Dossier : IMM-4414-15
Référence : 2016 CF 360
Montréal (Québec), le 31 mars 2016
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE : |
CARLOS ANTONIO ESCOBAR MONTALVAN |
demandeur |
et |
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi] à l’égard d’une décision finale de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rejetant l’appel du demandeur, et par voie de conséquence, sa demande d’asile. En l’espèce, la SAR a confirmé le bien-fondé de la décision antérieure de la Section de protection des réfugiés [SPR], concluant que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.
[2] Le demandeur est un citoyen de Cuba. Il était choriste et chanteur pour la troupe Opera de la Calle, dont apparemment certaines chansons sont critiques à l’égard des autorités cubaines ou de son gouvernement. En juillet 2012, la licence d’exploitation du théâtre El Cabildo, où la troupe donnait la majorité de ses spectacles, a été révoquée pour deux ans par des bureaucrates. Bien que l’établissement ait été fermé pour cause d’enrichissement personnel de son propriétaire qui chargeait un droit d’entrée de $2 – ce qui est apparemment contraire à la loi ou à la politique du gouvernement cubain – la troupe a néanmoins continué ses activités dans d’autres endroits publics à Cuba et à l’étranger. Il n’empêche, en novembre 2013, alors qu’il marchait vers le théâtre et passait devant un poste de police, le demandeur aurait été intercepté par la police. Il transportait alors des costumes de théâtre dans son sac à dos et on l’a accusé de possession de marchandise douteuse.
[3] En parallèle avec ses activités de choriste et chanteur pour la troupe Opera de la Calle, le demandeur a ouvert un commerce de boulangerie, mais n’a jamais réussi à obtenir les permis nécessaires. Ayant augmenté sa production et opérant sans permis, son commerce a été inspecté et perquisitionné à plusieurs reprises. En juin 2013, le demandeur aurait été avisé par la police que ses activités étaient sous surveillance. Le demandeur raconte qu’en octobre 2013, son domicile a fait l’objet d’une fouille; vu que la police n’a rien trouvé chez lui, il a reçu une amende pour surconsommation d’électricité. Le demandeur se serait plaint au Comité pour la défense de la révolution. En mai 2014, le demandeur dit avoir été arrêté par la police pour production non autorisée d’aliments en lien avec l’opération de son commerce. Son équipement a été saisi et son commerce fermé définitivement. Le demandeur aurait été détenu pendant 72 heures.
[4] En juillet 2014, le demandeur a accompagné la troupe lors d’une tournée au Canada. En octobre 2014, trois avis de convocation de la police concernant l’incident de mai 2014 ont été remis à la sœur du demandeur. Le 3 novembre 2014, le demandeur a demandé l’asile au Canada, disant craindre d’être arrêté à son retour par les autorités de son pays parce qu’il y est perçu comme un « contre-révolutionnaire ».
[5] La SPR et la SAR n’ont pas retenu les éléments fondamentaux du récit du demandeur qui n’a pas été jugé crédible, tandis que la preuve au dossier ne démontre pas que le demandeur a subi de préjudice grave à ses droits fondamentaux. La preuve que le commerce du demandeur avait été fermé en mai 2014 et qu’il avait été convoqué en octobre 2014 n’était pas convaincante de l’avis de la SAR. Bien que la preuve documentaire démontre que l’expression publique est restreinte à Cuba, les difficultés du demandeur avec les autorités cubaines concernant l’opération de son commerce n’étaient pas reliées avec un motif de persécution énuméré à la Convention, mais plutôt au fait qu’il opérait celui-ci sans permis valide.
[6] La norme de contrôle applicable à la révision de l'application par la SAR du droit aux faits de l'espèce et la décision de celle-ci concernant les conclusions de la SPR sur la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 53‑54; Ching c Canada (MCI), 2015 CF 725 au para 45). Il s’agit donc de se demander si la conclusion de la SAR à l’effet que le témoignage du demandeur n’est pas crédible et que l’ensemble de la preuve ne démontre pas que le demandeur a été victime de persécution sur la base de son opinion politique, tel qu’allégué, constitue l’une des issues acceptables en regard de la preuve au dossier et du droit applicable.
[7] En substance, on peut résumer les reproches que le demandeur fait aujourd’hui à l’endroit de la raisonnabilité de la décision contestée au fait que la SAR n’a pas véritablement exercé son rôle de tribunal spécialisé d’appel et qu’elle a arbitrairement rejeté ses motifs d’appel. Le demandeur réitère que la SPR a fait une analyse erronée de la preuve au dossier et s’est trompée en déterminant qu’il n’était pas crédible en ce qui concerne l’arrestation alléguée de novembre 2013. La SAR aurait dû également analyser la qualité des preuves documentaires au dossier et conclure que les incidents concernant le commerce de boulangerie relatés par le demandeur sont reliés à la plainte déposée par le demandeur contre des agents du gouvernement. La SAR a donc erré en n’associant pas les avis de convocation à l’expression de l’opinion politique du demandeur. De plus, du point de vue des risques de retour à Cuba, la SAR n’a pas considéré le fait que le demandeur risque de faire face à une peine disproportionnée à l’infraction commise.
[8] Le demandeur ne m’a pas convaincu que la SAR a rendu une décision déraisonnable en confirmant la décision de la SPR et en rejetant son appel. Je suis d’accord avec le défendeur que la SAR n’a commis aucune erreur révisable de fait ou de droit. La SAR s’est référée à l’état de la jurisprudence de la Cour concernant la portée de l’appel et a retenu que « [l]a SAR considérera dans son analyse l’ensemble de la preuve, incluant le témoignage [du demandeur], et fera sa propre analyse tout en accordant de la déférence à la SPR en ce qui concerne les questions de crédibilité ». Cette approche est raisonnable (Alyafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952 aux para 16, 32 et 51. D’autre part, une simple lecture des motifs de rejet de l’appel confirme que la SAR a effectivement considéré tous les éléments-clés de la preuve au dossier, tandis que les arguments du demandeur à l’effet que la SAR n’a pas considéré la preuve au dossier sont sans fondement. Les motifs de rejet de l’appel sont non seulement intelligibles et transparents, mais ils ont un fondement logique et rationnel.
[9] Après avoir pris connaissance du dossier, notamment de l’enregistrement de l’audience devant la SPR, la SAR est parvenue à la conclusion que la SPR « a rendu la bonne décision », ce qui peut raisonnablement se justifier en regard des problèmes de crédibilité de son récit. En particulier, la SPR n’a pas cru que le demandeur a été arrêté par la police en novembre 2013. Or, cette arrestation constitue un élément central de la crainte de persécution du demandeur, qui relie celle-ci à un motif d’ordre politique. Pourtant, l’arrestation n’est pas alléguée dans le Fondement de demande d’asile [FDA] et dans le FDA amendé. La SAR en appel n’a pas accepté les explications du demandeur quant à cette omission fondamentale. Par ailleurs, le demandeur a indiqué dans un autre formulaire n’avoir jamais été détenu. Considérant que les avis de convocation n’indiquent pas la raison pour laquelle le demandeur a été convoqué au poste de police, et vu ces problèmes de crédibilité, la SAR pouvait ne leur accorder aucune valeur probante. Qui plus est, au niveau de la vraisemblance, sur le plan objectif, des allégations de crainte de persécution et de risque de retour, la SAR note également que, suite à la fermeture du théâtre, la troupe à laquelle le demandeur appartenait a continué ses activités avec l’aval du gouvernement cubain, qui a d’ailleurs permis aux membres de la troupe de quitter le pays. Si le demandeur avait bel et bien été perçu comme un contre-révolutionnaire, la preuve documentaire démontre qu’il n’aurait pas pu quitter Cuba. La SAR pouvait également conclure que les amendes pour surconsommation d’électricité et les difficultés que le demandeur a pu avoir avec les autorités n’étaient pas en lien avec ses opinions politiques ou ses opinions politiques imputées.
[10] Pour conclure, même si un autre panel de la SPR ou de la SAR aurait pu interpréter différemment la preuve au dossier et accueillir la demande d’asile, il ne s’agit pas du test applicable en matière de contrôle judiciaire. En effet, cette Cour ne siège pas en appel et ne doit pas elle-même réévaluer l’ensemble de la preuve. Il suffit que le raisonnement et les conclusions du décideur soient intelligibles et transparentes, et que la conclusion de rejet s’appuie sur la preuve au dossier et tienne compte du droit applicable, ce qui est le cas en l’espèce.
[11] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les procureurs conviennent qu’aucune question grave de portée générale ne se soulève dans le présent dossier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Luc Martineau »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-4414-15
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INTITULÉ : |
CARLOS ANTONIO ESCOBAR MONTALVAN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 11 mars 2016
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JUGEMENT ET motifs : |
LE JUGE MARTINEAU
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DATE DES MOTIFS : |
LE 31 mars 2016
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COMPARUTIONS :
Me Serban Mihai Tismanariu Mlle Cristina Rogov
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Pour le demandeur |
Me Pavol Janura
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Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Serban Mihai Tismanariu, LL.L., LL.M. Avocat Montréal (Québec)
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Pour le demandeur |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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Pour le défendeur |