Référence : 2016 CF 588
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 27 mai 2016
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Ces motifs sont rendus conformément au jugement prononcé le 29 avril 2016.
[2] M. Tenzin Yonten (le « demandeur ») a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l’encontre d’une décision rendue le 19 janvier 2015 par un agent des visas (l’« agent des visas ») de New Delhi, en Inde, qui a rejeté sa demande parrainée de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire. L’agent a déclaré le demandeur interdit de territoire en application de l’alinéa 38(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi »).
II. LE CONTEXTE
[3] En avril 2004, le père du demandeur a présenté une demande visant à parrainer la demande de résidence permanente du demandeur pour motifs d’ordre humanitaire. La demande a été approuvée en principe le 7 février 2012.
[4] Le 17 janvier 2012, le demandeur et sa sœur ont subi un examen médical de routine qui a été effectué par un médecin du Max Medcentre, à la demande du Haut-commissariat du Canada à New Delhi. Dans les rapports médicaux qui ont été produits, il était mentionné que le demandeur et sa sœur étaient tous deux atteints de tuberculose progressive.
[5] En février 2012, le Haut-commissariat du Canada a fait parvenir une lettre à la sœur du demandeur, lui demandant de se soumettre à d’autres tests et à un traitement. La sœur du demandeur a ultérieurement été autorisée à venir au Canada.
[6] À cette époque, le demandeur n’a reçu aucune demande similaire d’examen ou de traitement.
[7] En mars 2012, le demandeur a reçu un diagnostic de tuberculose posé par un médecin du Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre. Il a amorcé un traitement qui s’est terminé en avril 2013.
[8] En août 2012, le demandeur a reçu un appel téléphonique de la clinique Max Medcentre qui lui demandait d’aller passer d’autres examens médicaux. Le demandeur s’est présenté à la clinique le 29 août 2012 et le 30 août 2012 pour y subir d’autres tests. Ces tests ont révélé des anomalies et, à la demande du Haut-commissariat du Canada, le demandeur a subi d’autres tests le 6 novembre 2012, le 20 novembre 2012, le 7 février 2013 et le 16 mai 2013.
[9] Durant ces rendez-vous, le demandeur n’a pas informé les médecins du Max Medcentre qu’il était déjà traité pour la tuberculose.
[10] Le 11 juin 2013, le demandeur a subi un deuxième examen médical de routine à la demande du Haut-commissariat du Canada.
[11] Le 8 juillet 2013, un médecin agréé a rendu un avis médical dans lequel il déclarait que le demandeur devait être interdit de territoire au Canada en raison d’un problème de santé (une tuberculose progressive) qui pouvait vraisemblablement constituer un danger pour la santé publique conformément au paragraphe 38(1) de la Loi.
[12] Le demandeur a reçu une lettre relative à l’équité procédurale datée du 12 juillet 2013, dans laquelle on l’invitait à présenter des arguments au sujet de l’avis rendu par le médecin agréé ou à commenter cet avis. En réponse à cette lettre, le demandeur a indiqué qu’il recevait actuellement des traitements pour la tuberculose au Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre.
[13] Le demandeur a reçu une deuxième lettre d’équité procédurale en date du 8 avril 2014, dans laquelle on lui demandait de plus amples renseignements sur son problème de santé.
[14] Dans un courriel daté du 7 janvier 2015 destiné à l’agent des visas, le médecin agréé a décrit en détail l’avis médical visant à interdire de territoire le demandeur. Ce courriel faisait référence à deux appels téléphoniques faits par les services médicaux de New Delhi, le premier au Max Medcentre le 12 novembre 2014 et le deuxième au Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre, le 14 novembre 2014.
[15] Le courriel mentionnait également le fait que, lors de l’appel téléphonique du 12 novembre 2014, un médecin du Max Medcentre avait déclaré que le demandeur n’avait pas été traité pour une tuberculose progressive, pas plus que le Max Medcentre n’avait confirmé l’absence de cette maladie.
[16] Le courriel du médecin agréé contenait un certain nombre d’observations au sujet du Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre. Le médecin y indiquait notamment que la clinique était une [traduction] « clinique de médecine générale caritative » et qu’il arrivait [traduction] « [a]ssez fréquemment que des entreprises de ce genre soient créées pour écouler de l’argent gagné au noir» [expression indienne signifiant blanchiment d’argent].
[17] Le demandeur n’a été informé de l’existence du courriel du 7 janvier 2015 qu’après avoir obtenu son dossier, à la suite d’une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, S.R.C. 1985, ch. A-1.
[18] La demande du demandeur a été refusée le 19 janvier 2015.
III. OBSERVATIONS
[19] Le demandeur allègue que l’agent des visas a enfreint le devoir d’équité procédurale qui lui était dû, en ne lui offrant pas la possibilité de répondre au courriel du médecin agréé ou aux renseignements recueillis durant les entretiens téléphoniques du 12 novembre 2014 et du 14 novembre 2014.
[20] Le demandeur allègue également que l’agent des visas était tenu de l’informer de l’avis négatif rendu par le médecin agréé à son endroit et de lui permettre de commenter cet avis; voir les décisions dans Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 et Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407.
[21] Le demandeur soutient par ailleurs que la décision de l’agent des visas selon laquelle il était atteint de tuberculose progressive était déraisonnable, car elle se situe en dehors des issues possibles acceptables sur la base des données médicales disponibles.
[22] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») soutient pour sa part que le devoir d’équité procédurale n’exige pas la divulgation de preuves non extrinsèques; voir la décision rendue dans Asmelash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1732. Il allègue que les appels téléphoniques des services médicaux n’ont rien révélé que le demandeur ne savait pas déjà, et qu’on pouvait s’attendre à ce que les médecins se consultent entre eux.
[23] Le défendeur allègue également que l’opinion formulée au sujet du Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre, selon laquelle ce centre était peut-être un organisme caritatif de blanchiment d’argent, n’a pas influencé l’évaluation que le médecin agréé a faite des rapports médicaux produits par cet établissement.
[24] En ce qui concerne l’argument du demandeur concernant le caractère déraisonnable de la décision de l’agent des visas, le défendeur allègue qu’il était raisonnable pour l’agent des visas de se fier à l’avis du médecin agréé.
IV. DISCUSSION
[25] Les questions d’équité procédurale sont sujettes à révision en regard de la norme de la décision correcte; voir la décision rendue au paragraphe 43 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339.
[26] La décision d’un agent des visas concernant une demande pour motifs d’ordre humanitaire commande l’exercice du pouvoir discrétionnaire et doit être examinée en regard de la norme de la décision raisonnable; voir la décision rendue au paragraphe 44 de l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 R.C.S. 909. Pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable, les motifs invoqués doivent être justifiables, transparents et intelligibles et appartenir aux issues possibles acceptables; voir la décision rendue au paragraphe 47 dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.
[27] Je suis d’avis que la non-divulgation du courriel du 7 janvier 2015 constitue une violation du devoir d’équité procédurale envers le demandeur. Le courriel exprimait en effet des inquiétudes au sujet du diagnostic médical et du traitement du demandeur, ainsi que du Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre. Or, le demandeur n’a pas été informé de ces préoccupations et n’a pas eu l’occasion de les réfuter.
[28] Le devoir d’équité procédurale exige que l’agent des visas donne au demandeur l’occasion de commenter tout avis médical négatif formulé à son endroit par le médecin agréé; voir la décision Muliadi ci-dessus. En omettant de le faire, l’agent des visas a commis une erreur susceptible de révision.
[29] Je suis également d’avis que la décision de l’agent des visas était déraisonnable.
[30] L’agent des visas s’est fondé sur l’avis médical du médecin agréé qui a pris en compte des facteurs non pertinents sans tenir compte de toutes les preuves médicales. Le médecin agréé a notamment souligné la possibilité que le Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre prenne part à des activités de blanchiment d’argent, au moment de conclure que le demandeur était atteint de tuberculose.
[31] J’estime que le fait que des cliniques comme le Meena Devi Jindal Medical Institute & Research Centre soient « assez fréquemment » créées pour blanchir « de l’argent gagné au noir » ne constitue pas un facteur pertinent dans l’évaluation de l’admissibilité du demandeur en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi.
[32] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est autorisée. La décision est donc annulée et l’affaire est renvoyée devant un autre agent d’immigration aux fins de réexamen. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.
« E. Heneghan »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-1362-15
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INTITULÉ : |
TENZIN YONTEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 29 octobre 2015 |
Motifs du jugement : |
LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS : |
LE 27 mai 2016
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COMPARUTIONS :
Toni Schweitzer |
Pour le demandeur
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James Todd |
Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Parkdale Community Legal Services Toronto (Ontario) |
Pour le demandeur
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William F. Pentney, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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