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Date : 20160329


Dossier : IMM-3528-15

Référence : 2016 CF 352

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 mars 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

PAKEERNATHAN THAMOTHARAMPILLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision défavorable rendue relativement à l’examen de risques avant renvoi (ERAR) mené par un agent d’immigration supérieur (l’agent d’ERAR) aux termes de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka qui a une longue histoire d’immigration. En 1991, il est arrivé au Canada, avec sa famille, en tant que résident permanent. En 1996, il a été reconnu coupable de possession d’un stupéfiant en vue d’en faire le trafic et a perdu son statut de résident permanent. Après avoir purgé sa peine, il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité. En novembre 2003, sa demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée. Le 12 janvier 2004, le demandeur a présenté sa première demande d’ERAR, qui a été rejetée, et le 27 mai 2005, sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée. Il a été expulsé en 2004.

[3]               Le demandeur prétend qu’à son retour au Sri Lanka, il a été arrêté, menacé et accusé d’appartenir aux Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (TLET). À la libération, il a eu peur d’utiliser sa véritable identité en raison de l’association du nord du Sri Lanka avec les dirigeants des TLET. Il a donné une fausse identité pour pouvoir retourner dans sa maison familiale située dans le nord du pays. Craignant d’y être découvert, il est retourné à Colombo et, au moment de franchir un point de contrôle des TLET, il a été accusé d’être recherché par les TLET. Les agents ont cherché son nom dans leur liste, mais étant donné qu’il voyageait sous une fausse identité, son nom ne figurait pas sur la liste.

[4]               Une fois à Colombo, il a décidé de quitter une nouvelle fois le Sri Lanka. En 2006, il a demandé l’asile en France et a été expulsé vers le Sri Lanka. Peu après, le demandeur a encore une fois quitté le Sri Lanka et est entré au Canada en utilisant un faux passeport le 28 juin 2006. Il a été déclaré interdit de territoire au Canada étant donné qu’il ne possédait pas de passeport valide, compte tenu de sa condamnation pénale antérieure et parce qu’il n’avait pas reçu l’autorisation de revenir après son expulsion antérieure. De plus, étant donné que sa demande avait été jugée irrecevable pour des motifs de grande criminalité, conformément à l’alinéa 101(1)f) de la LIPR, il n’était pas admissible à ce que la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié tranche une demande d’asile.

[5]               Tandis qu’il était détenu par l’Immigration pour entrée illégale, le demandeur a présenté une deuxième demande d’ERAR. La demande a été accueillie par un agent d’ERAR le 15 mars 2007, mais a été rejetée après avoir été examinée par le ministre le 14 juillet 2010. La Cour fédérale a accueilli une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision et a ordonné que la demande d’ERAR soit réexaminée. Le 6 août 2012, le réexamen de la deuxième demande d’ERAR du demandeur a également abouti à une décision défavorable (ERAR de 2012). La demande de contrôle judiciaire du demandeur a été rejetée le 21 août 2013.

[6]               Le 26 mars 2014, le demandeur a déposé une troisième demande d’ERAR qui s’est une fois de plus soldée par une décision défavorable. La présente demande de contrôle judiciaire fait suite à cette décision défavorable.

Décision faisant l’objet du contrôle

[7]               L’agent d’ERAR a examiné l’historique d’immigration du demandeur et cite de longs passages de sa déclaration solennelle datée du 26 mars 2014, y compris l’affirmation du demandeur selon laquelle, même si la guerre au Sri Lanka avait pris fin, la situation s’aggravait à bien des égards, et s’il devait y retourner, il serait victime de discrimination et de harcèlement en raison de son appartenance ethnique et serait ciblé parce qu’il a de la famille à l’étranger.

[8]               L’agent d’ERAR a souligné qu’étant donné que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’article 36 de la LIPR, l’examen de sa demande de protection avait été, conformément à l’alinéa 112(3)b) de la LIPR, restreint aux motifs énoncés à l’article 97 de la LIPR. L’agent d’ERAR a également cité des passages du Guide des personnes protégées de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qui stipule que la règle concernant les nouveaux éléments de preuve énoncée à l’alinéa 113a) de la LIPR ne s’applique pas aux demandes d’ERAR réitérées. Cependant, le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée pourrait s’appliquer pour limiter une demande d’ERAR subséquente si la même question a été tranchée dans un ERAR antérieur. Le Guide des personnes protégées stipulait qu’un ERAR subséquent pourrait être restreint à un réexamen des éléments de preuve à la lumière des changements intervenus depuis que la décision d’ERAR précédente a été rendue. S’appuyant sur ce guide, l’agent d’ERAR a déclaré qu’étant donné que la demande du demandeur n’était pas instruite par la SPR, la règle concernant les nouveaux éléments de preuve n’était pas applicable. Il a par conséquent décidé [traduction] « d’examiner les éléments de preuve soumis selon le principe de l’irrecevabilité reconnu en droit administratif ».

[9]               L’agent d’ERAR a déclaré qu’en plus de la preuve documentaire présentée par le demandeur, il avait pris en considération ses propres recherches sur les conditions dans le pays, qui figuraient dans la décision sous la rubrique des sources consultées, les « notes au dossier » de l’ERAR précédent en date du 3 août 2012, qui ont été citées en partie et qui décrivent les arguments du demandeur à ce moment-là, ainsi que les observations de l’avocat de l’ERAR précédent en date du 10 juin 2011. L’agent d’ERAR a jugé que le demandeur avait présenté essentiellement les mêmes risques que dans sa précédente demande d’ERAR. Les renseignements contenus dans la déclaration solennelle ainsi que la documentation soumise relativement aux risques déclarés lors de son retour en 2004 avaient déjà été présentés et examinés dans sa précédente demande de protection et avaient déjà fait l’objet d’une décision. L’agent d’ERAR a conclu que le réexamen des éléments de preuve du demandeur n’avait pas révélé de changements ou de nouveaux risques depuis la décision initiale et que, par conséquent, [TRADUCTION] « la preuve ne satisfait pas aux exigences du principe de l’irrecevabilité reconnu en droit administratif ».

[10]           L’agent d’ERAR a également mentionné la lettre de l’avocat du demandeur datée du 20 janvier 2015, dans laquelle l’avocat indique son intention de modifier les observations du demandeur pour inclure les faits récemment survenus au Sri Lanka à la suite d’élections subitement déclenchées. Toutefois, au moment où l’agent d’ERAR a rendu sa décision, à savoir le 15 avril 2015, les nouvelles observations n’avaient pas été reçues. Néanmoins, l’agent d’ERAR avait mené ses propres recherches sur les conditions dans le pays en s’appuyant sur le rapport du Département d’État américain sur les pratiques en matière des droits de la personne au Sri Lanka en 2013 (rapport des États-Unis sur le Sri Lanka en 2013) et trois articles publiés sur Internet (datés de janvier et mars 2015) à propos du nouveau président du Sri Lanka.

[11]           L’agent d’ERAR a conclu que les preuves documentaires qu’il a consultées prouvaient qu’il y avait des violations des droits de la personne, de la corruption, de la criminalité et de la discrimination à l’égard de minorités, y compris les Tamouls. Cependant, il a constaté que la situation au Sri Lanka était similaire à celle qui régnait avant que la décision soit rendue relativement à la demande d’ERAR soumise par le demandeur en 2012. De plus, bien que des changements soient survenus récemment, à savoir la formation d’un nouveau gouvernement, les preuves objectives n’étaient pas suffisantes pour démontrer que ces changements entraîneraient vraisemblablement un risque visé à l’article 97 pour le demandeur s’il devait retourner au Sri Lanka. L’agent d’ERAR a estimé que, depuis la première décision d’ERAR, il n’y avait pas eu de changements significatifs constituant des facteurs de risque après le refus de la dernière demande d’ERAR.

[12]           Bien que l’agent d’ERAR ait rendu sa décision le 15 avril 2015, elle n’a pas été communiquée au demandeur. Le 21 avril 2015, l’avocat du demandeur a fourni trois dossiers d’éléments de preuve documentaire totalisant 589 pages. Le 5 mai 2015, l’avocat du demandeur a informé par écrit d’un retard dans la soumission d’autres éléments et le 2 juin 2015, un nouveau dossier de preuve documentaire comprenant 444 pages a été soumis. L’avocat du demandeur a également indiqué que d’autres éléments seraient soumis d’ici la fin de cette semaine.

[13]           Le 29 juin 2015, l’agent d’ERAR a communiqué sa décision prise en date du 15 avril 2015 ainsi qu’un addenda daté du 29 juin 2015. Dans l’addenda, il a déclaré avoir examiné et évalué les documents figurant dans les soumissions susmentionnées en vue de déterminer s’ils fournissaient des preuves de risque. Cependant, il a conclu que la preuve documentaire renfermait des renseignements sur la situation générale au Sri Lanka. En outre, il a constaté que la majorité des documents étaient antérieurs à la demande d’ERAR de 2012 et que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas pu être présentés dans le cadre du précédent ERAR.

[14]           L’agent d’ERAR a également constaté que d’après le plus récent des documents fournis, des changements politiques ont récemment eu lieu au Sri Lanka, y compris une élection, et que les enquêtes sur les allégations de violations des droits de la personne pendant les 30 années de conflit faisaient l’objet d’un débat permanent. Il a trouvé quatre articles traitant des questions soulevées par les documents que l’avocat du demandeur avait transmis le 2 juin 2015. En se fondant sur la preuve documentaire, l’agent d’ERAR a admis que plusieurs problèmes n’étaient toujours pas résolus au Sri Lanka. En fin de compte, cependant, l’agent d’ERAR a conclu que la preuve démontrait que la situation au Sri Lanka était semblable à celle qui régnait avant sa décision du 15 avril 2015 et qu’il n’avait pas reçu suffisamment de preuves objectives pour établir que les changements récents, notamment les élections de janvier 2015, entraîneraient vraisemblablement un risque pour le demandeur s’il devait retourner au Sri Lanka. En outre, il a conclu qu’il n’y avait pas eu de changements significatifs constituant des facteurs de risque après sa décision initiale en matière d’ERAR.

Questions en litige

[15]           Le demandeur soutient que trois questions se posent :

1)      L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur de droit à l’égard de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

2)      La décision de l’agent d’ERAR était-elle raisonnable à la lumière des éléments de preuve?

3)      Est-ce que l’agent n’a pas respecté les principes de justice fondamentale et d’équité procédurale?

[16]           Cependant, à mon avis, il se pose uniquement la question de savoir si la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable.

Norme de contrôle

[17]           Le demandeur soutient avoir relevé des erreurs de droit, de fait et des erreurs mixtes de droit et de fait. Dans les cas d’immigration, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable en ce qui concerne les questions de fait ou les questions mixtes de droit et de fait et celle de la décision correcte pour les questions de droit. Le défendeur soutient que la norme de contrôle d’une décision en matière d’ERAR, prise dans son ensemble, est raisonnable et qu’un degré élevé de retenue s’impose à l’égard des constatations de fait et à l’évaluation de la preuve effectuées par l’agent.

[18]           À mon avis, la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent d’ERAR est celle de la décision raisonnable (Belaroui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 863, aux paragraphes 9 et 10; Kandel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 659, au paragraphe 17, Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, au paragraphe 11).

La décision était-elle raisonnable?

[19]           Le demandeur fait valoir que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas et que, même si c’était le cas, l’agent d’ERAR a commis une erreur en l’appliquant aux faits de la présente affaire.

[20]           Le demandeur fournit les raisons suivantes à l’appui de cette conclusion : la preuve dans le présent ERAR diffère de celle présentée dans l’ERAR précédent et démontre que les conditions au Sri Lanka pour les Tamouls ont considérablement empiré; l’agent d’ERAR a commis une erreur en exigeant que le demandeur présente de nouveaux risques au lieu de nouveaux éléments de preuve (Elezi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240, aux paragraphes 38 et 39; Christopher c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 964; Djordevic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 13, aux paragraphes 17 à 21); il n’est pas interdit de déposer plusieurs demandes d’ERAR et l’agent d’ERAR est un agent administratif dont la décision n’est pas définitive; et, le demandeur n’a pas présenté sa demande actuelle d’ERAR en vue du réexamen du précédent ERAR contrairement à ce que sous-entend l’agent, car bien qu’il se soit fondé sur des preuves et des observations antérieures, il a présenté de nouveaux éléments plus récents.

[21]           Le demandeur ne cite aucune source pour appuyer son opinion selon laquelle la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas à une demande d’ERAR réitérée. Toutefois, le demandeur invoque la décision de la Cour suprême du Canada dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 (au paragraphe 23), qui stipule que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est un volet du principe de l’autorité de la chose jugée. Dans cette affaire, la Cour suprême déclare également que pour que la préclusion puisse être accueillie, trois conditions préalables doivent être réunies : la question doit être la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure; la décision judiciaire antérieure doit avoir été une décision finale; et, les parties doivent être les mêmes (voir aussi Casseus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 472, au paragraphe 22).

[22]           Le défendeur n’a fait aucune observation concernant l’application, par l’agent d’ERAR, du principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, mais soutient que l’agent d’ERAR a examiné tous les éléments de preuve et que la décision était raisonnable.

[23]           En l’espèce, l’agent d’ERAR a invoqué et a cité des passages du Guide des personnes protégées de CIC, qui stipule que l’alinéa 113a) de la LIPR ne s’applique pas aux demandes d’ERAR réitérées, mais que le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut être appliqué, précisément :

Même si la règle concernant les nouveaux éléments de preuve énoncée au L113a) ne s’applique pas aux demandes d’ERAR réitérées, le principe de droit administratif appelé « principe de l’irrecevabilité » ou « estoppel » s’applique aux demandes d’ERAR subséquentes et relève d’une obligation juridique créée par les arrêts de la Cour fédérale et de la Cour suprême du Canada. Le « principe de l’irrecevabilité » ou « estoppel » est une forme de res judicata, ou « chose jugée » : une règle en vertu de laquelle un jugement définitif prononcé par un tribunal est exécutoire par les parties à tout contentieux subséquent portant sur la même cause d’action. Si la même question a été tranchée dans une décision définitive à l’issue d’un précédent ERAR, l’agent peut restreindre les ERAR suivants à un réexamen des éléments de preuve à la lumière des changements intervenus depuis que la décision initiale a été rendue. Cependant, l’agent a le pouvoir de ne pas appliquer le principe de l’irrecevabilité dans certaines circonstances appropriées, mais limitées, s’il estime que cela serait servirait la justice. Par exemple, l’agent peut considérer les raisons pour lesquelles, avec la diligence requise, les éléments de preuve accessibles au moment de la demande d’ERAR précédente n’auraient pas pu être présentés à ce moment. L’agent doit indiquer si le principe de l’irrecevabilité est appliqué à l’ERAR subséquent (ou quels éléments sont soumis à ce principe) et en fournir les raisons.

[24]           Cependant, les récentes décisions de la Cour ont confirmé que l’alinéa 113a) est applicable aux éléments de preuve présentés dans une demande d’ERAR réitérée. Dans Aboud c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1019 [Aboud], non citée par les parties, la demande d’asile du demandeur avait été rejetée par la SPR, son premier ERAR avait également été rejeté, tout comme la demande de nouvel examen du second ERAR. L’agent d’ERAR qui avait évalué le second ERAR avait rejeté la plupart des éléments de preuve, les jugeant irrecevables, au motif qu’ils n’avaient pas été présentés par le demandeur à l’audience devant la SPR ou avant le premier ERAR, comme l’exigeaient l’alinéa 113a) de la LIPR et le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[25]           Le juge Roy a fait remarquer qu’il était bien établi qu’une demande d’ERAR ne constituait pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile (Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 12 [Raza]; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 201, au paragraphe 15; Escalona Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, au paragraphe 5) et que, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale au paragraphe 13 de Raza, « l’agent d’ERAR doit prendre acte » de la décision défavorable rendue relativement à une demande d’asile en l’absence de nouveaux éléments de preuve admissibles qui auraient pu avoir une incidence sur l’issue de cette demande. Le juge Roy a également souligné que l’alinéa 113a) de la LIPR décrivait les éléments de preuve qu’un demandeur peut produire. Il s’agit essentiellement d’éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles ou qui n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet de sa demande d’asile ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentés lors de l’audition de cette demande.

[26]           Ayant conclu que l’agent d’ERAR n’avait pas commis d’erreur en rejetant les éléments de preuve survenus avant la décision de la SPR en vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR, le juge Roy a ensuite abordé la question de la recevabilité des éléments de preuve relativement à un deuxième ERAR ou à un ERAR subséquent :

31        Il reste à déterminer si des éléments de preuve produits par le demandeur qui n’étaient pas disponibles ou normalement accessibles lors de l’audience de la SPR, mais qu’ils l’étaient lors de la première demande d’ERAR, sont admissibles. J’estime que la décision de rejeter ces éléments de preuve était raisonnable. Dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 75, [2010] 3 RCF 347, au paragraphe 41, la Cour d’appel fédérale a dit clairement que « la demande de protection visée à l’article 112 est une demande d’asile ». Un ERAR antérieur est visé à l’alinéa 113a), car il s’agit d’une demande d’asile et que « le demandeur d’asile [a été] débouté ». En fait, la Cour a appliqué l’alinéa 113a) de manière à limiter l’admissibilité des éléments de preuve produits dans le cadre des demandes d’ERAR subséquentes : Narany c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 155, au paragraphe 7; Moumaev c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 720, au paragraphe 27.

[27]           Je ne vois aucune raison pour laquelle ce raisonnement ne s’appliquerait pas aussi dans la situation où il n’y a pas de décision par la SPR, mais où la décision faisant l’objet de l’examen est le troisième ERAR. En outre, bien que l’agent d’ERAR se soit fondé sur le Guide des personnes protégées de CIC, la Cour a toujours soutenu que les politiques, les guides opérationnels et les lignes directrices peuvent offrir des conseils au décideur, mais qu’ils ne doivent pas être considérés comme un précédent contraignant ou une liste de vérification; le décideur doit d’abord tenir compte de tous les faits et de toutes les circonstances dont il est saisi (Smith c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 929, aux paragraphes 42 à 46; Lemus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, au paragraphe 12).

[28]           Indépendamment de l’applicabilité ou non de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, à mon avis, l’agent d’ERAR a confondu le concept de préclusion découlant d’une question déjà tranchée et la recevabilité de la preuve.

[29]           En ce qui concerne la décision du 15 avril 2015, la seule preuve documentaire présentée à l’agent d’ERAR était la déclaration solennelle faite par le demandeur le 26 mars 2014, ainsi que divers autres documents. Toutefois, aucun renseignement n’avait été fourni sur la situation dans le pays. La feuille d’accompagnement transmise par télécopieur par son avocat stipulait que le demandeur se fondait sur l’ensemble des preuves et observations antérieures dans ses demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et sur la nouvelle demande d’ERAR et que les renseignements mis à jour suivraient. Ainsi, l’agent d’ERAR a comparé le contenu de la déclaration solennelle avec notes versées dans le dossier du précédent ERAR et les observations de l’avocat et a conclu que les risques avancés étaient les mêmes que ceux qui avaient tranchés dans l’ERAR précédent. L’agent d’ERAR stipule que le réexamen des éléments de preuve du demandeur n’avait pas révélé de changements ou de nouveaux risques depuis la décision initiale et, par conséquent, que [traduction] « la preuve ne satisfait pas aux exigences du principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée ». Je tiens à souligner, cependant, que le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique à la question de savoir si les mêmes risques ont déjà été pris en considération et ont fait l’objet d’une décision, et pas à la recevabilité des nouveaux éléments de preuve.

[30]           Le Guide des personnes protégées de CIC semble exiger un réexamen des éléments de preuve à la lumière des changements intervenus depuis la décision initiale. Dans cette situation, cependant, le demandeur n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve sur les conditions dans le pays avant que la décision soit rédigée. Ainsi, l’agent d’ERAR n’a pu établir de parallèle qu’entre les risques invoqués par le demandeur relativement à la situation dans le pays telle qu’elle était décrite dans la demande d’ERAR de 2012 et les recherches indépendantes qu’il a lui-même effectuées, à savoir le rapport des États-Unis sur le Sri Lanka en 2013. Par conséquent, s’il est possible qu’il ait mal exposé la façon dont la preuve qui lui avait été présentée devait être évaluée, la manière dont il a appliqué la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans la décision du 15 avril 2015, le cas échéant, n’était pas illégitime et, en tout état de cause, sa conclusion était raisonnable.

[31]           L’agent d’ERAR a également pris en considération ses propres recherches sur les conditions dans le pays en ce qui concerne les répercussions des récentes élections au Sri Lanka. Comme il est dit plus haut, sur la base de cet examen, il a conclu que la preuve n’avait pas démontré que le demandeur serait en danger, conformément à l’article 97, s’il devait retourner au Sri Lanka. Encore une fois, je ne constate aucune erreur dans cette conclusion.

[32]           Toutefois, à la suite de la préparation de la décision du 15 avril 2015, mais avant qu’elle ne soit communiquée, le demandeur a présenté un important volume d’éléments de preuve sur les conditions dans le pays.

[33]           Ces observations ont été reconnues par l’agent d’ERAR dans l’addenda dans lequel il a déclaré qu’il avait examiné et évalué les documents pour déterminer s’ils fournissaient des preuves de risque. Il a constaté que la majorité des documents abordaient les conditions générales du pays et qu’ils étaient antérieurs à l’ERAR de 2012 et qu’aucune explication n’avait été fournie pour indiquer pourquoi ces documents n’avaient pas été soumis avant. Il est possible qu’en ayant fait ce commentaire, l’agent d’ERAR ait envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. À titre d’exemple, le Guide des personnes protégées de CIC relève les cas où le demandeur a expliqué pourquoi, avec une diligence raisonnable, la preuve qui était disponible n’avait pas pu être présentée. Cependant, il est impossible de savoir avec exactitude ce que l’agent d’ERAR envisageait. Il est également possible que l’agent d’ERAR ait examiné la recevabilité de ces nouveaux documents selon le même principe de disponibilité que dans le cadre d’une analyse fondée sur l’alinéa 113a) de la LIPR.

[34]           À cet égard, le fait que le dossier certifié du tribunal ne contient pas les documents soumis sur les conditions dans le pays a son importance. Il peut s’agir d’une omission ou cela peut signifier que l’agent d’ERAR a estimé que les documents n’étaient pas recevables. Il n’y a eu aucune explication. Le dossier du demandeur contient des listes des conditions dans le pays mises à jour qui ont, probablement, été soumises. Les 26 documents énumérés dans le dossier 13 de 15 soumis le 21 avril 2015 portent la date de 2014, et sont, par conséquent, tous postérieurs à l’ERAR de 2012. De même, les 51 documents énumérés dans le dossier 14 de 15 datent de 2014. Le dossier 15 comprend 64 documents, tous datés de 2014 ou 2015. La soumission du 2 juin 2015 énumère 52 documents et, bien qu’un grand nombre de ces documents soient relativement anciens, huit d’entre eux sont datés de 2014 ou 2015. Sur ces huit documents contenus dans la soumission du 2 juin 2015, quatre sont mentionnés par l’agent d’ERAR dans l’addenda. L’agent d’ERAR a décrit ces quatre documents comme étant [traduction] « les plus récents des documents fournis », a déclaré que d’après eux, le Sri Lanka avait connu un changement politique récent, et a cité l’un d’entre eux.

[35]           Le problème est que, tandis que l’agent d’ERAR indique que la majorité des soumissions sont antérieures à l’ERAR de 2012, comme on l’a vu plus haut, cela ne semble pas être exact. Cette constatation est soutenue par le fait qu’en plus des listes de documents, des parties des 1 000 pages de documents soumis sont également contenues dans le dossier du demandeur et sont effectivement postérieures à l’ERAR de 2012.

[36]           Dans la décision de l’agent d’ERAR, il n’y a aucune référence aux nombreux documents postérieurs à l’ERAR de 2012 ni aucune analyse de ces documents pour expliquer en quoi ils n’établissent pas de risque nouveau ou accru et pourquoi l’agent d’ERAR n’y a accordé aucun poids. L’agent d’ERAR n’a pas non plus comparé le contenu de ces documents avec celui des documents présentés à l’appui de l’ERAR de 2012 pour déterminer si les risques décrits dans les nouvelles preuves avaient été suffisamment abordés en 2012. Autrement dit, même s’il tentait de limiter l’ERAR en se fondant sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il n’a pas réexaminé les éléments de preuve antérieurs comparativement aux autres éléments soumis par le demandeur pour déterminer si de nouveaux risques ou des changements étaient survenus depuis la décision rendue dans l’ERAR de 2012. Le seul aspect du risque qui a été examiné a été la répercussion des élections de 2015. En effet, compte tenu des motifs évoqués, il est possible que l’agent d’ERAR n’ait évalué le risque que sur la période allant du 15 avril 2015 (décision) au 29 juin 2015 (addenda).

[37]           Pour ces motifs, la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle la situation du pays n’a pas changé depuis 2012 n’est pas raisonnable. La Cour est incapable de déterminer si l’agent d’ERAR était conscient de la teneur des autres documents au moment d’évaluer le risque pour le demandeur, et sans un dossier certifié du tribunal complet, elle ne peut pas évaluer le caractère raisonnable de la conclusion. En d’autres termes, la décision de l’agent d’ERAR n’est pas justifiable, transparente, intelligible et défendable au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[38]           Pour ces motifs, la demande est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent d’ERAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

2.      Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée;

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3528-15

 

INTITULÉ :

PAKEERNATHAN THAMOTHARAMPILLAI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

Pour le demandeur

 

Asha Gafar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats-procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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