Date : 20160324
Dossier : IMM-4353-15
Référence : 2016 CF 349
Montréal (Québec), le 24 mars 2016
En présence de monsieur le juge Annis
ENTRE : |
CRISTHIAN ALBERTO DELGADO MOLINA |
partie demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ |
partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d'une décision d’un agent de la Section de la protection des réfugiés [la SPR ou le tribunal] rendue le 2 septembre 2015 [la décision] rejetant la demande d’asile du demandeur. La SPR a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le demandeur cherche à faire annuler la décision de la SPR et retourner son dossier pour qu’il soit réexaminé par un tribunal différemment constitué.
[2] Pour les raisons qui suivent, la demande est rejetée.
II. Contexte
[3] Le demandeur, M. Molina, est citoyen du Nicaragua, qui est aussi le pays où il a résidé jusqu’à son arrivée au Canada le 30 mars 2015.
[4] En 2004, le père du demandeur a été reconnu en tant que réfugié au sens de la Convention au Canada, mais il n’avait pas déclaré M. Molina comme étant son fils.
[5] En 2008, suite au décès de sa mère, le demandeur est allé vivre avec la sœur de son père.
[6] En 2011, le père du demandeur a tenté de le parrainer, mais puisqu’il ne l’avait pas déclaré comme étant son fils, la demande fut refusée.
[7] Les faits qui ont mené M. Molina à faire sa demande d’asile lors de son arrivée au Canada sont les suivants :
• le 12 décembre 2012, quelques jours après avoir été menacé, M. Molina s’est fait agresser par quatre jeunes portant des uniformes militaires;
• le 8 août 2014, il s’est fait mordre par un chien appartenant à des jeunes alors qu’il courait pour les échapper;
• le 18 décembre 2014, M. Molina s’est fait agresser de nouveau près de son domicile par des jeunes armés qui l’auraient forcé à promettre qu’il allait participer à la vente de drogue avec eux;
• le 17 mars 2015, M. Molina a quitté le Nicaragua accompagné de son père, un résident du Canada, pour les États-Unis où ils sont demeurés pour environ deux semaines; et
• le 30 mars 2015, M. Molina s’est présenté au poste frontalier de Lacolle et a demandé l’asile.
[8] La demande d’asile a été entendue le 9 juin 2015 et a subséquemment été rejetée le 2 septembre 2015.
III. Décision contestée
[9] En premier lieu, le tribunal a estimé que M. Molina était généralement crédible sur l’ensemble de ses allégations malgré quelques problèmes de crédibilité quant aux mesures qu’il a prises pour se protéger au Nicaragua. Ensuite, le tribunal a souligné que l’analyse a été effectuée sous l’article 96 de la LIPR plutôt que l’article 97 de la LIPR, puisque la crainte du demandeur n’est pas partagée par l’ensemble de la population, et qu’il a été personnellement ciblé. Enfin, le tribunal a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Managua, la capitale du Nicaragua.
[10] Le tribunal, lorsqu’il a déterminé qu’il n’existait pas de possibilité raisonnable que M. Molina soit persécuté s’il s’établissait à Managua, a tenu compte du fait que : 1. La preuve documentaire démontrait que le phénomène de recrutement forcé au Nicaragua était marginal; 2. M. Molina n’avait pas établi qu’il serait retrouvé à Managua par le gang qui tentait de le recruter ou que ces derniers mèneraient des activités à grande échelle qui leur permettraient de retrouver M. Molina dans la capitale; 3. M. Molina n’avait pas établi qu’il représente un intérêt assez important pour que le gang tente de le retrouver à Managua; 4. Il n’avait pas été établi que les autorités, autant civiles que militaires, pourraient aider le gang à le retrouver. En dernier lieu, le tribunal a déterminé que le comportement du demandeur ne suggérait pas qu’il craignait de façon subjective pour sa sécurité puisqu’il avait décidé de retourner vivre volontairement à un endroit connu du gang.
[11] Pour ce qui est du second volet de la PRI, le tribunal a déterminé que les conditions auxquelles le demandeur ferait face à Managua ne mettraient pas sa vie ou sa sécurité en danger. Le tribunal a tenu compte, entre autres, de son jeune âge, le fait qu’il avait complété ses études secondaires et qu’il voulait poursuivre ses études en médecine. Le tribunal a spécifiquement indiqué que le fait de ne pas avoir de famille présente dans la localisation de la PRI n’est pas une raison acceptable pour conclure qu’il serait déraisonnable de s’y établir.
IV. Question en litige
[12] La présente demande soulève l’unique question à savoir si l’analyse de la PRI était raisonnable.
V. Norme de contrôle
[13] Il est établi que la Cour doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte lorsqu’elle évalue si la SPR a appliqué le bon critère juridique pour déterminer l’existence d’une PRI : Lugo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 170, para 30 [Lugo]; Kamburona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1052, para 17 [Kamburona]. Par contre, la norme de contrôle d’une décision de la SPR relativement à l’application du critère juridique aux faits est celle de la décision raisonnable (Lugo, para 31; Kamburona, para 18).
VI. Analyse
A. Est-ce que la décision du tribunal était raisonnable?
[14] Je suis d’accord avec le défendeur que le critère énoncé par la SPR est conforme à la jurisprudence, c’est-à-dire que le demandeur doit franchir un seuil très élevé afin de démontrer que la PRI était déraisonnable (Aznar Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1164, para 10; Guerilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 394, para 20). Ce seuil, pour ce qui est du deuxième volet du test de la PRI, a été établi dans l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 RCF 164 (CAF) au paragraphe 15 comme suit :
[15] Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d'appel, indique qu'il faille placer la barre très haute lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions. L'absence de parents à l'endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d'autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d'un emploi ou d'une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d'une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d'une personne.
[16] … Le fait d'élargir ou de rabaisser la norme d'évaluation du caractère raisonnable de la PRI dénature de façon fondamentale la définition de réfugié: on devient un réfugié sans avoir la crainte d'être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays.
[15] Le demandeur maintient que le tribunal n’a pas appliqué le bon critère juridique prescrit par la jurisprudence quant au deuxième volet de l’analyse de la PRI. Un tribunal doit tenir compte de la situation particulière d’un demandeur tels des facteurs socioéconomiques et l’âge pour déterminer s’il est raisonnable pour ce dernier de chercher refuge à l’endroit proposé. Le demandeur, au soutien de son argumentation, se base sur les propos suivants du juge Rennie dans l’affaire Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 212 au paragraphe 9:
[…] réalistement accessible, soit que le demandeur n’est pas censé s’exposer à un grand danger physique ou subir des épreuves indues lorsqu’il se rend dans un lieu de la possibilité de refuge.
[16] Dans le cas présent, le demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en omettant de considérer que M. Molina était mineur avant d’arriver au Canada ayant eu 18 ans le mois précédant son audience devant la SPR, qu’il n’a aucun soutien familial à l’endroit proposé, et n’a que des moyens financiers limités. Il est alors déraisonnable de conclure que M. Molina pourrait s’établir à Managua puisque sans moyen de survivre ou de subvenir à ses besoins il s’exposerait à un danger ou mettrait sa vie en péril.
[17] Le défendeur maintient que le demandeur a soumis très peu de preuve réelle et concrète au soutien de ses allégations concernant sa situation socioéconomique au Nicaragua, ou la capacité de son père ou de ses tantes à lui fournir un appui en résidant à Managua. D’ailleurs, la Cour trouve que peu de preuve a été produite au dossier par le demandeur au sujet des facteurs concernant les difficultés auxquelles il serait confronté en résidant à la PRI.
[18] Le manque de famille à Managua n’est pas un facteur seul à considérer lors de l’analyse du deuxième volet, à moins qu’une preuve soit déposée au dossier démontrant que ce manque de support familial mettrait la vie ou la sécurité du demandeur en danger. De toute manière, les tantes du demandeur ne résident qu’à deux heures de route de Managua. De plus, la preuve au dossier démontre que le demandeur a terminé ses études secondaires au Nicaragua. Donc, les conclusions selon lesquelles il devrait être capable de trouver un emploi, ou même de poursuivre ses études en médecine, ne sont pas de nature spéculative.
[19] J’écarte également la prétention que la Cour devrait tenir compte de la décision dans Arias Ultima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 81, de mon collège le juge Manson. Le requérant dans cette affaire était un enfant de 6 ans lorsqu’il a quitté son pays et n’avait que 15 ans au moment de sa demande devant la SPR.
[20] Bref, la décision de la SPR s’inscrit dans un éventail d’issues raisonnables et ne nécessite donc pas l’intervention de cette Cour.
VII. Conclusion
[21] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée puisque la décision de la SPR s’inscrit dans un éventail de solutions possibles.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.
« Peter Annis »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-4353-15 |
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INTITULÉ : |
CRISTHIAN ALBERTO DELGADO MOLINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 21 mars 2016
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE ANNIS
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DATE DES MOTIFS : |
LE 24 mars 2016
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COMPARUTIONS :
Gisela Barraza
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pour le demandeur
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Caroline Doyon
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Barraza & Associés Montréal (Québec)
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pour le demandeur
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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pour le défendeur
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