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Date : 20151218


Dossier : DES-3-15

Référence : 2015 CF 1398

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

JOHN STUART NUTTALL et
AMANDA MARIE KORODY

 

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE PUBLIQUE ET MOTIFS

I.                   Contexte factuel

[1]               Le 2 juin 2015, à la suite d’un procès devant jury à la Cour suprême de la Colombie­Britannique, les demandeurs ont été reconnus coupables de deux chefs d’accusation liés au terrorisme découlant d’événements qui ont eu lieu en juin 2013. Le juge de première instance n’a pas inscrit les verdicts de culpabilité en attendant une décision relativement à la requête déposée par les demandeurs qui cherchent à obtenir réparation pour provocation policière et abus de procédure. Dans le contexte de la requête des demandeurs, le juge de première instance a envisagé et ordonné la production et la divulgation d’autres documents précis, notamment de la part de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

[2]               La Cour a examiné, entre autres renseignements, la chronologie des événements et l’aperçu de la preuve du juge de première instance, la décision orale concernant la divulgation de l’information liée au SCRS du 25 juin 2015, l’affidavit de Mme Marilyn Sandford en date du 5 octobre 2013 qui renvoie à l’ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en date du 17 septembre 2015, et les documents à remettre aux demandeurs en fonction de l’examen des documents par le juge de première instance conformément à l’approche de l’arrêt O’Connor énonçant une analyse à deux étapes. Ces documents ont fourni un contexte pour l’examen des questions devant la Cour.

[3]               Le 10 juillet 2015, les demandeurs ont présenté une demande auprès de la Cour aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) afin de solliciter une ordonnance quant à savoir si un particulier constitue une source humaine tel qu’il est défini à l’article 2 de la Loi sur le SCRS.

[4]               Les demandeurs sollicitent, conformément à l’alinéa 18.1(4)a), une ordonnance déclarant que le particulier n’est pas une source humaine. Par ailleurs, les demandeurs sollicitent une ordonnance, aux termes de l’alinéa 18.1(4)b), que si la Cour détermine que le particulier est une source humaine, les renseignements détenus par le SCRS relativement à ce particulier doivent être divulgués aux demandeurs ou qu’un résumé judiciaire des renseignements détenus par le SCRS soit fourni par la Cour aux demandeurs aux fins de leur défense, plus particulièrement leurs allégations de provocation policière et d’abus de procédure, dans le cadre de la procédure devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Les demandeurs soutiennent que cette divulgation est essentielle pour établir leur innocence dans le cadre de cette procédure.

[5]               La Cour a tenu plusieurs conférences de gestion de l’instance pour faire avancer la demande et aborder la procédure qui doit être suivie à l’égard de l’article 18.1, une disposition récemment adoptée, qui ne fournit pas de détails sur la procédure à suivre et ne précise pas le seuil qui doit être respecté.

[6]               Les parties ont convenu que la demande devrait être envisagée en trois étapes : premièrement, déterminer si l’affidavit de Mme Sandford énonçant les faits invoqués à l’appui de la demande est approprié et peut être reçu par la Cour; deuxièmement, déterminer la portée de la définition de « source humaine », le seuil que les demandeurs doivent respecter pour faire avancer leur demande d’ordonnance établissant si la personne est ou n’est pas une source humaine et si les candidats ont atteint le seuil applicable; troisièmement, déterminer si une ordonnance devrait être rendue aux termes de l’alinéa 18.1(4)a) ou b) et les conditions, le cas échéant, qui devraient être imposées aux termes du paragraphe 18.1(8).

[7]               Les demandeurs ont poursuivi la demande avec diligence et ont souligné que sa détermination doit être faite en temps opportun, étant donné que la décision concernant l’article 18.1 aura une incidence sur la procédure en cours à la Cour suprême de la Colombie­Britannique.

[8]               Dans une ordonnance en date du 25 novembre 2015, la Cour a conclu que l’affidavit de Mme Sandford est recevable et qu’il énonce des faits suffisants pour permettre à la demande de passer aux étapes suivantes. La Cour a également fait remarquer que les parties avaient présenté des observations préliminaires sur le seuil à respecter et ont formulé l’avis préliminaire selon lequel la jurisprudence dans le contexte criminel donne des indications utiles. Les parties ont été invitées, comme convenu, à faire des observations plus détaillées sur le seuil applicable et déterminer s’il a été respecté.

[9]               Compte tenu des motifs du jugement rendu par le juge Mosley dans la décision Procureur général du Canada c. Almalki et al. 2015 CF 1278 (Almalki 2015), le 23 novembre 2015, les parties ont été invitées, par une ordonnance en date du 25 novembre 2015, à fournir des arguments sur l’incidence de la décision Almalki 2015 sur cette demande ainsi que leurs observations sur le seuil à respecter aux termes de l’article 18.1.

II.                La question en litige

[10]           Après avoir examiné les arguments des parties et de l’amicus curiae sur l’incidence de la décision Almalki 2015 et la jurisprudence qui y est citée, la question qui doit maintenant être abordée est de savoir si la Cour a compétence pour déterminer l’application de l’article 18.1 dont elle est saisie actuellement.

[11]           Les motifs du jugement du juge Mosley dans la décision Almalki 2015 ont été soulevés dans le cadre d’une procédure au civil qui a été lancée il y a plus d’une décennie à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Dans le cadre de cette procédure, le procureur général du Canada a demandé une ordonnance en vue d’interdire la divulgation de renseignements aux termes de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

[12]           Dans une décision antérieure (Almalki 2010 dans le dossier DES-1-10), la divulgation de certains renseignements de source humaine avait été demandée. Bien que l’ordonnance rendue dans la décision Almalki 2010 n’ait pas autorisé la divulgation de l’identité des sources humaines, elle a autorisé la diffusion de l’information présentée dans certains documents à partir desquels, selon le procureur général, il serait possible de déduire l’identité d’une source humaine. La Cour n’était pas convaincue que la divulgation de l’information révélerait en fait l’identité de la source (consulter Almalki 2015 au paragraphe 23).

[13]           L’examen actuel des revendications en ce qui concerne l’information expurgée a été lancé conformément à l’ordonnance du juge Mosley du 19 septembre 2011 à partir de laquelle la procédure initiale aux termes de l’article 38 s’est poursuivie.

[14]           En raison de l’entrée en vigueur du projet de loi C-44, la Loi sur la protection du Canada contre les terroristes, le 23 avril 2015, le juge Mosley a examiné les observations des avocats sur l’interprétation et l’application des modifications, en particulier l’article 18 et le nouvel article 18.1 de la Loi sur le SCRS.

[15]           Le juge Mosley a fait remarquer que le projet de loi C-44 ne comportait pas de dispositions transitoires permettant de composer avec l’application des nouvelles dispositions dans le temps.

[16]           Le juge Mosley a décrit les différences entre la loi antérieure au projet de loi C-44 et la loi postérieure au projet de loi C-44, notamment que l’article 18 modifié a maintenu le délit de divulgation de renseignements sur un employé du SCRS et a ajouté l’exigence que l’infraction doit avoir été commise sciemment. La mention de délit de divulgation de renseignements sur une source du SCRS a toutefois été supprimée. Le nouvel article 18.1 a créé un privilège prévu dans la loi pour protéger les sources humaines du SCRS.

[17]           L’une des questions soulevées devant le juge Mosley était de savoir si le privilège prévu dans la loi relativement aux sources humaines qui était édicté par l’article 18.1 s’appliquait à l’information recherchée dans le cadre de la procédure dont il était saisi.

[18]           Le juge Mosley a examiné les principes d’interprétation des lois et de la jurisprudence régissant l’application de la législation dans le temps. Il a fait remarquer, entre autres principes, ce qui suit : il est présumé que la législation ne fonctionne pas de façon rétroactive ou rétrospective, bien que la présomption puisse être réfutée par un texte législatif clair; les dispositions purement procédurales ont un effet immédiat et s’appliquent aux questions en attente et futures; les règles en matière de preuve sont généralement considérées comme des procédures et assujetties au principe qu’elles s’appliquent aux questions en attente et futures; si une règle de preuve affecte des droits fondamentaux ou acquis, elle n’est pas purement procédurale et s’appliquerait uniquement de façon prospective; les principes ne s’appliquent pas là où il y a des dispositions juridiques claires à l’effet contraire (Almalki 2015, aux paragraphes 57 à 62).

[19]           Le juge Mosley était en désaccord avec l’argument du procureur général du Canada selon lequel le moment pertinent pour déterminer l’application de l’article 18.1 est lorsque le privilège est invoqué et non pas lorsqu’une promesse de confidentialité a pu être faite. Il a fait remarquer que le SCRS tient des registres sur ses relations avec les sources humaines et pourrait déterminer si l’on a promis la confidentialité à la source. Il a, en outre, fait remarquer que le dossier parlementaire n’a pas laissé entendre que le Parlement avait examiné l’application de l’article 18.1 à des questions en cours.

[20]           Le juge Mosley a fait remarquer qu’il semblerait que le nouveau privilège générique réponde à la décision de la Cour suprême du Canada, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat 2014 CSC 37, qui a conclu que le privilège d’une source humaine n’existe pas en common law. Par conséquent, la loi aurait pu indiquer qu’elle devait s’appliquer aux procédures lancées avant la promulgation et qu’elle allait demeurer en vigueur, si c’était l’intention du Parlement; ce n’était toutefois pas le cas. Il a conclu que, pour toute [TRADUCTION] « nouvelle procédure », à savoir les procédures adoptées après le 23 avril 2015, l’article 18.1 permettrait de protéger la confidentialité [TRADUCTION] « de ceux qui sont engagés en tant que sources humaines après le 23 avril 2015 ». En d’autres termes, l’article 18.1 s’appliquerait lorsque la procédure et la relation avec la source humaine (la promesse de confidentialité) ont été établies le 23 avril 2015 ou après cette date.

[21]           Le juge Mosley était également en désaccord avec l’affirmation du procureur général du Canada selon laquelle la divulgation (dans le cadre d’une procédure aux termes de l’article 38) est un événement précis à l’intérieur d’une procédure et que, puisque la divulgation n’a pas encore eu lieu, il n’y a pas de droits acquis concernant la divulgation (consulter Almalki 2015, au paragraphe 107).

[22]           Dans le cadre de la procédure devant le juge Mosley, celui-ci a fait remarquer que les relations en cause avaient été établies treize années ou plus auparavant et que les actions avaient été lancées au moins dix ans auparavant. Il a constaté que l’application de l’article 18.1 à l’information obtenue plusieurs années auparavant conférerait à la loi un effet rétroactif. Il s’est ensuite demandé s’il fallait donner un effet rétroactif ou si la loi avait eu une incidence sur des droits fondamentaux.

[23]           Le juge Mosley a fait remarquer que les parties avaient convenu que l’article 18.1 avait créé une nouvelle règle de preuve, mais qu’il n’était pas d’accord avec l’affirmation que cette nouvelle règle de preuve avait créé des droits fondamentaux. Il a conclu que le privilège prévu à l’article 18.1 crée effectivement des droits fondamentaux pour les sources humaines et pouvait avoir un effet considérable sur la portée de la divulgation autorisée dans le cadre de la procédure dont il était saisi. Il a constaté que cela limiterait la capacité des défendeurs à prouver leurs revendications contre le procureur général du Canada et leur capacité à établir que leurs droits constitutionnels ont été violés. Par conséquent, l’article 18.1 ne s’appliquait pas. Les sources humaines qui existent déjà continueront d’être protégées par l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

[24]           La Cour est consciente que le procureur général du Canada a déposé un avis d’appel de la décision Almalki 2015. La Cour est également consciente que le procureur général du Canada a fait valoir que l’article 18.1 devrait être applicable en tant que règle de preuve pour des questions en cours et que le privilège ne se pose que lorsqu’il est confirmé. Le procureur général du Canada formule des arguments cohérents dans le cas présent, comme il est indiqué ci-dessous. La Cour observe également, tel qu’il est indiqué par les demandeurs, que le procureur général du Canada a également participé à la décision Almalki 2015 et qu’il était conscient que l’application de l’article 18.1 était une question en litige dans cette affaire; il a présenté des observations au juge Mosley il y a plusieurs semaines, mais n’a pas soulevé cette question dans le contexte de la présente demande.

III.             Les arguments des demandeurs

[25]           Les demandeurs soutiennent qu’à la suite de la décision Almalki 2015, l’article 18.1 ne s’applique pas aux renseignements demandés par les demandeurs; la Cour n’a pas compétence pour continuer à déterminer l’application de l’article 18.1.

[26]           Les demandeurs ont fourni une analyse du dossier Almalki 2015 en faisant remarquer la conclusion que le nouveau privilège générique édicté par l’article 18.1 crée des droits fondamentaux pour les sources humaines qui pourraient avoir un effet considérable sur la portée de la divulgation autorisée. Par conséquent, l’article 18.1 ne peut pas avoir une application rétroactive.

[27]           Les demandeurs soutiennent que, bien que la décision Almalki 2015 n’ait pas strictement force exécutoire, selon le principe du stare decisis horizontal, le raisonnement de la décision Almalki 2015 devrait être suivi parce qu’il n’y a aucune raison impérieuse de ne pas le faire.

[28]           Les demandeurs soutiennent que les faits importants qui fondent la décision de la Cour dans la décision Almalki 2015 en ce qui concerne l’application de l’article 18.1 sont les mêmes dans les circonstances actuelles.

[29]           Les demandeurs notent que la relation avec la source humaine potentielle en cause, dans ce cas, aurait été établie avant la promulgation de l’article 18.1, que la procédure sous-jacente (la poursuite pénale) aurait été entamée avant cette promulgation, et que l’instance est en cours en ce qui concerne la requête des demandeurs relativement à une suspension d’instance fondée sur des allégations de provocation policière et d’abus de procédure. Les demandeurs ajoutent que l’application de l’article 18.1 pour protéger ou empêcher la divulgation de renseignements obtenus par le SCRS des années plus tôt aurait une incidence sur la portée de la divulgation autorisée et pourrait avoir une incidence sur la défense des droits des demandeurs en vertu de la Charte.

[30]           Par conséquent, les demandeurs demandent à la Cour de déclarer qu’elle n’a pas compétence pour continuer à statuer sur leur demande.

[31]           Les demandeurs soulignent que si la Cour reconnaît qu’elle n’a pas compétence pour continuer à déterminer l’application de l’article 18.1, à savoir que l’article 18.1 ne s’applique pas dans ces circonstances, ils demanderont la divulgation de l’information du juge de première instance. Si la divulgation est ordonnée, les demandeurs font remarquer que le défendeur déterminerait alors s’il faut demander une protection de cette information conformément à l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. La procédure pour déterminer cette question serait établie par la Cour fédérale.

[32]           Les demandeurs soulignent les efforts qu’ils ont déployés depuis juillet 2015 en ce qui concerne l’application de l’article 18.1 et font remarquer qu’un changement d’approche et le recours à la loi antérieure au projet de loi C-44 entraîneront probablement des retards supplémentaires. Les demandeurs soulignent la nécessité de considérer rapidement toute application de l’article 38 qui peut ultimement être faite.

IV.             Les conclusions de l’amicus

[33]           L’amicus est d’accord avec les arguments des demandeurs selon lesquels la Cour devrait suivre la décision Almalki sur la foi du stare decisis horizontal et de la courtoisie judiciaire.

[34]           L’amicus fait remarquer les conclusions du juge Mosley, à savoir ce qui suit : l’application de l’article 18.1 à l’information obtenue par le SCRS avant l’adoption de la disposition conférerait un effet rétroactif à la promulgation; l’article 18.1 crée un nouveau privilège générique et crée des droits fondamentaux pour les sources humaines; il pourrait y avoir un effet considérable sur la divulgation autorisée. L’amicus soutient, par conséquent, que l’article 18.1 ne doit pas être appliqué de manière rétrospective.

V.                Les arguments du défendeur

[35]           Le défendeur soutient que le dossier Almalki 2015 a été mal jugé et ne devrait pas être suivi. En revanche, le défendeur soutient que la présente affaire se distingue des circonstances de la décision Almalki 2015 et que, par conséquent, rien n’empêche la Cour de prendre une décision concernant l’application de l’article 18.1.

[36]           Le défendeur établit une distinction entre la présente espèce et le dossier Almalki 2015 à trois égards : 1) selon le défendeur, il n’y avait aucune procédure entamée en vertu de l’article 38 auparavant et en cours et, par conséquent, la compétence de la Cour ne serait pas renversée; 2) il n’y a aucune procédure préexistante qui aurait créé un droit fondamental préexistant à l’égard de la divulgation, analogue à la situation invoquée dans la décision Almalki 2015, qui empêcherait l’application rétrospective, si en effet il s’agit d’une application rétrospective; 3) les demandeurs n’ont aucun droit acquis à un régime de divulgation établi étant donné que leur demande de divulgation a été présentée en juin 2015 (la date de la demande de type O’Connor à la Cour suprême de la Colombie-Britannique) qui tombait après la promulgation du projet de loi C-44.

[37]           Le défendeur soutient que l’article 18.1 s’applique de manière proactive à la divulgation éventuelle des renseignements de source humaine qui peut avoir lieu après la promulgation de l’article 18.1. Dans les circonstances actuelles, il ne peut pas avoir un effet rétroactif.

[38]           Le défendeur ajoute que, même si la décision Almalki 2015 est confirmée en appel, son application devrait être limitée au contexte du contentieux en particulier, qui diffère de la présente affaire.

[39]           Par ailleurs, le défendeur convient que si la Cour suit la décision Almalki 2015 et conclut que l’article 18.1 ne s’applique pas, les demandeurs devraient demander une ordonnance de divulgation de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et, s’ils le font, le défendeur déterminerait s’il faudrait ou non invoquer le secret professionnel en vertu de la Loi sur la preuve au Canada ou de la common law.

VI.             Les motifs de la décision Almalki 2015 sont adoptés et s’appliquent en l’espèce

[40]           Je suis d’accord avec les demandeurs et l’amicus que, sur le principe de la courtoisie judiciaire et du stare decisis horizontal, je devrais être guidée par les motifs du juge Mosley dans la décision Almalki 2015 émise le 23 novembre 2015. Le juge Mosley a soigneusement analysé les principes pertinents en ce qui concerne l’application rétroactive et rétrospective de la législation dans un contexte plus large, ainsi que par rapport aux faits dont il disposait. Après examen du dossier Almalki 2015, la jurisprudence pertinente et les observations de l’avocat qui les a représentés, je constate qu’il n’y a aucune raison de s’écarter des conclusions bien motivées du juge Mosley.

[41]           Malgré l’excellente plaidoirie du défendeur, je ne saurais convenir que les faits dans la décision Almalki 2015 se distinguent suffisamment des faits en l’espèce pour conduire à un résultat différent. Bien que les faits diffèrent à certains égards, les principes applicables demeurent les mêmes.

[42]           Premièrement, la Cour ne se préoccupe pas de perdre sa compétence; elle veut s’assurer qu’elle a compétence pour statuer sur la demande. La Cour se préoccupe de la bonne application de l’article 18.1 qui, tel qu’il a été indiqué par le juge Mosley, ne comprend pas de dispositions transitoires permettant d’aborder son application dans le temps.

[43]           Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel l’article 18.1 s’applique de manière proactive à la divulgation de renseignements de source humaine après sa promulgation, l’opinion du défendeur est que, dans le cas présent, la question reste à déterminer, c’est-à-dire qu’à ce jour, il n’y a pas eu de telle divulgation et, par conséquent, il n’y a aucune procédure préexistante qui a créé un droit fondamental à la divulgation. Même s’il est vrai que la demande de divulgation, dans le cadre de l’instance pour abus de procédure, a été faite en juin 2015 après la promulgation du projet de loi C-44, je ne suis pas d’accord qu’il n’y avait pas de droit préexistant de solliciter la divulgation. Si les demandeurs n’avaient pas invoqué l’article 18.1, selon leur point de vue, à cette époque, que la demande de divulgation de renseignements de source humaine était régie par le nouveau privilège statutaire et devait être portée devant la Cour, ils auraient inclus une demande de divulgation de la même information du SCRS dans le cadre de leur demande de divulgation plus étendue à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, conformément à l’approche de l’arrêt O’Connor énonçant une analyse à deux étapes. La procédure pénale qui fait l’objet d’une requête en arrêt des procédures sur la foi des allégations d’abus de procédure et de provocation policière a été entamée en 2013. Bien qu’on ne puisse pas prédire ce que la détermination d’une demande de divulgation plus étendue aurait été, les demandeurs auraient eu une approche établie pour poursuivre et le défendeur aurait pu alors déterminer s’il fallait faire une revendication de privilège ou invoquer l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

[44]           Troisièmement, la nouvelle règle de preuve créée par le projet de loi C-44 est un privilège législatif qui ne peut pas être caractérisé comme une simple procédure pour permettre une application rétrospective. Comme le juge Mosley l’a fait remarquer dans la décision Almalki 2015, le privilège législatif prévu dans l’article 18.1 crée des droits fondamentaux pour les sources humaines. Dans le cas présent, la preuve fournie à ce jour établit que si une source humaine est impliquée, la relation existait bien avant que l’article 18.1 ait été promulgué. L’application du nouveau privilège législatif pourrait avoir un effet considérable sur la divulgation autorisée; par conséquent, l’article 18.1 ne doit pas être appliqué de manière rétrospective. Une relation de source humaine préexistante aurait tout de même déclenché la protection prévue par l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

[45]           Le résultat selon lequel l’article 18.1 ne s’applique pas dans ces circonstances, étant donné que la relation qui peut impliquer une source humaine se rapporte à des renseignements datant d’avant la promulgation de la disposition, signifie que les demandeurs doivent présenter une demande à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, ce qui peut conduire à d’autres procédures devant la Cour. La décision finale quant à savoir si des renseignements concernant une possible source humaine devraient être divulgués ne peut pas être prise dans le délai initialement prévu. Toutefois, la Cour s’efforcera d’examiner rapidement toutes les demandes ultérieures.

VII.          Le seuil d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1

[46]           Les demandeurs, l’amicus et le défendeur ont également présenté des observations détaillées sur le seuil à appliquer aux demandes en vertu de l’article 18.1. En résumé, les demandeurs et l’amicus estiment qu’un seuil semblable à celui qui s’applique au privilège relatif aux informateurs de police devrait s’appliquer, même s’ils font remarquer que le privilège relatif aux informateurs de police diffère du privilège des sources humaines et que les différents contextes doivent être pris en considération. Le défendeur soutient que la divulgation ou la confirmation d’une source humaine nécessite un examen attentif et la formulation d’un seuil beaucoup plus robuste pour s’assurer que le but du privilège législatif sera respecté et que les sources actuelles et futures seront protégées de façon adéquate.

[47]           Compte tenu de la décision selon laquelle l’article 18.1 ne s’applique nullement aux circonstances actuelles et du fait que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la demande dont elle est saisie, il n’est pas nécessaire de déterminer le seuil applicable ni d’indiquer s’il a été respecté dans les circonstances actuelles.

[48]           Cependant, la Cour fait remarquer, sur la foi des observations présentées, que même si le défendeur souligne l’importance d’un seuil robuste en tant que « gardien », celui-ci ne peut pas être élevé au point de verrouiller le portail et d’empêcher absolument toute divulgation de renseignements essentiels concernant une source humaine particulière au nom de la protection de toutes les sources humaines actuelles et futures. L’article 18.1 permet la divulgation d’une source humaine lorsqu’il est essentiel d’établir l’innocence de l’accusé et fournit les garanties nécessaires pour les renseignements divulgués. Le seuil approprié doit permettre à la Cour de prendre cette décision et de ne pas exiger que le demandeur confirme la question ultime. Les décisions relevant de l’article 18.1 seront, bien entendu, soigneusement prises en tenant pleinement compte des intérêts en jeu. À ce jour, la Cour a fait preuve d’une extrême prudence à l’égard de cette demande conformément aux dispositions du paragraphe 18(10).

[49]           En conclusion, la demande des demandeurs relativement à une déclaration visée par l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS est rejetée en raison d’un manque de compétence pour statuer sur la demande.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande des demandeurs relativement à une déclaration visée par l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS soit rejetée en raison d’un manque de compétence pour statuer sur la demande.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-3-15

 

INTITULÉ :

JOHN STUART NUTTALL et

AMANDA MARIE KORODY c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

DEMANDE TRAITÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES

ORDONNANCE PUBLIQUE ET MOTIFS :

KANE J.

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Mme Alison Latimer

Mme Marilyn E. Sandford

 

Pour les demandeurs

Mme Donnaree Nygard

M. Lorne Ptack

 

Pour le défendeur

M. Patrick McCann

AMICUS CURIAE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Farris, Vaughan, Wills & Murphy s.r.l.

Avocats-procureurs

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les demandeurs

Ritchie Sandford

Avocats-procureurs

Vancouver (Colombie-Britannique)

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Avocats-procureurs

Ottawa (Ontario)

AMICUS CURIAE

 

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