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Date : 20160322


Dossiers : IMM-1312-15

IMM-2073-15

Référence : 2016 CF 242

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie­Britannique), le 22 mars 2016

En présence de monsieur le juge Bell

IMM-1312-15

ENTRE :

FARAG FADEL HEGI et

RAZAN FARAG FADEL HEGI et

RAWAN FARAG FADEL HEGI

représentés par leur tuteur à l’instance

FARAG FADEL HEGI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

IMM-2073-15

ENTRE :

JOMANA TAWFIQ HELAL KHALIL et

OMAR FARAG HEGI représenté par 

sa tutrice à l’instance

JOMANA TAWFIQ HELAL KHALIL

demandeurs



et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

LE JUGE BELL

I.                   Contexte :

[1]               Ces deux demandes de contrôle judiciaire ont été entendues ensemble le 8 décembre 2015. Ces contrôles correspondent à deux décisions prises par des commissaires différents de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans une décision datée du 23 février 2015, la SPR a rejeté les demandes de M. Farag Fadel Hegi (M. Hegi) et ses deux filles mineures pour obtenir le statut de réfugiés ou de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Dans des décisions subséquentes et séparées, datées du 3 mars 2015, la SPR a rejeté des demandes similaires soumises par la conjointe de M. Hegi, Jomana Tawfiq Helal Khalil (Mme Khalil) et leur garçon. C’est pour ces deux décisions que les demandeurs respectifs ont déposé une demande de contrôle judiciaire.

[2]               Je vais commencer en donnant une brève description de l’histoire plutôt complexe du statut de la famille dans les Émirats arabes unis (EAU).

A.                M. Hegi

[3]               M. Hegi a indiqué dans ses documents de point d’entrée (PDE) qu’il est né aux Émirats arabes unis de parents palestiniens apatrides qui détenaient des documents de voyage égyptiens. Sa famille a été en mesure de demeurer aux Émirats arabes unis aussi longtemps que son père avait un visa de travail valide. Les parents de M. Hegi ont fini par être déportés à Gaza (leur lieu de résidence habituel précédent) après que M. Hegi n’ait plus été en mesure de poursuivre son emploi. Cependant, M. Hegi a pu obtenir un visa de travail et demeurer aux Émirats arabes unis. Son visa lui a permis de demeurer aux Émirats arabes unis avec son enfant de 18 ans tant et aussi longtemps qu’il travaillait.

[4]               En 2002, M. Hegi a perdu son emploi à temps plein aux Émirats arabes unis. Entre 2002 et 2012, il a accepté du travail peu rémunéré (ou non rémunéré) afin de conserver son statut. À la fin de son dernier travail en 2012, M. Hegi a déposé une demande pour obtenir un prolongement de son visa pour des motifs d’ordre humanitaire, ce qu’il a obtenu deux fois. Des fonctionnaires l’ont apparemment informé qu’on ne lui accorderait pas un troisième prolongement s’il ne présentait pas une preuve d’emploi. Si son visa expirait, il perdait son statut et pouvait être incarcéré ou expulsé des Émirats arabes unis. Le 19 mai 2014, M. Hegi s’est déplacé des Émirats arabes unis vers les États­Unis. Ses filles et son épouse, Mme Khalil, l’ont rejoint ultérieurement aux États­Unis. Bien que les filles soient demeurées avec leur père, Mme Khalil est retournée aux Émirats arabes unis pour être avec leur fils jusqu’à ce que ce dernier puisse obtenir des documents de voyage. Le 9 octobre 2014, M. Hegi est venu au Canada avec ses filles, puis a déposé des demandes de protection pour lui et ses filles.

B.                 Mme Khalil

[5]               Selon les documents de point d’entrée de M. Hegi (adoptés en référence dans la documentation de Mme Khalil), le statut de Mme Khalil peut être retracé jusqu’à son grand­père, qui s’est également rendu aux Émirats arabes unis pour travailler. Son grand­père a travaillé pour un membre du gouvernement de l’un des émirats avant la création des Émirats arabes unis. Il (le grand­père de Mme Khalil) a apparemment obtenu sa citoyenneté en compensation pour ses services. Même si le défendeur conteste les droits précis qu’elle a obtenus en vertu de sa « citoyenneté » dans les Émirats arabes unis, il ne remet pas en question le fait que des droits lui ont été transmis par son grand­père et ses parents et qu’elle ne peut pas les transmettre à son tour à son conjoint et à ses enfants.

[6]               En raison de son statut, Mme Khalil possédait ce qu’elle appelle une « carte d’identité nationale » ainsi qu’un passeport qui lui permettaient de vivre et de travailler dans les Émirats arabes unis. Elle a conservé ces documents jusqu’à la naissance de son fils. À ce moment, le passeport de Mme Khalil avait expiré, bien que sa carte d’identité nationale fût toujours valide. Mme Khalil indique que lorsqu’elle a fait sa demande pour obtenir l’acte de naissance de son fils, le personnel du ministère de la Santé des Émirats arabes unis lui a indiqué qu’elle devait se rendre au bureau des passeports pour déposer cette demande. À ce bureau, des fonctionnaires lui ont demandé de remettre son passeport et sa carte d’identité nationale, puis de soumettre une demande de passeport auprès de la République fédérale islamique des Comores. On lui a dit qu’elle devait suivre ces étapes pour obtenir l’acte de naissance. Puisqu’elle craignait pour le statut de son fils, Mme Khalil a accepté de suivre le processus. Environ au même moment, ses parents et ses frères et sœurs ont également dû accepter les passeports de la République fédérale islamique des Comores. Ce programme, par lequel la République fédérale islamique des Comores délivre des « passeports « à des Palestiniens apatrides, fait partie d’une entente financière entre les Émirats arabes unis et la République fédérale islamique des Comores en vertu de laquelle le gouvernement des Émirats arabes unis donne de l’argent à ce pays pour qu’il fournisse des documents de voyage à certains de ses résidents. Mme Khalil affirme qu’au cours du processus d’obtention de son passeport de la République fédérale islamique des Comores, on lui a retiré les droits de citoyenneté qu’elle possédait aux Émirats arabes unis.

[7]               Comme résultat de ce processus, Mme Khalil possède un passeport qui ne lui donne aucun droit de résidence dans les Émirats arabes unis ou en République fédérale islamique des Comores. Mme Khalil soutient que puisqu’elle est une femme, elle ne peut pas léguer son statut comorien à son conjoint ou ses enfants.

[8]               Mme Khalil et son fils sont entrés aux États­Unis le 24 décembre 2014 grâce à un visa de visiteur, puis au Canada le 1er janvier 2015. Au Canada, elle a ensuite réclamé, pour elle et son fils, le statut de réfugié en tant que personne à protéger. À ce moment­là, elle possédait un visa de résident pour les Émirats arabes unis valide jusqu’au 29 juin 2017, ou jusqu’à ce qu’elle quitte les Émirats arabes unis pour une période de plus de six mois successifs. Ce visa est fondé sur son emploi aux Émirats arabes unis et son passeport de République fédérale islamique des Comores. Le visa accorde également à ses enfants le droit de rester aux Émirats arabes unis jusqu’à l’âge de 18 ans. Ces enfants sont actuellement âgés respectivement de 16, 13 et 5 ans. Au cours de l’audience du 3 mars 2013 devant la SPR, Mme Khalil a indiqué qu’elle n’était pas retournée aux Émirats arabes unis depuis environ deux mois et demi, que son employeur lui avait donné seulement un mois de congé et qu’elle craignait d’avoir perdu son emploi. Les demandeurs sont au Canada depuis plus d’un an maintenant.

II.                Décisions

[9]               Les deux membres de la SPR ont statué que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. L’identité n’est pas contestée par l’une ou l’autre des parties. Les deux membres de la SPR reconnaissent que les demandeurs sont tous nés aux Émirats arabes unis et sont apatrides, malgré leurs documents de voyage, puisqu’ils n’ont pas le droit d’entrer en Égypte (ou en République fédérale islamique des Comores, dans le cas de Mme Khalil). Ces membres ont déterminé que les Émirats arabes unis étaient le pays dans lequel tous les demandeurs avaient leur résidence habituelle.

A.                M. Hegi

[10]           Dans le cas de M. Hegi, la SPR a tiré une conclusion défavorable en raison des incohérences au sujet de sa crainte alléguée de retourner aux Émirats arabes unis. M. Hegi affirme qu’il craint que ses filles et lui soient déportés ou incarcérés s’il retourne aux Émirats arabes unis. Cependant, lorsque la SPR lui a demandé s’il avait peur de retourner aux Émirats arabes unis, M. Hegi a répondu par la négative. M. Hegi a été mis en contradiction avec la déclaration suivante qu’il a faite dans ses documents de point d’entrée : « je n’ai pas peur de retourner dans quelque pays que ce soit ». Il soumet à la Cour que cette incohérence résulte d’une mauvaise communication parce qu’il avait ajouté ceci : « je n’ai aucun pays vers lequel retourner ». Il affirme que cette absence de crainte s’explique du fait qu’on ne pouvait le retourner dans aucun pays. La SPR a rejeté cette explication et a conclu que M. Hegi n’avait pas peur de retourner aux Émirats arabes unis.

[11]           De plus, la SPR a déterminé que même si la crédibilité de M. Hegi n’était pas une question en cause, lui et ses filles ne pouvaient demander le statut de réfugiés ou de personnes à protéger puisque le fondement de leur crainte découle d’une loi d’application générale. La SPR a statué qu’il est de la compétence de tout pays de légiférer concernant les conséquences auxquelles s’expose une personne qui, malgré le fait que son visa soit expiré, décide de rester à l’intérieur des frontières de ce pays. La SPR a conclu qu’une telle action entreprise par un pays ne constitue pas un acte de persécution. De plus, la SPR a noté que, conformément au visa de Mme Khalil, les filles de M. Hegi conservent leur statut aux Émirats arabes unis jusqu’à l’âge de 18 ans.

[12]           La SPR a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crainte alléguée de M. Hegi étant donné qu’il s’est retrouvé aux États­Unis et qu’il y est resté pendant cinq mois sans déposer de demande d’asile.

B.                 Mme Khalil

[13]           Comme dans le cas de son époux, la SPR a déterminé que Mme Khalil et son fils sont assujettis à une loi valide d’application générale et ne font face à aucun risque de persécution.

[14]           La SPR a également conclu que la perte du statut de Mme Khalil aux Émirats arabes unis est hypothétique. La SPR a noté que Mme Khalil a été en mesure de conserver son emploi avant de venir au Canada, qu’elle n’a pas soumis d’éléments de preuve concernant l’état de son emploi courant et n’a pas démontré l’absence de possibilités d’emploi futur aux Émirats arabes unis. Pour cette raison, la SPR a statué qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait perdu son visa de résident, lequel est valide jusqu’en 2017. De plus, la SPR a mentionné qu’au moment de l’audience, elle avait été absente depuis seulement deux mois et demi et que son visa lui permettait de s’absenter pour une période de six mois consécutifs.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[15]           Même si plusieurs questions sont soulevées par les demandeurs, concernant entre autres une apparente mauvaise utilisation du terme « persécution » au lieu de « poursuite judiciaire » et les conclusions en matière de crédibilité liées à M. Hegi, je suis d’avis que la norme de la décision raisonnable telle qu’établie dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] RCS 190 [Dunsmuir] est déterminante pour ce qui est de ces questions.

IV.             Analyse

A.                Poursuite par rapport à persécution

[16]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a appliqué un critère de « poursuite judiciaire » plutôt qu’un critère de « persécution » pour les demandes de statut de réfugié ou de personne à protéger. Il s’agit, en tout respect, d’une mauvaise caractérisation de la situation. Dans la décision concernant M. Hegi, la SPR a souligné, à juste titre, qu’il n’y avait rien de persécutant au sujet de la nature des lois en question. La SPR poursuit comme suit : [traduction]

[…] dans le pire scénario, les demandeurs risquent, s’ils retournent aux Émirats arabes unis, d’être poursuivis en vertu d’une loi d’application générale et non pas d’être persécutés au sens de la Convention ou exposés à des menaces à leur vie, à des peines ou traitements cruels et inusités ou à un risque de torture.

Cet extrait démontre que la SPR était consciente que les termes « persécution » et « poursuite judiciaire » sont différents et qu’une poursuite judiciaire ne correspond pas nécessairement à une demande découlant d’un motif énoncé dans la Convention.

[17]           La Cour a conclu à plusieurs occasions qu’une poursuite judiciaire en vertu d’une loi d’application générale ne correspond pas nécessairement à une persécution. Dans la cause Karsoua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 58, [2007] ACF no 95, le juge Blanchard a déterminé que le fait que le demandeur n’avait pas le droit de retourner aux Émirats arabes unis ne constituait pas de la persécution. De même, dans la cause Altawil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 114 FTR 241, [1996] ACF no 986 [Altawil], la Cour a conclu que l’interdiction de retourner dans un pays ne constitue pas une persécution s’il s’agit d’une loi d’application générale.

[18]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en droit ou a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle a mal cité la cause Altawil en ce qui concerne la distinction entre « persécution » et « poursuite judiciaire ». Bien que la SPR ait mal cité une phrase de la cause Altawil, je suis convaincu qu’il s’agit seulement d’une erreur typographique qui n’a eu aucune incidence sur le processus décisionnel. La SPR a démontré qu’elle connaissait et qu’elle a appliqué le critère approprié. Elle n’a commis aucune erreur en droit et n’a pas tiré de conclusions déraisonnables concernant l’absence de persécution.

B.                 Le bien­fondé des revendications

[19]           La SPR a conclu que l’incapacité des demandeurs de retourner aux Émirats arabes unis est hypothétique puisqu’aucune de ces personnes n’a tenté d’y retourner. Je crois que les observations du juge Simpson dans la cause Altawil démontrent le caractère raisonnable des conclusions de la SPR à cet égard. Elle cite le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, lequel indique :

« On notera que tous les apatrides ne sont pas des réfugiés. Pour être réfugiés, ils doivent se trouver hors du pays dans lequel ils avaient leur résidence habituelle, pour les raisons indiquées dans la définition. Lorsque ces raisons n’existent pas, l’apatride n’est pas un réfugié. »

[20]           Les demandes de contrôle judiciaire soumises par Mme Khalil et les enfants mineurs sont plus complexes du fait que ces personnes avaient toutes le droit de retourner aux Émirats arabes unis au moment de la tenue de l’audience de la SPR. M. Hegi et Mme Khalil ne répondent tout simplement pas à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les conclusions de la SPR à cet égard et en matière de crédibilité, dans le cas de M. Hegi, satisfont aux critères de caractère raisonnable établis dans l’affaire Dunsmuir. Les décisions sont justifiées, transparentes et intelligibles, et elles tiennent à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité au paragraphe 47).

[21]           Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées sans dépens.

[22]           Aucune des parties n’a soumis de questions aux fins de certification et aucune n’est certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1312-15

INTITULÉ :

FARAG FADEL HEGI et RAZAN FARAG FADEL HEGI et RAWAN FARAG FADEL HEGI

représentés par leur tuteur à l’instance

FARAG FADEL HEGI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET DOSSIER :

IMM-2073-15

INTITULÉ :

JOMANA TAWFIQ HELAL KHALIL et

OMAR FARAG HEGI représenté par sa tutrice à l’instance

OMANA TAWFIQ HELAL KHALIL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 décembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

DATE DES MOTIFS :

Le 22 mars 2016

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

Pour les demandeurs

Stephen Jarvis

Pour le défendeur (IMM-1312-15)

Bridget A. O’Leary

Pour le défendeur (IMM-2073-15)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert

Avocat­procureur

Jackman Nazami and Associates

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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