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Date : 20160404


Dossier : T-1671-15

Référence : 2016 CF 363

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

SAMIR HASSAN MOHAMED SALHA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Par la présente demande, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) conteste le caractère raisonnable d’une décision du Bureau de la citoyenneté par laquelle la citoyenneté canadienne a été accordée au défendeur, Samir Hassan Mohamed Salha.

[2]               La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, ce qui signifie, bien entendu, que la décision contestée doit faire l’objet d’un degré élevé de retenue (Canada [Citoyenneté et Immigration] c. Abdulghafoor, 2015 CF 1020, aux paragraphes 15 à 17, [2015] ACF No 1017, [décision Abdulghafoor]).

[3]               Dans la décision Abdulghafoor précitée, le juge Denis Gascon a fait l’excellente description suivante de l’approche à adopter dans des affaires de ce type :

[29]      Le ministre soutient que les motifs du juge de la citoyenneté sont inadéquats, car rien n’y donne à penser que ce dernier avait bien saisi la faiblesse de la preuve ou même les préoccupations de l’agent de citoyenneté. Par conséquent, les motifs ne permettent pas à celui qui fait le contrôle de comprendre le fondement de la décision. Je ne souscris pas à cette affirmation, et j’estime, au contraire, que les motifs du juge de la citoyenneté étaient adéquats.

[30]      Le droit applicable a grandement évolué depuis l’époque où l’arrêt Dunsmuir a été rendu en ce qui concerne le caractère adéquat des motifs d’une décision administrative, tant pour ce qui est du niveau de détail de l’analyse auquel devraient être assujetties les décisions reposant sur des faits, comme celle qui nous intéresse en l’espèce, que pour ce qui est du caractère suffisant des motifs en tant que raison justifiant à elle seule le contrôle. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre­Neuve­et­Labrabor (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (CanLII) [Newfoundland Nurses], la Cour suprême a donné des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier.

[31]      Le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les détails qui étayent sa conclusion. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier, pour déterminer s’ils possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité (Dunsmuir, au paragraphe 47; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [CanLII], au paragraphe 53; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65 [CanLII], au paragraphe 3). La Cour, dans la récente décision Safi, s’est penchée sur la question du caractère adéquat des motifs d’une décision d’un juge de la citoyenneté. Dans cette décision, la juge Kane a repris les principes de l’arrêt Newfoundland Nurses et a déclaré que le décideur n’est pas tenu d’expliciter chaque motif, argument ou détail dans ses motifs et qu’il n’est pas non plus tenu de tirer une conclusion expresse sur chaque élément constitutif du raisonnement qui l’a mené à sa conclusion finale. Les motifs doivent « être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Safi, au paragraphe 17).

[32]      En l’espèce, le juge de la citoyenneté satisfait à ce critère, car il a expliqué dans ses motifs la raison pour laquelle il a conclu que M. Abdulghafoor remplit la condition de résidence ainsi que la façon dont il a pris la preuve en considération.

[33]      Selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite. En matière de citoyenneté, les motifs des décisions sont souvent très brefs et ne traitent pas de toutes les contradictions que comporte la preuve. Cependant, même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur et des conclusions tirées par ce dernier relativement à la crédibilité, dans la mesure où la Cour est capable de comprendre le fondement de la décision du juge de la citoyenneté (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thomas, 2015 CF 288 [CanLII],au paragraphe 34 [Thomas]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Purvis, 2015 CF 368 [CanLII], aux paragraphes 24 et 25).

[4]               En l’espèce, le ministre soutient que le Bureau de la citoyenneté a manqué à son obligation de vérifier le statut de résident canadien de M. Salha compte tenu des lacunes dans les preuves documentaires ou d’expliquer pourquoi il avait décidé que M. Salha satisfaisait aux conditions de résidence.

[5]               Il est admis que la période de référence pour le calcul de la durée de résidence de M. Salha va du 30 juin 2007 au 26 mai 2011. Selon le critère énoncé dans la décision Pourghasemi adopté par le Bureau de la citoyenneté, M. Salha était tenu d’établir qu’il se trouvait physiquement au Canada pendant au moins 1 095 jours durant la période de référence (Pourghasemi, Re, [1993] 62 FTR 122 [C.F. 1re inst.], [1993] ACF No 232). Dans sa demande, il a déclaré 1 300 jours de présence physique et 125 jours d’absence.

[6]               La déclaration de résidence de M. Salha n’est toutefois pas corroborée par les documents qu’il a produits. Le Bureau de la citoyenneté a décrit le problème de la façon suivante :

[traduction]

Le demandeur a présenté des copies de toutes les pages de ses documents de voyage et il ne déclare pas un nombre insuffisant, mais certaines de ses déclarations ne peuvent être vérifiées. Par exemple, il déclare six absences au cours de la période pertinente, mais seulement quatre de ses dates de retour au Canada ont pu être vérifiées au moyen du rapport du SIED.

[7]               L’analyse que fait le Bureau de la citoyenneté de la preuve relative au problème ci­dessus est résumée dans les passages suivants :

[traduction]

Il est vrai que le demandeur déclare six absences au cours de la période pertinente et que seulement quatre de ses dates de retour au Canada ont pu être vérifiées au moyen du rapport du SIED. Toutefois, il est également vrai que le rapport du SIED ne contient pas de renseignements qui viennent contredire les déclarations du demandeur. J’ai également essayé d’obtenir plus de renseignements sur les voyages qui ne figurent pas sur le rapport du SIED. Malheureusement, le demandeur, comme il est très courant dans certaines communautés, fait peu usage de la carte de crédit. J’ai cependant pu trouver certaines activités sur une carte dans les jours qui ont suivi immédiatement ses deux retours non vérifiés au Canada en septembre 2007 et en mars 2009 (voir les copies conformes dans le dossier).

Vu ce qui précède, et me référant au critère de résidence proposé par le juge Muldoon dans la décision Pourghasemi, (Re) [1993] F.C.J. No. 232, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a démontré qu’il avait résidé au Canada durant le nombre de jours qu’il prétend y avoir résidé, et que, par conséquent, il a satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[8]               La justification apparente de cette décision est qu’en dépit de l’absence de documents de voyage corroborants ou d’autres éléments de preuve circonstancielle probants de la présence au Canada durant les périodes touchées par les dates de retour non vérifiées, le Bureau de la citoyenneté a accepté sans réserve la déclaration de résidence de M. Salha.

[9]               À mon avis, la décision n’est pas conforme à l’approche décrite par le juge Yves de Montigny dans la décision El Falah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 736, au paragraphe 21, [2009] ACF No 1402 :

Dans l’application de ce test, le juge ne saurait s’en remettre aux seules prétentions du demandeur. Il doit également vérifier la présence effective du demandeur au Canada durant les périodes où ce dernier déclare ne pas avoir été absent du pays. Accepter la prétention du demandeur, selon qui le juge aurait erré parce qu’il n’a pas accepté les déclarations qu’il a faites dans son questionnaire de résidence, reviendrait à dire que le juge doit accepter aveuglément les représentations qui lui sont faites quant aux jours d’absence et de présence au Canada. Ce n’est pas ma compréhension de l’approche retenue dans l’affaire Re Pourghasemi. Si l’on s’attache au calcul strict du nombre de jours pendant lesquels le demandeur doit être présent au Canada, il va de soi que le juge peut et doit s’assurer que le demandeur était bel et bien en territoire canadien pendant la période où il prétend l’avoir été. Faut­il rappeler que c’est au demandeur à qui incombe le fardeau de prouver qu’il satisfait aux conditions prévues par la loi, et notamment aux exigences de résidence : El Fihri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1106; Saqer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1392. En l’occurrence, les différentes versions fournies par le demandeur ne pouvaient qu’inciter le juge à faire preuve de prudence et à exiger des preuves de sa présence physique au Canada.

[10]           Les motifs fournis par le Bureau de la citoyenneté ne sont pas suffisants pour expliquer pourquoi il a conclu que les conditions de résidence étaient satisfaites sans que des éléments de preuve viennent corroborer les dates de certains des retours au Canada de M. Salha. Autrement dit, la conclusion du Bureau de la citoyenneté selon laquelle le rapport du SIED ne contredit pas la demande de M. Salha n’est d’aucune utilité, car les éléments de preuve confirmant la présence effective de M. Salha au Canada ne sont en rien probants. Il incombait à M. Salha de prouver sa résidence, et son incapacité de prouver les dates de retour de deux de ses six voyages aux Émirats arabes unis a créé une lacune importante dans la preuve.

[11]           La vague mention par le Bureau de la citoyenneté des opérations faites par carte de crédit pose également problème. Contrairement à ce que mentionne la décision, les relevés de carte de crédit que l’on trouve dans le dossier certifié du tribunal montrent que la famille faisait fréquemment usage de ses cartes de crédit. En l’absence d’opérations effectuées au Canada qui pourraient plausiblement être attribuées à M. Salha, indépendamment de son épouse, ces dossiers n’ont pas de poids probant en ce qui concerne la preuve de sa résidence.

[12]           J’ajouterais que les décisions sur lesquelles s’appuie M. Salha sont distinctes. Dans toutes ces décisions, les motifs fournis par le Bureau de la citoyenneté expliquent comment les éléments de preuve appuient la conclusion relative au lieu de résidence : voir Abdulghafoor, précitée, au paragraphe 32; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ibrahim, (14 mars 2016), Toronto T­1167­15 (CF) au paragraphe 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lee, 2013 CF 270 au paragraphe 48, [2013] ACF No 311; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Purvis, 2015 CF 368 aux paragraphes 37 à 39, [2015] ACF No 360; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Suleiman, 2015 CF 891 aux paragraphes 17 et 39, [2015] ACF No 932; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Goo, 2015 CF 1363 (CanLII) aux paragraphes 41 et 42. En l’espèce le Bureau de la citoyenneté n’a rien fait d’autre que de cerner le problème de la preuve et d’énoncer une simple conclusion. Cette approche ne fournit pas la justification qui était requise pour une décision raisonnable.

[13]           Il ne devait pas être difficile pour M. Salha d’apporter les preuves de ses voyages internationaux. Les dossiers des transporteurs aériens sont une source évidente de renseignements fiables sur les dates de ses voyages. D’autres documents concernant ses opérations et sa présence au Canada durant les périodes pertinentes devraient également être facilement accessibles. En fait, il est peut­être regrettable pour M. Salha que le Bureau de la citoyenneté ait décliné son offre de produire davantage de documents de meilleure qualité pour confirmer sa résidence. Parce que cette occasion a été manquée, il est malheureusement nécessaire que l’affaire soit réexaminée par un autre décideur avec la tenue d’une nouvelle audience sur le fond. Bien évidemment, M. Salha aura l’occasion, avec l’aide d’un avocat, je l’espère, de compléter les éléments de preuve qui permettront de confirmer sa présence physique au Canada.

[14]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1671-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. SAMIR HASSAN MOHAMED SALHA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE :

Le 4 avril 2016

COMPARUTIONS :

Leanne Briscoe

Pour le demandeur

Cristina Guida

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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