce qui concerne la demande afin que la requête fasse l’objet d’une audience en personne, les demandeurs contestent la constitutionnalité de la règle 369, mais ils ne fournissent pas suffisamment d’arguments pour démontrer pourquoi cette requête ne peut pas être jugée en vertu de la règle 369. Dans leurs observations, les demandeurs ont indiqué que le refus d’autoriser une plaidoirie causait un préjudice aux demandeurs.

Je ne me prononce pas sur la constitutionnalité, puisque cet aspect a été discuté par le juge Zinn dans l’arrêt Cabral.

[15]           Notamment, dans leurs contre­observations, les défendeurs maintiennent qu’il s’agit d’une requête « simple » qui pourrait être tranchée plus efficacement et plus rapidement par écrit, et que leur point de vue est [traduction] « entièrement étayé par les décisions faisant jurisprudence rendues par la Cour d’appel fédérale et la présente Cour ». Ils affirment que la déclaration visée dans l’arrêt Cabral est bien différente de celle en l’espèce. Cette affirmation exige qu’au moins une certaine comparaison soit faite entre la déclaration visée dans l’arrêt Cabral et celle en l’espèce afin de déterminer si le juge Zinn a déjà rendu une décision à l’égard de motifs d’action concernant des faits qui ressembleraient à ceux en l’espèce. Tout cela exige le soutien d’un avocat dans le cadre d’une plaidoirie ciblée.

[16]           À la lumière de l’examen de l’ensemble des documents à la disposition de la Cour, j’estime qu’il n’est pas approprié que la présente requête visant à radier la déclaration soit tranchée par voie d’audience en vertu de la procédure liée à la règle 369. Pour en arriver à cette conclusion, je rejette le point de vue des demandeurs selon lequel la règle 369 n’est utilisée que lorsqu’il y a consentement et qu’elle est quelque peu inconstitutionnelle. Il s’agit d’une procédure en vertu des Règles des Cours fédérales dont la Cour peut se prévaloir pour fournir aux parties, dans certaines circonstances, un mécanisme rentable afin que soient tranchées efficacement et rapidement les questions interlocutoires simples.

[17]           Par conséquent, les défendeurs doivent communiquer avec le coordonnateur des audiences afin d’organiser une audience d’une demi­journée concernant la présente requête. L’audience devra avoir lieu à Toronto et se dérouler en anglais devant un protonotaire ou un juge de la Cour.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

                  1.                        La présente requête doit être instruite par la Cour. L’heure et la date de l’audience seront fixées par le coordonnateur des audiences de la Cour fédérale.

                  2.                        Les dépens seront déterminés par le juge ou le protonotaire saisi de la requête.

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1774-15

INTITULÉ :

EMAD IBRAHIM AL OMANI, LINA HOUSNE HAMZA NAHAS, ET SULTAN EMAD AL OMANI

(MINEUR), LULWA EMAD IBRAHIM AL OMANI (MINEUR), HAYA EMAD IBRAHIM AL OMANI, (MINEUR), REPRÉSENTÉS PAR LEURS TUTEURS À L’INSTANCE, EMAD IBRAHIM AL OMANI ET LINA HOUSNE HAMZA NAHAS C. SA MAJESTÉ LA REINE,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE PROTONOTAIRE AALTO

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2016

REQUÊTE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO), EN VERTU DE LA RÈGLE 369

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Rocco Galati

 

Pour les demandeurs

Catherine Vasilaros

Susan Gans

 

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm Professional Corporation

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Pour les défendeurs

 

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