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Date : 20160301


Dossier : IMM-3772-15

Référence : 2016 CF 265

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

FORSTER QUARCO AGYEMANG

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[2]               Dans la décision visée par le contrôle datée du 30 juillet 2015, la SAR a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui a rejeté la demande d’asile de Forster Quarco Agyemang (le demandeur).

[3]               La question principale en l’instance vise le refus de la SAR d’admettre de nouveaux documents fourmis par le demandeur. La Cour conclut que le refus d’admettre les nouveaux documents était déraisonnable et pour ce motif, la décision doit être annulée.

[4]               Le demandeur est un citoyen du Ghana âgé de 47 ans. Il prétend être persécuté en raison d’un différend sur la chefferie entre Nana Pemapem Yaw Kagbrese et le Dr Nana Agyare Bofour. Le demandeur était un fervent partisan du Dr Nana Agyare Bofour et en était le conseiller principal.

[5]               Il prétend avoir été impliqué dans des affrontements violents entre les sympathisants des deux chefs et que les événements ont culminé lorsque les sympathisants du chef rival se sont présentés à son domicile à sa recherche. Ils ont détruit ses biens personnels et ont menacé de le tuer. Peu de temps après, il s’est enfui au Canada le 17 novembre 2013 et a demandé l’asile.

[6]               Dans une décision datée du 25 février 2015, la SPR a rejeté la demande du demandeur pour des motifs de crédibilité et de protection de l’État.

[7]               Le défendeur a interjeté appel de la décision défavorable de la SPR auprès de la SAR le 12 mars 2015.

[8]               Le 7 avril 2015, le demandeur a mis en l’état l’appel en fournissant à la SAR son dossier de l’appelant. Le demandeur a également fait savoir que, conformément au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), il avait l’intention d’invoquer de nouveaux éléments de preuve qui ont surgi après son audience sur le statut de réfugié aux fins du présent appel. Le demandeur a décrit la preuve comme suit :

         [La preuve] a trait à des événements qui se sont déroulés peu de temps avant et après son audience qui n’existaient pas ou qui n’étaient pas disponibles au moment où sa demande d’asile a été rejetée. En particulier, les éléments de preuve selon lesquels les sympathisants du Dr Nana Agyara Bofour étaient persécutés de façon continuelle par les agents de Nana Pemapem Yaw Kagbrese.

         Les nouveaux éléments de preuve que le demandeur invoque aux fins du présent appel ne sont toujours pas parvenus du Ghana et le demandeur entend les fournir pour que la SAR les examine une fois qu’elle les aura reçus.

[9]               Le 15 juillet 2015, le demandeur a fait une demande pour produire deux documents [traduction] « qui n’avaient pas déjà été fournis » conformément aux règles 29 et 37 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012­25 (les règles de la SAR) :

1.      « Kojo Boffour Sits on a Time Bomb », The New Statesmen (le lundi 4 mai 2015) (7e édition, n° 44, n° 0310) (Ghana), à la p. 7.

2.      The Ghanaian News (mai 2015) (vol. 19, n° 5), Toronto (Ontario), à la p. 7.

[10]           Le demandeur a soutenu que l’article du New Statesmen venait confirmer le différend sur la chefferie. L’article identifiait le demandeur par son nom et établissait que les persécutions aux mains de Nana Pemapem Yaw Kagbrese étaient en cours. Le demandeur a aussi fait valoir que l’article démontrait comment les autorités du Ghana n’en avaient pas fait assez pour protéger les personnes comme lui. Il a soutenu que l’article du Ghanaian News fournissait une preuve corroborante de la puissance et de l’influence de Nana Pemapem Yaw Kagbrese.

[11]           La SAR a rendu sa décision le 30 juillet 2015. Elle a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur. Ce faisant, je conclus qu’elle a commis une erreur susceptible de révision, ce qui nécessite que l’affaire soit renvoyée pour un nouvel appel.

[12]           En ce qui concerne l’article du New Statesmen, la SAR a indiqué un certain nombre de raisons pour lesquelles elle avait refusé de l’admettre. Tout d’abord, elle s’est dite préoccupée par l’authenticité du journal fourni, prétendant que celui­ci semblait être une photocopie sur du papier journal. Le demandeur avait présenté le journal original contenant l’article, mais pour une raison quelconque, on le lui a retourné au lieu de le conserver comme pièce. J’ai permis au demandeur de présenter de nouveau le journal pour qu’il soit conservé dans le dossier en tant que pièce dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

[13]           Après avoir minutieusement examiné le journal, qui se révélait clairement un document original, le seul point de référence perçu par la Cour et mentionné dans les motifs qui allaient soulever des questions d’authenticité est un faible rendu sur les pages du journal.

[14]           Il n’appartient évidemment pas à la Cour de substituer son opinion à celle de la SAR, mais je suis néanmoins préoccupé par le fait que la seule supposition voulant que le demandeur ait présenté un document frauduleux est assez grave que la réponse appropriée peut avoir été d’exiger une authentification appropriée, puisque toute opinion fondée sur le document même exigerait normalement l’évaluation d’un expert en matière de vérification de documents.

[15]           Plus déroutante encore est toutefois la déclaration de la SAR selon laquelle le demandeur a omis d’expliquer pourquoi il ne pouvait pas fournir cette preuve avec son dossier, présenté le 7 avril 2015, alors que le document en question est daté de mai 2015. Cette confusion a peut­être été prise en compte, car le demandeur avait initialement fait savoir que les nouveaux éléments de preuve qui devaient être déposés pouvaient confirmer les événements survenus peu de temps avant et après son audience. Au lieu de cela, l’article du New Statesmen relatait des événements survenus en 2013, soit deux ans après le fait.

[16]           Il n’est pas clair si la SAR était préoccupée par une preuve intéressée qui a été obtenue comme par hasard après l’audience de la SPR. Toutefois, le fait demeure que les commentaires de la SAR introduisent un autre élément de confusion quant à la décision de rejeter le nouveau document, puisque l’article n’était de toute évidence pas normalement accessible, ayant été publié seulement après la décision de la SPR.

[17]           Troisièmement, la SAR a fait remarquer que la preuve ne soulevait pas une « nouvelle question », mais je ne crois pas que ce soit le critère approprié. Les facteurs énumérés à la règle 29(4) concernent la pertinence et la valeur probante du document et toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel.

[18]           Quatrièmement, la SAR a constaté que le document avait une valeur probante limitée en ce qu’il [traduction] « n’a pas permis de trouver une raison pour expliquer les problèmes [du demandeur] qui a témoigné en ce qui a trait à sa crédibilité ». Je suppose que par là, la SAR voulait dire que, quelle que soit la valeur probante du document, celle­ci était insuffisante pour permettre au demandeur de surmonter ses autres problèmes de crédibilité. Si tel est le cas, il s’agit là du minimum de motifs qui pouvaient être fournis, et il ne reste plus à la Cour qu’à se demander sur quel fondement ce commentaire a été fait.

[19]           Puis, la SAR fait marche arrière en concluant que le document devrait être rejeté en vertu de l’alinéa 29(4)c) des Règles de la SAR, qui porte sur la question de savoir si le demandeur avait pu, moyennant des efforts raisonnables, fournir le document avec son dossier.

[20]           Bien qu’il y ait pu y avoir des préoccupations légitimes à propos de ce document, les motifs ne permettent pas à la Cour de révision de bien comprendre pourquoi la décision a été prise, et partant, si la décision appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[21]           J’ai les mêmes réserves au sujet de l’article du Ghanaian News, qui a été rejeté par la SAR au motif que le demandeur avait omis d’expliquer adéquatement la valeur probante de cette preuve.

[22]           Le demandeur a soutenu devant la SAR que l’article confirmait que la chefferie de l’opposition était puissante et influente, ce qui explique pourquoi ses sympathisants n’ont pas été tenus responsables de l’incident allégué du 26 octobre 2013 et pourquoi le demandeur demeure exposé à des risques. Le défaut de fournir des commentaires précis à l’égard de cette observation ne laisse, là encore, d’autres choix à la Cour que de chercher à comprendre pleinement pourquoi le document a été rejeté.

[23]           En conclusion, la demande est accueillie parce que les motifs manquent de transparence, de justification et d’intelligibilité, ce qui rend la décision déraisonnable dans son ensemble.

[24]           Étant donné mes conclusions sur le défaut d’admettre les nouveaux éléments de preuve, il n’est pas nécessaire d’examiner si la SAR a commis une erreur en confirmant la décision de la SPR.

[25]           Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3772-15

 

INTITULÉ :

FORSTER QUARCO AGYEMANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

POUR LE DEMANDEUR

 

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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