Date : 20160401
Dossier : IMM-2726-15
Référence : 2016 CF 368
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 1er avril 2016
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE : |
ALMUATASEM M S ALEMARI |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS :
[1] La présente est une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant la demande d’asile du demandeur après avoir jugé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement. Cette conclusion de la SPR est fondée sur la constatation que le demandeur n’était pas crédible.
[2] La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.
I. Contexte
[3] Le demandeur est un citoyen de la Libye, où il est né le 5 mai 1993. Il est arrivé au Canada le 26 décembre 2010 en tant qu’étudiant.
[4] Le 17 février 2011, le demandeur a commencé à manifester (les manifestations) contre le régime Kadhafi devant les édifices du Parlement du Canada.
[5] Le demandeur a prétendu qu’en mars 2011, il a reçu un appel de son père l’informant que les hommes de Kadhafi ont menacé de le tuer et que son frère Malik avait été enlevé par des hommes armés en Libye en raison de la participation du demandeur aux manifestations. Le demandeur a soutenu qu’il a ensuite perdu le contact avec sa famille en raison de la guerre en Libye.
[6] Le demandeur a présenté une demande d’asile le 16 août 2011, et a soumis un Formulaire de renseignements personnels (FRP) signé le 6 septembre 2011. Par la suite, le demandeur a prétendu avoir appris que son père, un médecin et universitaire bien connu, a été forcé d’opérer l’un des fils de Kadhafi. Le demandeur a également prétendu avoir appris qu’une personne qu’il connaissait a été enlevée avec d’autres personnes en mars 2015. Enfin, malgré la mort de Kadhafi, le demandeur a prétendu dans son exposé mis à jour des faits présenté le 1er mai 2015 qu’en raison de sa participation aux manifestations contre le régime Kadhafi, les groupes soutenant Kadhafi en Libye souhaiteraient lui faire du mal.
II. Décision faisant l’objet du contrôle
[7] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, relevant de nombreuses incohérences dans les éléments de preuve du demandeur et concluant que le demandeur n’était pas crédible.
A. Identité acceptée
[8] La SPR a accepté l’identité du demandeur en raison de son témoignage et des documents à l’appui, y compris son passeport libyen.
B. Crainte subjective
[9] La SPR décrit la demande d’asile du demandeur comme étant essentiellement fondée sur sa principale crainte que s’il retournait en Libye aujourd’hui, les milices des deux camps de la guerre civile pourraient l’arrêter à leurs points de contrôle et lui poser des questions sur son allégeance. Le demandeur craint que chaque camp de la guerre civile tente de le recruter, ou du moins enquête pour découvrir son identité, et découvre qu’il est issu d’une famille riche, ce qui lui ferait courir un risque d’enlèvement ou d’autres formes de persécution dans le but d’obtenir de l’argent.
[10] En se basant sur ce profil, la SPR a établi que la crainte de recrutement ou d’enlèvement contre rançon du demandeur était hypothétique pour les raisons suivantes :
A. Son frère et son père ont été en mesure de circuler en Libye et de vaquer à leurs occupations habituelles, son père continue à travailler, son frère continue à aller à l’école secondaire et ils habitent toujours à la même adresse.
B. Bien que le père et le frère du demandeur aient connu un certain nombre d’incidents à des points de contrôle, il n’a jamais été question de recrutement forcé ou d’enlèvement contre rançon, malgré les liens bien connus du père avec le régime Kadhafi et sa fortune.
C. Crédibilité
[11] La SPR a tiré une série de conclusions défavorables quant à la crédibilité en raison d’incohérences et de contradictions (1) dans le témoignage du demandeur, (2) entre le témoignage du demandeur et son FRP et (3) entre le témoignage sous serment du demandeur et le témoignage sous serment de son père. Cela a conduit la SPR à ne pas croire que le frère du demandeur a été enlevé comme le prétend le demandeur.
III. Questions en litige
[12] La présente demande soulève les questions suivantes :
1) Quelle est la norme de contrôle?
2) La SPR a-t-elle commis une erreur sur le plan de ses conclusions défavorables en matière de crédibilité?
3) La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en n’abordant pas la preuve documentaire objective concernant le profil de risque du demandeur?
IV. Analyse
A. Norme de contrôle
[13] L’évaluation des éléments de preuve et de la crédibilité effectuée par la SPR donne lieu à des questions de fait et à des questions mixtes de fait et de droit devant être assujetties à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (MDCOG c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 804, au paragraphe 9, 193 ACWS (3d) 226).
B. Conclusions relatives à la crédibilité
[14] Le demandeur soutient que les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité étaient déraisonnables, et aborde chacune de ces conclusions. Le demandeur, en se fiant sur Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 568, au paragraphe 23, 190 FTR 225 (1re inst.), soutient que la SPR a recherché avec zèle des incohérences dans les éléments de preuve du demandeur. Le défendeur quant à lui soutient que les conclusions quant à la crédibilité étaient rationnelles et qu’il était loisible à la SPR d’arriver à celles-ci.
[15] Étant conscient que la SPR est la mieux placée pour juger de la crédibilité et doit recevoir une retenue élevée à cet égard, (Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4, 160 NR 315 (CA)), je suis convaincu que la SPR avait un fondement rationnel pour établir les conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur.
[16] Le dossier révèle de réelles contradictions et incohérences substantielles entre le FRP du demandeur, son témoignage et le témoignage sous serment de son père. Par exemple :
A. Le premier jour des audiences, le demandeur ne pouvait pas répondre aux questions concernant l’enlèvement de son frère.
B. Le demandeur ne pouvait pas expliquer pourquoi son père avait affirmé dans sa déclaration avoir appris la participation du demandeur aux manifestations par l’entremise de Facebook, alors que le demandeur a affirmé que son père l’a apprise des partisans de Kadhafi qui l’ont approché en Libye et qui ont menacé de l’emprisonner ou de le tuer en raison de la participation du demandeur aux manifestations.
C. Le demandeur a témoigné que son frère Malik a été libéré le 20 août 2011, mais n’a pas mentionné cette libération dans le FRP signé le 6 septembre 2011. Il est plutôt indiqué dans le FPR qu’il n’y avait aucune nouvelle de Malik.
[17] Un fondement rationnel sous-tend les conclusions de la SPR quant à la crédibilité.
C. Évaluation du profil du demandeur par rapport à la preuve documentaire
[18] Le demandeur soutient également que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire, qui confirme qu’une personne ayant le profil du demandeur serait exposée à des persécutions et serait en danger si elle retournait en Libye.
[19] Le demandeur avance que les éléments de preuve établissent le profil de sa famille comme étant (1) riche, et (2) perçue comme ayant soutenu l’ancien régime Kadhafi en raison du rang élevé de son père dans le monde médical et universitaire de la Libye. Par ailleurs, le candidat soutient que les documents sur les conditions dans le pays démontrent un risque réel et immédiat de persécution lié au régime Kadhafi, un risque que n’a pas abordé la SPR. En se fiant sur l’arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, aux paragraphes 16 et 17, 157 FTR 35 (1re inst.) [Cepeda-Gutierrez], le demandeur soutient que la SPR devait prendre en considération ces éléments de preuve, qu’elle ne l’a pas fait, et que cette omission n’est pas remédiée par la déclaration générale de la SPR au paragraphe 31 de la décision affirmant que la SPR a [traduction] « examiner l’ensemble de la preuve ».
[20] Le demandeur affirme que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont déterminantes pour la demande d’asile, que la preuve documentaire générale est insuffisante pour surmonter une conclusion de manque de crédibilité (Ozbay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 674, au paragraphe 23 [Ozbay]), et que la SPR n’était aucunement obligée de se référer à tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés.
[21] En l’espèce, je suis convaincu par la position du défendeur. La SPR n’avait pas à se référer à tous les éléments de preuve présentés par le demandeur (Llana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1450, au paragraphe 29) et « la preuve documentaire générale, face à une version des faits qui n’est pas crue, ne suffira pas pour changer la situation » (Ozbay, au paragraphe 23).
[22] Bien que je sois d’accord avec les arguments du demandeur selon lesquels une déclaration générale d’un décideur administratif affirmant qu’il a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve contredisent carrément la conclusion d’un décideur administratif (Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 17), ce n’est pas le cas en l’espèce.
[23] La SPR a tenu compte du profil du demandeur, mais a jugé que ses craintes étaient hypothétiques en se fondant sur la preuve que son père et son frère pouvaient tous deux circuler et mener leurs occupations quotidiennes sans connaître les risques craints par le demandeur. Essentiellement, la demande d’asile du demandeur était axée sur les allégations (1) que les hommes de Kadhafi avaient enlevé son frère et (2) qu’en raison du statut du père du demandeur, le demandeur risquerait un recrutement forcé ou un enlèvement aux points de contrôle. Ayant raisonnablement conclu : (1) que l’enlèvement du frère n’a pas eu lieu en raison du manque général de crédibilité du demandeur; (2) qu’aucun poids ne sera donné à la preuve corroborante du père du demandeur; et (3) que les risques craints étaient hypothétiques en se basant sur la preuve du demandeur quant à l’expérience de son père et de son frère, il était raisonnablement loisible à la SPR de ne pas aborder d’autres éléments de preuve liés au profil de risque du candidat.
V. Conclusion
[24] Je suis d’avis que la décision se situe dans l’éventail d’issus acceptables et raisonnables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).
[25] Les parties n’ont pas relevé de questions aux fins de certification.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Patrick Gleeson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
Dossier : |
IMM-2726-15 |
|
INTITULÉ : |
ALMUATASEM M S ALEMARI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 19 janvier 2016
|
||
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GLEESON
|
||
DATE DES MOTIFS : |
Le 1er avril 2016
|
||
COMPARUTIONS :
Jason Benovoy
|
Pour le demandeur
|
Adrian Bieniasiewicz
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jason Benovoy Avocat Gatineau (Québec)
|
Pour le demandeur
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
|
Pour le défendeur
|