Date : 20160617
Dossier : T-1280-13
Référence : 2016 CF 685
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 17 juin 2016
En présence de monsieur le juge Bell
ENTRE : |
NOV DOWNHOLE EURASIA LIMITED ET DRECO ENERGY SERVICES ULC |
Appelantes/demanderesses
|
et |
TLL OILFIELD CONSULTING LTD. ET ACURA MACHINE INC. |
Intimées/défenderesses
|
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie de l’appel, interjeté par les demanderesses, de l’ordonnance rendue par la protonotaire Milczynski, datée du 7 avril 2016, par laquelle elle a rejeté la requête des demanderesses (les appelantes en l’espèce) en vue d’obtenir la modification de leur déclaration dans la forme prévue à l’annexe A, jointe à l’avis de requête. Essentiellement, les demanderesses demandent l’ajout de Troy Lorenson, David Nicholson et Petr Macek à titre de défendeurs dans l’action sous-jacente. Dans cette ordonnance, la protonotaire Milczynski a également rejeté la demande subsidiaire des demanderesses, visant à les dispenser de leur engagement tacite de ne pas se fonder sur les documents produits dans l’instance sous-jacente pour introduire une procédure contre ces trois personnes. Je souligne que durant l’instance la protonotaire Milczynski agissait en sa qualité de juge chargée de la gestion de l’instance, ayant été désignée ainsi par le juge en chef, le 7 novembre 2013.
[2] Les appelantes se trouvent confrontées à un lourd fardeau de preuve en demandant que notre Cour annule l’ordonnance discrétionnaire d’une juge chargée de la gestion de l’instance. En appel, notre Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’ordonnance discrétionnaire d’une protonotaire. De telles ordonnances ne devraient pas être infirmées à moins que les questions soulevées soient déterminantes sur la décision finale quant au fond, ou à moins que l’ordonnance soit fondée sur une règle de droit erronée ou sur une mauvaise appréciation des faits : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2003] ACF no 1925, au paragraphe 19; Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425, [1993] ACF no 103. Outre la nature discrétionnaire de son ordonnance, je souligne également que la protonotaire Milczynski a rendu l’ordonnance contestée en sa qualité de juge chargée de la gestion de l’instance. Dans ce rôle, le contexte et les complexités de l’affaire lui sont très familiers. Notre Cour ne doit pas intervenir dans une décision rendue par une juge chargée de la gestion de l’instance, sauf [traduction] « […] s’il s’agit d’un cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a été manifestement mal exercé. » (Apotex Inc v Sanofi-Aventis, 2011 FC 52, [2011] FCJ no 402).
[3] M. Lorenson est administrateur, dirigeant et actionnaire de TLL Oilfield Consulting Inc. (TLL) et M. Nicholson est administrateur, dirigeant et actionnaire de Acura Machine Inc. (Acura). Petr Macek a œuvré dans l’industrie du pétrole et du gaz, et il a conçu et fabriqué des pièces usinées destinées à du matériel gazier et pétrolier. M. Macek n’est pas un employé, un dirigeant ou un administrateur des sociétés défenderesses. La requête sous-jacente indique que, lors du processus d’interrogatoire, les appelantes ont appris que ces trois personnes avaient conçu et développé « l’outil Jigger », qui fait l’objet de deux demandes de brevet. MM. Lorenson, Nicholson et Macek sont désignés à titre d’inventeurs des brevets, et ils ont cédé leurs droits aux sociétés défenderesses TLL et Acura.
[4] Devant la protonotaire Milczynski, les appelantes ont fait valoir que M. Lorenson, M. Nicholson et M. Macek tirent personnellement profit du transfert des sommes d’argent effectué par TLL et Acura, par l’intermédiaire d’une rémunération, de dividendes et de redevances excessives. Les appelantes craignent que si TLL et Acura obtiennent gain de cause dans l’action sous-jacente, elles seront imperméables aux jugements.
[5] À l’égard de MM. Lorenson et Nicholson, les demanderesses cherchent essentiellement à lever le voile corporatif. Pour y parvenir, il leur incombe d’alléguer des faits qui, si avérés, démontreraient que MM. Lorenson et Nicholson ont outrepassé leurs rôles et leurs fonctions à titre de dirigeants et d’administrateurs des sociétés. Mentmore Manufacturing Co v National Merchandise Manufacturing Co (1978), 40 CPR (2d) 164 (FCA) et Zero Spill Systems (Intl) Inc v 614248 Alberta Ltd, 2009 FC 70. La protonotaire Milczynski a conclu que les faits allégués étaient insuffisants pour démontrer qu’ils avaient agi au-delà de la portée des activités d’entreprise et commerciales normales ou qu’ils avaient l’intention de transformer les sociétés défenderesses en sociétés-écrans. À l’égard de M. Macek, elle a conclu que les faits allégués relatifs à la violation, indirecte ou directe, étaient insuffisants.
[6] Les demanderesses font valoir que la protonotaire Milczynski a mal interprété ou a omis de prendre en considération certaines allégations énoncées dans la déclaration. Après un examen attentif des affirmations des appelantes et de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski, je suis convaincu que les appelantes n’ont pas établi que la protonotaire Milczynski a manifestement mal exercé son pouvoir discrétionnaire judiciaire ni que les questions soulevées sont déterminantes pour l’issue du cas ou que l’ordonnance est fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.
[7] Les appelantes prétendent que la protonotaire Milczynski a incorrectement soupesé la preuve et qu’elle n’a pas présumé que les faits allégués pouvaient être démontrés. Bien que je comprenne la prétention des appelantes vu l’analyse menée par la protonotaire Milczynski, son approche est compréhensible compte tenu de son rôle de juge chargée de la gestion de l’instance. Je ne trouve pas inapproprié de sa part d’avoir résumé sa connaissance des faits pour parvenir à sa conclusion dans le cadre de la requête des demanderesses. Plus important encore, je note toutefois qu’elle a appliqué le bon critère. Elle a spécifiquement référé aux « faits allégués », et non à la suffisance de la preuve, quand elle a indiqué, à la page 5 de son ordonnance, que :
[traduction] [l]es faits substantiels allégués sont insuffisants pour appuyer le recours demandé selon lequel ils (M. Lorensen, M. Nicholson et M. Macek] devraient être tenus personnellement et solidairement responsables avec les sociétés défenderesses pour toute violation constatée du brevet 065.
[8] À l’égard de l’engagement tacite, la protonotaire Milczynski a conclu que :
[traduction] […] [i]l n’y a aucune raison de dispenser les demanderesses de leurs obligations en vertu de la règle de l’engagement tacite. La principale préoccupation semble être de savoir si les sociétés défenderesses sont imperméables aux jugements, mais l’exécution de tout jugement ne doit pas servir de fondement pour ajouter des parties à une instance ou pour permettre aux demanderesses de s’appuyer sur les documents produits dans la présente instance pour introduire une procédure devant les cours provinciales pour enrichissement sans cause.
[9] La protonotaire Milczynski a adéquatement traité les questions en litige soulevées dans la requête des demanderesses. Je suis amplement d’accord avec son analyse et ses conclusions et je ne vois aucun fondement à une annulation.
[10] Dans les circonstances, j’accorderais les dépens qui suivront l’issue de la cause aux intimées, lesquels devront leur être versés par les appelantes. En l’occurrence, si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens en appel, je les établirai après la réception des observations écrites que la Cour doit recevoir au plus tard le 5 juillet 2016, à 16 h 30 (HAE).
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que l’appel de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski, datée du 7 avril 2016, soit rejeté avec dépens payables solidairement par les appelantes aux intimées, suivant l’issue de la cause.
« B. Richard Bell »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1280-13
|
INTITULÉ : |
NOV DOWNHOLE EURASIA LIMITED ET DRECO ENERGY SERVICES ULC c. TLL OILFIELD CONSULTING LTD. ET ACURA MACHINE INC.
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 3 mai 2016
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE BELL
|
DATE DES MOTIFS : |
Le 17 juin 2016
|
COMPARUTIONS :
Christopher Kvas William Regan
|
Pour les demanderesses
|
Bruce W. Stratton
|
Pour les défenderesses
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Piasetzki Nenninger Kvas, S.E.N.C.R.L. Avocats Toronto (Ontario)
|
Pour les demanderesses
|
Dimock Stratton, S.E.N.C.R.L. Avocats Toronto (Ontario) |
Pour les défenderesses
|