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Date : 20160509


Dossier : IMM-4587-15

Référence : 2016 CF 518

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

FRED DOE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

[1]               Le demandeur, Fred Doe, sollicite le contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a rejeté l’appel d’une mesure de renvoi prise contre lui le 28 janvier 2015. Le demandeur avait demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense spéciale et de surseoir à l’exécution de sa mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]               Lors de l’audience de la SAI, les parties ont conjointement recommandé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi pour une période de quatre ans sous réserve de certaines conditions; la SAI n’a toutefois pas accepté cette recommandation conjointe et a rejeté l’appel.

[3]               Le demandeur soutient que : la décision de la SAI n’est pas raisonnable, car la SAI a mal exposé les faits et s’est appuyée sur des faits erronés, ce qui a eu une incidence sur son examen des critères pertinents; et, la SAI a manqué à l’équité procédurale en omettant d’aviser le demandeur qu’elle envisageait de ne pas accepter la recommandation conjointe et qu’elle ne lui a pas donné la possibilité de présenter des observations en réponse.

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie. La SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale. Toutefois, la SAI a exposé les faits d’une manière inexacte ou a mal compris les faits et, en conséquence, la décision n’est pas raisonnable.

I.                   Contexte

[5]               Le demandeur est un citoyen du Libéria qui a quitté le Libéria à l’âge de trois ans. Il est arrivé au Canada en novembre 2001 à l’âge de 15 ans.

[6]               Il a été reconnu coupable de possession, en vue d’en faire le trafic, de cocaïne et d’héroïne, le 15 mai 2014 et condamné à cinq mois de prison. Une mesure de renvoi a été prise contre lui en raison de cette déclaration de culpabilité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

[7]               En novembre 2014, il a été reconnu coupable d’agression, de vol et d’inobservation d’un engagement et a purgé huit mois en prison.

[8]               Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi à la SAI, mais n’a pas contesté sa validité. Le demandeur avait demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une mesure spéciale et de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La SAI a fait remarquer que les facteurs à considérer lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une mesure spéciale sont ceux énoncés dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. 4 (QL) [Ribic] (confirmé par la Cour suprême du Canada dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84 [Chieu]) : la gravité de l’infraction, la possibilité de réadaptation, la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement, le soutien dont bénéficie le demandeur au sein de sa famille et de la collectivité, les bouleversements que son expulsion occasionnerait à sa famille au Canada et, enfin, l’importance des difficultés que causerait au demandeur le retour dans son pays de nationalité. La SAI a fait remarquer que la liste est indicative, et non exhaustive, et que le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas. La SAI a aussi fait remarquer la nécessité de tenir compte de l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché et, bien sûr, de l’objet de la loi applicable. La SAI a examiné chacun des facteurs.

[10]           En ce qui concerne la gravité de l’infraction, la SAI a déclaré :

[traduction] […] l’appelant a été reconnu coupable de multiples infractions liées au trafic de drogue, lesquelles ont été perpétrées en janvier 2013. Depuis que l’infraction a donné lieu à la mesure de renvoi, l’appelant a été subséquemment déclaré coupable de voies de fait, comme le prévoit l’article 266 du Code criminel du Canada, le 21 novembre 2014. Il a également été condamné pour vol qualifié, à la même date, suivant l’article 344 du Code criminel du Canada, et d’omission de se conformer aux heures de rentrée, comme le prévoit le paragraphe 145(3) du Code criminel du Canada. J’estime que le facteur de la gravité de l’infraction est défavorable en l’espèce et que les déclarations de culpabilité subséquentes de l’appelant jouent fortement contre la prise de mesures spéciales.

[11]           La SAI a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou fiable démontrant l’existence d’un cheminement du demandeur vers la réadaptation, mis à part la parole du demandeur qui affirme ne plus avoir recours aux drogues et avoir suivi un cours de sensibilisation aux drogues et d’alcool. La SAI a également fait remarquer que le demandeur n’avait exprimé aucun remords.

[12]           En ce qui concerne la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement, la SAI a fait remarquer que, bien qu’il vive au Canada depuis 2001, la preuve d’un établissement est limitée.

[13]           La SAI a fait remarquer un facteur positif, soit que le père du demandeur et une de ses sœurs sont prêts à le soutenir.

[14]           La SAI n’a accordé aucune importance à l’impact de son renvoi sur la famille du demandeur. La SAI a constaté que le demandeur a un père, deux sœurs et des nièces au Canada. Sa sœur a fourni une lettre d’appui. Toutefois, la SAI a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve documentaire indiquant que le demandeur contribue financièrement à sa famille. La SAI a conclu que ses choix criminels ont probablement entraîné des perturbations importantes dans sa famille.

[15]           La SAI a conclu qu’il « est certain qu’il aurait à faire face à certaines difficultés » à la suite de son renvoi. La SAI a fait remarquer que le Libéria est un pays très pauvre; le demandeur n’y a pas de racines ou de famille et n’y a pas vécu depuis l’âge de trois ans. Toutefois, la SAI a déclaré que : « compte tenu de la gravité de ses crimes et de sa propension à la récidive, le tribunal peut difficilement conclure que ces difficultés sont suffisamment importantes pour justifier qu’il ne soit pas renvoyé du pays ou permettre un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi ».

[16]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants qui pourraient être touchés, la SAI a noté le témoignage du demandeur selon lequel il garde occasionnellement ses nièces, mais a estimé qu’il n’y avait aucune preuve crédible ou corroborant ces faits et a conclu, suivant la prépondérance des probabilités, qu’il n’y aura probablement aucune incidence sur les nièces du demandeur en raison de son renvoi du Canada, ajoutant que son renvoi aurait probablement un impact positif sur ses nièces.

[17]           En soupesant les facteurs positifs et négatifs, et en concluant que des mesures spéciales ne seraient pas prises, la SAI a indiqué que :

[…] les facteurs défavorables de l’affaire l’emportent nettement sur les facteurs favorables. Les crimes de l’appelant qui sont à l’origine de la mesure de renvoi sont graves – il s’agit de trafic de drogues dures – et représentent une menace pour la population canadienne. Même si l’appelant a vécu presque autant d’années au Canada qu’à l’étranger, il a occupé la plus grande partie de ces années à perpétrer des crimes plutôt qu’à contribuer de manière paisible ou constructive à la société canadienne.

[18]           La SAI a également souligné les manquements répétés de l’appelant aux promesses qu’il a faites et l’absence d’éléments de preuve corroborant l’amorce d’une démarche de réadaptation.

[19]           La SAI a déclaré qu’elle avait examiné la recommandation conjointe de sursis, mais a fait remarquer que conformément à Fong c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1134, [2010] ACF no 1407 (QL) [Fong], elle avait le droit de rejeter une telle recommandation dans la mesure où elle énonçait des motifs de manière transparente et intelligible.

III.             Les questions en litige

[20]           Le demandeur fait valoir que la décision n’est pas raisonnable; la SAI s’est appuyée sur de l’information inexacte concernant ses antécédents criminels et a mal exposé les faits, ce qui a eu une incidence sur son examen des critères de Ribic; et, la SAI a fait fi d’une preuve pertinente et crédible de sa sœur en ce qui concerne sa relation avec ses nièces en évaluant l’intérêt supérieur des enfants touchés.

[21]           Le demandeur fait également valoir que la SAI a manqué à l’obligation d’équité procédurale en refusant la recommandation conjointe sans donner aucune indication montrant qu’elle pourrait le faire et sans lui donner l’occasion de présenter des observations expliquant pourquoi la recommandation conjointe ne devrait pas être rejetée.

IV.             Norme de contrôle

[22]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]).

[23]           La norme de contrôle applicable à la décision de la SAI quant à savoir si des considérations d’ordre humanitaire justifient une mesure spéciale est la raisonnabilité : Khosa, au paragraphe 59; Nguyen-Tran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 93, aux paragraphes 7 et 8, [2010] ACF no 106 (QL); Palmer c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1277, aux paragraphes 18 et 19, [2012] ACF no 1375.

[24]           La norme de la raisonnabilité porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La Cour ne réévaluera pas la preuve et ne changera pas la décision.

V.                La décision est-elle raisonnable? La SAI s’est-elle appuyée sur de l’information inexacte et a-t-elle mal exposé les faits, ce qui a eu une incidence sur son examen des autres facteurs pertinents?

[25]           Le demandeur fait valoir que la SAI a commis une erreur en formulant mal les faits et en s’appuyant sur une preuve qui n’était pas crédible ou digne de foi.

[26]           La SAI a estimé que le passé criminel du demandeur comprenait 7 condamnations, 45 accusations et 170 incidents avec la police. Le demandeur reconnaît qu’il y a eu sept condamnations, mais fait remarquer qu’un « incident » avec la police comprend tout contact avec la police, notamment comme témoin ou victime d’un crime, et simplement d’être questionné, des incidents qui ne constituent aucunement des méfaits criminels. Le demandeur ajoute que la SAI a commis une erreur en s’appuyant, pour prendre sa décision, sur des accusations qui n’ont pas entraîné une déclaration de culpabilité.

[27]           Le demandeur fait également valoir que la SAI a commis une erreur en faisant référence à la condamnation qui sous-tend la mesure de renvoi comme constituant de « multiples infractions de trafic de drogue », faisant remarquer qu’il a été déclaré coupable de deux chefs d’accusation de possession aux fins de trafic.

[28]           En outre, la SAI a erronément conclu que le demandeur avait été déclaré coupable de vol qualifié. Il a plutôt été inculpé de vol relativement à un incident, mais a plaidé et a été reconnu coupable de vol, une infraction moindre.

[29]           Le demandeur fait également valoir que la conclusion de la SAI selon laquelle il a participé à des crimes pendant la plus grande partie du temps qu’il a passé au Canada est inexacte et constitue une exagération. Le demandeur fait valoir que ses condamnations antérieures étaient liées à des infractions provinciales en vertu de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1996, ch. 318. Il a fait l’objet d’une première condamnation criminelle en 2012. Le demandeur fait valoir que cela ne représente pas la plus grande partie du temps qu’il a passé au Canada, étant donné qu’il est arrivé en 2001.

[30]           Le demandeur fait valoir que les erreurs commises par la SAI lors de l’évaluation de ses antécédents criminels a eu une incidence sur l’examen d’autres facteurs, notamment sur ses chances de réadaptation, et sur l’ensemble de l’examen des facteurs pour déterminer si une mesure spéciale doit être prise.

[31]           Le défendeur soutient que ce n’est pas l’ensemble des antécédents du demandeur que la SAI a trouvé déterminant, mais que c’est la gravité de sa condamnation pour trafic de drogue qui est à l’origine de la mesure de renvoi. Le défendeur souligne le libellé précis dans les motifs de la SAI sous la rubrique « Gravité de l’infraction » où la SAI a conclu que « le facteur de la gravité de l’infraction est défavorable » [c’est nous qui soulignons] et « les déclarations de culpabilité subséquentes de l’appelant jouent fortement » contre la prise de mesures spéciales.

[32]           Le défendeur a également fait remarquer que les rapports d’incidents concernant les accusations liées à la drogue, qui ont abouti à la condamnation, constituaient des éléments crédibles et fiables des circonstances relatives à ces infractions graves.

[33]           Le défendeur reconnaît que la SAI a commis une erreur en concluant que le demandeur a été déclaré coupable de vol qualifié plutôt que de vol.

[34]           Le défendeur soutient que le choix de la SAI de prendre en compte d’autres facteurs n’a pas été influencé par les antécédents criminels du demandeur. La preuve même du demandeur reflète son manque d’efforts sérieux pour s’engager dans des programmes de réadaptation ou pour les terminer. La SAI ne s’est livrée à aucune formulation de faits erronés en faisant référence au demandeur en tant que « criminel récidiviste et trafiquant de drogue condamné » pour évaluer l’intérêt supérieur des nièces du demandeur. Le témoignage du demandeur sur sa relation avec ses nièces a été invoqué.

La décision n’est pas raisonnable

[35]           J’estime que la SAI a rapporté erronément les condamnations criminelles pertinentes et l’ensemble des antécédents criminels du demandeur et que cela a eu une incidence sur l’examen de certains autres facteurs de Ribic. Par conséquent, la décision n’est pas justifiée par les faits et n’est pas raisonnable.

[36]           Le demandeur a manifestement des antécédents criminels. L’infraction de possession de drogue en vue d’en faire le trafic n’est pas contestée. La question est de savoir si l’examen de la « gravité de l’infraction » dans le contexte des facteurs Ribic est raisonnable.

[37]           Bien que le demandeur conteste la formulation « multiples chefs d’accusation » de trafic de drogue, les deux chefs d’accusation correspondent à une interprétation stricte du terme « multiple ». En outre, la possession aux fins de trafic est une infraction grave. Toutefois, les motifs de la SAI révèlent que ce n’est pas que l’infraction sous‑jacente qui a été considérée comme un facteur défavorable, mais les condamnations subséquentes du demandeur et l’ensemble de ses antécédents. La SAI a conclu à tort que les condamnations subséquentes comprenaient le vol qualifié et a cité la disposition relative au vol qualifié du Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C-46. Cette formulation ne peut être attribuée à la confusion d’un profane entre le vol qualifié et le vol. Le vol qualifié est une infraction beaucoup plus grave et, la SAI aurait dû être consciente de la distinction entre les deux infractions, étant donné qu’elle a fait référence à la disposition pertinente du Code et à la distinction entre les accusations et les condamnations.

[38]           La SAI a fait référence à la « gravité de ses crimes et de sa propension à la récidive » en tenant compte aussi bien des difficultés auxquelles le demandeur pourrait être exposé et de l’intérêt supérieur de ses nièces. Le demandeur a fait l’objet de plus d’une condamnation pour omission de se conformer à certaines obligations, notamment à des heures de rentrée, et cela semble être à l’origine de sa caractérisation en tant que « récidiviste ». Certaines de ses autres condamnations étaient plus graves, mais la caractérisation de la SAI aurait dû être fondée sur des faits précis et sur les infractions à l’égard desquelles le demandeur a réellement été déclaré coupable.

[39]           À la lecture des motifs dans leur ensemble, on constate que les formulations erronées ou l’incompréhension des antécédents criminels du demandeur par la SAI ont eu une incidence sur l’examen que cette dernière a fait de certains des facteurs de Ribic. Je ne puis conclure que la prise en compte de l’ensemble des facteurs aurait été différente si la SAI avait reconnu que le demandeur n’a pas été reconnu coupable de vol qualifié, que les accusations criminelles auxquelles la SAI a fait référence ne font pas partie de son casier judiciaire, que les incidents avec la police sont tout simplement des incidents de nature diverse et que, bien que le demandeur ait un casier judiciaire et un passé trouble, il n’a pas été impliqué dans des activités criminelles pour la plus grande partie du temps qu’il a passé au Canada.

VI.             La SAI a-t-elle manqué au principe de l’équité procédurale en n’avisant pas le demandeur qu’elle envisageait de rejeter la recommandation conjointe?

[40]           Le demandeur reconnaît que la SAI est habilitée à rejeter une recommandation conjointe, conformément à Fong. Le demandeur fait valoir que la SAI doit cependant informer les parties qu’elle envisage de ne pas suivre la recommandation conjointe et de ne pas donner l’occasion aux parties de présenter des observations en réponse.

[41]           Le demandeur soutient que, bien que Fong ait été cité dans d’autres causes, notamment dans Saroya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 428, [2015] ACF no 407 (QL) [Saroya], pour affirmer que tant que les motifs sont fournis, la SAI peut rejeter une recommandation conjointe, la proposition de Fong était fondée sur les faits de l’affaire. Dans Fong, la SAI a fait remarquer qu’elle examinerait une recommandation conjointe, mais qu’elle devait y réfléchir sérieusement, et a sollicité des observations.

[42]           Le demandeur fait valoir que l’audience s’est poursuivie par son témoignage et l’interrogatoire par les avocats et les membres de la SAI. Les parties ont ensuite fait une pause et, avant de présenter des observations définitives sur les facteurs d’ordre humanitaire, ont formulé une recommandation conjointe. L’audience a repris et a porté uniquement sur les conditions proposées dans la recommandation conjointe. La SAI n’a pas laissé entendre qu’elle pourrait rejeter la recommandation et n’a donné aucune occasion de lui présenter des observations sur la question de savoir si la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire devait être accordée.

[43]           Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun manquement au principe de l’équité procédurale, faisant remarquer que dans Saroya, au paragraphe 20, le juge Mosley a énoncé les principes de droit applicables :

[20]      En droit, la SAI a le droit de rejeter une recommandation conjointe dès lors qu’elle motive ce rejet : Fong c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1134, para 31. Le fait que l’avocate du ministre s’est prononcée en faveur de l’accueil de l’appel à la fin de l’audience n’avait aucun caractère contraignant pour la SAI.

Il n’y a eu aucun manquement au principe de l’équité procédurale dans les circonstances de l’espèce

[44]           À mon avis, la question à trancher est s’il y a eu un manque d’équité procédurale dans les circonstances de l’espèce, et non pas de savoir s’il incombait à la SAI de solliciter des observations sur l’opportunité d’accepter ou de rejeter une recommandation conjointe. Aucune des parties n’est en désaccord avec le fait que la SAI peut rejeter une recommandation conjointe. Quand elle le fait, elle doit expliquer pourquoi. La SAI a expliqué pourquoi elle a rejeté la recommandation conjointe, concluant que les motifs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables, en particulier en raison de la gravité des crimes du demandeur et, plus généralement, en raison de son passé criminel. Tel qu’exposé ci-dessus, la décision de la SAI reposait sur les inexactitudes et/ou une mauvaise compréhension des faits.

[45]           Dans Fong, le juge Zinn a déclaré :

[31]      Je suis d’accord avec l’observation du défendeur selon laquelle la SAI a le droit de rejeter une observation conjointe dans la mesure où elle fournit des motifs pour ce faire : Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 334; Malfeo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 193; Akkawi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 21; Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1843 (1re inst.). La commissaire de la SAI n’a pas rejeté d’emblée l’observation conjointe. Elle a énoncé des motifs qui expliquaient de manière transparente et intelligible le rejet de l’observation conjointe.

[32]      La commissaire de la SAI n’était pas obligée d’inviter les parties à présenter davantage d’éléments de preuve après avoir indiqué qu’elle n’accepterait pas automatiquement l’observation conjointe. Il incombait au demandeur de présenter d’autres éléments de preuve s’il voulait soutenir l’observation conjointe. Le demandeur a décidé de ne pas présenter d’autres éléments de preuve, et il n’y a pas eu de manquement à l’équité ou d’inconvenance dans la manière dont la SAI a traité de l’observation conjointe.

[46]           Le principe énoncé dans Fong ne constitue pas un principe nouveau; tel que mentionné par le juge Zinn au paragraphe 31, il est bien établi que la SAI peut rejeter une recommandation conjointe. La SAI doit examiner la recommandation et expliquer pourquoi elle est rejetée.

[47]           Dans Saroya, la décision ne révèle pas si le demandeur a été expressément avisé que la recommandation conjointe pourrait être rejetée. Toutefois, le juge Mosley signale que des observations concernant la recommandation conjointe ont été présentées lors de l’audience et après l’audience.

[48]           En l’espèce, la transcription de l’audience révèle que la SAI a entendu le témoignage du demandeur. Le demandeur a été interrogé longuement par le conseil du ministre, par son propre avocat et par le commissaire relativement à chacun des facteurs de Ribic. Le commissaire a précisément demandé au demandeur pourquoi la SAI devrait faire droit à son appel. Le demandeur a ensuite été interrogé de nouveau par son avocat. Après une courte pause pour permettre aux parties de se préparer à présenter leurs observations, le conseil du ministre et l’avocat du demandeur ont conclu un accord relatif à une recommandation conjointe. La recommandation conjointe proposait que la mesure de renvoi du demandeur fasse l’objet d’un sursis pour une période de quatre ans sous réserve de certaines conditions. Après la présentation de la recommandation conjointe, l’interrogatoire a continué sur la nécessité d’imposer des conditions particulières, sur la question de déterminer si toutes les conditions devaient être modifiées pour tenir compte de la situation du demandeur, et si d’autres conditions devaient être ajoutées. Le commissaire de la SAI a demandé aux parties si elles souhaitaient ajouter quelque chose. Le commissaire a ensuite déclaré : [traduction] « Je vais prendre cette affaire en délibéré et je vais vous donner mes motifs par écrit en temps opportun, d’accord? ».

[49]           À mon avis, cette déclaration ne laisse aucunement entendre que le commissaire ne prendrait en considération que la recommandation conjointe, mais plutôt « cette affaire » – c’est-à-dire la demande de prise de mesures spéciales pour des motifs humanitaires. L’audience de la SAI a été approfondie et le commissaire a donné l’occasion d’apporter des observations, non seulement en ce qui concerne la recommandation conjointe, mais en ce qui concerne la demande dans son ensemble. La jurisprudence avait déjà clairement établi que la SAI pouvait rejeter une recommandation conjointe. En outre, le demandeur aurait pu demander de présenter des observations après l’audience pour mettre en évidence la preuve qu’il a invoquée à l’appui de sa demande et de la recommandation conjointe.

[50]           Je ne puis conclure, dans ces circonstances, que le demandeur a été victime d’un manquement à l’équité procédurale.

[51]           En conséquence, la question proposée aux fins de certification par le défendeur qui demande s’il y a une obligation imposée à la SAI d’aviser les parties qu’elle envisage de rejeter une recommandation conjointe n’a pas à être certifiée puisqu’elle ne permet pas de trancher le présent contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La demande de sursis du renvoi du demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire doit être examinée par un autre commissaire de la Section d’appel de l’immigration.

3.                  La question proposée n’est pas certifiée pour les motifs exposés au paragraphe 51 ci-dessus.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-4587-15

 

INTITULÉ :

FRED DOE c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Robert J. Kincaid

 

Pour le demandeur

 

Aman Sanghera

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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