Dossier : T-72-15
Référence : 2016 CF 367
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 31 mars 2016
En présence de monsieur le juge Martineau
RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ
ENTRE : |
FERNAND KENNEY |
demandeur |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Il s’agit d’une requête présentée par M. Fernand Kenney [demandeur] pour certifier, à titre de recours collectif, la demande de contrôle judiciaire sous-jacente relativement au groupe qui est défini comme suit :
Tout ancien membre des Forces canadiennes [Forces] qui répond aux critères suivants :
a) a été libéré des Forces pour des raisons médicales le 1er décembre 1999 ou après;
b) reçoit, ou a reçu, une pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions, LRC 1985, ch. P-6 [Loi sur les pensions];
c) n’est pas un membre du groupe visé dans le jugement Manuge c. Canada, T-463-07 [Manuge].
[2] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur les conséquences juridiques, pour le demandeur et les membres du groupe proposé, de leur présentation tardive – ou absence de dépôt – d’une demande de prestations d’invalidité de longue durée [IP] dans le délai prescrit, en vertu de la partie III(B) du régime d’assurance-invalidité de longue durée [le régime ILD] postérieur au 30 novembre 1999, qui figure dans la police d’assurance RARM no 901102 [police du RARM]. La police du RARM est un contrat conclu entre le chef d’état-major de la Défense [CEMD], en sa qualité de propriétaire du contrat, et Manuvie, en sa qualité d’assureur.
[3] En vertu de l’article 18 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, ch. N-5 [Loi sur la défense nationale], le CEMD doit veiller au contrôle et à l’administration des Forces. Le Régime d’assurance-revenu militaire [RARM], créé sous l’autorité de l’article 39 de la Loi sur la défense nationale, est une division des Forces qui offre depuis 1969 des services financiers et d’assurance aux membres en service et à la retraite des Forces. Le personnel du RARM est considéré comme un « personnel du fonds non public »; il est inscrit en tant qu’« organisme distinct » en vertu de l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, ch. F-11.
[4] Les prestations ILD auxquelles ont droit les membres des Forces ainsi que les critères d’admissibilité connexes sont énoncés dans les dispositions du régime ILD actuel, lequel s’applique aux membres assurés des Forces qui ont été libérés des Forces après le 30 novembre 1999 (article 22). La partie III(A) de la police du RARM (l’ancienne partie III) s’applique aux membres assurés des Forces qui ont été libérés des Forces avant le 1er décembre 1999. Toutes les prestations ILD sont payables à un membre ou à un bénéficiaire à titre strictement contractuel. Le personnel du RARM n’a aucun pouvoir discrétionnaire de modifier les dispositions de la police du RARM.
[5] Conformément à l’article 22 du régime ILD, un membre assuré sera admissible à une prestation mensuelle pendant vingt-quatre (24) mois au maximum, immédiatement après la date de sa libération des Forces, si (i) l’assuré est libéré des Forces pour des raisons médicales, le 1er décembre 1999 ou après; (ii) s’il y a une preuve médicale claire et objective, jugée satisfaisante par l’assureur, qu’au moment de la libération, l’assuré souffre d’une invalidité physique ou mentale active pouvant être attestée par un médecin. Comme le prévoit l’article 23, sous réserve du sous-alinéa 1.g(iv) et de l’article 24, la prestation de revenu mensuelle correspondra à 75 % de la rémunération mensuelle du membre.
[6] Toutefois, l’admissibilité d’un membre assuré aux prestations ILD est subordonnée au dépôt d’une preuve écrite du sinistre, dans les 120 jours suivant la date de libération du membre des Forces. L’article 36 du régime ILD prescrit ce qui suit :
a. Une preuve écrite du sinistre qui satisfait l’Assureur, précisant la date de l’accident, sa nature et l’étendue de la perte pour laquelle est faite la demande de prestation, doit être fournie à l’assureur dans les 120 jours suivant la date à laquelle le membre est libéré des Forces canadiennes. Sur réception de cette preuve, à la satisfaction de l’Assureur, celui-ci peut commencer à verser les prestations.
b. Une preuve écrite de la continuité du sinistre doit être fournie à l’Assureur, au moment et aussi souvent qu’il est raisonnablement nécessaire, et ce, sans frais pour l’Assureur.
c. L’Assureur a le droit d’exiger, au titre de la preuve du sinistre, une attestation satisfaisante :
(i) que le membre n’est pas admissible aux prestations mentionnées à l’article 24 ou qu’il en a fait la demande;
(ii) qu’il a fourni tous les éléments de preuve requis en vue de recevoir ces prestations;
(iii) du montant de telles prestations à verser.
[7] Le groupe proposé par le demandeur, qui agirait en tant que représentant désigné, comprend tous les anciens membres des Forces libérés pour des raisons médicales le 1er décembre 1999 ou après, qui reçoivent ou qui ont reçu une pension d’invalidité au titre de la Loi sur les pensions, et qui ne sont pas membres du groupe dans Manuge. Il n’a pas été contesté dans la présente instance que le demandeur et les membres du groupe proposé n’ont aucune cause d’action immédiate à l’encontre de la Couronne sur la foi du jugement Manuge, qui, selon l’ordonnance rendue par la Cour le 20 mai 2008, s’applique à « tous les anciens membres des Forces canadiennes dont les prestations d’invalidité de longue durée au titre de la police no 901102 du RARM ont été réduites du montant de leurs prestations d’invalidité d’ACC reçues conformément à la Loi sur les pensions (le groupe), depuis le 17 avril 1985 jusqu’à présent » (Manuge c. Canada, 2008 CF 624 [Manuge 2008]).
[8] Qu’en est-il des questions juridiques tranchées dans le jugement Manuge?
[9] En 1976, en reconnaissance de l’inadéquation des prestations mensuelles prévues par la Loi sur les pensions, la couverture du RARM en matière d’ILD fut élargie afin que soient incluses les invalidités rattachables au service militaire. Le recours collectif dans Manuge concerne la légalité et la bonne interprétation du sous-alinéa 24a)(iv) de la partie III(B) du régime ILD, qui réduit les prestations ILD mensuelles payables en vertu de l’article 23 par la « prestation de revenu mensuelle totale versée au membre en vertu de la Loi sur les pensions ». En 2007, dans son action intentée contre la Couronne en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. 7-F [Loi sur les Cours fédérales], M. Dennis Manuge a demandé diverses formes de réparations, y compris une déclaration selon laquelle le sous-alinéa 24a)(iv) était illégal aux termes des dispositions de la Loi sur les pensions, qu’il outrepassait les pouvoirs conférés à la Couronne par la loi, qu’il manquait à l’obligation de la Couronne en matière de droit public et qu’il enfreignait l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Le demandeur cherchait également à obtenir une ordonnance pour que les membres du groupe se voient rembourser un montant égal au montant des prestations ILD déduit illégalement, ainsi que des indemnisations à l’égard de la responsabilité et des dommages-intérêts généraux contre la Couronne.
[10] En 2008, le juge Barnes a rejeté l’objection de la Couronne selon laquelle la légalité de la disposition contestée du régime ILD applicable et son application par le personnel du RARM ne pouvaient pas être remises en question au moyen d’une demande de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. En constatant que « la présente instance [...] semble se prêter idéalement à une autorisation comme recours collectif », mon collègue a accueilli la requête en autorisation de l’instance du demandeur (Manuge 2008, paragraphe 42). Cependant, étant donné que l’action intentée par le demandeur équivalait à une attaque indirecte contre la décision initiale d’ajouter le sous-alinéa (iv) à l’alinéa 24a) de la police du RARM, ou encore, contre les décisions mensuelles de réduire les prestations ILD reçues par le demandeur par la somme des prestations d’invalidité d’ACC reçues en vertu de la Loi sur les pensions, la Cour d’appel fédérale a infirmé l’ordonnance rendue par le juge Barnes : Manuge c. Canada, 2009 CAF 29 [Manuge 2009].
[11] En 2010, la Cour suprême du Canada a accueilli l’appel du demandeur et rétabli l’ordonnance de certification : Manuge c. Canada, [2010] 3 RCS 672, 2010 CSC 67 [Manuge 2010]. En vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence concurrente pour entendre la demande de réclamation du demandeur intentée contre la Couronne comme une action en dommages-intérêts (Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., [2010] 3 RCS 585, 2010 CSC 62). En outre, la Cour suprême du Canada a refusé de surseoir à l’action et a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel, en substance, les conclusions du demandeur constituaient un contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Les parties dans Manuge ont plus tard convenu que l’aspect contractuel de leur différend serait résolu, de façon préliminaire, par jugement sommaire. Le 1er mai 2012, le juge Barnes a décidé que la compensation des prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions faisait fi de « l’intention du législateur qui est consacrée par la Loi sur les pensions qui est d’assurer un modeste réconfort financier aux membres ayant subi un préjudice non-financier » et n’était pas contractuellement justifiée aux termes du sous-alinéa 24a)(iv) du régime ILD actuel : Manuge c. Canada, 2012 CF 499, paragraphe 63 [Manuge 2012]. Les parties ont convenu de régler les demandes monétaires des quelque 7 500 membres (ou leurs familles).
[12] Le 9 janvier 2013, le demandeur a communiqué avec le RARM, après avoir pris connaissance de la décision Manuge 2012. Le 11 mars 2013, un administrateur de recours collectif des Services du RARM a informé le demandeur que l’option qui s’offrait à lui à ce moment-là était de déposer une demande tardive. Le 20 mars 2013, la partie de la demande de prestations ILD associée au demandeur a été reçue par le RARM. Après examen de la demande, il a été déterminé que le demandeur était effectivement capable, d’un point de vue médical, de faire une demande de prestations ILD dans les 120 jours de sa libération des Forces pour des raisons médicales. Par conséquent, sa demande a été rejetée le 4 septembre 2013.
[13] La demande de contrôle judiciaire sous-jacente concerne une décision définitive rendue par le premier vice-président des services commerciaux [décideur] des Services financiers du RARM, en date du 18 décembre 2014 [décision contestée]. Le décideur a rejeté l’appel de second niveau concernant la demande de prestations ILD du demandeur. La lettre de refus, adressée à l’avocat du demandeur, invoquait le raisonnement suivant :
[traduction] Nous vous remercions de nous avoir fait parvenir votre lettre datée du 10 septembre 2014 au nom de M. Kenney. Je suis désolé de vous répondre tardivement.
Selon l’interprétation précédente de cas similaires et de directives fournies au Groupe Bruneau par le Groupe chargé des contentieux des affaires civiles et des services de consultation, Bureau régional de l’Atlantique du ministère de la Justice du Canada, nous vous faisons parvenir la réponse suivante à votre appel au nom de M. Kenney.
Le droit d’appel existe uniquement en vertu de l’ordonnance de règlement et n’est offert qu’aux membres du groupe. Le groupe est défini dans l’ordonnance de règlement comme étant : tous les anciens membres des Forces canadiennes dont les prestations d’invalidité de longue durée (ILD) en vertu de la police no 901102 du RARM ont été réduites du montant de leurs prestations d’invalidité d’Anciens Combattants Canada (ACC) reçues conformément à la Loi sur les pensions depuis le 1er juin 1976 jusqu’à la date de la présente ordonnance. Toute personne qui ne correspond pas à cette définition n’est pas membre du groupe, n’est pas visée par l’ordonnance de règlement et ne dispose d’aucun droit d’appel.
Comme M. Kenney ne correspond pas à la définition d’un membre du groupe aux termes de l’ordonnance de règlement, sa demande est évaluée comme une demande tardive présentée conformément à la police postérieure à décembre 1999, étant donné qu’il l’a déposée après le délai de 120 jours suivant la date de sa libération. En vertu des dispositions de la police, M. Kenney doit être considéré comme [traduction] « totalement invalide » au moment de sa libération, et il doit fournir des éléments de preuve appuyant l’argument selon lequel il a été empêché par un problème d’ordre médical de déposer la demande dans le délai de 120 jours requis pour être admissible aux prestations.
À la suite de notre examen des renseignements figurant au dossier, nous concluons que, même si M. Kenney a pu être atteint d’un certain degré d’invalidité au moment de sa libération, il n’y a aucun élément de preuve confirmant qu’il a été empêché par un problème d’ordre médical de déposer la demande dans le délai prescrit. Toutefois, s’il devait y avoir d’autres éléments de preuve médicale qui soutiendraient que M. Kenney était médicalement incapable, au moment de sa libération, de demander des prestations ILD, je serais heureux d’examiner et de reconsidérer sa demande.
En ce qui concerne les prestations d’ACC et du Régime de rentes du Québec (RRQ), comme le précise la lettre du 22 août 2014 provenant des Services du RARM/Manuvie, [traduction] « les exigences d’évaluation et d’admissibilité de chaque organisme, y compris le RARM, sont indépendantes les unes des autres ».
Compte tenu de tous les faits dont je dispose concernant le dossier de M. Kenney, j’en conclus que sa demande a été administrée conformément à la police du RARM et, par les présentes, je rejette l’appel de second niveau.
[14] Le demandeur soutient aujourd’hui que lui et tous les membres handicapés des Forces qui ne font pas partie du groupe dans Manuge ont le droit contractuel de recevoir des prestations ILD en vertu des articles 22 et 23 du régime ILD, en dépit du fait qu’ils n’aient présenté aucune demande à l’assureur dans les 120 jours suivant la date de leur libération des Forces, à la condition qu’ils aient été libérés des Forces le 1er décembre 1999 ou après pour des raisons médicales et qu’ils reçoivent, ou aient reçu, une pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions. Le demandeur cherche maintenant à obtenir, en son nom et au nom du groupe proposé, une ordonnance de la Cour en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour faire annuler la décision contestée, ainsi qu’une déclaration générale ou une ordonnance déclarant que le demandeur et les membres du groupe proposé se voient approuver vingt-quatre (24) mois de prestations ILD depuis leur date de libération, voire plus si le membre est médicalement admissible, en vertu du régime ILD actuel.
[15] Le procureur général du Canada [défendeur] s’oppose à la présente requête. En plus de soutenir que les conditions habituelles pour certifier une demande de contrôle judiciaire en tant que recours collectif ne sont pas remplies, le défendeur remet directement en question le pouvoir de la Cour de certifier la présente demande de contrôle judiciaire en tant que recours collectif, car il n’y a aucun élément de preuve démontrant que le décideur a pris une décision qui modifie les droits d’un membre du groupe, autre que le demandeur-représentant lui-même. En outre, étant donné que la cause d’action et la réparation sollicitée par le demandeur sont essentiellement fondées sur une prétendue (fausse) déclaration faite par la Couronne ou ses mandataires ainsi que sur l’équité, la présente demande de contrôle judiciaire ne constitue pas la procédure adéquate pour résoudre les points de fait et de droit soulevés ni pour accorder la réparation sollicitée par le demandeur au nom des membres du groupe proposé.
[16] La Cour doit-elle certifier la présente demande de contrôle judiciaire en tant que recours collectif?
[17] Les recours collectifs sont régis par la partie 5.1 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles]. L’article 334.16 énonce les conditions de certification. De plus, l’utilisation du mot « uniquement » (« solely » en anglais) dans l’article 334.18 laisse entendre que, même si les facteurs énoncés peuvent en effet être des éléments pertinents à prendre en considération dans une requête de certification, aucun de ces facteurs, seuls ou regroupés avec les autres facteurs mentionnés à l’article 334.18, ne constituera, en soi, un fondement suffisant pour refuser la certification (Buffalo c. Nation Crie de Samson, 2008 CF 1308, paragraphe 37, confirmé dans 2010 CAF 165). Les articles 334.16 et 334.18 sont reproduits à l’annexe A des motifs.
[18] Une perspective raisonnable de succès doit être faite à l’égard des actes de procédure seuls, car aucun élément de preuve supplémentaire ne peut être envisagé (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, 1990 CanLII 90 (CSC), paragraphe 33; R c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2011] 3 RCS 45, 2011 CSC 42, paragraphes 68 à 70). En outre, pour qu’un recours collectif soit certifié, tous les membres du groupe doivent bénéficier du bon dénouement de l’action ou de la demande, mais pas forcément dans la même mesure (Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, [2013] 3 RCS 477, 2013 CSC 57, paragraphe 108 [Pro-Sys Consultants]).
[19] Un demandeur doit satisfaire à la première exigence mentionnée à l’alinéa 334.16(1)a) dans une demande de contrôle judiciaire à moins que « la cause d’action [soit] manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie » (King c. Canada, 2009 CF 796, paragraphe 17). Le demandeur affirme que le recours collectif proposé représente une « cause d’action raisonnable » qui permet à la Cour d’annuler la décision contestée et de déclarer ou d’ordonner en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales que le demandeur et tous les membres du groupe proposés se voient approuver par le RARM vingt-quatre (24) mois de prestations d’invalidité – voire plus si le membre est médicalement admissible – en vertu des articles 22 et 23 du régime ILD.
[20] Le demandeur s’est engagé dans les Forces en 1976 à l’âge de 17 ans et a servi jusqu’à ce qu’il ait été involontairement libéré pour raisons médicales. Un trouble de stress post-traumatique [TSPT] lui a été diagnostiqué à la suite de son déploiement à Sarajevo pendant la guerre de Bosnie en 1993. Le demandeur a été mis en congé de maladie le 12 mars 2003, en raison de son handicap, et a été libéré des Forces le 23 octobre 2005 pour des raisons médicales. En vertu de la Loi sur les pensions, le demandeur reçoit une pension d’invalidité mensuelle ainsi qu’une allocation d’incapacité exceptionnelle d’Anciens Combattants Canada (parfois appelée prestation d’ACC) en reconnaissance de son TSPT lié au service militaire. La pension d’invalidité prévue par la Loi sur les pensions est une prestation non pécuniaire et non imposable qui donne effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser non seulement les membres des Forces qui sont devenus invalides ou qui sont décédés par suite de leur service militaire, mais aussi les personnes à leur charge (Loi sur les pensions, article 2). La pension d’invalidité prévue par la Loi sur les pensions est évaluée en fonction de l’effet de l’invalidité sur la qualité de vie du membre.
[21] Anciens Combattants Canada a évalué l’invalidité du demandeur à 101 %. Le demandeur soutient que le 23 mars 2005, il a communiqué avec les Services du RARM/Manuvie pour leur indiquer que, même s’il avait reçu une trousse de demande du RARM, il ne souhaitait pas faire de demande, car il gagnerait bien plus qu’il ne gagnait dans les Forces avec sa pension accordée en vertu de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et son revenu d’emploi. Le gestionnaire de cas des Services du RARM/Manuvie avec qui le demandeur a parlé lui a apparemment expliqué que s’il décidait de présenter une demande et qu’elle était approuvée, il aurait le RARM comme solution de secours. Le gestionnaire de cas a ensuite demandé au demandeur d’envoyer une lettre confirmant qu’il ne souhaitait pas faire de demande et indiquant au RARM de fermer son dossier. Les notes au dossier concernant le demandeur indiquent que le 18 août 2005, le gestionnaire de cas a envoyé au demandeur une lettre de suivi l’encourageant à demander des prestations au titre du régime ILD. Le demandeur a répondu au RARM le 30 août 2005 ou vers cette date, indiquant que la combinaison de sa pension des Forces et celle d’Anciens combattants Canada (Loi sur les pensions) dépassait le montant de son salaire à la date de sa libération des Forces et qu’il ne répondait pas aux exigences d’admissibilité aux prestations ILD. Son dossier a ensuite été fermé.
[22] Même s’il n’a pas fait une demande en temps opportun en 2005, le demandeur fait valoir à cet égard que trois causes d’action distinctes existent individuellement et collectivement : 1) la levée de la déchéance, 2) la répudiation, et 3) la préclusion résultant d’une déclaration. Le demandeur admet volontiers que ces causes d’action sont fondées uniquement sur le non-respect du régime ILD, qui est un contrat, et que la présentation tardive de sa demande de prestations ILD est le résultat des « observations » antérieures formulées par des mandataires de la Couronne qui ont été jugées erronées dans le jugement Manuge 2012. Le demandeur a pris connaissance de ces fausses déclarations lorsque la Cour a conclu que dans Manuge 2012, la compensation des prestations d’ACC n’était pas contractuellement justifiée en vertu du sous-alinéa 24a)(iv) du régime ILD actuel.
[23] Qui plus est, pour chacune des questions communes proposées, le demandeur fait valoir ce qui suit :
[traduction]
i. Levée de la déchéance :
• La « conduite » ou l’« infraction » des membres du groupe était la même. En d’autres termes, ils n’ont pas présenté leur dossier de demandes communes en vertu du RARM dans un délai de 120 jours suivant leur libération pour des raisons médicales. De plus, le RARM a reconnu avoir formulé des observations auprès de tous les membres libérés des Forces pour des raisons médicales, leur expliquant que leurs prestations ILD seraient réduites en raison de leur pension d’invalidité versée aux termes de la Loi sur les pensions.
ii. Répudiation :
• La répudiation est commune à tous les membres du groupe, car le RARM a reconnu avoir formulé des observations auprès de tous les membres des Forces libérés pour des raisons médicales, leur expliquant que leurs prestations ILD seraient totalement ou partiellement réduites en raison de leur pension d’invalidité versée aux termes de la Loi sur les pensions. Maintenant, le RARM insiste sur le même respect strict du délai de 120 jours pour tous les membres du groupe.
iii. Préclusion résultant d’une déclaration :
• Le RARM a fait la même observation auprès de tous les membres du groupe proposé. Il a exigé que les membres du groupe remplissent le même formulaire de demande assorti de la même entente sur les conditions des prestations. Les membres du groupe ont tous agi à leur détriment, car ils n’ont pas présenté le formulaire de demande de prestations ILD.
[24] En ce qui concerne l’existence d’un groupe identifiable de deux personnes ou plus (alinéa 334.16(1)b)), le demandeur soutient qu’à cet égard, l’enquête se limite à déterminer si deux personnes ou plus sont admissibles selon la définition du groupe proposé et si le groupe a été défini par rapport à des critères objectifs. Le demandeur fait valoir que la définition du groupe proposé est claire et objective. Il fait remarquer qu’il y a déjà dix-sept (17) autres personnes affirmant qu’elles répondent à la définition du groupe proposé. Qui plus est, le demandeur prétend que, même si le défendeur avait la capacité de décider combien de personnes satisfaisaient aux trois critères de la définition du groupe, il n’a pas fourni le nombre de membres proposés, en dépit de l’alinéa 334.15(5)c), qui prescrit que chaque partie soit tenue d’inclure dans son affidavit « le nombre de membres du groupe, pour autant qu’elle sache ».
[25] Pour ce qui est de décider si les demandes des membres du groupe soulèvent des questions communes de droit et de fait en vertu de l’alinéa 334.16(1)c), le demandeur affirme que la question sous-jacente est de savoir si le fait d’autoriser la certification en tant que recours collectif permettra d’éviter la reproduction de la recherche de faits ou de l’analyse juridique. En outre, les questions communes ne doivent pas être déterminantes (Sivak v. Canada, 2012 FC 271, paragraphe 4). Le fait que d’autres personnes n’ont peut-être pas reçu une lettre de décision semblable à celle qui a été reçue par le demandeur ne change en rien les questions communes proposées, car tous les membres du groupe proposé sont pareillement empêchés de faire une demande de prestations ILD en raison du délai de 120 jours qui est strictement appliqué par le RARM, malgré sa mauvaise interprétation du régime ILD.
[26] En ce qui concerne le recours collectif constituant le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les questions communes, conformément à l’alinéa 334.16(1)d), le demandeur soutient que ni sa demande ni celles du groupe proposé ne sont viables individuellement. Le demandeur ne pouvait pas se permettre de poursuivre cette demande de son propre chef, en l’absence d’un recours collectif. Comme l’a conclu la Cour fédérale dans Manuge 2008, au paragraphe 28, « [l]a question de l’accès à la justice est un élément important à prendre en compte pour savoir si une instance devrait être autorisée ». De plus, en l’espèce, les membres du groupe proposé sont des personnes particulièrement vulnérables, chaque membre atteint d’au moins une forme d’invalidité, ce qui doit être pris en considération au même titre que les intérêts de l’économie judiciaire. Même si les « observations » alléguées dans les actes de procédure du demandeur peuvent bel et bien être invoquées dans une action intentée contre la Couronne pour réclamer une réparation pécuniaire en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, l’avocat du demandeur a expliqué, lors de l’audience, que ces observations peuvent également être invoquées en vertu du droit public, afin d’annuler toute décision illégale rendue par une commission fédérale ou contestée dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire.
[27] Enfin, le demandeur fait remarquer que, dans la présente instance, les questions communes sont au cœur du litige et seront déterminantes pour l’ensemble ou la plupart des demandes présentées par les membres du groupe (alinéa 334.16(2)a)); qu’il y a une proportion insuffisante de membres du groupe ayant un intérêt légitime à poursuivre des procédures séparées (alinéa 334.16(2)b)); qu’à la connaissance du demandeur, aucun membre seul du groupe n’a été en mesure de justifier le dépôt et les frais de dépôt de façon solitaire d’une action ou d’une demande de contrôle judiciaire à titre individuel, ce qui signifie que le recours collectif est la seule façon dont ces revendications peuvent être entendues (alinéa 334.16(2)c)); que dans ces circonstances, un recours collectif est le meilleur moyen du fait qu’il permet de répondre de façon équitable, efficace et gérable aux questions communes et qu’il n’y a pas d’autres moyens de régler la demande ou l’octroi de la mesure de réparation demandée (alinéas 334.16(2)d) et e)); et que la demande du demandeur représentant est adéquate (alinéa 334.16(1)e)).
[28] J’en conclus néanmoins que la présente requête doit être rejetée, car j’estime que les éléments de preuve et les arguments du demandeur relativement à la certification sont peu convaincants. J’ai examiné tous les facteurs pertinents mentionnés dans les Règles, ainsi que les nombreux cas cités par les parties (mais pas forcément mentionnés dans les présents motifs). Pour décider, aux termes de l’alinéa 334.16(1)a), si les actes de procédure du demandeur représentent une cause d’action raisonnable, j’ai supposé, aux fins de la présente requête de certification, que les faits exposés dans l’avis de requête déposé le 19 janvier 2015 par le demandeur sont véridiques. En ce qui concerne les autres exigences relatives à la certification mentionnées au paragraphe 334.16(1), la partie qui demande la certification doit établir qu’[traduction] « un certain fondement factuel » sous‑tend chacune des conditions. J’ai examiné toute la preuve par affidavit et les documents présentés par les parties dans leurs dossiers de requête respectifs, tout en faisant fi de la troisième phrase du paragraphe 3 ainsi que des paragraphes 4 et 5 tout entiers de l’affidavit de M. Phil Marcus, puisque ce dernier prétend expliquer la décision rendue par la Cour fédérale dans Manuge, ce qui ne constitue pas une preuve par affidavit adéquate (Duyvenbode v. Canada (Attorney General), 2009 FCA 120, paragraphes 2 et 3).
[29] En dépit de la norme de preuve faible (Pro-Sys Consultants, paragraphes 99 et 104), je ne suis pas convaincu que toutes les conditions mentionnées au paragraphe 334.16(1) sont remplies en l’espèce et que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour certifier la présente demande de contrôle judiciaire en tant que recours collectif. Plus précisément, je ne suis pas convaincu qu’un recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, toute question de droit ou de fait qui pourrait être soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire, compte tenu de toutes les questions pertinentes à la lumière des éléments mentionnés au paragraphe 334.16(2).
[30] Conformément au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par toute personne directement touchée par la question à l’égard de laquelle une réparation est demandée. L’article 301 prévoit que l’avis de demande de contrôle judiciaire doit préciser le tribunal à l’égard duquel la demande est faite, tout comme la date et les détails de la décision à l’égard de laquelle le contrôle judiciaire est demandé. Même si je suis prêt à assumer, de façon purement hypothétique, que la décision contestée qui a été rendue le 18 décembre 2014 par le vice-président du RARM peut être examinée par la Cour en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Manuge 2009, paragraphe 44), il n’en demeure pas moins qu’aucun autre membre du groupe n’aurait un droit individuel de faire annuler la décision contestée, du fait qu’aucun autre membre du groupe n’a présenté son dossier au décideur ni fait l’objet de la décision dont la révision est demandée par le demandeur.
[31] Bien que le demandeur affirme qu’il y ait dix-huit (18) membres présumés connus du groupe, y compris lui-même, aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour indiquant que le RARM avait pris une décision définitive de refuser des prestations ILD à l’un de ces autres membres du groupe, que ce soit de façon identique ou semblable aux circonstances dans lesquelles les prestations du demandeur ont été refusées. En outre, la présente demande de contrôle judiciaire n’a aucun lien rationnel avec les questions communes proposées (Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 RCS 158, 2001 CSC 68, paragraphes 19 et 20). Dans le cas présent, la réparation sollicitée par le demandeur – à savoir l’annulation de la décision contestée – ne traite que des circonstances particulières du demandeur et non celles de tout autre demandeur éventuel. Étant donné qu’aucun autre membre du groupe n’a suivi le processus d’appel interne jusqu’à sa conclusion, il n’y a personne dans le groupe dont les circonstances reflètent celles du demandeur ou dont les intérêts peuvent être touchés par la décision visée par le contrôle judiciaire. Par exemple, le groupe proposé comprendrait les membres qui ont volontairement choisi de ne pas demander des prestations ILD pour des raisons étrangères à toute compensation, ceux qui ont réussi à trouver un autre emploi pendant une période qui dépasse les 120 jours suivant leur libération, ainsi que ceux qui sont devenus totalement invalides au sens de la police à une date ultérieure. Par conséquent, la définition du groupe proposé est trop générale.
[32] Qui plus est, le dossier présenté au décideur, sur lequel se fondera le contrôle judiciaire, traite exclusivement de la situation particulière du demandeur et des motifs de refus de sa demande en vertu du régime ILD. Par conséquent, il n’y a aucune perspective de succès raisonnable pour le groupe proposé dans son ensemble, selon les actes de procédure dont dispose la Cour. Au mieux, le demandeur a peut-être le droit, en vertu du paragraphe 18.3(3) de la Loi sur les Cours fédérales, d’obtenir une ordonnance annulant la décision contestée à l’égard de son admissibilité à présenter une demande de prestations ILD tardive en vertu des dispositions du régime LTD. Le paragraphe 18.3(3) de la Loi sur les Cours fédérales ne confère à la Cour aucun pouvoir général – sauf dans les rares cas de mauvaise foi de la part du décideur – de rendre la décision qui aurait dû être rendue par le décideur sur le fond d’une demande. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l’espèce, la demande n’a même pas été examinée sur le fond, car il s’est avéré qu’elle avait été faite en retard aux termes du contrat. En outre, l’octroi de dommages-intérêts ne peut se faire à l’encontre de la Couronne dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire.
[33] Pour ce qui est de demander, à titre subsidiaire, une sorte d’ordonnance de mandamus, cela nécessiterait une modification du présent avis de demande, car la preuve devrait démontrer qu’il y a un certain nombre de demandes non traitées et en suspens qui ont été soumises au décideur ou au RARM. Il est évident que la grande majorité des membres du groupe proposé ne sont pas des membres des Forces qui ont présenté des demandes en retard puis ont été refusés, mais plutôt des membres des Forces libérés le 1er décembre 1999 ou après qui n’ont pas fait de demande. De plus, le groupe proposé comprend des membres qui reçoivent, ou ont reçu, une pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions. Il est vrai que la Cour est autorisée à créer des sous-groupes; toutefois, en l’espèce, cela ferait échec à l’objet même d’une demande de contrôle judiciaire, laquelle doit être entendue et jugée sommairement sans délai.
[34] En effet, si elle le juge bon, la Cour peut ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action (une telle demande n’a pas été faite par le demandeur). Il faut tout de même se rappeler que les éléments de preuve dans une demande de contrôle judiciaire sont limités, en principe, au dossier du tribunal (sauf en cas d’allégations de partialité ou de manquement à la justice naturelle). Le caractère raisonnable est présumé, et la Cour ne peut effectuer sa propre évaluation de la preuve au dossier ni envisager de nouveaux éléments de preuve, afin de juger si la décision contestée est raisonnable. Le demandeur ne cherche pas à obtenir une déclaration générale selon laquelle l’obligation contractuelle de présenter une preuve du sinistre dans le délai limite de 120 jours (article 36 du régime ILD actuel) est contraire à la loi ou à la Constitution, mais plutôt une déclaration générale selon laquelle tous les membres du groupe peuvent réclamer des dommages-intérêts à l’encontre de la Couronne en raison de ses [traduction] « fausses déclarations » antérieures. La Cour est appelée à décider pourquoi le demandeur n’a pas choisi en premier lieu d’intenter une action contre la Couronne en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, puisque le but ultime des membres du groupe proposé est d’obtenir une réparation pécuniaire de la part de la Couronne, comme si chacun d’entre eux s’était vu approuver, aux termes de l’alinéa 22a) de la police du RARM, des prestations ILD pendant 24 mois suivant la date de leur libération, voire plus si le membre avait été médicalement admissible en vertu de l’alinéa 22b) de la police du RARM en raison de son état d’invalidité totale.
[35] Les parties conviennent que le règlement des questions communes soulevées par le demandeur n’est pas régi en l’espèce par des principes de droit public, mais uniquement par le droit contractuel (dans le domaine de l’assurance) ou par l’équité. Il n’y a aucune allégation dans les actes de procédure selon laquelle le décideur a manqué au principe d’équité procédurale ou a rendu une décision qui n’est pas autorisée par la loi ou qui serait déraisonnable à l’égard de toute compétence ou de tout pouvoir conférés au décideur « par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale » (Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 2(1)). En l’espèce, la décision contestée du vice-président principal du RARM, qui a été rendue au cours des activités quotidiennes des Services financiers du RARM, avait trait à la fonction privée de statuer sur une demande tardive en vertu de la police du RARM. Bien que je ne rende pas une décision définitive sur cette question, je fais remarquer que la Cour a déjà jugé que l’expression « une compétence ou des pouvoirs » employée dans la définition d’« office fédéral » ne comprend pas les pouvoirs exercés à titre privé, lesquels sont de simples accessoires d’une personnalité juridique exerçables par des entités fédérales (DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, 2005 CF 860, paragraphes 51 à 55). Dans la décision Peace Hills Trust Company c. Moccasin, 2005 CF 1364, paragraphe 61, la Cour a également conclu qu’« il faut s’abstenir d’appliquer les principes du droit administratif au règlement de ce qui est au fond une question de droit commercial […] ». Il est clair que si la Cour avait le pouvoir d’accorder une ordonnance de certiorari et une déclaration, elle n’aurait pas le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts, ce qui semble être le but ultime de la demande de réparation « fourre-tout » du demandeur.
[36] Je voudrais aussi ajouter qu’en ce qui concerne la question de la levée de la déchéance, l’un des facteurs à prendre en considération pour décider si une telle levée devrait être accordée est le comportement du demandeur, lequel serait impossible à évaluer à l’échelle d’un groupe. En outre, la question commune, soit celle de savoir si le manquement était raisonnable, ne se limite pas au défaut de déposer un formulaire de demande dûment rempli dans les 120 jours suivant la date de libération; cette question doit également être examinée dans le contexte de la conduite du demandeur et de ses circonstances particulières, y compris son état de santé, et de la possibilité qu’elles aient pu raisonnablement rendre le demandeur incapable de faire une demande dans le délai de 120 jours prescrit par la police.
[37] La certification devrait également être refusée lorsque de nombreuses questions individuelles occultent les questions communes et lorsque les questions sont intrinsèquement individualistes; une question commune ne peut pas dépendre des conclusions de fait qui doivent être tirées à l’égard de chaque demandeur individuel (578115 Ontario Inc. v. Sears Canada Inc., 2010 ONSC 4571, paragraphe 43). Qui plus est, je ne suis pas convaincu en l’espèce que le demandeur a démontré un fondement factuel selon lequel un recours collectif serait le meilleur moyen de régler les questions communes, comme l’énonce le paragraphe 334.16(2). En effet, en vertu de l’article 105, la Cour a le pouvoir d’ordonner, à l’égard de deux ou plusieurs instances, qu’elles soient réunies, instruites conjointement ou instruites successivement, et qu’il soit sursis à une instance jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard d’une autre instance. La Cour a exercé ce pouvoir dans une affaire d’immigration dont elle a été saisie récemment, dans laquelle elle a statué sur quelque quatre-vingt-quinze (95) demandes de contrôle judiciaire, chacune demandant une ordonnance de mandamus à l’encontre du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, alors que plus d’un millier de demandes semblables étaient en suspens (Jia c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 596, paragraphes 4 à 10).
[38] De plus, les principaux objectifs du recours collectif doivent être atteints, notamment l’économie des ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification du comportement, et le recours collectif doit fournir une procédure juste et efficace à toutes les parties, y compris à la Cour (Markson v. MBNA Canada Bank, 2007 ONCA 334, paragraphe 70, AIC Limitée c. Fischer, [2013] 3 RCS 949, 2013 CSC 69, paragraphe 16). Je doute fort qu’un recours collectif atteigne ces objectifs en l’espèce. Un autre point à prendre en considération est le nombre de membres éventuels dans le groupe (Gary Jackson Holdings Ltd. v. Eden, 2010 BCSC 273, paragraphe 69). Même si la « question » (Krause c. Canada, 1999 CanLII 9338 (CAF), paragraphe 21) soulevée par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire remet en question l’application de l’exigence de 120 jours qui figure dans l’article 36 du régime ILD, contrairement au jugement Manuge, le demandeur n’enjoint pas à la Cour de déclarer la disposition contestée comme illégale ou outrepassant les pouvoirs conférés au CEMD, y compris à l’assureur ou à tout mandataire de la Couronne ou agent du RARM agissant sous l’autorité de la Loi sur la défense nationale ou de la police du RARM.
[39] Pour les motifs susmentionnés, la requête visant à certifier la présente demande de contrôle judiciaire en tant que recours collectif est donc rejetée. Les parties ne demandent aucune adjudication des dépens, et aucuns dépens ne seront attribués au défendeur.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête présentée par le demandeur pour certifier la présente demande de contrôle judiciaire en tant que recours collectif soit rejetée sans dépens.
« Luc Martineau »
Juge
ANNEXE A
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, article 334.16 :
334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :
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334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if
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a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;
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(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;
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b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;
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(b) there is an identifiable class of two or more persons;
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c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre; |
(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;
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d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs; |
(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and
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e) il existe un représentant demandeur qui : |
(e) there is a representative plaintiff or applicant who
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(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, |
(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,
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(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,
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(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,
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(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,
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(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and
|
(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier. |
(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.
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(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants : |
(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether
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a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres; |
(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;
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b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées; |
(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;
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c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances; |
(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;
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d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;
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(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and
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e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement. |
(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.
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(3) Si le juge constate qu’il existe au sein du groupe un sous-groupe de membres dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe de sorte que la protection des intérêts des membres du sous-groupe exige qu’ils aient un représentant distinct, il n’autorise l’instance comme recours collectif que s’il existe un représentant demandeur qui : |
(3) If the judge determines that a class includes a subclass whose members have claims that raise common questions of law or fact that are not shared by all of the class members so that the protection of the interests of the subclass members requires that they be separately represented, the judge shall not certify the proceeding as a class proceeding unless there is a representative plaintiff or applicant who
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a) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du sous-groupe; |
(a) would fairly and adequately represent the interests of the subclass;
|
b) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du sous-groupe et tenir les membres de celui-ci informés de son déroulement; |
(b) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the subclass and of notifying subclass members as to how the proceeding is progressing;
|
c) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du sous-groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs; |
(c) does not have, on the common questions of law or fact for the subclass, an interest that is in conflict with the interests of other subclass members; and
|
d) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier. |
(d) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.
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Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, article 334.18 :
334.18 Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci-après pour refuser d’autoriser une instance comme recours collectif :
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334.18 A judge shall not refuse to certify a proceeding as a class proceeding solely on one or more of the following grounds:
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a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle; |
(a) the relief claimed includes a claim for damages that would require an individual assessment after a determination of the common questions of law or fact;
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b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe;
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(b) the relief claimed relates to separate contracts involving different class members;
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c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe; |
(c) different remedies are sought for different class members;
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d) le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun est inconnu; |
(d) the precise number of class members or the identity of each class member is not known; or
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e) il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe.
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(e) the class includes a subclass whose members have claims that raise common questions of law or fact not shared by all of the class members. |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-72-15
|
INTITULÉ : |
FERNAND KENNEY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Halifax (Nouvelle-Écosse)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 24 février 2016
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE MARTINEAU
|
DATE DES MOTIFS : |
Le 31 mars 2016
|
COMPARUTIONS :
Daniel Wallace Robert Mroz
|
Pour le demandeur |
Paul Vickery Lori Rasmussen
|
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McInnes Cooper Halifax (Nouvelle-Écosse)
|
Pour le demandeur |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Halifax (Nouvelle-Écosse)
|
Pour le défendeur |